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"Lire le Sutra du Lotus avec son corps" dans le bouddhisme de Nichiren par Ruben L. F. Habito |
La lecture par Nichiren du Sutra du Lotus, qu'il considérait comme l'essence même de l'enseignement du Bouddha Shakyamuni - suivant en cela la tradition tendai -, détermine le contenu de son enseignement ainsi que sa carrière religieuse. Cet article se penche d'abord sur sa relation au Sutra du Lotus puis, en examinant ses Écrits, cherche comment il abordait la lecture de ce Sutra et expose les éléments impliqués dans sa manière effective de le lire. Un examen plus approfondi de la «lecture corporelle» (shikidoku) de Nichiren offre une clé pour comprendre son enseignement et sa pratique dans le cadre plus général du Mahayana et jette une nouvelle lumière sur les dimensions mystiques et prophétiques de sa vision religieuse. * * * Un certain nombre de chercheurs influents ainsi que de militants sociaux et politiques du Japon moderne ont tourné leur regard vers le XIIIe siècle japonais. Prenant la figure de Nichiren comme source d'inspiration, ils l’ont dépeint selon leur propre projet religieux, politique et/ou nationaliste (Tamura et Miyazaki 1972 Maruyama 1981) (réf.). Conjointement, l’enseignement de Nichiren a donné naissance à de nouvelles religions qui en offrent leurs propres images, souvent très contrastées. Sato Hiroo, un éminent spécialiste de la religion et de la société médiévales japonaises, s'est intéressé à la disparité des portraits de Nichiren au Japon d’aujourd'hui avec toutes ses distorsions unidimensionnelles qui vont jusqu’à le présenter comme un fanatique religieux ou un alors un nationaliste de droite. Il souligne le besoin pressant d’études critiques qui offriraient des images de Nichiren mieux fondées historiquement, resituant sa personne et sa pensée dans le contexte de son époque (Sato 1997). Le Sutra du Lotus – Comment lire ce Sutra Le Sutra du Lotus a joué un rôle majeur dans la diffusion et le développement du bouddhisme à travers l'Asie de l'Est et a été, à juste titre, l'objet d'études approfondies sous différents angles. Des fragments et différents inventaires de textes sanscrits du Sutra du Lotus découverts en différents lieux ont été conservés et publiés. Il subsiste actuellement trois traductions chinoises, sur les six qui auraient été composées (Karashima 1992). La version prépondérante et la plus utilisée est celle de Kumarajiva, le Miaofalianhuajing, datée de 406 (T. no.262). C’est cette version qui a prévalu auprès des penseurs chinois du Tiantai, et qui a également été adoptée par Nichiren. Hirakawa Akira, un érudit mahayaniste, a noté que dans la première partie (chapitres I à IX) le thème sous-jacent est la vénération des stupas avec les reliques du Bouddha, alors que dans la seconde partie (à partir du chapitre X) le thème prédominant est la réception et la propagation du Sutra comme Voie vers la réalisation de l’Éveil suprême et parfait, anuttara samyaksambodhi (1989, pp. 332-36). C'est dans le contexte du thème « recevoir et garder » (dharana*) le Sutra, c'est-à-dire d'accepter son enseignement et de le garder fidèlement comme guide dans la vie et, par conséquent, de le propager et de l'exposer (desana*) aux autres, que l'acte de la lecture du Sutra est situé et compris. C’est dans le chapitre X, Maitre du Dharma (dharmabhanaka = récitant du Dharma ; moine spécialisé dans la mémorisation d’un passage donné), que nous trouvons - parmi de nombreuses autres références à la réception et à la propagation du Sutra du Lotus. - le passage suivant :
Version française de Burnouf (pp. 136-137) * :
Les passages dans divers chapitres* décrivant la série d’actes méritoires prescrits à l’égard du Sutra révèlent de légères variantes dans la terminologie sanscrite concernant les actes particuliers, dont la lecture. Mais tout au long du sutra on trouve la même attitude de réception dévotionnelle et d’une lecture concomitante exposant l'enseignement du Sutra aux autres. Une telle réception dévotionnelle du Sutra, conduisant à sa récitation et son exposition, met en évidence la présence du Tathagata lui-même sous forme corporelle.
Version de Burnouf (pp. 140-141)
Le point important dans ce passage est l'identification de cet Enseignement (dharma-paryaya*) avec le corps du Tathagata (tathagata-sharira*), qui méritent tous deux la même révérence et la même vénération. Par l'une ou l'autre le dévot est également destiné à la réalisation de l'Éveil suprême et parfait. Le passage ci-dessus peut être vu comme une transition entre la première partie du Sutra du Lotus, dont le message est l'efficacité de la vénération des reliques du Tathâgata pour atteindre l'Éveil, et la seconde partie, dont le thème sous-jacent est l'importance de recevoir-garder et exposer aux autres ce Sutra. Dans d'autres passages du Sutra du Lotus, il y a un avertissement sur les persécutions inévitables que devront endurer les détenteurs et les exposants du Lotus. Cela étant, ils seront sous la protection spéciale des Ainsi-Venus.
Version de Burnouf p. 140
Dans la traduction chinoise de Kumarajiva (traduction à partir du sanscrit), le passage correspondant se lit comme suit :
Une comparaison du texte sanscrit avec les traductions chinoises révèle des nuances dans les passages en question. Cela constituerait en soi un sujet d'étude intéressant, car il éclairerait le développement de la réflexion sur le Sutra du Lotus tel qu’il a été transmis de l'Inde à la Chine. Étant donné que pour Nichiren, le texte faisant autorité était la version de Kumarajiva (et, il va sans dire, pas le texte sanscrit), les nuances de la traduction deviennent des éléments importants pour l'analyse historique. Dans l'exemple ci-dessus, le passage du simple fait d'avoir été «rejeté par beaucoup de gens» ("has been rejected by many people") à «a suscité une telle inimitié et envie chez beaucoup» (had aroused such enmity and envy among many) est significatif, car il a conduit Nichiren à voir plus lucidement les événements réels de son temps à la lumière de ce passage, et inversement, cela lui a permis de comprendre ce passage à la lumière des événements de son époque, renforçant encore sa conviction de la vérité et de l'exactitude historique des prédictions du Sutra. En somme, l'attitude sous-jacente qui soutient toute la série d'actes méritoires concernant le Sutra - y compris sa lecture - est celle par laquelle on le reçoit-garde avec révérence et dévotion. C’est la réception dévotionnelle et fidèle de ce Sutra et de son Enseignement, qui, comme un phare, guide la vie et la pratique, ouvrant la porte à l'Éveil suprême et parfait. Et cette réception est inséparable de la volonté de proclamer l'Enseignement à tous, afin qu'ils puissent également le recevoir en tant que tel, et ainsi atteindre l'Éveil suprême et parfait, malgré l'opposition ou de la persécution par les autres. Ainsi, «lire le Sutra» est compris dans le contexte de cette attitude globale de réception dévotionnelle et de volonté de s’investir dans sa propagation.
Cette attitude de recevoir-garder les écritures sacrées (dharana) efficaces pour atteindre l’Éveil suprême est également enseignée dans les sutras Prajnaparamita, dont certains sont considérés comme ayant été composés avant le Sutra du Lotus et dont l'influence sur ce dernier sur ce point est vraisemblable (Hirakawa 1989, pp. 333, 511). Certains passages du Prajnaparamita des les huit mille versets sur le recevoir–garder et la lecture du sutra ressemblent en fait à ceux du Sutra du Lotus (Conze 1962, pp. 76—77—272-74). Recevoir-garder les écritures sacrées n'est pas seulement présenté comme garantissant la réalisation de l'Éveil parfait suprême (anuttara-samyaksambodhi), mais également comme efficace pour la réalisation de divers mérites et avantages mondains. Cette compréhension ouvre la voie à un développement significatif concernant la lecture des sutras. Nous nous référons ici à la tradition des dharam, qui s’est épanouie plus tard dans des formes de pratique du bouddhisme ésotérique. (Ujiie 1987, pp. 54-68). Le vingt et unième chapitre du Sutra du Lotus sanscrit (vingt-sixième dans la version chinoise de Kumarajiva) traite de divers dharam dont la récitation est considérée comme efficace pour différents avantages matériels. Ceux-ci comprennent la prévention ou la guérison des maladies, la protection contre divers dangers et calamités, etc. Nous devons noter, cependant, que ce chapitre, ainsi que d'autres sections qui incluent des références aux dharam dans ce sens, est considéré par certains érudits comme un ajout ultérieur au texte.
L'important ici, c'est que le dharam qui assurera la protection contre diverses calamités soit offert à ceux qui reçoivent-gardent le Sutra. En outre, le composé dharam-mantra-pada, qui est fréquemment utilisé dans les formes ultérieures, plus systématisées, du bouddhisme ésotérique, apparaît d'une manière qui relie le terme dharam à ces formules assurant la protection contre les calamités et la réception de divers avantages matériels. Dans les Grands Prajnapdramita sutras (plus tardifs), il y a des passages qui suggèrent la connexion entre les dharana et les dharam. Nous y trouvons le composé dharana-dharani, qui est compris comme «le dharama (non-né) entendu et gardé dans son cœur» (Ujiie 1987, pp. 55-56). En bref, recevoir-garder ce dharama non-né qui n'est autre que la vérité de la vacuité (sunyata, thème central des sutras Prajnapdramita) revient à être en possession d'une grande sagesse (maha-prajna) elle-même, et cette possession de sagesse accompagne vingt sortes de mérites et de pouvoirs. Ces pouvoirs sont liés à des capacités merveilleuses (abhijna) et à l'utilisation de moyens habiles (upaya) dans la propagation du Dharma reçu-gardé. (T. n ° 221, 8. 26c-27a, 256b). Il serait pertinent de faire une analyse textuelle et historique plus approfondie sur le lien entre, d'un côté dharana : recevoir-garder les sutras (ce qui garantit non seulement la réalisation de l'Éveil mais également efficaces dans la réalisation des mérites et avantages matériels), et de l'autre côté les dharani-mantra-padani courts versets ou formules dont la récitation est censée apporter un tel mérite particulier et tel avantage. (Ujiie 1987, p. 54ff). La tradition qui s'est développée particulièrement dans le bouddhisme d'Asie de l'Est qui considère l'acte de lire / réciter des sutras comme méritoire en soi et efficace pour transférer le mérite aux personnes décédées, ainsi que pour apporter des avantages matériels au lecteur-récitant et à ceux à qui le lecteur-récitant souhaite transférer les mérites, est un thème qui devrait également être étudié. Il est également intéressant de noter qu'il existe un terme sanscrit pour le verbe «lire» (adhi-i), qui signifie «revoir en esprit », mais que le verbe sanscrit qui apparaît dans le Sutra du Lotus pour les actes méritoires, comme nous l'avons vu dans plusieurs passages cités ci-dessus, est "vac", qui précise «lire à haute voix» ou «réciter». L'utilisation de ce verbe "vac" au lieu d'adhi-i dans le Sutra du Lotus impliquerait donc un type de lecture à voix haute (récitation). Dans la version chinoise de Kumarajiva, le verbe fréquemment utilisé est le composé "dusong" 読誦, qui désigne clairement une manière vocalisée de lire, c'est-à-dire une récitation. Il y a des cas en chinois, cependant, où les deux caractères peuvent également être lus séparément, ce qui signifie «lire et réciter». L'élucidation de cette nuance (c'est-à-dire si les deux caractères doivent être interprétés comme un composé ou séparément) dans les différents passages délimitant la série d'actes méritoires vis-à-vis du Sutra du Lotus reste à approfondir. Et "vac" au lieu d'adhi-i dans le Sutra du Lotus impliquerait donc un type de lecture avec la vocalisation (récitation). Pour Nichiren, la récitation du Titre du Sutra du Lotus (Myohorengekyo), - prononciation japonaise du Titre traduit par Kumarajiva - revêt la double efficacité décrite ci-dessus, c'est-à-dire la réalisation de l'Eveil parfait mais également comme apportant la protection contre les dommages et l'obtention d'avantages matériels. L'accent que Nichiren met sur la récitation du Titre du Sutra du Lotus, 題目, daimoku, qui est passé par différents stades de développement dans sa propre carrière, réunit l'enseignement du Sutra du Lotus sur les dharana d'une part et le dharam de l'autre. C'est un point important précisément dans la discussion sur les antécédents historiques de l'utilisation par Nichiren du daimoku, alors que jusqu’à présent on s'est concentré sur ses précurseurs dans le bouddhisme Heian, l'influence de la récitation du nembutsu par Honen et d'autres facteurs du bouddhisme japonais (Takagi 1973). Étendre le champ de l'investigation pour inclure la tradition bouddhiste Mahayana (ou même Nikaya*) offrirait une image plus complète des antécédents de la pensée religieuse et de son bouddhisme (note). Vérité mystique (Myoho): la vision religieuse de Nichiren
L'un des premiers traités écrits par Nichiren, Shugo kokka ron (Sur la protection du pays; 1259),est un compte rendu systématique et solidement argumenté de son projet religieux : la propagation de l'Enseignement du Sutra du Lotus comme le seul moyen efficace d'assurer la protection du pays et le salut du peuple. Ce texte a été composé après plus de vingt ans de recherches spirituelles avec des séjours dans les centres religieux connus de cette époque (dont le mont Hiei et Kamakura), et un examen approfondi des sutras et des commentaires, pour déterminer le véritable enseignement de Shakyamuni parmi les Ecoles de pensée et les innombrables textes bouddhistes transmis depuis la Chine et la Corée jusqu'au Japon. Le passage suivant, citant le commentateur chinois tiantai Zhanlan, nous offre une première piste sur la façon dont Nichiren a compris la lecture du Sutra du Lotus :
Cette citation de Zhanlan (du Zhiguan Fuxing Chuan Hongjueh 止観輔行伝弘決,T. N 1912) est un résumé de plusieurs passages du Sutra du Lotus (chapitre XXVIII, Exhortation de Samantabhadra, T. 9) qui décrivent les mérites de la pratique du Sutra (c’est-à-dire le recevoir-garder, lire, copier et l'expliquer aux autres) dans ce royaume terrestre. Zhanlan écrit que ceux qui pratiquent le Sutra du Lotus de cette manière «verront Samantabhadra, ainsi que le Bouddha Prabhutaratna et les bouddhas des dix directions». Cette corrélation entre «pratiquer le Sutra du Lotus» et «contempler le Bouddha» est reprise par Nichiren dans un autre endroit, citant également les mêmes passages du vingt-huitième chapitre (Samantabhadra) du Sutra du Lotus.
C'est donc le premier point que nous pouvons noter sur la lecture par Nichiren du Sutra du Lotus : ce n'est rien de moins que de rencontrer Shakyamuni face à face. En d'autres termes, le Sutra du Lotus est considéré par Nichiren comme l'incarnation du Bouddha Shakyamuni, et en tant que tel demande donc réception et hommage. Dans ce contexte, lire le Sutra du Lotus ce n'est pas simplement parcourir les lettres et les mots pour en comprendre la teneur, mais c’est s'engager dans tout un cycle d'actes centrés sur le «recevoir-garder» le Sutra, y compris la récitation, la copie, l'exposition aux autres, lui rendre hommage avec des offrandes de fleurs et d'encens, etc. Bref, recevoir-garder le Sutra du Lotus, c'est recevoir-garder le Bouddha. Pour Nichiren, «lire le Sutra du Lotus», c'est se placer en présence de Shakyamuni. À l'âge de trente-huit ans, en écrivant le traité Sur la protection de la nation, Nichiren a exposé une caractéristique fondamentale de sa vision religieuse qu'il devait approfondir de plus en plus par l'expérience, tout en poursuivant sa mission de propagation du Lotus dans la situation tumultueuse de son temps. Nous verrons la manifestation de cette caractéristique dans sa vie et dans sa carrière dans notre troisième section. Un second point à noter concernant la lecture par Nichiren du Sutra du Lotus est l’accent mis sur le fait que «lire ne serait-ce qu’un caractère, c’est inclure quatre-vingt mille resserres de caractères et recevoir les mérites de tous les bouddhas». En affirmant cela, Nichiren ne fait que reprendre l'enseignement du Sutra du Lotus. (Kern et Nanjio 1977, pp. 224ff, T. 9.30c). L'analyse de Nichiren du caractère myo 妙, le premier des cinq caractères du Titre du Sutra du Lotus dans la traduction de Kumarajiva, développe ce qui est dit dans le Sutra du Lotus.
L’idée de l’un contenant le tout vient d'une tradition mahayana exposée dans le sutra Avatamsaka et développée de différentes manières par les commentateurs bouddhistes chinois et coréens. Une illustration importante de cette notion est celle du Maître tiantai Zhiyi, celle d'une «pensée englobant trois mille mondes» (ichinen sanzen 一念三十), que Nichiren a prise comme élément clé de sa propre vision religieuse de la réalité (voir Kanno 1992). Nichiren se réfère spécifiquement à cette notion d'ichinen sanzen dans plusieurs de ses écrits dont La seule question importante dans ma vie (Nichiren toshin no ichidaiji 日蓮当身の大事) et l'amplifie dans son traité majeur le Kanjin honzon sho, 如観心本尊抄 (Véritable objet de vénération STN 1: 02ff). Pour Nichiren, le principe d’ichinen sanzen est
Cette graine de bodhéité devient quelque chose de très concret quand Nichiren l'assimile aux cinq caractères du Titre du Sutra du Lotus Myohorengekyo.
La récitation de la phrase à cinq caractères Myohorengekyo devient ainsi la manière concrète et pratique par laquelle ce principe d'ichinen sanzen est activé et réalisé. Quelle serait la manière plus facile de réaliser la bodhéité que la récitation de cette phrase, qui contient en soi tous les trésors de l'univers, toutes les vérités des enseignements de tous les bouddhas? Nous voyons comment Nichiren a développé l'enseignement du Sutra du Lotus de sorte que la lecture et la récitation d'une seule phrase conduisent à la réalisation de la bodhéité et à la réception d'une infinité de mérites. Avec la doctrine tiantai d'ichinen sanzen en arrière-plan, il prend le Titre à cinq caractères du Sutra du Lotus et proclame sa récitation comme ouvrant la porte de la bodhéité pour tous les êtres sensibles dans les Derniers jours du Dharma. Cette récitation est un acte efficace et méritoire qui englobe toutes les autres actions méritoires à l’égard du Sutra du Lotus, centrées sur le recevoir-garder avec foi et dévotion - lire, réciter, copier, exposer, propager pour que d'autres puissent également le recevoir-garder, etc. Nichiren lui-même, bien sûr, a non seulement récité le Titre de cette manière, mais a également lu régulièrement le texte du Sutra du Lotus. Pendant la majeure partie de sa carrière, il emportait avec lui un manuscrit du Sutra du Lotus qu'il continuait à annoter par des passages pertinents des commentaires du Tiantai ou d'autres sutras, les utilisant ensuite dans sa propre prédication et ses écrits. (Yamanaka 1980). Pour ses disciples, il a prescrit la simple récitation du Titre en cinq caractères, précédé de namo (namu) l'invocation sanscrite exprimant hommage et vénération. Comme déjà indiqué ci-dessus, cette simple récitation du Titre dans un acte d'hommage est comprise comme ouvrant au récitant le trésor infini contenu dans le Sutra du Lotus et destine cette personne à l'Éveil suprême, sans oublier les mérites incalculables et les avantages matériels. Cependant, la récitation du Titre du Sutra du Lotus (daimoku) n'est pas prescrite de manière également valable et efficace en tout lieu et à tout moment. Cette pratique est enseignée par Nichiren comme particulièrement adaptée à un endroit concret en ce bas monde (le monde Saha), à savoir le Japon, à un moment donné de l'histoire, c'est-à-dire lors des Derniers jours du Dharma, en d'autres termes le pays et le temps historique de Nichiren. C’est le troisième point à noter concernant la compréhension de Nichiren de ce qui est impliqué dans la lecture (et la pratique) du Sutra du Lotus : une conscience aiguë du temps et du lieu de sa lecture (et de sa pratique). Les Derniers jours du Dharma, sont généralement considérés à l'époque de Nichiren comme ayant été débuté en 1052. "C'est "l'âge dégénéré" où beaucoup de ceux qui portent des vêtements censés les désigner comme détenteurs du Dharma ne sont que des arrogants qui le "calomnient". C'est donc une époque où les gens qui pensent qu'ils agissent au nom de l'Enseignement de Shakyamuni le font en réalité contre lui et persécutent même ceux qui en sont les véritables porteurs. Nichiren voit cette situation comme déjà prédite dans le Sutra du Lotus, se référant au passage déjà cité ci-dessus, où « ce sutra suscite l'envie et l'inimitié parmi beaucoup». (STN1: 327). Le point de vue de Nichiren sur son pays, le Japon, et son aptitude à pratiquer le Sutra du Lotus, se révèle dans son enseignement sur les «cinq points», à savoir, l'Enseignement, la Capacité, le Temps, le Pays et l'Ordre de propagation (plus tard transformé en Maitre). Le peuple japonais s'affirme comme ayant une capacité «adaptée uniquement à l'enseignement du Sutra du Lotus" (STN 1: 324) Lisant le Sutra du Lotus dans le contexte de son lieu (Japon) et de son temps historique (Derniers jours du Dharma), où ce qu'il considérait comme des "calomnies contre le Dharma" ont proliféré, particulièrement avec la popularité et l'acceptation croissantes de la pratique de Honen, la récitation du nom d'Amida (nembutsu), Nichiren franchit une étape supplémentaire dans la lecture (et la pratique) du Lotus.
En d'autres termes, dans une situation dans laquelle le Sutra du Lotus est mal compris ou allégé ou calomnié, un vrai pratiquant ne se contentera pas d'ignorer ce fait et de garder sa pratique (du Sutra du Lotus) pour soi. Plutôt, prenant à cœur cette calomnie du Dharma, un véritable pratiquant n'hésitera pas à dénoncer ces calomniateurs.
Nous avons donc noté trois points sur la manière dont Nichiren comprenait ce qu'impliquait la lecture du Sutra du Lotus. Tout d'abord, lire le Sutra du Lotus, c'est rencontrer Shakyamuni face à face, se mettre en présence même du Bouddha. Deuxièmement, lire (et réciter) ne serait-ce qu’une seule stance ou une seule phrase du Sutra du Lotus, c'est être assuré d'atteindre l'Éveil ainsi que divers types d'avantages matériels ; et la phrase ou la stance qui convient le mieux à une telle lecture-récitation est le Titre du Sutra du Lotus englobant tous ses contenus. Troisièmement, lire le Sutra du Lotus, c'est le faire dans le contexte d'un temps et d'un lieu spécifiques, tenant compte d'événements et de situations contemporains en les corrélant avec l'enseignement du Sutra du Lotus. Nichiren se voyait comme situé à l'endroit le plus propice à cette lecture, à savoir le Japon, et à l'époque précise de histoire où il étai le plus efficace, les Derniers jours du Dharma. Le Sutra du Lotus, est ainsi comparé à un médicament puissant capable de guérir la maladie la plus grave. Ces trois points de la lecture du Sutra du Lotus constituent des éléments de base de la connaissance de soi-même et de la compréhension du bouddhisme. Otani Gyoko, un spécialiste réputé de Nichiren, est l'auteur d'un ouvrage sur le composé sino-japonais juji 受持 (ju, recevoir; ji, garder) comme clé pour comprendre l'ensemble des messages et de la vision religieuse de Nichiren (Otani 1984). Otani examine des passages dans lesquels ce composé apparaît dans les écrits de Nichiren - y compris les citations de divers sutras et commentaires de maîtres chinois - insistant sur le rôle central du juji dans la structure même de la pensée de Nichiren. Suivant en cela Otani, nous pouvons affirmer que cette attitude de recevoir-garder le Sutra du Lotus caractérise la vie et la carrière de Nichiren. C'est ce qui lui permet de définir le sens de sa vie, son identité, en tant que "pratiquant du Sutra du Lotus" (Hokekyo no gyoja). A la lumière des trois points notés ci-dessus sur la lecture de Nichiren du Sutra du Lotus, un pratiquant Hokekyo no gyoja incarne dans son être-même le Dharma merveilleux myoho du Bouddha, dans le temps et le lieu concrets où il vit. Voyons maintenant comment cette compréhension a déterminé l'action de Nichiren dans sa vie et comment cela a, à son tour, entraîné des conséquences qui l'ont confirmé dans sa lecture du Sutra. Pratiquer le Sutra du Lotus : mission du prophète
Dans son traité Sur la protection de la nation, en exposant sa vision religieuse basée sur l'enseignement du Sutra du Lotus, Nichiren souligne comment il «regarde et écoute les conditions sociales actuelles» (STN 1 : 198) et comment il interprète ce qu’il voit et entend dans les événements réels de son temps à la lumière du Sutra. Nichiren ouvre son célèbre traité Rissho ankoku ron (Sur l'établissement du Dharma correct et la paix dans le pays) avec une description du chaos social évident pour tout le monde à l'époque : la description évocatrice des
Il recherche dans les textes bouddhistes les causes du désastre ainsi que les solutions possibles en corrélant la situation réelle avec sa lecture. Il arrive à la conclusion que la négligence ainsi que la calomnie du Dharma de Shakyamuni tel qu'inscrit dans le Sutra du Lotus sont au fond de tout cela. Cette calomnie du vrai Dharma était perpétrée, aux yeux de Nichiren, en grande partie par la diffusion de l'enseignement de Honen sur la récitation du nom de Bouddha Amida. Sur la base de sa lecture du Sutra du Lotus, pour Nichiren le Bouddha Amida n'était qu'une des nombreuses émanations de l'éternel Shakyamuni. Concentrer sa dévotion sur l’un ou l’autre ou sur les émanations sans mentionner la véritable source constituerait une atteinte contre le Bouddha Shakyamuni lui-même et reviendrait à calomnier le vrai Dharma. Et le fait que les autorités politiques et les dirigeants militaires ont permis la prolifération de cette pratique devait être considéré comme une approbation officielle de cette calomnie. Après être arrivé à cette conclusion, à savoir que la cause du chaos social qui aggrave la souffrance des gens de son époque réside dans la calomnie flagrante du vrai Dharma, il était logique pour Nichiren d’utiliser tous ses efforts pour faire cesser cette une situation. Le Rissho ankoku ron a été écrit et présenté aux autorités politiques précisément pour les convaincre de prendre les mesures nécessaires pour atténuer le désordre social en s'attaquant à la racine du problème. Tout au long de sa vie, Nichiren n’a cessé de recourir au Sutra du Lotus pour faire la lumière sur les événements sociaux et politiques de son temps, lire ces événements à la lumière du Sutra du Lotus et inversement lire le Sutra du Lotus à la lumière de ce qui se passait réellement autour de lui. La menace de l'invasion mongole (portée à l'attention officielle avec un message délivré en 1268 et effective en 1274 et 1281), et les intrigues politiques internes au sein des familles dirigeantes de l'époque ont été les événements importants qui ont reconfirmé Nichiren dans ses convictions, car c'étaient des événements qu'il «prédisait» sur la base de sa lecture du Sutra du Lotus. Les déclarations et actions publiques de Nichiren, en particulier celles qui enjoignaient aux autorités politiques et militaires de prendre des mesures spécifiques pour arrêter ce qu'il considérait comme la calomnie du Dharma, découlent clairement de cette conviction religieuse, basée sur sa lecture du Sutra du Lotus à la lumière des événements de son temps. Ces déclarations et actions ont à leur tour entraîné ses persécutions et ses exil. Ce qui a encore renforcé sa conviction de la vérité de l'enseignement et de l'exactitude de sa propre lecture du Sutra du Lotus. L'attitude fondamentale de Nichiren s'est manifestée dans et à travers cette lecture croisée du Sutra du Lotus d'une part et des événements et du contexte général de son temps d'autre part : ce n'était pas une simple lecture objective «désintéressée», pour ainsi dire, mais une position profondément engagée qui présupposait la volonté et la disposition à donner sa vie à ce qu’impliquait le Dharma "mettre de côté tout attachement à sa propre vie et à son corps" (ware shinmyo o aisezu 我个愛身命). Cette expression apparaît dans le Sutra du Lotus et Nichiren la cite à maintes reprises dans ses nombreux écrits (STN : 1: 102). En d'autres termes, Nichiren était prêt à donner sa vie pour le Dharma de quelque manière que ce soit, avec la certitude que le Sutra du Lotus lui-même l’exigeait. Et cette position a été maintenue tout au long de sa carrière, car il a enduré persécution après persécution au nom du Dharma. Pendant son exil à Sado (1271-1274), Nichiren se penche sur un examen sévère de soi-même, réévaluant les événements de sa vie qui l’ont conduit à cet état d'isolement et de souffrances intenses. C'est pendant cette période que le sens de sa propre identité et l'appellation de pratiquant (gyoja) du Sutra du Lotus lui viennent en évidence, le confirmant dans tout ce qu'il a fait et défendu depuis le début de sa carrière publique. Un passage du Sutra du Nirvana que Nichiren considérait comme un «sutra sœur» du Lotus, trace en détail les persécutions et les souffrances qui seront inévitablement le lot de ceux qui propagent le Dharma. Nichiren prend ce passage comme un miroir de sa propre vie, et en regardant les événements récents qui lui sont arrivés, il en reconnait la correspondance.
En un mot, Nichiren réalise qu’à un niveau très profond et personnel ce qu'il lit dans le Sutra du Lotus est devenu une réalité dans sa propre vie, et inversement que sa propre expérience de vie est précisément la réalisation et l'authentification mêmes du Lotus. Le même point est souligné dans une lettre à Toki Jonin, l'un de ses plus proches disciples, écrite peu de temps après son traité pivot Kaimokusho (Traité pour ouvrir les yeux, 1272).
L’expérience de Nichiren dans les persécutions et les épreuves à cause de sa mission de propager le Sutra du Lotus devient la confirmation même de la vérité de l'enseignement du Sutra du Lotus, de même que ces mots du Lotus se réalisent dans sa vie. En ce sens, il comprend son corps comme le siège du Dharma tel qu'enseigné dans le Sutra du Lotus. C’est pour Nichiren une source de la joie qui imprègne tout son être même au milieu des tribulations, face à l'échec de sa tentative d'obtenir une audition avec les dirigeants du Japon et malgré son incapacité à convertir plus d’une poignée de personnes. Cette absence apparents de résultats extérieurs le conduit à une retraite qu'il s'impose au Mont Minobu où il reste jusqu'à la fin. Au cours de cette dernière période au Mont Minobu, il revient sur les principaux événements de sa vie, en particulier les différentes épreuves et tourments subis dans sa mission de propagation du Sutra du Lotus, et il écrit :
Dans ces réflexions de Nichiren à la fin de sa vie, nous trouvons la confirmation de la même approche qu'il a eue tout au long sa carrière, en ce qui concerne sa façon de lire le Sutra du Lotus, une lecture à la lumière des événements de son quotidien, de son âge et des vicissitudes de sa vie, et inversement, de lire les événements de son âge et les différentes secousses de sa propre vie à la lumière du Sutra du Lotus. "Quelle grande joie! C'est comme le roi Suzudan qui était au service de l’ermite Ashi et gagna les mérites du Sutra du Lotus, et le bodhisattva Fukyo battu à coup de bâtons par des moines arrogants et est ainsi devenu un pratiquant du Véhicule unique. Et maintenant, Nichiren, né aux Derniers jours du Dharma et propageant Myohorengekyo à cinq caractères, est également soumis au même traitement. Pendant plus de deux mille deux cents ans après le parinirvana du Bouddha, peut-être même pas le Grand Maître tiantai a pu mettre en pratique le passage du Sutra qui dit « le monde entier haïra le Dharma et aura du mal à y croire.» Concernant le passage « ils seront bannis à maintes reprises », c'est Nichiren seul qui l'a accompli. Le Bouddha a prédit : «Ceux qui reçoivent et gardent même une seule strophe, un seul verset de ce sutra, je conférerai la bodhéité». Cela s'applique à moi. Il n'y a aucun doute sur la réalisation de l'Éveil parfait suprême. Ainsi, le régent Hojo Tokimune lui-même a été mon bon ami dans le Dharma. Saemon est pour moi comme Devadatta pour Shakyamuni. Les adeptes du Nembutsu sont comme Kokalika, et les adeptes du Vinaya sont comme Sunakshatra bhiksu. La vie de Shakyamuni sur terre, c’est maintenant. Maintenant Shakyamuni est réellement sur terre. C’est l’essence du Sutra du Lotus qui enseigne la vraie nature de tous phénomènes, et la nature ultime du début et de la fin." (STN 1: 971) Nichiren lit donc chaque événement de sa vie et chaque élément l'entourant comme un accomplissement de prédictions particulières du Sutra du Lotus. Inversement, il est capable de lire le texte du Sutra du Lotus comme le miroir des événements qui se sont produits dans sa vie. Nous avons un aperçu de la vie intérieure de Nichiren à travers toutes les vicissitudes dans un passage de son traité Senji sho (Le choix en fonction du temps), écrit également au Mont Minobu, alors qu'il se souvient des admonestations publiques faites aux autorités à trois reprises. Ses prédictions s'étaient réalisées, à savoir les luttes intestines et l'invasion mongole.
Le passage ci-dessus nous permet de rappeler tout particulièrement les trois points - décrits dans la section précédente - liés à la façon dont Nichiren a compris ce qui est impliqué dans la lecture du Sutra du Lotus. Ces trois points se profilent à l’arrière-plan alors que nous voyons que la carrière de Nichiren était bien ancrée, certifiée et propulsée par sa lecture régulière du Sutra du Lotus. Tout d'abord, la conscience de la présence vivante du Bouddha Shakyamuni a accompagné Nichiren tout au long des bouleversements de sa carrière. Il en a la certitude par sa lecture assidue du Sutra du Lotus, non seulement d'une manière conceptuelle, mais d'une manière très immédiate, expérientielle – corporelle pourrait-on dire. Ses principaux traités et ses nombreuses lettres à ses disciples débordent de cette conscience que l'on ne peut décrire que comme mystique. Une étude plus détaillée de cette conscience telle qu'elle se manifeste dans ses écrits reste à faire et elle jetterait un regard nouveau sur la personnalité de Nichiren et sur sa vision religieuse. Ce type de conscience ne peut être ignoré ni minimisé dans les tentatives d'élucider les thèmes doctrinaux traditionnels, tels que les vues de Nichiren sur le Bouddha, sa compréhension de la relation entre le Bouddha (Shakyamuni) et le Dharma (le Sutra du Lotus), etc. Deuxièmement, cette conscience mystique est également fondée sur l'expérience de ce que l'on pourrait appeler une «plénitude cosmique» accompagnant chaque pensée, chaque mot et chaque action en faveur du Sutra du Lotus. Sur la base de celui-ci, l'enseignement d'ichinen sanzen, chaque pensée (ou parole, ou acte) est en soi une manifestation des trois mille mondes. Pour Nichiren, ce qui manifestait le plus clairement cette «plénitude cosmique» - englobant chaque pensée, chaque parole et chaque acte - n'était autre que le fait même de la récitation du Titre de cinq caractères du Sutra du Lotus. Les érudits spécialistes de Nichiren appellent cela ji no 事の ichinen sanzen 一念三千, une plénitude cosmique concrétisée et particulière, par opposition à ri no 理の ichinen sanzen, ou plénitude cosmique universelle conceptuelle. Celle-ci est attribué au Maître chinois tiantai, qui l'a développée dans son exposé sur la pratique méditative bouddhiste. Nichiren fait un pas de plus, ramenant la notion conceptuelle à un niveau très pratique et concret, enseignant le chemin direct vers la réalisation de cette plénitude cosmique par la récitation du Titre en cinq caractères du Sutra du Lotus, ou daimoku. Son message à ses disciples était simple : recevoir et garder le Sutra du Lotus, et exprimer cette réception du Sutra du Lotus dans la récitation de son Titre à cinq caractères. Mais sous cette simplicité se trouve une compréhension complexe de la réalité ultime, celle qui approfondit les différents niveaux de la doctrine de la «plénitude cosmique dans une seule pensée», une doctrine issue de la conscience mystique de Nichiren. Troisièmement, ce que nous avons appelé la conscience mystique de Nichiren, embrassant le sens de la présence permanente de Shakyamuni ainsi que l'expérience de la «plénitude cosmique», est réalisé à un moment historique donné (Derniers jours du Dharma) et dans une situation géographique concrète (le Japon), en réponse à des événements et situations concrets qui ont précisément rappelé et activé le pouvoir du Sutra du Lotus. La réponse que Nichiren a apportée à ces situations et ces événements en tant que pratiquant du Sutra du Lotus a entraîné des conséquences qui lui ont encore confirmé la vérité de son enseignement et ont approfondi sa conscience mystique. Les trois points ci-dessus, décrivant la compréhension de Nichiren de ce qui est impliqué dans la lecture du Sutra du Lotus, constituent les caractéristiques centrales de sa pensée et de son enseignement, caractéristiques qu'il a actualisées et incarnées lui-même dans sa vie et sa carrière. C'était une vie et une carrière qui peuvent être caractérisées «du début à la fin» comme une lecture corporelle approfondie du Sutra du Lotus (hokekyo shikidoku no issho 法 华経色読の一生). Traditionnellement, shikidoku est un terme qui a été utilisé dans les cercles doctrinaux nichiréniens pour se référer au troisième aspect décrit ci-dessus, à savoir la confirmation de la vérité de son message par l'expérience des persécutions et des exils (voir Asai 1988, Fuse 1951, Kitagawa 1973, Okamoto 1982). Nous avons proposé ci-dessus un cadre ontologique et cosmologique sous-jacent derrière les paroles et les actions de Nichiren dans les sphères politiques et sociales. Ses paroles et ses actions ont inévitablement conduit aux persécutions, qui à leur tour ont renforcé et approfondi la conviction de Nichiren concernant la vérité du Sutra du Lotus et de son enseignement. Il a réalisé cette vérité de manière concrète et corporelle, dans une conscience mystique de la présence immédiate du Bouddha qui était simultanée avec une expérience de plénitude cosmique - une conscience qui a apporté une joie intérieure et un ravissement indicibles face aux difficultés et les épreuves. Réflexions finales : comprendre le bouddhisme de Nichiren Le petit groupe de disciples dévoués qui ont écouté le message de Nichiren au cours de sa vie a poursuivi sa mission de propagation du Sutra du Lotus après sa mort. Avec le temps, les adhérents ont augmenté en nombre pour devenir une force importante dans la société japonaise. Comme d'habitude dans le processus de développement des groupes religieux dans l'histoire, des désaccords ont surgi entre les disciples quant à l'interprétation de l'enseignement de Nichiren sur certaines questions clés, conduisant à des divisions sectaires. De plus, depuis l'ère Meiji, diverses personnes ou des groupes ont pris l’enseignement et l’action de Nichiren comme source d’inspiration, adoptant des positions fortement opposées à celles d'autres adeptes dans leurs manières respectives d’interpréter la pensée de Nichiren. C’est pourquoi quelques remarques finales s'imposent pour ôter tout malentendu concernant certaines recherches en cours qui poursuivent les orientations prises par notre étude forcément limitée. Les débats doctrinaux qui ont créé des divisions entre les disciples et les exégètes de Nichiren portent sur des questions telles que la primauté du Dharma sur le Bouddha en tant qu'objet de culte (ho-honzon tai nin-honzon 法本尊対人本尊), la primauté de la méditation-contemplation sur la simple adhésion à l’enseignement du Sutra du Lotus) (kanjin-shugi tai kyoso-shugi ; la primauté de cette vie terrestre sur celle à venir (genze-chushin tai raisei-chushin 現世中心対来世中心) ; sans oublier la question de l’influence de la doctrine de l’Éveil primordial (hongaku shiso 本覚思想). Et il y a aussi la question de l'authenticité de certains textes qui est intimement liée aux débats sur ces questions contestées puisque les protagonistes de chaque courant les adoptent pour étayer leur point de vue particulier. [Voir Stone 1990, et les articles de Sueki and Stone dans cette revue.] Sans prendre parti dans ces disputes doctrinales, on peut souligner que la fluidité ainsi que la complexité de la pensée de Nichiren ont donné lieu à des interprétations divergentes et apparemment contradictoires. Par exemple, comme nous l’avons vu, la conscience de la présence immédiate de Shakyamuni dans la lecture et la récitation du Sutra du Lotus est une caractéristique de sa vision religieuse du monde. Mais en même temps, compréhension de la réalité de Nichiren découle de la doctrine d'ichinen sanzen, qui fonde l'expérience de la plénitude cosmique sur la récitation du daimoku. De même, il y a des éléments dans ses écrits en faveur des deux côtés du débat sur la primauté du Dharma sur le Bouddha comme objet de culte. De même, avec l'enseignement sur la plénitude cosmique ou la réalisation concrète de la doctrine des «trois mille mondes en une seule pensée» à chaque récitation du daimoku, on pourrait affirmer que cette pratique de récitation du Titre à cinq caractères du Sutra du Lotus comprend tout ce qui est nécessaire pour atteindre l’Éveil suprême et parfait ainsi que toute sorte d'avantages matériels. De ce fait, la nécessité de parcourir des yeux, sans même comprendre les diverses subtilités de la doctrine du Sutra du Lotus était reléguée au second plan. Inversement, cependant, on peut également affirmer que c'est précisément ce qu'enseigne le Sutra du Lotus avec l'expérience de la plénitude cosmique qui se trouve au premier plan. Dans tous les cas, que ce soit du côté de la primauté de la contemplation-méditation ou du côté de l’adhésion à l’enseignement, on peut trouver des arguments dans les écrits de Nichiren. La trajectoire de toute la carrière de Nichiren et son projet religieux tel qu’exposé dans ses traités, témoigne, comme nous l'avons vu, de sa conviction que c’est en cette vie et en ce monde que doit se réaliser la Terre de Bouddha. Il ressort clairement de ses écrits qu'il considérait ce monde terrestre (Saha) actuel comme le domaine de Shakyamuni et que l’on pouvait rencontrer Shakyamuni face à face par l'activité de propagation du Sutra du Lotus. Cependant, dans ses lettres, en particulier celles écrites au Mont Minobu dans les dernières années de sa la vie, il exprime également son ardente attente de rencontrer Shakyamuni face à face après sa mort. La question de l’influence de la doctrine tendai de l’Éveil primordial sur la pensée de Nichiren est un sujet de débat permanent parmi les érudits et théoriciens de Nichiren, et est également liée aux trois problèmes mentionnés ci-dessus (voir Stone 1990 et 1999). De prime abord, la pensée religieuse de Nichiren peut paraitre multivalente avec des contradictions qui ont ouvert la voie aux divergences entre ses partisans aux époques ultérieures. Cependant, si on considère plusieurs phases dans sa carrière et par conséquent dans sa pensée, on trouve un moyen pratique de rendre compte de cette multivalence. Il ne s'agit pas, bien entendu, de faire l’impasse des contradictions, car il existe des preuves que Nichiren a non seulement approfondi sa compréhension mais même changé son point de vue sur certains aspects de son propre enseignement ; il convient donc de comparer ses premiers écrits avec ses derniers, et ainsi de suite. Faire des distinctions trop nettes dans les périodes de sa carrière, comme la division traditionnelle pré-Sado et post-Sado, ou la triple phase de la structure proposée par Tamura (1965), ou encore la structure en quatre phases présentée par Sasaki (1979), peut brouiller une dimension plus importante, à savoir le fil de continuité dans la pensée et la vision de Nichiren que l'on pourrait retracer dès ses premiers écrits jusqu’aux derniers. Tout en gardant à l'esprit la durée historique dans laquelle Nichiren a exposé ses pensées dans ses nombreux écrits, lorsque nous essayons de sonder sa pensée à un niveau plus profond, nous pouvons reconsidérer ce qui apparaît comme la multivalence de sa pensée, à la lumière de ce que Mircea Eliade décrit (et c'est un thème récurrent dans ses nombreuses œuvres), comme les manifestations d'une coincidentia oppositorum. Ce terme fait référence à la convergence de caractéristiques ou de notions conceptuellement contradictoires dans un phénomène ou dans une expérience religieuse. Par exemple, l’expérience de la présence immédiate du Bouddha Shakyamuni est simultanée avec l'expérience concrète de la plénitude cosmique (ichinen sanzen), affirmant les dimensions personnelles et impersonnelles de la réalité ultime dans sa vision religieuse. De plus, la figure de Shakyamuni dans son esprit pointe vers une vérité universelle, c'est-à-dire: l'enseignement du Sutra du Lotus, et est en même temps une incarnation concrète et particulière de cette vérité. Shakyamuni est compris comme au-delà des limites de ce monde terrestre et historique, c'est-à-dire dans un domaine de transcendance, mais pourtant s'affirme également comme agissant continuellement dans ce monde, par compassion, dans une dimension d'immanence. Nous pourrions poursuivre sur cette voie en examinant d’autres facettes de la pensée de Nichiren avec cet outil heuristique, à savoir la notion de coincidentia oppositorum comme applicable à Nichiren, car cela peut nous servir à mieux comprendre et apprécier les différentes facettes des différentes questions débattues à propos de son enseignement religieux. Cet outil heuristique pourrait également être utile pour approfondir les textes litigieux quant à leur l'authenticité. Il y a eu une tendance notable de la part des chercheurs qui se sont penchés sur ces questions à aborder les textes dans un cadre prédéterminé de ce qu’ils considèrent comme la «pensée authentique» de Nichiren, à partir de positions doctrinales sectaires (voir Asai 1945). Une appréciation de sa multivalence, fondée sur une reconnaissance de la coincidentia oppositorum dans la vision religieuse de Nichiren, empêcherait au moins les jugements faciles à cet égard (c'est-à-dire pour ou contre l'un ou l'autre côté) d'une question doctrinale contestée, ou pour ou contre l'authenticité d'un texte particulier), et demanderait une enquête plus minutieuse, méticuleuse et systématique des divers éléments impliqués. À partir de notre étude esquissée dans cet essai, nous pouvons voir comment le bouddhisme de Nichiren s'inscrit dans la tradition mahayana plus large, en tant que développement issu du monde religieux du Sutra du Lotus. Et en poursuivant ce dispositif heuristique de coincidentia oppositorum, nous pouvons peut-être décrire la pensée religieuse de Nichiren comme une sorte de bouddhisme mystico-prophétique. L’aspect prophétique de son enseignement a été bien développé dans une étude en langue anglaise, désormais classique, de Masaharu Anesaki, intitulée Nichiren, le prophète bouddhiste (1916) [ traduit en français par Nichiren : Le moine bouddhiste visionnaire]. Les critiques de Nichiren sur la socio-politique de son temps, son sens de la mission pour transformer la société en vue de l'établissement de la Terre de Shakyamuni ici-bas, constituent ce qu’Anesaki décrit comme aspect prophétique de sa vision bouddhiste.Le côté mystique de Nichiren est également brièvement évoqué par Anesaki (pp. 101 ff.), bien que, pourrions-nous ajouter, de manière inadéquate. Il fonde cette dimension mystique de l'enseignement de Nichiren sur un texte dont l'authenticité a été plus tard contestée. (note) Anesaki (p. 101) remarque que cette "souche mystique est plus forte dans les écrits des années de méditation tranquille à Minobu que dans la période précédente de tempêtes et de stress." Cependant, comme nous l'avons vu, cette dimension mystique de Nichiren est inséparable de ses paroles et actions prophétiques qui ont occasionné les persécutions dont il a souffert tout au long de sa vie. Ces persécutions ont, à leur tour, déclenché et favorisé l'approfondissement et l’expérience mystique de la présence immédiate du Bouddha et de la plénitude cosmique. Ce qui doit être souligné dans ce contexte, c'est le fait que la dimension mystique est palpable et opérationnelle précisément dans les périodes de «tempêtes et de stress» dans la vie de Nichiren. Ces deux catégories, «mystique» et «prophétique», qui représentent différents modes d'être religieux, doivent être vues dans la convergence et l'interpénétration mutuelle tout au long de la carrière de Nichiren. Elles nous donnent un aperçu de la richesse de sa vie intérieure, capable d'englober ces deux modes religieux, et que nous pouvons voir dans la complexité de sa lecture corporelle du Sutra du Lotus. REFERENCES Asai Endo 1988 Hokke shikidoku to junan. In Dai 2 Hokke-kyo Kokusai Gakkai happyo shiryo,pp. 260-64. Tokyo: Taisho University and Rissho University. Asai Yorin Conze, Edward Fuse Kogaku Hirakawa Akira Kanno Hiroshi Karashima Seishi Kern, H. Kern, H. and B. Nanjio Kitagawa Zencho Maruyama Teruo,ed. Miyasaka Yusho Okamoto Renjo Otani Gyoko Sasaki Kaoru Sato Hiroo,et al. Stone, Jacqueline Takagi Yutaka Tamura Yoshiro Tamura Yoshiro and Miyazaki Eishu,eds. Ujiie Kakusho Yamanaka Kihachi,ed. |