Histoire
des femmes dans le bouddhisme japonais : |
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Le penseur réformateur Nichiren (1222–1282) peut être considéré comme un des fondateurs les plus progressistes parmi les écoles bouddhistes de Kamakura. Dans ses écrits il a, en effet, fermement mis en avant la capacité des femmes de parvenir à la bodhéité. (réf.) Cet article se propose d'examiner la vision des femmes par Nichiren. Celui-ci s'appuie sur les 28 chapitres du Sutra du Lotus de Gautama Shakyamuni, dans la traduction du sanskrit en chinois de l'éminent érudit Kumarajiva, en 406. Le but de l'article est double : tout d'abord, recenser les doctrines sur l'aptitude des femmes à la bodhéité, et les confronter aux traités de Nichiren qui se positionne en contre-courant des normes sociales et religieuses du Japon médiéval. Ensuite, d'examiner les solutions pratiques que Nichiren propose, dans le contexte social auquel doivent faire face ses disciples femmes. Atteinte de la bodhéité par les femmes Historique dans le bouddhisme japonais Pendant le Moyen Âge, le bouddhisme japonais connut des transformations significatives. Le courant bouddhique basé sur une pratique religieuse plus simple et moins ésotérique (igyo-do) gagna largement les couches moyennes de la population. Il redéfinissait également le rôle des femmes dans le bouddhisme. Il fallait tout d'abord modifier la relation entre les écoles bouddhistes et les femmes. Il est généralement admis que les trois premières personnes qui renoncèrent au monde pour se consacrer à la pratique bouddhique étaient des femmes. Puis d'autres, très nombreuses, suivirent. Durant la période de Nara (710-794), les moniales bénéficiaient des mêmes statuts que les moines. Cependant, durant la période de Heian
(794–1185), alors que les moines commencèrent à jouer
un rôle plus important dans les affaires du bouddhisme d'Etat, les
obligations officielles des moniales déclinèrent. Ainsi
les nonnes furent exclues, par exemple, des fonctions publiques dirigeantes
lors des cérémonies gouvernementales et, en même temps,
les possibilités pour l'ordination formelle des femmes disparut,
du fait de la controverse croissante concernant le manque évident
de kaidans spécifiques pour
la réception des préceptes.
Malgré cela, des documents historiques montrent qu'un nombre important de femmes de l'aristocratie de la période Heian, commencèrent à se retirer du monde, pour se faire nonnes, sans aucune ordination formelle, mettant en évidence le fait que globalement le bouddhisme comptait plus d'adeptes dans la population féminine. De fait, certaines femmes de l'époque jouissaient de positions relativement autonomes dans la société médiévale japonaise, en dépit des restrictions concernant leurs activités sociales. Beaucoup assumaient entièrement la responsabilité de leur foyer, adoptaient et élevaient seules les enfants, succédaient à leur maris défunts en tant que chefs de famille ou bien héritaient des droits de disposer de leur propriété. On connaît quelques cas de donations personnelles aux temples ou à des prêtres. Le nouveau bouddhisme s'implanta dans ce contexte social et le rôle que jouèrent les femmes dans son développement est particulièrement évident dans l'école nichirenienne. Les femmes ont constitué une proportion importante des disciples de Nichiren qui leur adressa un grand nombre de lettres. Bien que gérées par des prêtres hommes, les communautés comportaient des disciples laïcs des deux sexes. Et les disciples femmes étaient respectées en tant qu'individus ayant fait la démarche pour adhérer à l'école de Nichiren. (réf.) Ces femmes peuvent être divisées en deux
groupes : les femmes pleinement intégrées dans la société
(femmes mariées), et d'un autre côté les ama
(nonnes laïques). Parmi les premières on compte Nichimyo Shonin, l'épouse de Shijo Kingo et Nichinyo ; de même
les épouses d'Ikegami Munenaka
et Ikegami Munenaga. Parmi les nonnes
laïques il y a Sennichi, Nii-ama,
Oama, Myoichi,
Myoshin et Jimyo
(note).
Sur les 447 lettres aux disciples recensées par Kansho Kuwana de
l'université de Minobu, 90 (plus d'un cinquième) sont
adressées aux femmes. Parmi les 124 mandalas (Gohonzon),
objets de vénération en bois inscrits par Nichiren et conférés
nommément à des personnes ayant prouvé leur foi,
19 le furent à des disciples prêtres et 47 à des croyants
laïcs ; on ne connaît pas la destination de 59 restants. Sur
les 47 conférés à des laïcs 15 (c'est à
dire 30%) l'ont été à des femmes, contre 32 à
des hommes. Kuwana estime que cette répartition prouve à
quel point Nichiren était engagé dans la conversion et la
formation des femmes. (réf.)
La misogynie bouddhiste et la réponse de Nichiren Comme le signale Masayuki Taira de l'université d'Osaka, l'entrée dans le Moyen Âge japonais marque la fin de l'égalité entre hommes et femmes et le début d'une période de misogynie sociale ancrée dans la religion. Dans la période de Kamakura (1185–1333), les nonnes ayant reçu une ordination formelle était rares alors que le nombre de nonnes laïques augmentait. Dans la plupart des cas les femmes étaient traitées en sujets nécessitant une aide salvatrice. (réf.) Les racines de la misogynie bouddhiste sont profondes et s'expliquent, en partie, par le contexte socioculturel et les préjugés à l'encontre des femmes dans l'Inde de Shakyamuni. La première mention de la misogynie bouddhiste doctrinale remonte au premier schisme du Sangha qui s'est produit un siècle environ après le parinirvana du Bouddha. Elle est également la plus pernicieuse car elle dénie aux femmes toute capacité d'Éveil. Cette doctrine, henjo nanshi en japonais, stipule qu'une femme ne peut parvenir au salut spirituel tant qu'elle ne s'est pas transformée en homme, soit au sens littéral attesté par une assemblée publique, soit au sens symbolique en renonçant au monde et devenant moniales. La doctrine de henjo nanshi, diffusée par le clergé et les temples bouddhistes s'est largement répandue et fut assimilée par la société au point de figurer dans les chansons populaires comme l'atteste le Ryojin hisho (Sélection secrète de grains de poussière) compilé vers 1169 (Le Japon de Kodanasha : Encyclopédie illustrée) (réf.). Cette assimilation était grandement facilitée par des facteurs socioculturels inhérents au Japon, et plus tard par l'introduction du sutra Ketsubon (sutra des menstruations) que nous examinerons plus loin en détail. Nichiren était parfaitement au courant de cette doctrine, comme le prouve sa critique d'une pratique shingon durant la période Kamakura :
Dans une lettre intitulée Nyonin jobutsu sho (Atteinte de la bodhéité par les femmes) (réf.), Nichiren nous montre un exemple de la misogynie du bouddhisme de son temps et cite des passages des nombreux écrits d'avant le Sutra du Lotus :
Nichiren le note dans une autre de ses lettres, le Daimoku du Sutra du Lotus :
Nichiren réfute systématiquement ces allégations en les comparant aux passages du Sutra du Lotus qui affirme que les femmes ont la capacité de parvenir à l'Éveil. La réfutation de la misogynie est un thème récurrent des écrits de Nichiren, ainsi que ses affirmations que les femmes peuvent parvenir à l'Éveil. Par exemple, dans le passage suivant du Daimoku du Sutra du Lotus Nichiren décrit comment le Sutra a le pouvoir de conférer l'Éveil aux femmes :
Il semble que Nichiren ait pris un intérêt particulier à souligner que les "cinq entraves et trois obéissances" ne condamnaient pas les femmes à vivre une vie d'esclaves. Il écrit, par exemple, dans sa lettre à la nonne laïque Konichi (réf.) :
Et, comme il ajoute dans une autre lettre, la clef pour libérer ses disciples femmes des chaînes imposées par la religion est le Sutra du Lotus :
Etant donné la condamnation portée contre les femmes, la position de Nichiren n'a pu que faire naître un grand sentiment d'espoir parmi les femmes-disciples de Nichiren :
Et il poursuit,
en affirmant que c'est seulement dans le Sutra du Lotus qu'on
peut lire qu'une femme qui se consacre à ce Sutra surpasse tous
les hommes. (réf.)
Dans un autre de ses goshos, Nichiren expose ce qui fonde son jugement sur les femmes :
Et dans le Nyonin jobutsu sho il écrit :
La conclusion essentielle qui en découle est que les femmes n'ont pas besoin de changer d'apparence pour atteindre la bodhéité. Et Nichiren ajoute :
Il affirme également :
Il fait référence à la description qui se trouve dans le chapitre XII (Devadatta) du Sutra du Lotus.
Le concept de l'atteinte de la bodhéité sans changer d'apparence (sokushin jobutsu) était basé sur la doctrine d'ichinen sanzen, "3000 mondes en un seul instant de vie". Cette doctrine enseigne que la vie possède d'infinies possibilités qui peuvent se manifester en un seul instant. C'est pourquoi Zeho Miwa, Maître de Conférences à l'université de Minobu estime obsolète la nécessité de changer de forme pour atteindre la bodhéité. (réf.) Nichiren écrit :
Il faut rappeler ici quelques réserves émises parfois à l'égard du XIIe chapitre du Sutra du Lotus qui est considéré comme étant différent des autres 27 du fait qu'il a probablement été rajouté plus tardivement. Mais dans le chapitre Exhortation à la sauvegarde qui suit immédiatement le chapitre Devadatta, Shakyamuni déclare que sa tante et mère nourricière, deviendra l'Ainsi-Venu Sarvasattvapriyadarshana (Vision de joie pour Tout Etre) et que Yashodhara, la mère de Rahula, fils de Shakyamuni deviendra l'Ainsi-Venu Rashmishatasahasrapari puranadhvaja (Parfaitement Muni des Dix Millions de Marques de Lumière). De même les dix filles-démones qui appartiennent au monde-état des esprits faméliques (preta) atteignent également la bodhéité. En donnant ces exemples de la réalisation de l'Éveil qui ne se trouvent que dans le Sutra du Lotus, Nichiren conclut que les femmes devraient tout particulièrement suivre ses enseignements car elles n'ont pas besoin de renaître en hommes. (réf.) Il rejette ainsi le principe de henjo nanashi qui prétend le contraire, et s'appuie sur la philosophie qu'impliquent ces exemples pour traiter de façon égale les hommes et les femmes, ne tenant compte que de leurs capacités spirituelles et de leur foi dans le Sutra du Lotus. Dans une de ses lettres, il avertit ses disciples :
Et Nichiren écrit encore :
Par ailleurs, Nichiren estimait qu'une personne n'était pas condamnable pour son karma négatif s'exprimant dans la féminité mais à cause de l'offense faite au Dharma par la calomnie du Sutra du Lotus. Car c'est cela qui crée les causes profondes qui font qu'une personne naît dans telle ou telle société et culture qui lui imposent des règles discriminatoires (réf.). En réalité, comme on l'a dit plus haut, il estimait que ses disciples femmes étaient meilleurs que leurs pairs hommes lorsqu'elles devenaient les envoyées du Sutra du Lotus, se dévouant à la pratique et la propagation :
Les enseignements de Nichiren sur l'efficacité du Sutra du Lotus pour les femmes lui ont assuré la fidélité des femmes de son petit groupe de disciples comme le montre la lettre à la nonne Sennichi :
Sennichi et son mari, Abutsu-bo, aidèrent Nichiren pendant son exil à l'île de Sado en 1271, lui fournissant la nourriture et d'autres objets de première nécessité jusqu'à ce qu'il soit gracié trois ans plus tard. Ils continuèrent à lui faire des dons lorsqu'il s'installa au Mont Minobu en 1274. Nichiren appréciait la sincérité de Sennichi, écrivant qu'elle était une réincarnation de sa mère ; il lui offrit dix volumes du Sutra du Lotus en reconnaissance de sa forte croyance. Sennichi était l'une des nombreuses disciples-femmes que Nichiren estimait pour leur foi et leur dévouement. D'autres, comme Nichimyo, ont été honorées par Nichiren du titre de sage, ou personne vénérable (shonin ) (réf.) Position des contemporains de Nichiren Quels étaient les points de vue des contemporains de Nichiren concernant l'atteinte de la bodhéité par les femmes ? Examinons brièvement les positions de Shinran (1173-1262), fondateur de la Jodo Shinshu et de Dogen (1200 –1253), fondateur de la Sotoshu. Pour un moine de son temps, la position de Shinran était unique, au vu de l'exposé qu'il fit de son "oracle". Il parle de la révélation reçue en rêve du bodhisattva Kuse-Kannon concernant les relations sexuelles avec les femmes (réf.). Il vivait avec une épouse, Eshinni, en rupture avérée avec les prescriptions bouddhistes pour les moines. Mais malgré la violation audacieuse des conventions, Shinran a rarement abordé les relations hommes/femmes, que ce soit dans ses écrits, ses traités ou lettres à des disciples-femmes, ce qui conduit à penser qu'il ne s'est jamais penché sur ce problème. Il existe toutefois des témoignages littéraires sur la bodhéité potentielle des femmes émanant de la Jodo Shinshu fondée par Shinran. Le 10ème hymne de la Terre Pure du Grand Sutra de la Vie Infinie du Bouddha (Jodo wasan ; stances rimées écrites dans une langue clairement compréhensible et à visée prosélyte) :
Cet hymne est présenté comme étant "l'esprit du 35ème vœu des 48 vœux de Hozo biku (nom d'Amida dans une vie antérieure) dans le Grand Sutra de la Vie Infinie du Bouddha. C'est le vœu relatif à la bodhéité des femmes. Ainsi, selon le bouddhisme de la Jodo Shinshu, une femme doit renaître en tant qu'homme, pour que sa bodhéité se manifeste. C'était là, vraisemblablement, un héritage de Honen. De plus, le 3ème hymne du Shandao Dashi (Zendo daishi * ), Hymnes des Maîtres de la Terre Pure (Jodo koso wasan) dit :
Conformément à la doctrine de tariki hongan (pouvoir de l'autre), les femmes, à cause de leurs graves péchés, pourront renaître dans la Terre Pure seulement grâce à la bonté absolue d'Amida. Dogen offre un contraste intéressant, ayant commencé comme un ardent avocat de l'égalité des sexes et rejetant les cinq entraves et trois obéissances ainsi que l'exclusion des femmes de la célébration des rites. Dans un passage du vol. 28 de son Shobo genzo (Trésors de la Compréhension du Vrai Dharma), il écrit : "L'espace est l'espace. Les quatre éléments sont les quatre éléments. Les cinq agrégats sont les cinq agrégats. Il en est de même pour les femmes. Il n'y a pas de différence entre hommes et femmes en ce qui concerne la Voie. Le statut dépend uniquement de la pratique de la Voie bouddhique en non pas de la différence entre les sexes. C'est là le principe essentiel de la Voie bouddhique". (réf.) Dogen a également dirigé des critiques acerbes contre l'exclusion sexiste des femmes de sites rituels par les écoles bouddhistes Tendai de Kyoto : "Il y a une chose parfaitement ridicule au Japon. Il existe des temples et des sanctuaires considérés comme sacrés et où les femmes, nonnes ou laïques, n'ont pas le droit d'entrer. Cet état de choses dure depuis longtemps et personne ne reconnaît cela comme erreur."(réf.) Cependant, il s'avère que Dogen est revenu de ses premières convictions vers l'époque où il a fondé le temple Eihei-ji et qu'il a commencé à accorder plus d'importance à l'ordination formelle et la distinction des sexes : "C'est seulement en renonçant au monde séculier et en recevant les préceptes que l'on peut atteindre la Voie. Etre ordonné prêtre est un mérite inestimable car cela est conforme au Dharma universel des bouddhas. Les sutras de Shakyamuni parlent de l'atteinte de la bodhéité par les laïcs mais ce ne sont pas des enseignements corrects. Ils parlent également de l'atteinte de la bodhéité par les femmes, mais ce ne sont pas des enseignements corrects. L'enseignement suprême du Bouddha est l'atteinte de la bodhéité par ceux qui ont renoncé au monde séculier."(réf.). On peut noter qu'après avoir écrit cela
au temple Eiheiji, Dogen n'a plus jamais réparlé de la potentialité
de bodhéité chez les femmes (réf.). Souillure par le sang L'un des facteurs déterminant pour le déni de la bodhéité des femmes était la notion d'impureté. Elle servit de prétexte à leur exclusion du bouddhisme japonais et à la misogynie religieuse. La notion d'impureté rituelle (kagare) existait depuis les temps anciens. Mais son emprise sur la culture japonaise a crû en importance depuis le milieu de la période Heian et se renforça encore davantage pendant l'époque médiévale. Alors que la souillure par le contact avec la mort s'appliquait tant aux hommes qu'aux femmes, l'impureté par le sang était étroitement associée à la féminité en tant que conséquence de fonctions physiologiques telles que l'accouchement et la menstruation. Au cours du temps c'est le sexe féminin lui-même qui a été considéré comme impur. L'aversion pour l'impureté s'installa d'abord au Palais impérial et parmi les courtisans, mais très vite elle s'étendit au-delà de la cour, influençant la caste des guerriers samouraïs puis toute la population de Kyoto, puis de tout le Japon. La croyance en l'impureté rituelle s'ancra fermement dans la société toute entière et persista pendant les 700 ans du Moyen Âge japonais (1185 - 1868) (réf.). Le Ketsubon Kyo (littéralement Sutra des menstruations) est un texte qui s'est d'abord répandu en Chine et qui se prétendait d'origine bouddhiste. Il fut introduit au Japon durant la période Muromachi (1392–1573) et plusieurs versions en furent popularisées jusqu'à nos jours. Ce texte affirme que le sang répandu par une femme lors des menstruations et de l'accouchement offense le dieu du sol et de l'eau, et qu'en lavant son linge souillé dans les ruisseaux et rivières les femmes polluent non seulement l'eau, mais profanent le thé offert aux sages. Pour ce péché, après la mort, les femmes sont châtiées en tombant dans "l'Enfer de la Mare au Sang"(réf.). Leurs organes et fonctions physiologiques étaient ainsi devenus synonymes d'impureté religieuse et pour finir cette doctrine a été intériorisée par le psychisme féminin japonais. Le professeur Aiko Ogoshi de l'université Kinki note, quant à lui, que ce n'est pas à cause de leur impureté menstruelle que les femmes étaient méprisées. C'est le schéma sémantique religieux lui-même qui les a doté d'impureté rituelle et la pollution par le sang aurait été avancée comme justification de leur dégradation et exclusion. Les corps des femmes échappent au contrôle à cause de leur énergie sexuelle excessive. Si bien que dans le schéma des valeurs religieuses qui définit le sacré et le profane, les femmes sont considérées comme profanes. Le danger qu'elles représenteraient ainsi a été hypertrophié afin de les cantonner dans des tâches séculières. Tous les discours pour dénigrer les femmes ne seraient rien de plus qu'un "mécanisme de violence" résultant de déceptions à divers niveaux et dont le but serait de dégrader les femmes en toute légitimité. (réf.) En tout état de cause, il était naturel pour les femmes disciples de Nichiren de subir ce "mécanisme de violence" et de solliciter des conseils pour le concilier avec leur foi. L'épouse de Hiki Yoshimoto, par exemple, demande dans une lettre à Nichiren, comment elle doit pratiquer pendant ses règles, étant donné l'opprobre attaché communément à cette fonction physiologique. Il lui répond dans la lettre intitulée Sur la récitation des chapitres Hoben et Juryo :
La réponse de Nichiren est un rejet sans équivoque du concept d'impureté rituelle lors des menstruations :
Après cette mise au point, Nichiren suggère toutefois que pendant cette période sa pratique peut être simplifiée en accord avec le principe de zuiho bini, une adaptation souple et raisonnable aux coutumes locales, à condition de ne commettre aucun acte offensant le Dharma :
Dans les chapitres suivants, nous nous pencherons sur la vaste gamme de conseils pratiques, que Nichiren offrait aux femmes-disciples et qui étaient adaptés à leur situation personnelle. Ces réponses montrent à quel point il était attentif et réaliste dans les questions relevant du quotidien, et cela à une époque de discrimination sexuelle générale. La Nature des Femmes Dans ses écrits, Nichiren fait souvent référence aux tendances profondes des femmes :
A l'occasion, il marque la différence entre hommes et femmes. Dans la Lettre de Sado il remarque :
Même lorsque Nichiren décrit les femmes comme dépendantes des hommes, ce sont davantage des considérations sur les circonstances sociales de la vie pendant la période Kamakura qu'un jugement sexiste. Le passage suivant est souvent cité comme étant discriminant à l'égard des femmes. Mais, à la lumière de ce qu'on vient de voir, il serait judicieux de considérer que c'est là une description du point de vue dominant dans les sutras bouddhiques autres que le Sutra du Lotus.
Les épouses Les considérations de Nichiren sur le mariage sont pleines de bon sens, pertinentes et sensibles non seulement aux problèmes des femmes mais aussi au rôle qu'elles sont obligées de jouer en tant qu'épouses et pratiquantes du bouddhisme. De toute évidence, les possibilités de choix offertes aux femmes de la période de Kamakura étaient pratiquement inexistantes en dehors du mariage et de la maternité. Le mari était, tout naturellement, le centre de gravité de la vie de la majorité des femmes. Comme l'atteste sa lettre à Nichmyo, Nichiren était parfaitement au fait de cette réalité. On pense que Nichimyo qui avait une fille, Oto, en bas-âge, était séparée de son mari, mais on ne sait pas si cette séparation était due au divorce ou au décès du conjoint. En tous cas, elle demeura fermement établie dans sa foi, tout en étant mère isolée, ce qui était assez extraordinaires pour l'époque et provoqua les louanges de Nichiren :
Dans une autre lettre, adressée également à Nichimyo, Nichiren, contredisant la comparaison entre l'esprit de la femme et de la rivière sinueuse dit :
D'autres passages des lettres montrent à l'évidence que la vie des femmes de l'époque était construite exclusivement autour de leur mari. Cependant un examen plus poussé montre que Nichiren cherchait à affirmer la valeur d'une relation avec une femme dévouée au Sutra du Lotus. Il écrit à Dame Sajiki :
A un moment où la femme était considérée comme une propriété, les écrits de Nichren montrent sa conviction que le mariage devrait être une complémentarité et un partenariat. Il écrit :
Et ailleurs il ajoute :
Un autre point important est l'accent que Nichiren met sur la responsabilité de la femme mariée pour orienter et alimenter la foi bouddhique dans le couple, même si elle doit mécontenter son époux :
Et :
Dans une de ses lettres, Nichiren se réfère à l'exemple cette femme du Sutra du Lotus qui fait connaître le bouddhisme à son mari, et la donne comme modèle à suivre :
Il y a aussi ces passages où Nichiren exprime sa gratitude pour un service, rendu possible grâce aux efforts invisibles de l'épouse :
Bien que beaucoup de lettres de Nichiren concernant le mariage décrivent comme sacré le lien entre l'homme et la femme, il reste très pragmatique :
Maternité Avant d'aborder le sujet, il convient de mentionner que dans 90% des cas, Nichiren parle de la maternité en même temps que de la paternité, employant les expressions "père et mère" ou "la compassion du père et le dévouement de la mère". Cela est déjà une bonne indication qu'il croyait à l'association profonde des deux parents, sans en privilégier aucun. Nichiren était profondément sensible à tous les sacrifices consentis par les mères et la dette de reconnaissance que leur devaient les enfants. Il l'illustre de manière assez émouvante :
Nulle part Nichiren n'indique que les femmes doivent être confinées dans leur rôle de mère. Cela ressort clairement de la lettre de félicitations à l'annonce de la grossesse de Nichigen-nyo, la femme de son proche disciple Shijo Kingo. Il considère la naissance d'un enfant comme un événement plein de joie.
L'affection de Nichiren pour sa mère est bien connue. Il exprime sa dette de reconnaissance envers elle tout au long de sa vie. Elle a, sans doute, contribué à renforcer sa conviction que les femmes possédaient la capacité de devenir bouddha. Le passage suivant en témoigne :
En fin de compte, le Sutra du Lotus interpelle Nichiren et ses disciples car il promet le salut à tous les êtres, sans distinction d'âge, de sexe ou des offenses passées :
Conclusion Nous venons de voir que Nichiren donne des conseils détaillés à ses adeptes femmes en fonction de leur condition personnelle. Par ailleurs, même si le point de vue de Nichiren sur l'égalité des hommes et des femmes s'exprime à propos de l'atteinte de la bodhéité, il faut rappeler que toute cette discussion s'inscrit dans un contexte historique et religieux précis. Une telle controverse n'aurait aucune raison d'être dans notre société actuelle. Certaines descriptions de femmes font état d'un statut de totale soumission, et la nature des rôles des hommes et des femmes est définie de façon rigide. Toutefois le fait que Nichiren discute de la différence des genres ne doit pas être considéré comme sexiste, car il vivait dans un contexte où le rôle des femmes se limitait, avant tout, à celui d'épouse et de mère. L'intention de Nichiren était de répondre de manière pragmatique aux besoins concrets spécifiques de ses adeptes, si bien que ses conseils sont pertinents dans le cadre de son époque. Il est logique que certaines de ses directives ne soient pas adaptées au monde actuel. Dans l'ancien Japon, le clergé bouddhiste était fréquemment désigné comme "moines et moniales" et les deux assumaient des responsabilités officielles. Mais lorsque l'importance du rôle des nonnes décrut, leur autonomie spirituelle diminua également. Avec le temps, les notions de l'impureté des femmes, qui alla de pair avec le déni de leur capacité d'Éveil et leur bannissement des sites consacrés, ont gagné toute la société et ont progressivement été intériorisées par les femmes elles-mêmes, nonnes et laïques. Dans ce contexte, l'affirmation de Nichiren que les femmes étaient, aussi bien que les hommes, capables d'atteindre la bodhéité était perçue comme agressive et radicale, remettant en cause des notions philosophiques bien ancrées dans l'establishment des écoles bouddhistes. Comme Nichiren a écrit : "
De telles affirmations provocantes attirèrent beaucoup de mépris et de persécutions sur lui-même et ses disciples, dans un pays particulièrement hostile à toute sorte de contestation et de non-conformisme. Mais comment Nichiren, qui est resté célibataire tout au long de sa vie, a-t-il pu à ce point développer son empathie à l'égard des femmes ? La réponse est peut-être dans sa profonde identification avec humbles et les laissés pour compte. Il s'est souvent présenté comme appartenant à une pauvre famille de chandala. (La Lettre de Sado) (réf.) Cette identification a pu l'amener à remettre en question les dogmes et les préjugés, et à travers sa profonde compréhension du bouddhisme, conclure que toutes les vies étaient égales dans leur essence, le rendant ainsi le héraut de la dignité humaine. Comme en témoigne le passage suivant, Nichiren a dû ressentir que les femmes qui portaient le poids de la discrimination, avaient particulièrement droit au salut :
Vu sous cet angle, la fille du Roi-Dragon, femme, animal et enfant, est un symbole évident pour tous. Et la compassion de Nichiren à l'égard des femmes indique, dans un sens plus large, sa compassion et sa solidarité pour tous les déshérités de la société, en général. Il en résulte une philosophe de l'autonomie et de la responsabilité individuelle, fait à portée universelle et nouveau pour son époque. Le passage suivant montre que pour Nichiren, tout le monde possède la bodhéité à l'état potentiel, quel que soit son sexe ou son statut.
Le bouddhisme de Nichiren n'a pas réussi à créer
une pensée et un mouvement féministes au Japon durant sa
vie. Au fil des ans, le sexisme, nourri par de nombreux facteurs, devint
un élément de base de la société et de la
culture japonaises. Il a fallu attendre la fin de la Seconde guerre mondiale
et l'émergence de groupes religieux basés sur le Sutra du Lotus, pour qu'au Japon on reconnaisse aux femmes la capacité
d'un salut spirituel. |
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