Rissho Ankoku ron

Traité pour la pacification du pays

(Sur l'établissement de l'enseignement correct pour la paix dans le pays)

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Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 2, p.3; SG*p.6
Gosho Zenshu p. 17 - Rissho Ankoku Ron ; (STN 1 :209).

Kamakura (Matsubagayatsu), juillet 1260

 

(§1) Un voyageur nouvellement arrivé dit avec tristesse à son hôte  : "Depuis quelques années, il se produit des perturbations inhabituelles dans les cieux et d'étranges événements sur terre, la famine et les épidémies sévissent à travers tout le pays et se répandent partout. Boeufs et chevaux gisent morts au bord des chemins, les squelettes humains s'entassent sur les routes. Plus de la moitié de la population a déjà été emportée par la mort, et pas une seule famille n'est épargnée par le malheur.

(§2) Cependant, beaucoup mettent tout leur espoir dans le "sabre tranchant" (note) du bouddha Amida, psalmodiant le nom de ce seigneur du paradis de l'ouest  ; d'autres croient que le bouddha Yakushi* "guérira tous les maux" (note) et récitent le sutra qui le décrit comme l'Ainsi-Venu de la région de l'est.

Certains, s'appuyant sur le passage du Sutra du Lotus : "la maladie disparaîtra aussitôt et il n'y aura plus ni vieillesse ni mort", s'inclinent devant les mots merveilleux de ce sutra. D'autres, citant le passage du Sutra Ninno* : "Sept désastres disparaissent, et sept conditions bénéfiques apparaissent aussitôt" (note), dirigent des cérémonies (note) dans lesquelles cent prédicateurs exposent le sutra en cent lieux différents.

(§3) Certains suivent les enseignements ésotériques de l'école Shingon et conduisent des rituels qui consistent à remplir d'eau cinq jarres (note), d'autres encore se consacrent entièrement à la méditation à la manière Zen et perçoivent le vide de tous les phénomènes aussi clairement que la lune. Il y a ceux qui écrivent le nom des sept esprits gardiens et les affichent sur mille portes, ceux qui peignent des représentations des cinq puissants bodhisattvas (note) et les accrochent au-dessus de dix mille seuils, et ceux qui adressent des prières aux divinités du Ciel et de la terre dans des cérémonies conduites aux quatre coins de la capitale (note) et aux quatre frontières du pays  ; d'autres encore, que le sort cruel enduré par les hommes ordinaires emplit de pitié, s'assurent que les autorités, nationales et locales, gouvernent de manière bienveillante.

(§4) Mais, malgré tous ces efforts, ils s'épuisent en vain. La famine et les épidémies se déchaînent avec plus de férocité que jamais, on voit partout des mendiants, et nos yeux s’emplissent de visions de mort. Les cadavres empilés forment des monticules semblables à des tours de guet, ou bien les morts sont étendus côte à côte comme les planches d'un pont. En regardant autour de nous, nous constatons que le soleil et la lune continuent de suivre leur orbite habituelle, et que les cinq planètes respectent leur trajectoire. Les Trois trésors du bouddhisme existent toujours, et la période de cent règnes [pendant laquelle le bodhisattva Hachiman a juré de protéger la nation] (note) n'est pas encore révolue. Alors, pourquoi le monde sombre-t-il déjà dans le déclin et pourquoi les lois du pays sont-elles inopérantes  ? Quelle est la cause de ce malheur  ? Quelle erreur a donc été commise  ? "

(§5) L'hôte répondit : "J'ai souvent réfléchi à cela, dans la solitude, le cœur empli de tristesse, mais, puisque cette situation vous tourmente aussi, nous allons pouvoir en parler longuement. Quand un homme abandonne la vie de famille pour suivre la Voie bouddhique, c'est dans l'espoir d'atteindre la bodhéité grâce aux enseignements du Dharma. Mais, aujourd'hui, les efforts pour émouvoir les divinités n'ont pas le moindre effet, et c'est en vain qu'on implore le pouvoir des bouddhas. Lorsque j'observe avec attention l'état du monde actuel, je vois des hommes en proie au doute, par ignorance et naïveté. Ils lèvent les yeux au ciel pour exprimer leur ressentiment ou, fixant le sol, sombrent dans une profonde anxiété. J'ai soigneusement réfléchi à cette question en utilisant les modestes capacités qui sont les miennes, et j'ai longuement exploré les sutras en quête d'une réponse. Les hommes d'aujourd'hui se détournent tous du Dharma correct, et tous, jusqu'au dernier, se soumettent au mal. C'est pourquoi les divinités bienveillantes ont abandonné le pays, et les sages partent pour ne plus revenir. Ils sont remplacés par des démons et des esprits maléfiques, des désastres et des fléaux qui surgissent les uns après les autres. Voilà ce qu'il m'est impossible de taire. Voilà ce qui est effrayant."

(§6) Le visiteur dit : "Ces désastres s'abattant sur le monde, ces fléaux dont est victime le pays, je ne suis pas le seul à m'en affliger, C'est le peuple entier qui est plongé dans l'affliction. Mais j'ai eu le privilège d'entrer dans votre demeure et d'entendre vos propos éclairés. Vous avez évoqué le départ des divinités et des sages et l'enchaînement incessant des désastres et des calamités. Sur quel sutra vous appuyez-vous  ? J'aimerais savoir quels passages vous servent de preuves."

(§7) L'hôte répondit : "On pourrait citer de multiples passages et offrir quantité de preuves. Ainsi, on peut lire dans le Sutra Konkomyo* : " [Les quatre Rois du Ciel dirent au Bouddha : ] Ce sutra existe bien dans le pays, mais les gouvernants n'ont jamais autorisé sa propagation. Leur coeur s'en détourne, et ils ne prennent aucun plaisir à entendre ses enseignements. Ils ne le servent pas, ne le respectent pas, ne l'admirent pas. Ils n'ont pas non plus l'intention d'accorder leur respect ou un soutien matériel aux quatre sortes de bouddhistes qui adhèrent au sutra. Il en résulte que nous, et la multitude des autres êtres célestes qui sont nos disciples, ne pouvons plus entendre les enseignements de ce profond et merveilleux Dharma. Ils nous ont privés de la douce rosée de ses mots et nous coupent du flot du Dharma correct, nous faisant perdre majesté et pouvoir. Ainsi, le nombre d'êtres dans les quatre mauvaises voies va en augmentant, tandis que ceux qui goûtent les états humain et céleste deviennent de plus en plus rares. Les hommes tombent dans le fleuve de la naissance et de la mort, tournant le dos à la voie du nirvana.

(§8) Honoré du Monde, en constatant cela, nous, les quatre Rois du Ciel, ainsi que nos divers adeptes, yaksha et autres êtres, abandonnons ce pays, car nous n'avons plus le coeur de le protéger. Et nous ne sommes pas les seuls à rejeter ainsi ceux qui gouvernent. Inéluctablement, toutes les divinités bienveillantes qui protègent et observent les innombrables régions du pays les rejetteront également. Et, dès que nous et les autres aurons abandonné et déserté ce pays, toutes sortes de désastres s'y produiront et les gouvernants perdront leur pouvoir. Pas une seule personne dans toute la population n'aura le coeur enclin à la bonté ; partout, ce ne seront qu'arrestations, meurtres et discorde. Les hommes se calomnieront mutuellement ou se flatteront les uns les autres, et les lois puniront même des innocents. Les épidémies se répandront, des comètes apparaîtront sans cesse, deux soleils brilleront côte à côte et des éclipses se produiront à une fréquence inhabituelle. Deux arcs-en-ciel, l'un noir et l'autre blanc, formeront sur la voûte céleste des présages de mauvais augure, les étoiles quitteront leur orbite, la terre tremblera, et des bruits s'élèveront des puits. Il y aura hors saison des pluies torrentielles et des ouragans, la famine sera constante, et graines et fruits ne mûriront pas. Des maraudeurs venus de nombreuses autres régions envahiront et pilleront le pays ; le peuple subira toutes les peines et les misères possibles, et l'on ne trouvera plus un seul endroit où vivre en sécurité."

(§8b) Le Sutra Daijuku dit  : "Quand les principes du bouddhisme seront obscurcis et perdus, les hommes laisseront pousser leur barbe, leurs cheveux et leurs ongles, et les lois du monde seront oubliées et ignorées. Quand viendra cette époque, un grand fracas se fera entendre et la terre tremblera ; le monde entier se mettra en mouvement comme s'il était posé sur les pales d'un moulin à eau. Les remparts des villes se fissureront et s'effondreront, toutes les maisons et les habitations disparaîtront. Racines, branches, feuilles, pétales et fruits perdront leurs vertus curatives. A l'exception des cinq cieux les plus élevés du monde de la forme, toutes les régions des mondes de la forme et du désir se trouveront privées des sept parfums et des trois essences qui nourrissent la vie et la société humaine, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de vivant. Quand viendra cette époque, tous les bons traités conduisant l'homme à l'Éveil disparaîtront. Les fleurs et les fruits produits par la terre se feront plus rares et perdront leur goût et leur douceur. Tous les puits, toutes les sources et les mares s'assécheront, partout la terre deviendra stérile, se fendra et se disloquera, formant buttes et ravines. Toutes les montagnes seront balayées par le feu et les dragons du ciel ne feront plus tomber la pluie. Les plantes se dessécheront et mourront, toutes les créatures vivantes périront et même l'herbe cessera de pousser.

(§9) Une pluie de poussière tombera jusqu'à tout obscurcir et masquer la lumière du soleil et de la lune. Dans les quatre directions, la sécheresse sévira, et des présages funestes apparaîtront sans cesse. Les dix mauvaises actions se répandront de plus en plus, en particulier l'avidité, l'arrogance et l'ignorance, et les êtres humains n'auront pas plus d'égards pour leurs père et mère que n'en a le chevreuil. Le nombre des êtres vivants, leur longévité, leur force physique et leur joie déclineront. Ils s'éloigneront des plaisirs des états humains et céleste pour tomber tous dans les mauvais états de vie. Les souverains et les mauvais moines accomplissant ces dix mauvaises actions détruiront le Dharma correct du Bouddha et rendront impossible la renaissance des êtres sensitifs dans les états humains et céleste. Quand viendra cette époque, les diverses divinités bienveillantes et les rois exemplaires, d'ordinaire si pleins de compassion envers les êtres vivants, abandonneront ce pays en proie aux cinq impuretés pour aller vers d'autres régions."

(§10) On peut lire dans le Sutra Ninno* : "Quand un pays connaît des désordres, ce sont les esprits maléfiques qui montrent d'abord des signes d'agitation. Parce que ces esprits maléfiques s'agitent, tous les hommes du pays sombrent dans la discorde. Les envahisseurs viennent piller le pays, et les gens du peuple sont anéantis. Le souverain, les principaux ministres, l'héritier présomptif ainsi que les autres princes et officiels du gouvernement se querellent, chacun prétendant avoir raison. Ciel et terre sont le théâtre de prodiges et d'événements étranges ; les vingt-huit constellations, les étoiles, le soleil et la lune apparaissent à intervalles irréguliers et dans des positions anormales, d'innombrables hors-la-loi surgissent."

(§11) Dans le même sutra, on lit encore : "Quand je regarde les trois phases, avec les cinq sortes de vision, je vois que tous les souverains du pays sont parvenus à la position d'empereur ou de roi parce qu'ils ont servi cinq cents bouddhas dans des existences passées. Et c'est pourquoi les divers sages et arhats naissent dans leur pays et contribuent au bien-être de la société. Mais si la bonne fortune de ces souverains s'épuise, alors tous les sages les abandonneront et s'en iront. Une fois les sages partis, les Sept désastres se produiront immanquablement."

(§12) Le Sutra Yakushi dit : "Si les désastres et les calamités s'abattaient sur les kshatriya et sur les rois les plus puissants, voici quels seraient ces désastres : des épidémies parmi la population ; une invasion étrangère ; des luttes intestines ; des phénomènes étranges et irréguliers parmi les étoiles et les constellations ; des éclipses du soleil et de la lune ; du vent et de la pluie hors saison et le désastre de l'absence de pluie lorsque c'est la saison."

(§13) Dans le Sutra Ninno*, le Bouddha s'adresse ainsi au roi Prasenajit : "Grand roi, la région où l'on suit mes enseignements s'étend aujourd'hui sur cent milliards de mondes Sumeru [planètes] éclairés par cent milliards de soleils et de lunes. Chacun de ces mondes Sumeru comprend quatre grands continents. En Jambudvipa, l'empire du Sud, on trouve seize grands pays, cinq cents de taille moyenne, et dix mille petits. Dans ces pays, sept sortes de calamités effrayantes peuvent se déclarer. Tous les gouvernants de ces pays admettent qu'il s'agit bien de calamités. Quelles sont- elles  ?

(§14) Quand le soleil et la lune s'écartent de leur cours régulier, quand les saisons se succèdent en ordre inverse, quand apparaît un soleil rouge ou un soleil noir, quand deux, trois, quatre ou cinq soleils apparaissent en même temps (note), quand le soleil s'éclipse et cesse de briller, ou quand une, deux ou trois couronnes astrales apparaissent autour du soleil, c'est la première calamité.

(§15) Quand les vingt-huit constellations ne suivent pas leur cours régulier, quand l'étoile de Métal [Vénus], l'étoile du Balai [les comètes], l'étoile de la Roue, l'étoile du Démon, l'étoile du Feu [Mars] , l'étoile de l'Eau [Mercure], l'étoile du Vent, l'étoile de l'Entonnoir [Orion], la Grande Ourse, la Petite Ourse, les grandes étoiles des Cinq Garnisons [qui gardent Saturne] et les très nombreuses étoiles qui gouvernent la destinée du souverain, des trois hauts dignitaires et des cent autres officiels, quand chacune de ces étoiles présente des phénomènes étranges, c'est la deuxième calamité.

(§16) Quand d'immenses feux consument le pays et que tous les hommes meurent dans les flammes, ou quand éclatent le feu des démons (note), le feu des dragons (note) , le feu du ciel, le feu du dieu de la montagne (note), le feu d'origine humaine (note), le feu de la forêt (note) et le feu des criminels (note)  ; quand de tels prodiges apparaissent, c'est la troisième calamité.

(§17) Quand de gigantesques inondations noient la population, quand les saisons se succèdent en désordre, lorsqu'il y a de la pluie en hiver, de la neige en été, du tonnerre et des éclairs durant la saison froide, et de la glace, du givre ou de la grêle en plein été, quand tombe une pluie rouge, noire ou verte, quand pleuvent des monceaux de terre et de pierres, de la poussière, du sable ou du gravier, quand le courant des rivières ou des torrents s'inverse, quand seules les montagnes surnagent et que les rochers sont emportés par les flots, quand des événements anormaux de ce genre se produisent, c'est la quatrième calamité.

(§18) Quand la puissance du vent devient meurtrière et quand terres, montagnes et rivières, arbres et forêts sont d'un seul coup dévastés, quand de grands vents se déclenchent hors saison ou que des vents noirs, des vents rouges, des vents verts, des vents du ciel, des vents de la terre, des vents du feu et des vents de l'eau soufflent, quand se produisent des prodiges de cette sorte, c'est la cinquième calamité.

(§19) Quand le ciel et la terre ainsi que tout le pays souffrent de canicule si terrible que l'air semble en feu, quand les cent plantes se dessèchent et que les cinq céréales ne peuvent plus mûrir, quand la terre est rouge et brûlée et que les habitants périssent tous, quand des anomalies de ce genre se produisent, c'est la sixième calamité.

(§20) Quand des ennemis surgissent de toutes parts et envahissent le pays, quand des rebelles se manifestent dans les deux branches de la famille du souverain, quand apparaissent les pillards du feu, les pillards de l'eau, les pillards du vent et les pillards du démon (note), quand la population est sujette à la dévastation et au désordre, et quand combats et pillages éclatent partout, quand des perturbations de ce genre se produisent, c'est la septième calamité."

(§21) Dans le Sutra Daijuku il est dit  : "Même si le souverain d'un État a observé la pratique du don pendant d'innombrables existences passées, en obéissant aux préceptes et aux principes de la sagesse, s'il voit que mon Dharma, le Dharma du Bouddha, est menacée de périr et reste passif, sans rien faire pour la protéger, l'accumulation inestimable de toutes les bonnes causes dues à ses pratiques passées sera entièrement annulée et son pays deviendra le théâtre de trois événements malencontreux. Le premier est le prix élevé des céréales, le deuxième la guerre, et le troisième les épidémies. Toutes les divinités bienveillantes abandonneront le pays, et le roi aura beau promulguer des édits, le peuple n'y obéira pas. Le pays sera constamment envahi et contesté par les nations voisines. De violents incendies feront rage sans pouvoir être maîtrisés, les vents et les pluies nuisibles se multiplieront, les fleuves enfleront et déborderont, et les habitants seront emportés par le vent ou balayés par les flots. La famille du souverain, du côté paternel comme du côté maternel, se liguera pour fomenter une révolte. Peu après, le souverain tombera gravement malade, perdra la vie et renaîtra dans un des enfers majeurs. [...] Le même destin frappera l'épouse du souverain, son héritier, les hauts dignitaires de l'Etat, les seigneurs des villes, les chefs des villages et les généraux, les administrateurs des provinces, ainsi que les représentants du gouvernement."

(§22) Les passages que j'ai tirés de ces quatre sutra sont parfaitement clairs.
Y a-t-il seulement une personne sur dix mille qui puisse douter de leur signification  ? Et pourtant, les aveugles et les égarés font confiance aux doctrines erronées et ne parviennent pas à reconnaître les enseignements corrects. Par là même, dans tout le pays, de nos jours, les gens sont enclins à se détourner des bouddhas et des sutras, et ne s'efforcent plus de les protéger. En retour, les divinités bienveillantes et les sages abandonnent le pays et quittent leur résidence habituelle. Il en résulte que les démons et les adeptes des doctrines non bouddhiques créent des désastres et font subir des fléaux à la population.

(§23) En entendant cela, rougissant de colère le visiteur répondit : "L'empereur Ming de la dynastie des Han postérieurs, ayant saisi le sens du rêve où lui était apparu un homme doré, fit bon accueil aux enseignements du bouddhisme amenés de Chine par des missionnaires montant des chevaux blancs (note). Après avoir puni Mononobe no Moriya pour son opposition au bouddhisme, le prince Shotoku entreprit de construire des temples et des pagodes au Japon. Depuis cette époque, du souverain suprême aux masses innombrables, tous ont vénéré les statues du Bouddha et ont attentivement étudié les écrits bouddhiques. Il en a résulté que dans les monastères du Mont Hiei et de Nara, la capitale du Sud, dans les grands temples Onjo-ji et To-ji, dans tout le pays à l'intérieur des quatre mers, dans les cinq provinces autour de la capitale (note) et dans les sept régions périphériques, les écrits bouddhiques ont été classés, comme des étoiles dans le ciel, et le pays s'est couvert d'une nuée de temples. Ceux qui se réclament de Shariputra observent la lune du haut du Pic du Vautour (note) tandis que ceux qui adhèrent aux traditions d'Haklenayasha transmettent les enseignements du Mont Kukkutapada. Comment, alors, quelqu'un peut-il dire que les doctrines de Shakyamuni sont méprisées ou que les Trois trésors du bouddhisme sont négligés  ? Si une telle affirmation s'appuie sur la moindre preuve, j'aimerais bien l'entendre précisément."

(§24) Désireux de clarifier le sens de ses propos, l'hôte répondit : "Certes, les temples du Bouddha s'élèvent toiture contre toiture et les bâtiments où sont conservés les sutras s'alignent côte à côte. Les supérieurs de temples sont aussi nombreux que les bambous et les joncs, les moines aussi communs que les plants de riz et de chanvre. Les temples et les moines sont respectés depuis des siècles, et chaque jour, on leur manifeste à nouveau du respect. Mais les moines et les supérieurs d'aujourd'hui sont serviles et sournois, et ils trompent le peuple et l'égarent. Le souverain et ses ministres manquent de discernement et ne peuvent distinguer la vérité de l'hérésie.

(§25) Ainsi, il est dit dans le Sutra Ninno* : "De mauvais moines, dans l'espoir d'acquérir gloire et profit, se présentent en grand nombre devant le souverain, l'héritier présomptif ou les autres princes, pour prêcher des doctrines qui mènent à l'opposition au Dharma bouddhique et à la destruction du pays. Incapables de distinguer le vrai du faux, les souverains écoutent et adoptent de telles doctrines, créant des lois injustes et en désaccord avec les préceptes bouddhiques. De cette façon, ils provoquent la destruction du bouddhisme et du pays."

(§26) On lit dans le Sutra du Nirvana : "bodhisattva, n'éprouvez aucune crainte en vos cœurs si vous vous trouvez, par exemple, en face d'éléphants sauvages. Mais de mauvais amis, voilà ce que vous devriez craindre  ! Si vous êtes tués par un éléphant sauvage, vous ne tomberez pas dans les trois mauvaises voies. Mais si de mauvais amis sont cause de votre mort, vous tomberez inévitablement dans ces trois mauvaises voies."

(§27) Dans le Sutra du Lotus il est dit : "Dans cet âge mauvais, il y aura des moines aux vues erronées et aux cœurs serviles et faux qui prétendront être parvenus à un stade qu'ils n'ont pas atteint, avec un cœur plein d'orgueil et de suffisance. On verra encore des moines retirés dans la forêt, vêtus de robes misérables, proclamer dans leur retraite qu'ils pratiquent la Véritable voie, tout en méprisant et en regardant de haut le reste de l'humanité. Avides de profit et de nourriture, ils enseigneront le Dharma à des laïcs en robe blanche et seront respectés et vénérés du monde comme s'ils étaient des arhats dotés des six pouvoirs mystiques.

(§28) "Sans cesse, ils iront parmi les populations, à seule fin de nous calomnier. Ils s'adresseront aux souverains, aux hauts dignitaires, aux brahmanes et aux grands bienfaiteurs du bouddhisme, aussi bien qu'aux autres moines pour nous dénigrer et nous accuser. Ils diront par exemple : 'Ce sont des hommes aux vues erronées qui prêchent des doctrines non bouddhiques'... Dans un kalpa marqué par les impuretés, en un âge mauvais, bien des choses seront à redouter.

(§29) "Les démons s'empareront des personnes de notre entourage et les pousseront à nous injurier, à nous rabaisser et à nous ridiculiser... Les mauvais moines de cet âge impur, incapables de comprendre les moyens utilisés par le Bouddha, et le fait qu'il enseigne le Dharma de la manière qui convient, nous couvriront d'insultes avec des visages furieux ; nous serons bannis encore et encore..."(réf.)

(§30) Dans le Sutra du Nirvana, le Bouddha dit : "Après ma disparition, et lorsque de nombreux siècles se seront écoulés, tous les sages des quatre niveaux auront également disparu. Lorsque l'époque du Dharma correct sera terminée et pendant l'époque du Dharma formel, on verra des moines se plier en apparence aux règles de la vie monastique. Mais ils ne liront ou ne réciteront que rarement les sutras, préférant consommer toutes sortes d'aliments et de boissons pour nourrir leur corps. Tout en portant la robe de moine, ils erreront en quête d'offrandes avançant à pas feutrés comme des chasseurs à l'affut. Ils seront comme des chats qui guettent une souris. Et ils répéteront sans cesse : "J'ai atteint le stade d'arhat  ! " Extérieurement, ils paraîtront sages et bons, mais en eux-mêmes ils entretiendront avidité et jalousie. Ils se récuseront en prenant des allures de brahmanes ayant fait vœu de silence. Ce ne seront pas de véritables moines, ils n'en auront que l'apparence. Consumés par leurs vues erronées, ils s'opposeront au Dharma correct.

(§31) Quand nous observons le monde à la lumière de ces passages de sutra, nous voyons que la situation actuelle correspond exactement à ce qu'ils décrivent. Si nous ne réprimandons pas les mauvais moines, comment pouvons-nous espérer faire le bien   ? "

(§32) Le visiteur, plus indigné que jamais, dit : "Un monarque sage, en agissant en accord avec le ciel et la terre, améliore sa façon de gouverner ; en distinguant le vrai du faux, un sage apporte le bien-être au monde. Les moines et les religieux du monde actuel bénéficient de la confiance de tout le pays. S'ils étaient réellement de mauvais moines, le souverain, qui est sage, ne leur accorderait pas sa confiance. S'ils n'étaient pas de véritables sages, les personnes capables et savantes ne les respecteraient pas. Mais puisque les notables et les érudits maintenant les honorent et les respectent, ils doivent être sans aucun doute des moines exemplaires. Pourquoi donc déversez-vous sur eux des accusations aussi extravagantes, et comment osez-vous les calomnier  ? A qui vous référez-vous en parlant de "mauvais moines"  ? J'aimerais que vous me l'expliquiez plus clairement."

(§33) L'hôte répondit : "Sous le règne de l'empereur Go-Toba vécut un moine du nom de Honen, auteur d'un ouvrage intitulé le Senchaku Shu. Il contredit les enseignements sacrés de Shakyamuni et sema la confusion parmi les hommes, dans les dix directions. On lit dans le Senchaku Shu  : "Le moine chinois Daochuo établit une distinction entre Shodo et Jodo, exhortant les hommes à abandonner les premiers pour se consacrer aux seconds (note). Tout d'abord, il existe deux sortes d'enseignements de la Voie sacrée [le Mahayana et le Hinayana]. De ce point de vue, on peut considérer que les enseignements du Mahayana ésotérique [Shingon] et les enseignements du Mahayana définitif* [ceux du Sutra du Lotus], font partie de la Voie sacrée. Dans ce cas, les écoles actuelles - Shingon, Zen, Tendai, Kegon, Sanron, Hosso, Jiron et Shoron - sont incluses toutes les huit dans la Voie sacrée."

(§34) Dans son Ojo Ron Chu, le moine Tanluan déclare : "En étudiant le Jujubibasha Ron de Nagarjuna, j'ai lu : ‘Il y a deux voies par lesquelles le bodhisattva peut atteindre l'état d'où l'on ne peut régresser. L'une est la Voie difficile à pratiquer, l'autre la Voie facile à pratiquer.’ La Voie difficile à pratiquer correspond à la Voie sacrée tandis que la Voie facile à pratiquer est la voie de la Terre pure. Les adeptes de l'école Jodo doivent tout d'abord comprendre ce point. Même s'ils ont pu étudier antérieurement les enseignements appartenant à la Voie sacrée, s'ils aspirent à devenir adeptes de l'école de la Terre pure, ils doivent rejeter la Voie sacrée pour se consacrer aux enseignements de la Terre pure."

(§35) Honen dit aussi  : "Le moine chinois Shandao établit la distinction entre les pratiques correctes et incorrectes, exhortant les hommes à suivre les premières et à abandonner les secondes. Au sujet de la première des pratiques incorrectes, celles de lire et réciter les sutras, il affirme qu'il ne faut réciter que le Sutra Kammuryoju et les sutras de la Terre pure, et que réciter n'importe quel autre sutra, mahayana ou hinayana, exotérique ou ésotérique, doit être considéré comme une pratique incorrecte. A propos de la troisième des pratiques incorrectes, celle de la vénération, il affirme que, en dehors de la vénération du bouddha Amida, le fait d'honorer ou de vénérer tout autre bouddha, bodhisattva ou divinité bouddhique, doit être considéré comme une pratique incorrecte. A la lumière de ce passage, il apparaît clairement que l'on devrait abandonner des pratiques aussi incorrectes pour se concentrer sur la pratique de l'enseignement de la Terre pure. Quelle raison aurions-nous d'abandonner les pratiques correctes de l'enseignement de la Terre pure qui affirment que, sur cent personnes, toutes sans exception renaîtront dans le paradis de l'ouest, pour nous attacher à diverses pratiques et cérémonies qui ne peuvent même pas sauver une personne sur mille  ? Ceux qui pratiquent le bouddhisme devraient méditer profondément sur cela  ! "

(§36) Par la suite, Honen déclare : "Dans le Jogen Nyuzo Roku, nous lisons que, à partir des six cents volumes du Sutra Daihannya jusqu'au Sutra Hojoju, les sutras exotériques et ésotériques du bouddhisme du Mahayana comportent un total de 637 ouvrages répartis en 2883 volumes. Il faut maintenant remplacer tout cela par la seule récitation de la phrase du Mahayana. Sachez que, à l'époque où le Bouddha prêchait en fonction de la capacité de ses divers auditeurs, il enseigna pendant un certain temps les deux méthodes de la méditation concentrée et de la méditation sans concentration  ? Mais, lorsqu'il révéla plus tard son propre Éveil, il cessa d'enseigner ces deux méthodes. Le seul enseignement qui, une fois révélé, ne cessera jamais d'être enseigné, est la doctrine unique du Nembutsu."

(§37) Honen dit encore : "C'est dans le Sutra Kammuryoju que l'on trouve le passage selon lequel le pratiquant du Nembutsu doit posséder les Trois sortes d'esprit (note). On peut lire en effet dans le commentaire (réf.) de ce sutra  : Quelqu'un demanda  : 'Si certains ont une compréhension et une pratique différentes de celles des adeptes du Nembutsu, comment peut-on s'assurer que, par leurs croyances divergentes et leurs pratiques erronées, ces personnes ne causeront pas de troubles  ? ' Nous voyons aussi que ces personnes aux vues erronées, avec leur compréhension et leurs pratiques différentes, sont comparées à une bande de brigands qui font rebrousser chemin aux voyageurs ayant déjà fait un ou deux pas sur leur route. Selon moi, lorsque ces passages parlent de compréhension différente, de pratiques différentes, de doctrines erronées et de croyances erronées, ils se réfèrent aux enseignements de la Voie sacrée."

(§38) Enfin, Honen conclut  : "Si l'on veut échapper rapidement aux souffrances de la vie et de la mort, après avoir comparé ces deux enseignements supérieurs, il faut laisser de côté les enseignements de la Voie sacrée et choisir ceux de la Terre pure. Et si l'on veut suivre les enseignements de la Terre pure, il faut distinguer entre les pratiques correctes et incorrectes, et abandonner toutes celles qui sont incorrectes pour se consacrer entièrement à celles qui sont correctes."

(§39) En examinant ces passages, nous voyons que Honen cite les explications faussées de Tanluan, Daochuo et Shandao afin d'établir les catégories qu'il appelle Voie sacrée et Terre pure, Voie difficile à pratiquer et Voie facile à pratiquer. Il classifie alors la totalité des 637 ouvrages en 2883 volumes qui comprennent les sutras du Mahayana enseignés du vivant du Bouddha, y compris le Sutra du Lotus et les sutras du Shingon, en même temps que la croyance en tous les bouddhas, bodhisattvas et divinités bouddhiques, et range tout cela dans les catégories de la Voie sacrée, la Voie difficile à pratiquer, et les pratiques incorrectes, exhortant les hommes à "les rejeter, les fermer, les ignorer et les abandonner". Par ces quatre injonctions, il égare tous les êtres humains. Et, de plus, il qualifie tous les moines sages des trois pays (note), ainsi que tous les disciples des bouddhas des dix directions, de bande de brigands et les insulte.

(§39b) Par cela, il tourne le dos aux passages des trois sutras de la Terre pure, sutras de sa propre école, qui contiennent le serment d'Amida de sauver tous les êtres humains, "sauf ceux qui commettent les cinq forfaits ou calomnient le Dharma correct". Dans le même temps, il se révèle incapable de comprendre l'avertissement contenu dans le second volume du Sutra du Lotus, le plus important sutra exposé durant les cinq périodes d'enseignement de la vie du Bouddha, qui dit : "Celui qui refuse d'avoir foi en ce Sutra et, au lieu de cela, s'y oppose... Après sa mort, il tombera dans l'enfer avici."(réf.) Nous voici maintenant dans cette dernière période où les hommes ne sont plus des sages. Chacun entre dans les voies obscures, et tous oublient la voie directe. Quelle tristesse que personne n'ôte de leurs yeux le voile de l'ignorance  ! Qu'il est pénible de les voir inutilement encourager de telles croyances erronées. Il en résulte que, du souverain au plus humble paysan, tout le monde croit qu'il n'existe pas de sutra valables en dehors des trois sutras de la Terre pure, et qu'il n'y a aucun autre bouddha que le bouddha Amida et ses deux parèdres [Kannon et Seishi].

(§40) Il y eut autrefois des hommes comme Saicho*, Gishin*, Ennin* et Enchin qui parcoururent dix mille lieues sur les océans à la recherche des enseignements sacrés, ou qui franchirent toutes les montagnes et rivières du Japon pour contempler les statues du Bouddha qu'ils vénéraient. Dans certains cas, ils bâtirent des temples au sommet de hautes montagnes pour y préserver ces écritures et ces statues ; dans d'autres cas, ils construisirent, au fond de vallées encaissées, des lieux de culte où l'on pouvait vénérer et honorer de tels objets. Si bien que les bouddhas Shakyamuni et Yakushi* (note) répandirent la lumière côte à côte, exerçant leur influence sur le présent et l'avenir, tandis que les bodhisattvas Kokuzo et Jizo apportaient des bienfaits pour la vie présente et la vie future. Les souverains du pays faisaient des dons aux provinces et aux villages, afin que les lampes puissent toujours brûler devant les images, tandis que les intendants des grands domaines offraient leurs champs et leurs jardins.

(§41) Mais, à cause de cet ouvrage de Honen, le Senchaku Shu, le Bouddha Shakyamuni est oublié et l'on vénère Amida, bouddha de la Terre de l'Ouest. On ignore la transmission du Dharma du Vénérable Bouddha et l'on néglige Yakushi*, bouddha de la région de l'Est. On se concentre exclusivement sur les trois sutras en quatre volumes des écrits de la Terre pure, et l'ensemble des autres enseignements merveilleux exposés par Shakyamuni durant les cinq périodes de son enseignement est rejeté. Si les temples ne sont pas consacrés à Amida, les gens n'ont plus aucun désir de leur faire des offrandes ou d'honorer les bouddhas ; dès que des moines ne récitent pas le nembutsu, personne ne veut leur faire de dons. Il s'ensuit que les temples du Bouddha tombent en ruine, et c'est à peine si l'on voit une mince colonne de fumée s'élever au-dessus des tuiles moussues de leur toit ; les habitations des moines sont vides et délabrées, leurs jardins sont livrés à la rosée.

(§41b) Malgré cela, personne ne pense un instant à protéger le Dharma ou à restaurer les temples. C'est pourquoi les moines sages qui administraient autrefois ces temples les quittent pour ne plus revenir, et les divinités bienveillantes qui gardaient les enseignements bouddhiques s'en vont. Tout cela est dû au Senchaku Shu de Honen. Quelle tristesse de penser que, en l'espace de quelques décennies, des centaines, des milliers, des dizaines de milliers de personnes se sont laissé égarer par ces enseignements démoniaques et ont si souvent méconnu les véritables enseignements du bouddhisme  ! Si les hommes favorisent les doctrines erronées, oubliant ce qui est correct, comment les divinités bienveillantes pourraient-elles retenir leur colère  ? Si les hommes rejettent les doctrines parfaites au profit de celles qui sont incomplètes, le monde peut-il échapper aux manigances des esprits maléfiques  ? Plutôt que d'offrir dix mille prières en guise de remède, il suffirait de bannir cette doctrine, source de tous les maux  ! "

(§42) Le visage encore plus empourpré de colère, le visiteur dit alors : "Dans les époques qui suivirent l'enseignement des trois sutras de la Terre pure par notre maître originel, le Bouddha Shakyamuni, le moine Tanluan, après avoir d'abord étudié les quatre traités (note), les abandonna et accorda toute sa foi aux enseignements de la Terre pure. De même, le moine Daochuo mit de côté les multiples principes du Sutra du Nirvana (note) pour propager les pratiques de la Terre de l'Ouest. Le moine Shandao rejeta les pratiques incorrectes pour établir la pratique unique de la Terre pure, et le moine Genshin rassembla des passages de divers sutras pour composer son ouvrage, insistant sur l'importance d'une pratique unique, le Nembutsu. C'est ainsi que ces hommes honorèrent et respectèrent le bouddha Amida, et permirent à un nombre incalculable de gens de renaître sur la Terre pure.

(§43) Il y eut un grand sage, Honen, qui, dès son enfance, entra au monastère du Mont Hiei. A l'âge de dix-sept ans, il avait déjà étudié l'ensemble des soixante volumes des écritures du Tendai (note) et connaissait suffisamment chacune des huit écoles pour maîtriser l'essentiel de leur enseignement. De plus, il avait lu sept fois la totalité des sutras et traités, et approfondi toutes les exégèses et les biographies. Sa sagesse avait l'éclat du soleil et de la lune, et sa vertu dépassait celle des maîtres d'autrefois.

(§44) Malgré tout, il s'interrogeait sur la voie qui conduit à l'Éveil et ne comprenait pas le véritable sens du nirvana. C'est pourquoi il lut et examina autant de textes que possible, médita profondément et considéra toutes les hypothèses pour finalement rejeter tous les sutras et établir la pratique exclusive du Nembutsu. De plus, renforcé dans sa décision par une apparition miraculeuse de Shandao en rêve, il propagea sa doctrine aux quatre coins du pays parmi ses amis et parmi des inconnus. Pour cela, il fut considéré comme une réincarnation du bodhisattva Seishi, ou fut révéré comme une réincarnation de Shandao. Partout, des gens de haute comme de basse naissance inclinèrent respectueusement la tête devant lui, et des hommes et des femmes de toutes les régions partirent à sa rencontre.

(§45) Depuis cette époque, bien des printemps et des automnes se sont succédés, de nombreuses années se sont écoulées. Et maintenant, vous insistez pour que l'on rejette les vénérables enseignements du Bouddha Shakyamuni contenus dans les écrits de la Terre pure et méprisez ouvertement les écrits concernant le bouddha Amida. Pourquoi rendez-vous responsable l'époque sacrée de Honen des désastres de ces dernières années, en calomniant délibérément les premiers maîtres (note) de la doctrine de la Terre pure et en accablant d'injures un sage comme Honen  ? [Comme dit le proverbe, ] en soufflant sur la fourrure, vous cherchez des défauts dans le cuir, en coupant volontairement la peau vous cherchez à faire couler le sang. Depuis les temps les plus anciens, on n'a jamais entendu quiconque proférer des paroles aussi néfastes  ! Vous devriez faire preuve d'un peu plus de retenue et de prudence. En accumulant d'aussi graves offenses, comment pouvez-vous espérer échapper à leur punition  ? Le seul fait d'être assis en face de vous m'emplit de frayeur. Je vais prendre mon bâton et me remettre en route  ! "

(§46) L'hôte, en souriant, calma son invité et lui dit  : "Les insectes qui se nourrissent de mauvaises herbes oublient combien leur goût est amer  ; ceux qui restent longtemps dans les latrines en oublient la puanteur. Vous écoutez ici mes paroles justes et vous les croyez mauvaises, vous soutenez un ennemi du Dharma comme Honen et le qualifiez de sage, vous ne faites pas confiance à un véritable maître que vous prenez pour un mauvais moine. Votre confusion est en fait très grande, et votre offense n'est pas légère. Écoutez bien d'où vient cette confusion. Je vais vous l'expliquer en détail.

(§47) Les doctrines que le Bouddha Shakyamuni exposa au cours de sa vie peuvent être réparties selon cinq périodes distinctes d'enseignement. L'ordre dans lequel elles furent enseignées peut être établi et on peut les diviser en enseignements provisoires et en enseignements définitifs (jikkyo). Mais, Tanluan, Daochuo et Shandao adhérèrent aux enseignements provisoires et oublièrent les enseignements définitifs (jikkyo). Ils suivirent les premiers enseignements du Bouddha et rejetèrent les enseignements ultérieurs. Ces personnes ne saisirent pas la profondeur du bouddhisme.

(§48) Honen en particulier, tout en suivant les pratiques établies par ses prédécesseurs, ignorait leur véritable origine. De quelle façon pouvons-nous le savoir  ? Parce qu'il rangea dans la même catégorie l'ensemble des 637 écrits du Mahayana et les 2883 volumes de textes, ainsi que la croyance dans les divers bouddhas, bodhisattvas et divinités bouddhiques, et qu'il exhorta les hommes à "les rejeter, les refermer, les ignorer et les abandonner" tous, provoquant par ces quatre injonctions la corruption du coeur de tous les êtres humains. Il exposa ainsi des vues personnelles erronées, sans le moindre égard pour les explications données dans les sutras. Ce sont les pires mensonges, et, à l'évidence, des propos diffamatoires. C'est une attitude inqualifiable, que l'on ne saurait trop sévèrement condamner.

(§49) Cependant, tous les hommes, sans exception, croient en ses mensonges et vénèrent, son Senchaku Shu. Par conséquent, ils révèrent les trois sutras de la Terre pure et rejettent tous les autres sutras. Ils ne respectent qu'un bouddha, Amida, de la Terre de la béatitude parfaite, et oublient les autres bouddhas. En réalité, un homme tel que Honen est le pire ennemi des bouddhas et des sutras, ainsi que l'adversaire des moines sages comme des hommes et des femmes ordinaires. Ses enseignements erronés se sont maintenant propagés jusqu'aux frontières du pays, ils ont pénétré dans chacune des dix directions.

(§50) Vous vous êtes indigné de m'entendre dire que les désastres actuels sont dus à une période antérieure (note). Je vais vous citer quelques exemples du passé pour dissiper vos illusions.

(§51) Le second volume du Maka Shikan cite un passage du Shi Ji [Mémoires de l'historien ] qui dit : "Dans les dernières années de la dynastie Zhou, il y eut des hommes qui portaient les cheveux longs, se promenaient nus jusqu'à la ceinture, et ne respectaient ni les coutumes ni les règles." Dans le second volume du Guketsu, ce passage est expliqué à partir d'une citation du Zuo-Zhuan (réf.) : "Quand le prince Pingwang, de la dynastie Zhou, déplaça d'abord sa capitale à l'Est, à Loyang, il vit, au bord de la rivière Yi, des hommes aux cheveux en désordre qui pratiquaient des rites religieux dans les champs. Une personne de grande sagesse prédit  : ‘Dans moins d'un siècle, la dynastie tombera car les règles sont déjà négligées.’ De cela, il ressort clairement que le présage apparaît d'abord et que le désastre vient ensuite."

(§52) "Yuanji était un homme au talent extraordinaire, mais il laissait pousser ses cheveux en broussaille et gardait sa ceinture dénouée. Plus tard, les fils de l'aristocratie suivirent tous son exemple à tel point que ceux qui se comportaient de façon grossière et indécente étaient considérés comme plus proches de la nature, tandis que ceux qui agissaient avec retenue et correction étaient tournés en dérision et traités de paysans. C'était le signe de la fin de la famille Sima [qui régnait à l'époque]."

(§53) De même, le Nitto Junrei Ki d'Ennin*, rapporte que, dans la première année de l'ère Huizhang [841], l'empereur Wuzong, de la dynastie Tang, ordonna au moine Jingshuang, du temple Zhang-jing, de transmettre les enseignements Nembutsu du bouddha Amida dans les divers temples. Jingshuang alla sans cesse d'un temple à l'autre, passant trois jours dans chaque temple. Dans la deuxième année de la même ère, des soldats du pays des Ouïghours violèrent les frontières de l'empire Tang. Dans la troisième année de la même ère, le gouverneur militaire de la région située au nord du Fleuve Jaune fomenta une révolte. Ensuite, le royaume du Tibet refusa une nouvelle fois d'obéir aux ordres venant de Chine, et les Ouïghours s'emparèrent à plusieurs reprises de territoires chinois. Tous ces conflits et révoltes rappelaient ceux qui eurent lieu sous la dynastie Qin, à l'époque du général Xiang Yu, et villes et villages furent dévastés par le feu et autres désastres. Pis encore, l'empereur Wuzong entreprit une vaste campagne pour interdire l'enseignement du bouddhisme et détruisit un grand nombre de temples et de monastères. Il ne parvint pas à réprimer les soulèvements et, peu après, mourut dans la souffrance.

(§54) Cela étant dit, il faut réfléchir au fait que Honen vécut sous le règne de l'empereur Go-Toba, à l'ère Kennin [1201-1203]. Et, comme chacun sait, en 1221, l'empereur retiré Go-Toba ne parvint pas à rétablir l'autorité du trône. Ainsi, la Chine a déjà prouvé que les enseignements de la Terre pure ont provoqué la chute d'un empereur, et notre pays offre une preuve similaire (note). Vous ne devriez pas en douter ou penser qu'il ne s'agit que d'une simple coïncidence. La seule chose à faire maintenant est d'abandonner les voies démoniaques pour aller vers la voie correcte, de tarir la source du malheur, d'en couper la racine  ! "

(§55) Le visiteur, quelque peu calmé, dit  : "Sans considérer encore la question comme étant totalement résolue, je crois comprendre ce que vous dites, jusqu'à un certain point. Néanmoins, aussi bien à Kyoto [capitale impériale], qu'à Kamakura [capitale du shogunat], on trouve de nombreux maîtres bouddhistes éminents, qui sont les piliers des temples. Et pourtant, jusqu'à présent, aucun d'entre eux n'a fait appel au shogun concernant cette affaire ou soumis une requête au trône. Par contre, vous, personne de position modeste, vous ne pensez qu'à déverser un flot d'accusations blessantes. Vos assertions sont contestables et vos arguments ne font pas autorité."

(§56) L'hôte répondit  : "Je ne suis peut-être qu'une personne de faible capacité, mais je me suis sincèrement consacré à l'étude du Mahayana. Une mouche bleue, lorsqu'elle s'accroche à la queue d'un cheval pur-sang, peut parcourir dix mille lieues, et le lierre vert en s'enroulant autour d'un pin élevé peut atteindre une hauteur de mille pieds. Je suis le disciple et le fils du Bouddha unique Shakyamuni, et je sers le roi des écrits, le Sutra du Lotus. Comment pourrais-je assister au déclin du Dharma bouddhique sans que mon coeur ne s'emplisse de regrets  ? De plus, le Sutra du Nirvana affirme : "Si un moine, même un bon moine, voit quelqu'un s'opposer au Dharma et n'y prête pas attention, s'abstenant de le réprimander, de le chasser ou de le punir pour son offense, alors ce moine est l'ennemi du bouddhisme. Mais s'il fait tout pour chasser la personne qui s'oppose au Dharma, la réprimander ou la punir, alors il est mon disciple et il comprend véritablement mes enseignements." Je ne suis peut-être pas un "bon moine" mais je ne veux surtout pas être accusé d'être l"ennemi du bouddhisme". Aussi, afin d'éviter de telles accusations, en m'appuyant sur des principes généraux, je vais donner quelques explications.

(§57)  Il y a longtemps, à l'ère Gennin [1224], les deux temples Enryaku-ji sur le Mont Hiei et Kofuku-ji à Nara soumirent à maintes reprises des pétitions au trône qui conduisirent à la rédaction d'un édit impérial et d'un décret du shogunat ordonnant que les planches d'impression du Senchaku Shu de Honen soient confisquées et amenées dans la grande salle de conférence du temple Enrakyu-ji. Là, elles furent brûlées en signe de reconnaissance à l'égard des bouddhas des trois phases de l'existence. De plus, on ordonna aux serviteurs attachés au temple de Gion de détruire la tombe de Honen à Kyoto. Par la suite, des disciples de Honen comme Ryukan, Shoko, Jokaku, Sassho et d'autres furent condamnés par le gouvernement à l'exil dans des régions lointaines et ne furent jamais graciés. Aussi comment pouvez-vous dire que personne ne s'est jamais plaint à ce sujet aux autorités  ? "

(§58) Le visiteur, toujours calme, répondit : "On peut difficilement reprocher à Honen d'être le seul à dénigrer les sutras et à dire du mal des autres moines. Il est cependant exact qu'il range dans la même catégorie les 637 écrits du Mahayana avec leurs 2883 volumes de textes, ainsi que la croyance en tous les bouddhas, bodhisattvas et divinités bouddhiques, et qu'il exhorte les hommes à "les rejeter, les refermer, les ignorer et les abandonner" tous. Il ne fait aucun doute que c'est bien lui qui formula ces quatre injonctions ; le sens de ce passage est parfaitement clair. Mais vous soulignez sans cesse la petite "imperfection dans le joyau" et vous critiquez sévèrement Honen pour cela. Je ne sais pas si ses paroles expriment l'égarement ou le véritable Éveil. Je ne peux dire qui, de vous ou de Honen, est le sage ou l'insensé, ni déterminer qui a raison ou qui a tort.

(§59) Cependant, vous affirmez que tous les désastres récents doivent être attribués au Senchaku Shu de Honen, développant largement ce point pour étayer votre affirmation. Il est indéniable que la paix du monde et la stabilité du pays sont voulues aujourd'hui aussi bien par le souverain que par ses sujets, et souhaitées par tous les habitants. Un pays obtient la prospérité grâce au Dharma bouddhique, et la validité du Dharma est prouvée par ceux qui la pratiquent. Si le pays est détruit et ses habitants anéantis, qui continuera alors à révérer les bouddhas  ? Qui continuera à avoir foi dans le Dharma  ? C'est pourquoi il faut tout d'abord prier pour la sécurité du pays et oeuvrer ensuite à établir le Dharma bouddhique. Si, donc, vous connaissez un moyen d'empêcher les désastres et d'enrayer les fléaux, j'aimerais le connaître."

(§60) L'hôte dit  : "Vous avez sans aucun doute raison de me traiter d'insensé  ! Jamais je n'oserais me prétendre sage. Cependant, j'aimerais simplement citer quelques passages des sutras. De multiples passages dans les écrits, bouddhiques comme non bouddhiques, traitent de la manière de gouverner un pays, et il serait difficile de les citer tous ici. Néanmoins, depuis que j'étudie le bouddhisme, j'ai fréquemment réfléchi à ce problème, et j'en conclus qu'écarter ceux qui s'opposent au Dharma et respecter les moines qui suivent la voie correcte est la meilleure façon d'assurer la stabilité à l'intérieur du pays et la paix dans le monde entier.

(§61) On lit dans le Sutra du Nirvana : "Le Bouddha dit : 'A l'exception d'une seule catégorie de personnes, vous pouvez faire des dons à tout le monde et cela vous vaudra le respect de tous.' Chunda demanda : 'Quelle est donc la catégorie de personnes dont vous parlez  ? ' Le Bouddha répondit : 'Je désigne par là ceux que j'ai décrits dans ce sutra comme ayant enfreint les préceptes.' Chunda insista : 'Je ne comprends toujours pas très bien. Pourriez-vous m'expliquer un peu plus  ? ' Le Bouddha reprit : 'Ceux qui enfreignent les préceptes sont les icchantika. Vous pouvez faire des dons à toutes les autres catégories de personnes, cela vous vaudra le respect de tous et vous obtiendrez de grands bienfaits.' Chunda demanda à nouveau : 'Que signifie le terme icchantika  ? ' Le Bouddha répondit : 'Chunda, imagine qu'il y ait des moines ou des nonnes, des laïcs, hommes ou femmes, qui prononcent des paroles irréfléchies et mauvaises et s'opposent au Dharma correct, et que ces personnes continuent à commettre ces fautes graves sans jamais montrer le moindre désir de s'amender ni aucun signe de repentir sincère. Je dirai que de telles personnes suivent la voie des icchantika.

(§62)  Il y a aussi ceux qui commettent les quatre délits graves ou les cinq forfaits, et qui, tout en ayant conscience d'avoir commis de graves fautes, ne ressentent jamais ni frayeur ni repentir dans leur coeur ou qui, du moins, n'en font rien voir ; qui ne montrent aucun désir de protéger le Dharma correct ni d'en assurer la transmission pour l'éternité, mais la décrient et la rabaissent par des paroles mensongères. Je dirais aussi que des personnes de ce genre suivent la voie des icchantika. A l'exception des icchantika, vous pouvez faire des dons à toutes les autres personnes et tout le monde vous en félicitera."

(§63) Dans un autre passage du même sutra, le Bouddha dit encore  : "Par le passé, je fus le roi d'un grand État sur ce continent de Jambudvipa. Je m'appelais Senyo et j'aimais et vénérais les écrits du Mahayana. Mon coeur était pur et bon et ne montrait aucune trace de méchanceté, ni de jalousie ou d'avarice. Hommes de foi sincère (kulaputra), à cette époque-là, je révérais les enseignements du Mahayana dans mon coeur. Un jour où j'entendis des brahmanes calomnier ces enseignements, je les mis à mort sur-le-champ. Hommes de foi sincère, il résulta de cette action que plus jamais je ne suis retombé en enfer." On peut lire dans un autre passage : "Par le passé, quand l'Ainsi-Venu était le souverain du pays et pratiquait la voie de bodhisattvas, il mit à mort un certain nombre de brahmanes."(§63)

(§64) Il y est dit encore  : "Il y a trois degrés dans le meurtre : mineur, moyen et majeur. Le degré mineur correspond au meurtre des animaux, du plus petit comme la fourmi jusqu'au plus gros. Seul le meurtre d'un bodhisattva qui a délibérément choisi de naître en tant qu'animal est exclu de cette catégorie. En commettant un meurtre de ce genre, on tombe dans les voies de l'enfer, des esprits faméliques* ou des animaux, où l’on subit inévitablement les rétributions qu'entraîne ce genre d'action. Pourquoi cela  ? Parce que même les animaux possèdent les racines du bien, aussi insignifiantes soient-elles. C'est pourquoi une personne qui tue de telles créatures doit subir la pleine rétribution de son offense.

(§64b) Le degré moyen est constitué par le meurtre d'une personne, depuis un simple mortel jusqu'à un anagamin. Un tel meurtre aura pour conséquence d'entraîner celui qui le commet dans les voies de l'enfer, des esprits faméliques* ou des animaux où il subira inévitablement les souffrances propres au degré moyen. Le meurtre de degré majeur est celui d'un parent, d'un arhat, d'une personne ayant atteint l'état de pratyekabuddha, ou bien encore d'un bodhisattva parvenu, au terme de ses efforts, à un état d'où il ne régresse plus. Pour un tel crime, on tombera dans l'enfer avici. Hommes de foi sincère, si quelqu'un venait à tuer un icchantika, un tel meurtre ne tomberait dans aucune de ces trois catégories. Hommes de foi sincère, ces divers brahmanes étaient tous des icchantika."

(§65) On lit dans le Sutra Ninno*  : "Le Bouddha annonça au roi Prasenajit : 'Voici la raison pour laquelle je confie la protection de mes enseignements aux souverains plutôt qu'aux moines et aux nonnes. Pourquoi  ? Parce que moines et nonnes ne détiennent pas le même pouvoir que les rois."

(§66) On lit dans le Sutra du Nirvana  : "Je confie maintenant le Dharma correct, d'une excellence sans pareille, aux souverains, aux ministres, aux hauts dignitaires, et aux quatre sortes de croyants. Si quelqu'un s'oppose au Dharma correct, les hauts dignitaires et les quatre sortes de croyants doivent le réprimander et lui montrer ses fautes."

(§67) On y lit encore  : "Le Bouddha dit  : 'Kasho, c'est pour avoir été un défenseur du Dharma correct que j'ai maintenant pu obtenir ce corps semblable au diamant (note)... Hommes de foi sincère, les défenseurs du Dharma correct n'ont pas besoin d'observer les cinq préceptes ni de suivre les règles de la conduite convenable. Ils devraient plutôt porter couteaux et sabres, arcs et flèches, piques et lances.'"

(§68) Le Bouddha dit encore  : "Certains peuvent observer les cinq préceptes sans mériter pour autant le nom de pratiquant du Mahayana. A l'inverse, même une personne qui n'observe pas les cinq préceptes, si elle défend le Dharma correct, on peut la considérer comme un pratiquant du Mahayana. Les défenseurs du Dharma correct doivent s'armer de couteaux et de sabres, d'épées et de gourdins. Même s'ils portent épées et gourdins, je les considère comme des hommes qui suivent les préceptes."

(§69) Dans le même esprit, il dit aussi  : "Hommes de foi sincère, dans les temps passés, en cette même ville de Kushinagara, un bouddha apparut, qui s'appelait Tatagatha Kangi Zoyaku. Après la mort de ce bouddha, le Dharma correct qu'il avait enseignée demeura dans le monde pendant d'innombrables millions d'années. Puis, finalement, il ne resta plus que quarante années avant que le Dharma soit voué à disparaître. En ce temps-là, vivait un moine du nom de Kakutoku qui observait les préceptes. Il y avait alors de nombreux moines qui les transgressaient, et lorsqu'ils entendirent prêcher Kakutoku, tous conçurent de mauvais desseins dans leur coeur, et, s'armant de sabres et de gourdins, ils attaquèrent ce Maître du Dharma.

(§70) A cette époque, le souverain du royaume avait pour nom Utoku. Dès qu'il apprit ce qui se passait, désireux de défendre le Dharma, il se rendit sur le lieu où le moine prêchait l'enseignement correct et combattit de toutes ses forces contre les mauvais moines qui n'observaient pas les préceptes. Grâce à cela, le moine qui prêchait le Dharma put échapper au danger. Mais le roi reçut tant de coups de couteaux, de sabres, de piques et de lances, qu'il n'y eut pas une seule partie de son corps, même de la taille d'une graine de pavot, qui ne fut blessée.

(§71) Le moine Kakutoku rendit alors hommage au roi en ces termes : ‘C’est merveilleux  ! Vous êtes, o roi, un authentique défenseur du Dharma correct. Dans les âges à venir, ce corps qui est le vôtre deviendra à coup sûr un réceptacle illimité du Dharma.’A ce moment-là, le roi qui avait déjà entendu les enseignements du Dharma, ressentit une grande joie en son coeur. Sa vie parvint alors à son terme, et il renaquit sur la Terre du bouddha Akshobhya (Ashuku) où il devint le premier disciple de ce bouddha. De plus, tous les généraux, sujets et alliés du roi qui avaient combattu à ses côtés ou l'avaient rejoint dans la bataille furent emplis d'une détermination inébranlable d'atteindre l'Éveil et, après leur mort, ils renaquirent tous sur la Terre du bouddha Akshobhya.

(§72) Par la suite, le moine Kakutoku mourut à son tour, renaquit également sur la Terre du bouddha Akshobhya et devint le second disciple à recevoir directement les enseignements du bouddha. Par conséquent, si le Dharma correct est sur le point de disparaître, voici comment il faut le soutenir et la défendre.

(§73) Kasho, le roi qui vivait en ce temps-là, n'était autre que moi-même, et le moine qui prêchait le Dharma était le bouddha Kasho. Kasho, ceux qui défendent le Dharma correct obtiennent des bienfaits illimités de cette sorte. C'est pourquoi j'ai pu obtenir les traits qui sont mes caractéristiques aujourd'hui, m'en parer, et revêtir le Corps du Dharma* indestructible."

(§74) Le bouddha dit encore au bodhisattva Kasho  : "Par conséquent, les croyants laïcs qui souhaitent défendre le Dharma doivent s'armer d'épées et de gourdins, et la protéger de cette façon. Hommes de foi sincère, dans l'âge impur et mauvais qui suivra ma disparition, le pays sombrera dans la décadence et le désordre, les êtres humains se pilleront et se voleront mutuellement, et ils en seront réduits à mourir de faim.

(§75) Pour échapper à la faim, beaucoup alors décideront de quitter leur famille pour se faire moines. On les appellera crânes rasés. Quand ces crânes rasés verront une personne s'efforcer de protégerle Dharma correct, ils le pourchasseront et l'expulseront, voire le tueront ou le blesseront. C'est pourquoi j'autorise maintenant les moines qui observent les préceptes à vivre et à s'associer avec des laïcs portant sabres et bâtons. Car, même s'ils portent des sabres et des bâtons, je les considérerai comme des hommes observant les préceptes. Pourtant, même autorisés à porter sabres et bâtons, ils ne devront jamais les utiliser pour ôter la vie."

(§76) Il est dit dans le Sutra du Lotus  : "Celui qui refuse d'avoir foi en ce sutra, et au contraire s'y oppose, détruit immédiatement les graines qui permettent de devenir bouddha en ce monde. Après sa mort, il tombera dans l'enfer avici."(réf.)

(§77) Le sens de ces passages de sutra est parfaitement clair. Quel besoin aurais-je d'y ajouter des interprétations  ? D'après le Sutra du Lotus, ceux qui calomnient les écrits du Mahayana commettent une faute plus grave que les cinq forfaits. C'est pourquoi ils tomberont dans la grande forteresse de l'enfer avici et ne pourront espérer en sortir avant d'innombrables kalpas. Selon le Sutra du Nirvana, il est autorisé de faire des dons à quelqu'un qui a commis une des cinq forfaits, mais pas à ceux qui s'opposent au Dharma, celui qui tue, ne serait-ce qu'une fourmi, tombera dans l'une des trois mauvaises voies, mais celui qui contribue à empêcher l'opposition au Dharma atteindra l'état de non régression. Ainsi, le moine Kakutoku renaquit sous la forme du bouddha Kasho, et le roi Utoku devint le Bouddha Shakyamuni.

(§78) Le Sutra du Lotus et le Sutra du Nirvana représentent le coeur même des doctrines enseignées par Shakyamuni durant les cinq périodes de sa vie. Les avertissements qu'ils contiennent sont d'une extrême gravité. Qui pourrait ne pas en tenir compte  ? Et pourtant, ceux qui oublient la voie correcte et calomnient le Dharma accordent leur croyance au Senchaku Shu de Honen et s'enfoncent de plus en plus dans l'aveuglement et l'ignorance. Ainsi, les uns, par dévotion à leur maître défunt, le représentent par des sculptures ou des tableaux ; les autres, accordant foi à ses enseignements mensongers, gravent des morceaux de bois pour imprimer ses propos aberrants. Ils répandent ces images et ces écrits sur tout le territoire à l'intérieur des mers, les emportant par-delà les villes jusque dans les campagnes, si bien que, lorsque l'on prie, c'est partout selon les rites de cette école et, si l'on fait des offrandes, c'est uniquement à ses moines.

(§79) Il en résulte qu'on voit des gens briser les doigts des statues de Shakyamuni pour les remodeler selon le geste (mudra) attribué à Amida, ou rénover des temples à l'origine consacrés à Yakushi*, et y placer des statues d'Amida, seigneur de la Terre de l'Ouest. Ou bien, on interrompt la pratique qui consiste à retranscrire le Sutra du Lotus, pratique qui se poursuit depuis plus de quatre cents ans au Mont Hiei, et on la remplace par la transcription des trois sutras de la Terre pure ; ou encore les conférences annuelles daishiko sur le Grand-maître Zhiyi* sont remplacées par des conférences sur les enseignements de Shandao. En fait, les opposants au Dharma et leurs complices sont si nombreux qu'on ne peut les compter. Ne sont-ils pas des destructeurs du Bouddha   ? Ne sont-ils pas des destructeurs du Dharma  ? Ne sont-ils pas des destructeurs du Sangha  ? Et tous leurs enseignements hérétiques découlent du Senchaku Shu  !

(§80) Hélas  ! Comme il est déplorable de voir tant de gens se détourner des avertissements clairvoyants du Bouddha  ! Qu'il est pitoyable de les voir prendre en considération les mots simplistes et trompeurs de ce moine ignorant  ! Si nous désirons apporter sans plus attendre ordre et sérénité au monde, nous devons immédiatement mettre fin à ces oppositions au Dharma qui emplissent le pays  ! "

(§81) Le visiteur dit  : "Si nous devons en terminer avec ceux qui s'opposent au Dharma et nous débarrasser de ceux qui violent les interdits du Bouddha, alors, devons-nous les condamner à mort comme cela est dit dans les passages des sutras que vous venez de citer  ? Et si nous le faisons, ne nous rendrons-nous pas nous-mêmes coupables de meurtre, et n'en subirons-nous pas les conséquences ?

(§82) Dans le Sutra Daijuku, le Bouddha dit : "Si une personne se rase la tête et revêt la robe de moine, alors les divinités aussi bien que les hommes doivent lui faire des offrandes, qu'elle observe ou transgresse les préceptes. Car, ainsi, c'est à moi qu'ils font des offrandes puisque cette personne est mon enfant. Mais si on la frappe et la maltraite, c'est mon enfant que l'on frappe, et si on la maudit et l'insulte, c'est moi que l'on rabaisse."

(§83) Par conséquent, nous devons savoir que tout religieux qu'il soit bon ou mauvais, qu'il ait raison ou tort, qu'il soit supérieur ou simple moine, est digne de recevoir offrandes et nourriture. Car, comment pourrait-on frapper et insulter l'enfant sans causer peine et douleur au père  ? Les brahmanes qui ont tué Maudgalyayana, le disciple du Bouddha, à coups de bâtons, sont tombés pour longtemps au fond de l'enfer avici. Pour avoir tué la nonne Utpalavarna, Devadatta suffoqua interminablement dans les flammes de l'enfer avici. Ces exemples du passé sont parfaitement clairs, et, aux époques qui suivent, c'est l'offense qu'il faut redouter plus que tout. Vous parlez de punir ceux qui s'opposent au Dharma. Une telle action transgresserait les interdits du Bouddha. J'ai peine à croire que cela soit correct, comment peut-on le justifier  ? "

(§84) L'hôte répondit  : "Même en voyant clairement les passages des sutras que j'ai cités, vous posez une telle question  ! Est-ce au-delà de ce que votre esprit peut comprendre  ? Ou est-ce leur logique qui vous échappe  ? Je n'ai certainement pas l'intention de supprimer les enfants du Bouddha. La seule chose que je réprouve, c'est l'offense au Dharma. Dans les enseignements des bouddhas précédant Shakyamuni, les moines qui s'opposaient au Dharma étaient passibles de mort. Mais, selon les sutras exposés depuis sa venue, il suffit d'empêcher que des moines de ce genre reçoivent des offrandes. Si, aujourd'hui, l'ensemble des Quatre sortes de croyants à l'intérieur des quatre mers et des dix mille pays cessait simplement de faire des offrandes aux mauvais moines pour, au contraire, se consacrer à ce qui est correct, comment de nouveaux fléaux pourraient-ils survenir et comment pourrions-nous être confrontés à des désastres  ? "

(§85) En entendant cela, le visiteur s'écarta de sa natte dans un geste de respect, puis, rajustant le col de son vêtement, dit  : "Les enseignements bouddhiques sont très variés et il est difficile d'approfondir pleinement chaque doctrine. J'ai rencontré bien des doutes et je me suis trouvé incapable de distinguer le vrai du faux. Néanmoins, l'ouvrage du vénérable Honen, le Senchaku Shu, existe bien. Et il rassemble tous les divers bouddhas, sutras, bodhisattvas et divinités bouddhiques, en disant qu'il faut "rejeter, refermer, ignorer et abandonner" tout cela. Le sens de ce texte est parfaitement clair. Il en a résulté que les sages ont quitté le pays et que les divinités bienveillantes ont abandonné leur demeure, que la famine dévaste le monde et que les épidémies se répandent partout. Maintenant, en citant des passages tirés de très nombreux sutras, vous avez clairement démontré ce qui est juste et ce qui est faux. Par conséquent, j'abandonne totalement mes conceptions erronées. Point par point, vous m'avez ouvert les oreilles et les yeux.

(§86) Il ne fait aucun doute que tous les hommes, du souverain aux personnes ordinaires, apprécient et désirent la stabilité du pays et la paix dans le monde. Si nous pouvons rapidement empêcher que l'on fasse des offrandes à ces icchantika et assurer au contraire à l’ensemble des moines et des nonnes authentiques un soutien permanent, si nous pouvons apaiser ces vagues blanches (note) qui troublent l'océan du Bouddha (note) et déraciner la verdure sauvage [hommes sauvages] qui envahit la montagne du Dharma (note), alors le monde pourra redevenir aussi paisible qu'aux âges d'or de Fu Xi et Shennong, et le pays sera prospère comme au temps des sages souverains Yao et Shun. Ensuite, il sera temps de sonder les eaux du Dharma pour distinguer les doctrines superficielles des doctrines profondes, et honorer ceux qui sont les piliers et les poutres soutenant la maison du Bouddha."

(§87) L'hôte s'exclama, ravi  : "Comme le dit le proverbe, la colombe s'est changée en faucon, le moineau en palourde  ! Quelle joie  ! En restant près de moi, vous vous êtes transformé et, comme la serpentaire poussant dans un champ de chanvre, vous avez appris à vous tenir droit  ! Si vous voulez vraiment considérer les désastres que j'ai décrits et avoir pleinement foi en mes paroles, alors les vents souffleront avec douceur, les vagues s'apaiseront, et, très rapidement, les récoltes deviendront abondantes.

(§88) Mais le coeur d'une personne peut changer avec le temps, et la nature d'une chose peut être modifiée par son environnement. Comme le reflet de la lune dans l'eau s'agite avec les vagues ou comme les soldats des premières lignes ont peur des sabres de l'ennemi, vous aussi, même si, pour l'instant, vous êtes convaincus par mes propos, vous pourriez, je le crains, les oublier plus tard complètement.

(§89) A l'heure actuelle, si nous voulons avant tout apporter la sécurité au pays et prier pour notre bonheur, en cette vie et dans nos vies futures, nous devons sans attendre réfléchir à la situation et prendre immédiatement des mesures pour y remédier.

(§90) Pourquoi est-ce que je parle ainsi  ? Parce que, des sept sortes de désastres décrits dans le passage du Sutra Yakushi que j'ai cité plus tôt, cinq se sont déjà produits. Seuls deux d'entre eux doivent encore apparaître, le "désastre de l'invasion étrangère" et le "désastre de la guerre civile". Et des trois calamités mentionnées dans le passage du Sutra Daijuku, deux sont déjà apparues. Il n'en reste plus qu'une, la "calamité de la guerre".

(§91) Les différentes sortes de désastres et de calamités énumérées dans le Sutra Konkomyo* se sont produites l'une après l'autre. Seule la calamité de "l'invasion et le saccage du pays par des brigands et pillards étrangers" doit encore se concrétiser. C'est le seul fléau qui ne se soit pas encore manifesté. Et des sept désastres énumérés dans le Sutra Ninno*, six nous frappent maintenant de plein fouet. Seul l'un d'eux n'est pas encore apparu, le désastre qui prend la forme "des ennemis venus des quatre coins et envahissant le pays".

(§92) De plus, comme il est dit dans le Sutra Ninno*, "Quand un pays connaît des désordres, ce sont d'abord les esprits maléfiques qui montrent des signes d'agitation. Parce que les esprits maléfiques s'agitent, tous les hommes sombrent dans la discorde."

(§93) En examinant attentivement la situation présente à la lumière de ce passage, nous constatons que les divers esprits maléfiques se déchaînent depuis quelque temps, et que bien des gens ont péri. Si le premier désastre prédit dans le sutra s'est déjà produit, et il est évident que c'est le cas, comment pouvons-nous douter de la venue des autres désastres  ? Si, en rétribution des doctrines mauvaises actuellement respectées, les désastres qui ne sont pas encore apparus nous accablent l'un après l'autre, ne sera-t-il pas trop tard pour réagir ?

(§94) Les empereurs et les rois s'appuient sur l'Etat et apportent la paix et l'ordre à leur époque ; les ministres et les gens du peuple exploitent leurs terres et leurs jardins et subviennent aux besoins du monde. Mais, si des brigands venus de l'étranger envahissent le pays, ou si une guerre civile éclate et que les gens voient leurs terres confisquées et pillées, que pourrait-il y avoir d'autre que terreur et confusion  ? Si le pays est détruit et que les familles sont anéanties, où pourra-t-on alors s'enfuir pour trouver refuge  ? Si vous vous préoccupez, si peu que ce soit, de votre sécurité personnelle, ne devriez-vous pas tout d'abord prier pour l'ordre et la paix aux quatre coins du pays ?

(§95) Il me semble que les hommes, en ce monde, s'interrogent tous avec frayeur sur leur sort dans la vie prochaine. C'est pourquoi certains placent leur foi dans des enseignements erronés, ou honorent ceux qui s'opposent au Dharma. Il m'est insupportable de les voir confondre ainsi le juste et le faux, et je regrette que, tout en ayant rencontré le bouddhisme, ils aient choisi la mauvaise voie. Avec le pouvoir de la foi qui se trouve en leur coeur, pourquoi faut-il qu'ils accordent vainement leur confiance à des doctrines erronées  ?

(§96) S'ils ne se défont pas des illusions auxquelles ils s'accrochent mais continuent à entretenir des idées fausses, alors ils quitteront rapidement le monde des vivants pour tomber dans l'enfer avici.

(§97) Ainsi, il est dit dans le Sutra Daijuku  : "Même si le souverain d'un État a pratiqué le don d'offrandes pendant d'innombrables existences passées, en observant les préceptes et en obéissant aux principes de la sagesse, s'il voit ma Loi, le Dharma du Bouddha menacé de périr et reste passif, sans rien faire pour la protéger, l'accumulation inestimable de toutes les bonnes causes créées par ses pratiques passées sera entièrement effacée. (...) Peu après, le souverain tombera gravement malade, perdra la vie et renaîtra dans l'un des enfers majeurs. (...) Le même destin frappera l'épouse du souverain, son héritier, les hauts dignitaires de l'Etat, les seigneurs des villes, les chefs des villages et les généraux, les administrateurs des provinces, ainsi que les officiels du gouvernement."

(§98) Le Sutra Ninno* stipule  : "Si un homme détruit les enseignements du Bouddha, aucun de ses enfants ne sera loyal envers lui, il sera en désaccord avec ses proches parents et ne sera pas protégé par les divinités célestes. La maladie et les esprits maléfiques viendront le tourmenter jour après jour, des désastres s'abattront sans cesse sur lui, et le malheur le suivra où qu'il aille. A sa mort, il tombera dans l'enfer, l'avidité ou l'animalité. Même s'il renaît en tant qu'être humain, il sera un esclave-soldat. La rétribution suivra, comme l'écho suit le son ou comme l'ombre suit la forme. Une personne écrivant la nuit peut toujours éteindre la lampe, les mots qu'elle a écrits demeurent. Il en est de même de la destinée que nous nous créons nous-mêmes dans le monde des trois plans."

(§99) On peut lire dans le second volume du Sutra du Lotus  : "Celui qui refuse d'avoir foi en ce Sutra et au contraire, s'y oppose (...) après sa mort tombera dans l'enfer avici." Et dans le septième volume, au chapitre Fukyo* (XX), il est dit  : "Pendant mille kalpas, dans l’enfer des souffrances incessantes, ils endurèrent des tourments effroyables."

(§100) On lit dans le Sutra du Nirvana : "Si quelqu'un s'écarte des bons amis, refuse d'écouter le Dharma correct et se consacre aux enseignements erronés, sa rétribution sera de tomber dans l'enfer avici où il connaîtra d'indescriptibles tourments."

(§101) Quand nous examinons cette grande diversité de sutra, nous remarquons qu'ils mettent tous l'accent sur la gravité de l’offense au Dharma. Comme il est regrettable que tous les hommes s'éloignent ainsi de la porte du Dharma correct pour s'enfoncer si profondément dans la prison de ces dogmes malfaisants  ! Comme il serait stupide qu'ils tombent, l'un après l'autre, dans les traquenards de ces doctrines mauvaises et restent si longtemps prisonniers des filets de ces enseignements erronés  ! Ils perdent leur chemin dans ces brumes épaisses et sombrent au beau milieu des flammes furieuses de l'enfer. Quel chagrin doivent-ils éprouver  ! Comme ils doivent souffrir !

(§102) Voilà pourquoi vous devez vous hâter de réformer vos croyances et adhérer au Véhicule suprême, l'unique bonne doctrine [du Sutra du Lotus]. Si vous agissez ainsi, le monde des trois plans se changera tout entier en Terre de Bouddha, et comment une Terre de Bouddha pourrait-elle jamais connaître le déclin  ? Toutes les régions des dix directions deviendront des Terres aux trésors, et comment une Terre aux trésors pourrait-elle jamais connaître la ruine  ? Lorsque vous vivez dans un pays qui ne connaît ni déclin, ni ruine, votre corps trouve la paix et la sécurité et votre esprit est calme et paisible. Il faut croire ces paroles, et les respecter profondément ! "

(§103) Le visiteur dit  : "Puisque cela concerne à la fois cette vie et celles à venir, qui pourrait se dispenser d'être prudent en la matière  ? Qui pourrait se permettre de ne pas tenir compte de ce que vous dites  ? Maintenant, en examinant les passages des sutras que vous avez cités, et en voyant exactement les mots du Bouddha, je comprends que l'opposition au Dharma est en vérité une offense très grave, et que dénigrer le Dharma est bien une faute terrible. J'ai accordé toute ma foi au seul bouddha Amida, rejetant tous les autres. J'ai révéré les trois sutras de la Terre pure et ignoré les autres sutras. Mais ce n'était pas dû à des idées déformées par ma propre interprétation. Je ne faisais que suivre les propos d'hommes éminents du passé. C'est également vrai pour tous ceux qui, dans les dix directions, suivent les enseignements de la Terre pure. Mais je comprends maintenant qu'une telle attitude revient à s'épuiser en efforts inutiles dans cette vie et à tomber dans l'enfer avici dans la prochaine.

(§104) Les sutras que vous avez cités sont parfaitement clairs sur ce point et ne laissent pas la moindre place au doute. Grâce à la bienveillance avec laquelle vous m'avez instruit, peu à peu, l'obscurité se dissipe de mon esprit. Attaquons-nous vite à ces oppositions au Dharma et apportons sans retard la paix au monde, nous assurant ainsi conditions paisibles en cette vie-ci et bonne fortune dans la vie future. Mais il ne suffit pas que moi seul aie foi en vos propos, il faut également corriger les autres de leurs erreurs  ! "

Lire également les goshos d'accompagnement ou préparatoires

Genèse du Rissho Ankoku Ron
Postface du Rissho Ankoku Ron
Yadoya nyudo Sai-gojo

ainsi que les analyses de Terasawa Junsei
et de Ryuei Michael McCormick : Le confucianisme et l'enseignement de Nichiren

ARRIÈRE-PLAN - Le 28 avril 1253, Nichiren Daishonin fonda une nouvelle pratique bouddhique en récitant Namu Myoho Renge Kyo pour la première fois publiquement, et, en août, il se rendit à Kamakura, à l'époque capitale du Japon, pour commencer la propagation. Les documents officiels indiquent que dans la période qui suivit, le nom des ères changea très fréquemment. L'année 1253 se trouvait dans l'ère Kancho. Trois ans plus tard, en 1256, on entra dans l'ère Kogen, et l'année suivante, dans l'ère Shoka. Puis, deux ans plus tard, en 1259, ce fut l'ère Shogen, l'année suivante l'ère Bunno, et un an plus tard, l'ère Kosho. Rien qu'en l'espace de cinq ans, de 1256 à 1261, le nom de l'ère ne changea pas moins de cinq fois. De tels changements n'avaient lieu généralement qu'en deux sortes d'occasions : l'accession au pouvoir d'un nouvel empereur ou l'apparition fréquente de désastres ou d'autres événements de mauvais augure. Les changements, au milieu du XIIIe siècle furent de cette nature.
Même si les désastres naturels étaient fréquents dans les dernières années de la période Heian (794-1185), l'année 1256 et les années qui suivirent furent marquées par des tremblements de terre, des orages, des épidémies, des sécheresses, des incendies et des périodes de froid d'une gravité inhabituelle. Par exemple, le 6 août 1256, à Kamakura, une pluie torrentielle causa des inondations et des glissements de terrain, causant de nombreuses morts et dévastant les cultures. En septembre, une épidémie ôta la vie au shogun, au régent et à d'autres hauts dignitaires.
L'année suivante, au milieu de la nuit du 18 mai, se produisit un fort tremblement de terre, suivi d'un autre, plus fort encore, le 1er août. La sécheresse sévit de juin à juillet. Le plus effrayant de tout fut un tremblement de terre d'une amplitude sans précédent qui eut lieu vers 8 heures du soir, le 23 août. Il y eut des glissements de terrain, des maisons détruites, des crevasses béantes dans le sol et des incendies se déclarèrent. Un grand nombre de gens périrent. Des secousses continuèrent à ébranler la ville pendant le reste de l'année.
L'année 1259 ne vit pas faiblir les calamités naturelles. En janvier, un incendie réduisit en cendres le temple Jufuku-ji et le sanctuaire d'Hachiman à Tsurugaoka. Une pluie diluvienne, qui anéantit les récoltes en août, fut cause de disette. Epidémies et famines dévastèrent la ville, et les rues étaient jonchées de cadavres. Les habitants perdirent tout espoir et le gouvernement se révéla impuissant. Dans une vaine tentative pour échapper à la misère, le peuple se tourna vers les moines des écoles bouddhiques dominantes. Ce qui se révéla également inutile.
Quand Nichiren Daishonin vit la population affligée d'une telle souffrance, il se résolut à clarifier la cause de ces malheurs et la manière de les résoudre à la lumière du Dharma bouddhique. Il se rendit au temple Jisso-ji, à Iwamoto, dans la province de Suruga, où il séjourna du début de l'année 1258 au milieu de l'année 1260. En sa qualité de temple principal de l'école Tendai pour l'est du Japon, le Jisso-ji abritait bon nombre de sutra importants dans sa bibliothèque. Nichiren Daishonin se plongea dans la lecture de tous ces sutras.
Par conséquent, il lui fut possible de trouver précisément des passages qui clarifiaient la cause fondamentale des calamités et les raisons de l'inefficacité des prières jusqu'alors offertes. Il décida d'adresser des remontrances aux responsables du gouvernement, et dans cet esprit écrivit le Rissho Ankoku Ron (Traité pour la pacification du pays par l'établissement du Dharma correct).
Le 16 juillet 1260, Nichiren Daishonin soumit ce document à Hojo Tokiyori, à l'époque régent retiré qui demeurait cependant le membre le plus influent de tout le clan Hojo, par l'intermédiaire du majordome de Tokiyori, Yadoya Mitsunori. Dans ce document, en s'appuyant sur les sutras Ninno, Yakushi, Daijuku et Konkomyo, il affirma que la cause fondamentale des trois calamités et des sept désastres était le refus de croire
dans le Dharma correct et la foi en des enseignements qui s'opposent aux véritables intentions du Bouddha. Autrement dit, les philosophies erronées poussent les hommes à agir d'une manière qui va à l'encontre de la loi fondamentale ou de l'harmonie de l'univers, créant ainsi la souffrance. En particulier, Nichiren Daishonin considérait le Nembutsu de Honen, enseignement tourné vers l'autre monde, comme l'un des principaux facteurs de l'apathie du peuple et de l'affaiblissement du pays. Il déclara que la croyance dans le Dharma correct était la base pour établir la paix dans un pays. En s'appuyant sur sa compréhension des sutras, il avertit que si les responsables du gouvernement ne s'éveillaient pas à ce principe, deux grands désastres se produiraient, à savoir, la guerre civile et l'invasion étrangère, plongeant le peuple dans une grande misère. Tel est le message essentiel du Rissho Ankoku Ron.
Les conflits civils et les invasions étrangères sont deux formes de guerre. L'intention profonde de Nichiren Daishonin n'était pas seulement de protéger son propre pays d'une invasion étrangère, mais de détruire les racines mêmes de la misère qu'entraînent toutes les formes de la guerre, qu'elle soit civile ou internationale. Autrement dit, il voyait la paix du pays comme la condition première sans laquelle il ne pouvait y avoir de bonheur individuel. C'est très clairement le sens de la conclusion du Rissho Ankoku Ron.
Rédigé en chinois classique, dans la langue des lettrés, ce document reste aujourd'hui encore l'un des ouvrages les plus représentatifs et les plus connus de Nichiren Daishonin. Ceux qui lui sont hostiles le citent pour insinuer qu'il était un dangereux fanatique ; d'autres y voient au contraire le courage avec lequel il exprima ses convictions en s'efforçant de sauver les hommes de la souffrance.
Hojo Tokiyori ne répondit rien, mais ce traité ne resta pas sans réponse. Le Rissho Ankoku Ron exaspéra ceux qui, dans le gouvernement et les cercles religieux, en prirent connaissance. Poussé par ses maîtres, un groupe de croyants du Nembutsu se rendit à l'ermitage de Nichiren Daishonin à Matsubagayatsu le soir du 27 août, dans l'intention de le réduire définitivement au silence. Nichiren Daishonin parvint à sauver sa vie, mais entra dès lors dans une période de sa vie où il fut constamment confronté au danger et aux persécutions.
Ce traité prend la forme d'un dialogue entre un hôte et un voyageur qui s'arrête chez lui. L'hôte symbolise naturellement Nichiren Daishonin, tandis que le visiteur représente la personne qu'il veut convaincre, Hojo Tokiyori. [...] Pour quelles raisons, dans le Rissho Ankoku Ron, Nichiren Daishonin attaque-t-il l'enseignement Jodo (ou de la Terre pure), l'accusant en particulier d'être la cause fondamentale de tous les malheurs  ? L'école de la Terre pure fut fondée au Japon par Honen (1133-1212) qui préconisa une pratique exclusive consistant à réciter le nom du bouddha Amida afin de renaître dans la Terre pure après la mort. A l'époque où vécut Nichiren Daishonin l'enseignement de la Terre pure s'était répandu rapidement dans tout le pays.
Deux raisons majeures expliquent cette popularité. L'une était l'évidente décadence des écoles bouddhiques établies. Par exemple, même si l'école Tendai tenait une place centrale dans le monde religieux, elle avait incorporé dans ses enseignements les doctrines de l'école ésotérique Shingon et déviait de l'enseignement du Sutra du Lotus sur lequel elle était originellement fondée. Le patriarche de cette école en était venu à exercer une grande influence politique, et les rivalités pour occuper cette position étaient de plus en plus grandes. Pis encore, les grands temples tels que Enryaku-ji, Kofuku-ji et Todai ji entretenaient des groupes de moines armés afin de protéger leur territoire. Ces armées des temples tentaient souvent de régler les conflits par la force. Les gens souffraient de cette dégradation des écoles établies et étaient spirituellement prêts pour une nouvelle religion.
L'autre raison était le pessimisme général engendré par une croyance traditionnelle, la conviction que, à l'époque des Derniers Jours du Dharma, le bouddhisme perdrait sa capacité à sauver les hommes et que le mal prévaudrait. Cette impression désolante devint de plus en plus fréquente. Selon les lettrés de l'époque, l'année 1052 marquait le commencement des Derniers Jours du Dharma, et une série de désastres et de conflits semblèrent concrétiser le caractère catastrophique attribué à cette époque. Devant cette succession de malheurs, les gens avaient le sentiment que leurs efforts étaient inutiles et, désespérant du bonheur en cette vie, n'aspiraient plus qu'à l'atteindre dans la vie suivante. Il se trouva même des adeptes de l'enseignement de la Terre pure qui allèrent jusqu'au suicide, par dégoût pour la vie et par désir de renaître sur la Terre pure. Nichiren Daishonin critiqua sévèrement cet enseignement de la Terre pure, lui reprochant de saper toute velléité de réagir chez les hommes et de les distraire de la réalité de cette vie-ci par des promesses non vérifiables de béatitude après la mort.
Parce qu'il définit de manière précise le lien entre les croyances religieuses des hommes et la possibilité de réaliser une société en paix, le Rissho Ankoku Ron occupe une place particulière dans les écrits de Nichiren Daishonin. Il est intéressant de noter que ce document fut adressé à Hojo Tokiyori, en ce temps l'homme le plus puissant du pays. Nichiren Daishonin vivait à une époque marquée par un gouvernement autoritaire, et les rênes du pouvoir étaient tenues par un seul homme. En 1260, bien qu'ayant officiellement quitté la position de régent, Hojo Tokiyori était la personne qui exerçait le plus grand pouvoir. Nichiren Daishonin sentit probablement, et avec raison, qu'ouvrir les yeux de cette personne en particulier pourrait contribuer à réformer l'ensemble de la société.
Un autre point important de ce texte est l'affirmation que les Trois Calamités et les Sept Désastres sont provoqués par des aspects négatifs de la vie humaine elle-même. Le changement intérieur des individus peut par conséquent conduire à la résolution des problèmes de l'environnement de la société. Cela découle du principe bouddhique de l'inséparabilité de la vie et de son environnement. Fondé sur ce principe, le Rissho Ankoku Ron explique que la réforme individuelle amènera une transformation de l'environnement, et que cette réforme individuelle est rendue possible par la pratique du bouddhisme orthodoxe. (Commentaire ACEP)

En anglais : Establishment of the Legitimate Teaching for the Protection of the Country ou On Establishing the Correct Teaching for the Peace of the Land (WND)

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=6&m=1&q=Establishing%20the%20Correct%20Teaching
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_RisshoAnkokuRon.htm

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