LE CONFUCIANISME ET Ryuei Michael McCormick, 2004 |
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I. LES FONDATEURS DE LA DOCTRINE CONFUCEENNE Il n’est pas exagéré de dire que la vision du monde et les valeurs que l’on trouve en Chine, en Corée, au Vietnam et au Japon ont été formées, ou du moins clairement articulées, par Confucius. Le confucianisme fut le contexte culturel de base auquel le bouddhisme d’Asie orientale fut confronté et dans lequel il eut à se développer. Depuis le tout début du bouddhisme en Asie orientale jusqu’à nos jours, les bouddhistes d’Asie orientale ont accepté, s'en sont accommodés ou, du moins, ont essayé de prendre en compte plusieurs autres principes ou doctrines, même quand ils se consacraient à l’étude et à la pratique du Dharma. Pour comprendre Nichiren, ses valeurs et sa vision du monde, on doit comprendre comment le confucianisme et le bouddhisme se transformèrent mutuellement en Asie orientale. Un rappel des aspects du confucianisme qui permettent d’éclairer les enseignements de Nichiren est ici nécessaire. Confucius
(551-479 av. notre ère). Le nom Confucius est la forme latinisée, donnée par les jésuites, du nom chinois Kong [孔子] complété par zi. En effet, 子 veut dire fils, c’est pourquoi les jésuites ont rajouté fu 夫 (car fu zi veut dire maître) et que les chinois eux-mêmes jouaient sur l’appellation Kong fu zi. Il est né en 551 avant notre ère, dans l’actuelle province du Shandong, à l’époque du déclin de la dynastie Zhou . Il appartenait à une famille de petite noblesse appauvrie. C’était le fils d’un aristocrate. Jeune homme, il occupait des fonctions de responsable subalterne avant de devenir magistrat chargé de la justice. Il quitta plus tard ce poste afin de voyager à travers toute la Chine en qualité de maître itinérant. A cette époque, la Chine n’était qu’un ensemble disparate de royaumes féodaux, dont l’allégeance à la dynastie Zhou était, au mieux, nominale. Les ambitions opposées de nombreux seigneurs féodaux et de ministres intrigants conduisaient à nombre de guerres et de bouleversements sociaux. Kongzi espérait qu’on lui donnerait l’occasion de mettre en œuvre ses idées sur un gouvernement modèle, mais aucun des dirigeants des différents pouvoirs chinois n’était intéressé par ses réformes. Il dut se contenter d’étudier les classiques déjà anciens de la littérature chinoise en matière de poésie, d’histoire et de rituels et d’enseigner à ses nombreux disciples afin que sa vision d’une société harmonieuse puisse être transmise et, un jour, réalisée. Kongzi ne prétendait pas enseigner quelque chose d’original. En réalité, il insistait sur le fait qu’il essayait de transmettre l’héritage des "Rois Sages", rois civilisateurs, idéalisés, de l’âge d’or légendaire du passé chinois. Ces Rois Sages étaient les Trois Augustes et les Cinq Empereurs. Les Trois Augustes étaient les chefs tribaux légendaires, élevés au rang de héros civilisateurs. Il s’agissait de : Fuxi [伏羲] (~ -2852), à qui l’on prêtait l’invention de la cuisine, de la chasse et de la domestication des animaux, tandis que sa soeur-épouse Nuwa [女媧] aurait "découvert" l’institution du mariage et de la famille ; Shennong [神農] (~ - 2737), qui était crédité de l’invention de la charrue et de l’agriculture, de la consommation du thé et de la médecine par les plantes ; enfin, Huandi (-2698/-2597) "l'Empereur Jaune" [黄帝], qui aurait inventé la poterie, les charrettes et les bateaux, tandis que son épouse aurait découvert comment récolter et filer la soie. On attribuait même à un membre de la cour de l’"Empereur Jaune" l’invention des idéogrammes chinois. L’"Empereur Jaune" créa aussi la première armée du pays, avec laquelle il conquit les terres fertiles situées autour du Fleuve Jaune [Huang He, 黃河]. Les Cinq Empereurs légendaires lui succédèrent : Shanhao, Zhuanxu, Dihung,Yao (-2356/- 2247) et Shun (-2255/-2205). Les deux derniers étaient particulièrement révérés comme des dirigeants idéaux qui avaient institué plusieurs des rites dont Kongzi croyait qu’ils étaient au cœur de la vie civilisée. Les Trois Augustes furent les fondateurs des trois premières dynasties qui ont gouverné la Chine : la dynastie Xia, 夏 (~ -2200 à -1700), la dynastie Shang 商 ou Yin,* (~ -1751 à -1112), la dynastie Zhou 商 (Zhou d'Ouest de -1100 à -771 et Zhou d'Est de -770 à - 256). Kongzi croyait que ces "Rois Sages" avaient laissé derrière eux le modèle d’une civilisation idéale dans des textes que Kongzi désignait comme les "Six Classiques". Ces Six Classiques étaient : Le Livre des Mutations ou Classique des mutations [Yi King ou Yìjing, 易經]. C’est un ouvrage de divination comportant des niveaux différents de commentaires, centré sur 64 hexagrammes. Ces hexagrammes sont composés de traits brisés et continus (ou pleins), considérés comme des représentations impermanentes dans un état de transformation constamment dynamique qui fait passer d’une forme à une autre. Ces hexagrammes et leurs composantes représentent les différentes forces du cosmos dont les Chinois croyaient qu’elles avaient fait le monde tel qu’il est, notamment l’élément réceptif et nourrissant connu comme le Yin et l’élément créatif connu comme le Yang, qui sont représentés respectivement par les lignes brisées et continues. La forme ancienne de divination utilisait le jet de tiges d’achillée afin de découvrir quel hexagramme, avec ses transformations, s’appliquait à une situation donnée. Chaque hexagramme, avec ses transformations évolutives*, devait révéler les dynamiques sous-jacentes de la situation et fournir le conseil approprié. On attribue à l’ancien "Roi Sage" Fuxi la création des huit trigrammes qui composent les hexagrammes du Livre des Mutations. C’est ensuite le Roi Wen, 文 (-1134 à -1115) que l’on crédite d’avoir combiné les trigrammes pour en faire des hexagrammes. Les différents commentaires qui composent le Livre des Mutations, et qui s’appliquent à chacune de ces combinaisons, sont attribués à Fuxi, au Roi Wen, au Duc de Zhou, qui fut un Régent exemplaire de la dynastie Zhou, et à Kongzi lui-même. Le Classique des vers [Shijing, 詩, 诗经], aussi connu sous les noms de Livre des Odes, ou Livre des Chants, est une collection de 305 poèmes datant du début de la dynastie Zhou jusqu’à ~ - 600. Ces poèmes décrivent les conditions idéales de la vie dans une société harmonieuse. Kongzi a résumé les enseignements contenus dans ces poèmes avec la sentence suivante : "Du droit chemin ne vous écartez pas". Le Classique des documents [Shujing 书经], ou Livre d’Histoire est une relation historique des dynasties Xia, Shang, et Zhou. Il contient les conversations entre différents rois et leurs ministres, et il est, pour cette raison, considéré comme une réserve de conseils sur la bonne gouvernance, la moralité, l’éthique et la religion. Le Livre des Rites [Liji, 禮記, 礼记] est une collection d’écrits qui, selon la tradition, décrivent les rituels et cérémonies anciens pratiqués par les fondateurs de la dynastie Zhou, tels qu’ils ont été rassemblés et interprétés par Kongzi et ses disciples. Ces écrits traitent des questions de bienséance dans tous les domaines, depuis les sacrifices publics au Ciel et aux ancêtres jusqu’à la manière correcte de se conduire dans toutes les circonstances de la vie quotidienne. Les Annales des Printemps et des Automnes [Chunqiu, 春秋 ou Linjing, 麟经] sont les registres de la cour de l’Etat de Lu, 魯(- 722 à -481). Ces registres ont fourni à Confucius un modèle de vertu et de bon gouvernement pouvant servir de référence à la conduite de chacun. On rapporte même que Kongzi aurait dit : "Ceux qui me comprennent le feront grâce aux Annales des Printemps et des Automnes. Ceux qui me condamnent le feront également à cause des Annales des Printemps et des Automnes." Le Classique de la musique [Yuejing, 樂, 乐经] a été perdu pendant la persécution du confucianisme et la destruction par le feu de la littérature confucéenne par la brève, mais brutale dynastie Qin, 秦 (- 221 à -206). Kongzi accordait de la valeur à la musique qui pouvait exalter l’esprit et le cœur et communiquer le goût pour une vie harmonieuse. Il considérait l’enseignement des rites de bienséance et la musique comme les piliers jumeaux de la culture et de la civilisation. Kongzi a dit un jour : "Soyez stimulés par les Odes, fondez votre attitude sur les rites et perfectionnez-vous par la musique". Avec ces "Six Classiques" comme base du programme d’études, Kongzi enseignait à ses disciples le Tao, ou Voie, que les êtres humains devaient suivre pour devenir authentiquement humains et apporter la paix et l’harmonie à leurs familles, à leur société et, en dernière instance, au monde. Les enseignements de Confucius se composaient de quatre sujets principaux : la culture, la bonne conduite, le fait d’agir de son mieux pour les autres, et la loyauté. Il disait à ses disciples que ses multiples enseignements étaient reliés entre eux par un fil principal : la bienveillance. Le concept confucéen de bienveillance incluait les valeurs de piété filiale, de générosité, le fait de traiter les autres comme soi-même et d’agir de son mieux à leur égard, et beaucoup d’autres vertus. Nombre d’enseignements et de propos de Confucius ont été conservés pour la postérité dans une compilation de discours appelée Lunyu [論語, 论语] que l’on traduit par Les Analectes ou Les Entretiens. Après la mort de Confucius, la tradition a continué à se développer et plusieurs ouvrages importants sont nés. L’un était le Livre de la Piété Filiale (Xiaojing 孝 經) de Zengzi, 曾 子, un des disciples les plus remarquables de Kongzi (-505 à -435). On considère aussi Zengzi comme le transmetteur de la Grande Etude [Daxue, 大學, 大学], une œuvre importante qui fut incorporée dans le Livre des Rites. Zengzi fut aussi le maître de Zisi [子思], petit-fils de Kongzi. On considère que c’est Zisi qui compila l'Invariable Milieu [Zhongyong, 中庸], qu'on pourrait traduire aussi par Voie médiane, qui fut aussi incorporé dans le Livre des Rites. Un des disciples de Zisi deviendra le maître de Mencius, le second grand Sage confucéen. La Grande Etude et l'Invariable Milieu prirent une grande importance avec l’essor du confucianisme. Ces deux ouvrages enseignent que le développement de soi est la clé d’une société harmonieuse. La Grande Etude met l’accent sur l’investigation des choses et l’extension de la connaissance comme base du développement personnel, qui, à son tour, mène à la paix dans la famille, puis dans l’Etat, et ultimement à la paix mondiale. L'Invariable Milieu, en particulier, enseigne le développement de l’intégrité personnelle et de l’harmonie dans sa propre conduite comme étant la Voie Moyenne entre des extrêmes excessifs au profit d’une intégration mystique avec le Ciel et la Terre, ou en d’autres termes, avec "tout ce qui existe". Mencius Mencius (-372 à -289), nom latinisé de Mengzi (孟子), fut le second grand Sage du confucianisme. Il vivait à l’époque des Royaumes Combattants (-475 à -221), quand la dynastie Zhou était purement nominale et où les princes des différents Etats rivalisaient à qui mieux mieux pour savoir qui deviendrait le fondateur d’une nouvelle dynastie. En dépit du chaos et des bains de sang, Mengzi croyait que, par le développement de soi en accord avec les enseignements confucéens, les gens pouvaient manifester et développer leur bonté innée et, par ce moyen, amener un empire pacifié et unifié, uni par la vertu morale plus que par la force des armes. Ses enseignements furent réunis dans un ouvrage simplement appelé le Livre de Mengzi. Deux passages du Livre de Mengzi doivent être soulignés car ils relatent deux thèmes très importants de la tradition confucéenne. Le premier passage évoque les "quatre commencements", qui sont les germes de bien innés que tous les gens possèdent : "Dans la mesure où ce qu’il y a d’authentique en lui est concerné, un homme est capable de devenir bon", dit Mencius. Quant à la manière dont il devient mauvais, ce n’est pas la faute de ses dons innés. Tous les hommes possèdent de façon égale le sentiment de compassion, et, de même, le sentiment de honte, le sentiment de respect et celui du discernement entre le bien et le mal. Le sentiment de compassion se rattache à la bienveillance, le sentiment de honte à la droiture, le sentiment de respect à la bienséance, et le sentiment de discernement entre le bien et le mal à la sagesse. Bienveillance, droiture, bienséance et sagesse ne me donnent pas un éclat venu de l’extérieur, elles sont en moi originellement"... (d’après Mencius : A Bilingual. Edition, p. 247). Dans le passage suivant, Mencius évoque le modèle idéal des relations humaines sous la forme des "cinq relations" exposées par le Sage Empereur Shun, 舜 : « … Si les hommes sont bien nourris, vêtus chaudement et logés confortablement, mais dépourvus d’éducation, ils deviendront presque comme des animaux. Le Sage (l’empereur Shun) se faisait du souci à ce sujet et il nomma Xie (Hsieh) [Xiang Shu ? ] pour être ministre de l’éducation et enseigner aux gens les relations humaines, à savoir qu’entre père et fils il devrait y avoir de l’affection, qu’entre souverain et ministre, il devrait y avoir de la droiture, entre mari et femme, il devrait être porté attention à leurs fonctions distinctes, entre vieux et jeunes, il devrait y avoir un ordre [de préséance] convenable, et entre amis, il devrait y avoir de la fidélité." (A Source Book in Chinese Philosophy, p. 69-70) Malheureusement, en dépit des efforts de Confucius et Mencius, et de leurs disciples, la force des armes l’emporta sur la vertu morale et l’impitoyable roi Ying Zheng de Qin devint Qin Shi Huangdi, 秦 始 皇, le premier empereur de l’impitoyable et totalitaire, mais providentiellement brève, dynastie Qin, 秦. Incidemment, le nom anglais [et européen] de "Chine" dérive du nom de cette dynastie, la première à unifier véritablement la Chine sous l’autorité impériale. La philosophie officielle de cette dynastie était le "Légalisme". Le "Légalisme" enseignait que l’humanité était foncièrement mauvaise et que le seul moyen d’unifier et de contrôler l’empire était de recourir à l’application concrète de lois strictes et rigoureuses. La dynastie Qin ne tolérait aucun rival idéologique du Légalisme et bannit toutes les autres écoles de pensée. Les Qin méprisaient particulièrement le confucianisme et firent de leur mieux pour l’éradiquer en brûlant les classiques confucéens ou en en exécutant ou bannissant les confucéens eux-mêmes. A la fin, les successeurs de vert tombèrent victimes de leurs propres arrogance et corruption, et cela ouvrit bientôt la voie à la fois à des révolutions paysannes et à la rébellion des seigneurs féodaux antérieurs. Dong zhong-shu (-179 à -64) Le confucianisme
connut une renaissance pendant la première dynastie Han,
漢 (-206 à + 87). Sous l’empereur Wu-di
(<-140/ -87>), le confucianisme devint l’orthodoxie d’Etat.
Une méritocratie sous l’autorité de l’empereur
fut établie, sur la base d’un concours d’entrée
dans la fonction publique qui évaluait les candidats sur leur connaissance
des Cinq Classiques (les six nommés ci-dessus, moins le Livre
de musique, perdu sous la dynastie Qin).
La "lumière" du confucianisme à cette époque
était Dong zhong-shu,
董 仲 舒 (-179 à -64). Les cinq vertus La première
et la plus importante des cinq vertus est la bienveillance (ren).
La bienveillance était le fil par excellence dont Confucius soutenait
avec insistance qu’il tenait ensemble tous ses enseignements. Bienveillance
signifie beaucoup plus qu’un sentiment général de
bonnes dispositions envers les autres. Confucius le considérait
comme un idéal de conduite admirable et inspirante, presque impossible
à atteindre. Il enseignait que la bienveillance était enracinée
dans l’amour et les respect que l’on espère que chacun
ressent à l’égard de ses parents et de ses aînés
et dans la bonté et la tolérance que chacun ressent idéalement
à l’égard de ses cadets et d’autres membres
de la famille. Les quatre autres vertus appuient la bienveillance et la complètent. La seconde vertu est la droiture (yi), la vertu qui consiste à savoir comment agir de façon appropriée en toute circonstance. La droiture consiste à avoir la maîtrise de soi pour résister à la tentation et la force d’âme d’accomplir son devoir. Prendre la défense de ce qui est juste implique aussi du courage. La droiture est surtout en rapport avec la préservation de sa propre intégrité. Mencius enseignait que le sentiment naturel de honte qu’éprouvent les gens quand ils commettent une mauvaise action est la forme naissante de la droiture. La vertu de bienséance (li) renvoie à la "bienséance rituelle". C’est la vertu selon laquelle on sait agir en accord avec les rites transmis depuis les temps anciens. Ces rites comprenaient les manières de cour, la façon correcte d’accomplir les cérémonies comme les sacrifices au Ciel ou aux ancêtres, les funérailles, les noces, et les autres occasions, ainsi que les questions d’étiquette dans des situations sociales variées. Les rites gouvernaient les relations sociales ainsi que les obligations mutuelles, les responsabilités et gestes attendus entre les gens. Ils établissaient la norme, mais aussi les limites, de sorte que les gens pouvaient agir d’une façon qui était mutuellement bénéfique et non abusive. Confucius considérait les rites comme une partie intégrante de la culture, en même temps que la musique. Les rites orientaient la bienveillance et la droiture dans des voies précises et concrètes et affinaient le caractère. Confucius n’était cependant pas rigide à leur sujet. Il reconnaissait que les rites avaient changé avec le temps, depuis la dynastie Xia jusqu’aux dynasties Shang et Zhou. Il préférait qu’on use des rites simplement et avec des expressions sincères, et il approuvait les changements dans cet esprit. Cependant, il était préoccupé quand on permettait aux normes de glisser ou quand ceux qui n’avaient pas qualité pour accomplir certains rites ou d’initier des changements se permettaient de le faire. C’était là un signe de décadence et de désintégration sociale. Par dessus tout, il semblait à Confucius que la bienséance rituelle était enracinée dans les sentiments humains naturels et les relations mutuellement bénéfiques, et que le but était l’harmonie, à la fois avec soi-même et entre les gens, et, de façon ultime, entre le Ciel et la Terre et l’humanité. Mencius enseignait que le désir naturel d’être courtois et modeste est la forme naissante de la bienséance. La sagesse (zhi) est principalement la vertu qui consiste à distinguer ce qui est juste de ce qui est mal. En un sens elle précède les autres car, sans sagesse, on n’aurait aucun sens de la morale, ou des qualités sociales, ou même, tout simplement, du sens commun évident que les autres vertus requièrent. La sagesse, cependant, n’est pas valorisée aussi haut que les autres vertus parce qu’on en parle parfois comme si elle ne s’appliquait qu’à ce qui est bon ou mauvais pour soi-même. En d’autres termes, celle-ci est la sagesse de l’intérêt personnel éclairé et non la conscience cosmique ou la connaissance ésotérique. Mencius enseignait que la capacité instinctive des gens de distinguer ce qui est juste de ce qui est mauvais est la forme naissante de la sagesse. La vertu finale est la loyauté ou fidélité (xin). Confucius a souvent fait l’éloge de cette vertu et il en parlait comme d’une vertu cardinale, avec celle qui consiste à faire de son mieux pour les autres. La loyauté ne signifie pas seulement être honnête et sincère, mais aussi être capable de mener sa vie en accord avec sa parole. La personne loyale est celle sur laquelle on peut compter en toutes choses. En une occasion, Confucius a affirmé que cette vertu était proche de la droiture. Dans une autre, il a déclaré qu’elle était le couronnement des autres. Un adepte du Tao, ou Voie, d’après le confucianisme, vise à devenir une personne noble (junzi, 君 子) capable de guider les autres en donnant l’"exemple de ces cinq vertus". Une personne noble est une personne raffinée et intègre, de celles qui sont impeccables dans leurs actes, équitables et justes dans leurs rapports avec les autres et, par dessus tout, remplies de bonté aimable. Confucius a confessé que, à son avis, il n’avait pas beaucoup progressé dans la voie de la personne noble. Encore au-dessus de la personne noble, il y a le sage, dont la vertu profite à tous et dont la conduite sert de modèle aux générations futures. La vertu et la sagesse du sage sont si grandes qu’elles sont unes avec le Ciel et la Terre. Incidemment, le titre de Shonin, qui est donné à Nichiren est la prononciation japonaise du mot chinois pour "sage". Le Mandat du Ciel Dans la vision politique du confucianisme, seuls les vertueux ont qualité pour recevoir le Mandat du Ciel. Le terme "Ciel" n’est pas facile à définir. A certains moments, il peut désigner la volonté collective des ancêtres et des Souverains Sages du passé qui ont accédé au statut de dieux, devenant une sorte de bureaucratie céleste sous l’autorité de l’Empereur suprême du Ciel. Dans d’autres cas, le Ciel peut indiquer les lois de la nature, ou bien le suprême, mais métaphysique, principe qui donne naissance à toute vie et à tous les modèles et relations qui maintiennent la vie. En tous cas, le Mandat du Ciel s’applique à une mission divine donnée à un homme noble assez digne pour servir en qualité de Fils du Ciel. Le Fils du Ciel gouverne la Chine (c’est-à-dire l’ensemble du monde civilisé selon les Chinois) en qualité d’empereur et, en agissant ainsi, il sert à unir le Ciel et la Terre en remplissant la volonté du Ciel dans ce monde, en gouvernant de façon bienveillante et en accomplissant les rituels et les sacrifices conformément à la bienséance. Toutefois, si les souverains ne remplissent pas leurs obligations et ne conservent pas leur vertu, le Mandat du Ciel peut être révoqué. Dans un tel cas, la dynastie corrompue sombrera dans l’anarchie et la révolution, et une nouvelle dynastie recevra le Mandat du Ciel à sa place, comme cela est arrivé quand les empereurs infâmes Jie Gui (-1818/-1767) et Zhou furent renversés respectivement par Cheng Tang (-1767/-1753) et le roi Wu. En relation avec cette idée selon laquelle le Ciel donnait mission de gouverner à des souverains en reconnaissance de la vertu ou révoquait de telles missions pour cause de malfaisance, Dong zhong-shu a aussi enseigné que les actions de l’humanité pouvaient affecter le monde naturel et réciproquement :
Dans le Rissho Ankoku Ron, Nichiren et les sutras bouddhistes partageaient ces conceptions. Nous en voyons ici la version confucéenne, mais, à vrai dire, cette conviction étaient commune parmi toutes les sociétés paysannes de la planète. Bien que nous ne partagions plus cette vision mythique des événements naturels, il reste vrai que l’avidité, la colère* et l’ignorance humaines peuvent mener à la guerre civile, aux guerres, à la pauvreté et la famine et peuvent même provoquer ou exacerber des désastres naturels par les dommages écologiques, ou le refus de faire les plans nécessaires pour se préparer à des événements naturels comme les tremblements de terre, les incendies de forêts, les inondations ou les ouragans. L’apparition d’excentricités annonce la chute de la civilisation, ou, du moins, de la dynastie dirigeante. Selon une histoire connue, lorsque les gens vivant le long du fleuve Yi commencèrent à abandonner les rituels et les manières de la cour Zhou, cela montrait que la cour impériale n’était plus respectée et que la Chine était à nouveau en train de se désagréger en un patchwork de tribus guerrières sans autorité centrale ni coutumes et traditions communes. Les Zhou avaient perdu le Mandat du Ciel parce que la dynastie ne représentait plus un pouvoir central bienveillant capable d’unir toute la Chine en agissant comme l’intermédiaire correct entre le Ciel et la Terre. Les confucéens prenaient aussi la philosophie et la conduite de Ruan Ji et des Sept Sages du Bois des Bambous, au troisième siècle de notre ère, comme un signe de décadence de la Maison de Si-ma, 司 馬. (Sur les Sept sages et la Maison de Si-ma, voir ci-dessous en III). Seul un souverain qui pouvait gouverner de façon bienveillante et maintenir les rites était capable de gagner le respect du peuple, établir une autorité centrale et unir la Chine. Seul un tel souverain pouvait recevoir et maintenir le Mandat du Ciel. L’observance des rites corrects était, par conséquent, considérée comme la responsabilité des souverains, et quand le peuple commençait à se détourner des rites corrects, des coutumes et des traditions, cela était alors perçu comme un signe que les souverains étaient en train de perdre le Mandat du Ciel et que, si l’on voulait éviter le désastre, il fallait une réforme ou un nouveau régime. On peut ne pas souscrire à l’idée selon laquelle un empereur divinement désigné est nécessaire pour maintenir la loi et l’ordre, et agir comme un intermédiaire avec Dieu ou le Ciel, mais ces idées ne nous sont, pas non plus, totalement étrangères. Le confucianisme concerne fondamentalement les valeurs familiales. De façon idéale, il y a, à l’intérieur d’une famille, des relations et des responsabilités clairement attribuées ainsi qu’un esprit sous-jacent d’amour et d’affection. Si la famille est l’unité de base de la société, alors les mêmes valeurs qui tiennent ensemble une famille dans l’amour et l’harmonie devraient aussi être les valeurs qui tiennent ensemble le pays. Le pays devient, dès lors, une extension de la famille. Même aujourd’hui, il y a des gens qui soutiennent que les valeurs familiales sont nécessaires si notre société veut maintenir ses liens et recevoir la bénédiction divine. Certains croient que l’une des plus grandes menaces à ces valeurs se produit quand des figures publiques comme les hommes politiques, les acteurs, les chanteurs ou les champions sportifs agissent contrairement à ces valeurs ou soutiennent des idées ou des modes de vie qui pourraient éventuellement conduire, ou encourager, l’effondrement de la famille. Habituellement, ce sont les conservateurs religieux qui soutiennent ce genre de vues. Souvent, ce sont exactement les mêmes qui croient à l’interprétation littérale de la prophétie scripturaire et à l’intervention d’un Dieu tout puissant dans les affaires humaines à travers des événements comme les tremblements de terre, les inondations et d’autres désastres. C’est pourquoi la conception confucéenne, selon laquelle certaines valeurs centrales enracinées dans les relations familiales sont vitales pour une société saine, ne devraient pas nous paraître si inhabituelles que cela. Malheureusement, le terme de "valeurs familiales" en est venu aussi à représenter différentes formes de fanatisme, comme l’homophobie et l’autoritarisme. Les valeurs familiales sont parfois considérées comme un autre moyen d’imposer des valeurs patriarcales dépassées au nom desquelles les femmes sont subordonnées aux hommes, sans se soucier des capacités ou des mérites respectifs, et selon lesquelles des relations hiérarchiques injustes, des lois sévères intransigeantes, le conformisme social et la répression sont la norme. Il est certain que le confucianisme a fini par représenter, tout au long de son histoire, un système très patriarcal qui dévalorisait les femmes, mettait l’accent sur l’apprentissage mécanique et la conformité stricte, et fut souvent responsable de la répression politique de systèmes de pensée rivaux, et même d’un fanatisme exacerbé contre les peuples et les cultures non chinois. Il devint donc un système de pensée très étroit, à l’esprit borné et oppressif. Mais c’est là le côté sombre de la tradition confucéenne. Le côté sombre du confucianisme et ce que l’on appelle les "valeurs familiales" doivent être reconnus et critiqués. Cependant, on ne devrait pas perdre de vue les aspects positifs. L’accent mis par le confucianisme sur les cinq valeurs constantes de bienveillance, droiture, bienséance, sagesse et loyauté n’ont pas besoin d’être nécessairement reliées au fanatisme et à la répression patriarcale. Ces "valeurs familiales" confucéennes jouèrent un rôle vital pour élever l’esprit humain et guider la société humaine (au moins en Asie du sud-est) vers un mode de vie plus paisible et harmonieux, basé sur l’unité fondamentale de la famille aimante. Ce sont ces valeurs dont Nichiren fait l’éloge dans plusieurs de ses écrits comme des préalables nécessaires de la réception du bouddhisme. On peut espérer que, nous aussi, nous en venions à apprécier la pertinence durable de telles valeurs et que nous trouvions les moyens de nous les approprier dans nos propres vies d’une manière adaptée à notre époque, dans laquelle d’autres valeurs telles que l’égalité, la créativité, le progrès et la tolérance prévalent.
Quand le bouddhisme et le confucianisme se rencontrèrent, après l’entrée du bouddhisme au premier siècle de notre ère, les élites confucéennes ne furent pas impressionnées. Elles le considérèrent comme une superstition étrangère dont les enseignements au sujet de la renaissance et du karma étaient barbares. Elles ne voyaient aucune raison de s’incliner devant ce dieu étranger, le Bouddha, en particulier parce qu’il avait été si peu respectueux de ses devoirs filiaux en abandonnant sa famille pour devenir un vagabond dans la forêt. Elles étaient particulièrement scandalisées par le monachisme bouddhique. L’enseignement selon lequel on devrait quitter sa maison et abandonner tous ses devoirs filiaux dans le but de poursuivre le but fugitif de l’illumination leur apparut épouvantable. Depuis le début, les bouddhistes en Chine ont dû défendre la validité du Dharma et aussi montrer qu’ils n’essayaient pas de miner les valeurs confucéennes, mais qu’ils les soutenaient plutôt, même s’ils appelaient à les transcender. L’une des manières dont cela fut réalisé fut la mise en avant de sutras apocryphes comme le Sutra Pratiquer le Pur Dharma (Shojohogyo kyo), cité par Nichiren dans le Kaimoku Sho, selon lequel le Bouddha lui-même avait envoyé trois bodhisattvas en mission avec la tâche d’apparaître en Chine sous la forme des Trois Sages, Confucius, son disciple préféré Yan Hui, 顏 回 (-511 à -480) et Lao-Zi, 老 子 (VIe siècle avant notre ère ? ), le fondateur légendaire du taoïsme. Il agit ainsi pour s’assurer que les vertus séculaires et les arts civilisés soient enseignés aux Chinois de façon à ce qu’ils fussent réceptifs au Dharma. En particulier, les cinq préceptes majeurs du bouddhisme, dont le respect peut permettre de renaître comme un être humain, furent enseignés dans les termes des cinq vertus constantes. Un exemple de la manière dont les bouddhistes chinois identifièrent les préceptes avec les cinq vertus constantes peut être trouvé dans l’œuvre du IXe siècle, Enquête sur l’origine de l’humanité (Yuanren Lun), de Zong-mi, 宗 密 (780-841) : "Ne pas tuer est bienveillance, ne pas voler est droiture, ne pas commettre l’adultère est bienséance, ne pas mentir est loyauté, et en ne buvant pas de vin et en ne mangeant pas de viande, l’esprit est purifié et l’on croît en sagesse". Nichiren a accepté cette donnée comme un fait, et l’a résumé dans Sainan Koki Yurai (La Cause des Désastres), considéré comme une esquisse du Rissho Ankoku Ron :
Pour Nichiren et les autres bouddhistes d’Asie orientale, comme Zong-mi, ou les patriarches Zhiyi et Zhanlan, le Mandat du Ciel n’était pas l’expression de la volonté collective des ancêtres ou l’œuvre insondable de la nature, mais le résultat de la cause et de l’effet. La cause et l’effet opèrent selon la nature des actions de chacun, pour le meilleur ou le pire. Dans le bouddhisme, les causes saines et malsaines ont été enseignées dans les termes des cinq préceptes majeurs ou des Dix règles de conduite saine : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre l’adultère, ne pas mentir, ne pas utiliser de paroles qui sèment la division, ne pas utiliser de paroles dures, ne pas parler de façon irresponsable, ne pas céder à l’avidité, ne pas céder à des conceptions fausses. Les cinq vertus constantes et le Mandat du Ciel enseignés par le confucianisme sont juste une autre manière de présenter ces préceptes, mais sans recourir à l’explication des actions subtiles du karma. Les enseignements et les valeurs confucéens sont donc encore confirmés, mais ils sont maintenant subsumés à l’intérieur des moyens salvifiques utilisés par le Bouddha et les bodhisattvas pour préparer les êtres sensibles au Merveilleux Dharma. Pour Nichiren, après l’introduction du bouddhisme en Chine, les souverains chinois sont devenus responsables de la protection et du soutien du Dharma bouddhique lui-même. L’échec à assumer cette responsabilité de la part des empereurs régnants signifiait la perte de leur mandat. Naturellement, les confucéens et les taoïstes ne voyaient pas les choses ainsi, et ils affirmaient que l’introduction du bouddhisme en Chine s’était révélée un désastre, une influence débilitante qui avait contribué à la nature écourtée des différentes dynasties en Chine après la chute des Han. Confucéens et taoïstes avaient même réussi à provoquer trois persécutions majeures du bouddhisme, en 446 par l’empereur Tai-Wu de la dynastie Wei du Nord (386-535), en 574-577 par l’empereur Wu de la dynastie Zhou du Nord (557-581), et en 845 par l’empereur Wuzong de la dynastie Tang (618-907). Dans la persécution de 446, l’empereur Tai-Wu et les principaux instigateurs de la persécution moururent tous dans les cinq années qui suivirent, et la persécution elle-même n’a jamais atteint une grande ampleur en raison de l’opposition à l’intérieur de la cour. La persécution de 574-577 ne dura que trois ans et se termina avec la mort de l’empereur Wu en 578. La troisième persécution fut la plus dévastatrice pour le bouddhisme chinois mais elle ne dura qu’un an et se termina avec la mort de l’empereur Wuzong en 846. Compte tenu de ce bilan, on peut sans doute comprendre pourquoi nombre de bouddhistes comme Nichiren en avaient conclu que persécuter le bouddhisme n’était pas une recette de longévité. Cela nous
ramène à un incident que Nichiren rapporte en citant un
passage de la Relation d’un Pèlerinage en Chine à
la recherche du Dharma, de Ennin,
円仁 (ou Jikaku, 慈覚). Jikaku,
le troisième moine supérieur de l’école Tendai,
était en Chine de 838 à 847, et il a été le
témoin de la persécution de l’empereur Wuzong aussi bien que des événements qui y ont conduit et de ses
conséquences. Dans ce passage, Jikaku
mentionne également que, avant la persécution, l’empereur
Wuzong avait nommé un moine, Jing-shuan
(Ching-shuan), pour propager le Nembutsu,
mais que cet acte apparemment méritoire avait été
suivi par les invasions ouigour, la révolte d’un commandant
régional et l’insubordination du Tibet. "La même
année, un moine bouddhiste, Xuan-xuan
(Hsuan-hsuan),
prétendit qu’il pouvait vaincre les Ouigours détestés
avec une épée magique, mais quand il fut mis à l’épreuve,
il se révéla être un imposteur." (Buddhism
in China, p. 227-8) La répression du bouddhisme fut elle-même de courte durée. Un an plus tard, le troisième mois de 846, Wuzong mourut, sa santé ayant été probablement affectée par les potions de longévité qu’il avait prises, et le sceptre impérial fut repris par Xuanzong (Hsuan-tung), qui lança immédiatement une action pour annuler le mouvement anti-bouddhiste. Pour commencer, les taoïstes Shao gui shen (Chao Kuei-chen) et Liu-Xuan-jing (Liu Hsuan-ching), avec onze autres, furent exécutés parce qu’ils avaient incité l’empereur précédent à des mesures extrêmes contre le bouddhisme (Ibid., p. 232-233). Il peut sembler que l’empereur Wuzong ne pouvait gagner. S’il propageait le bouddhisme, cela menait à des troubles et même à la guerre. Persécuter le bouddhisme, d’autre part, semblait aboutir à la mort des empereurs et de tous ceux qui avaient fomenté la persécution. Bien sûr, les invasions, les révoltes et les troubles avaient fort probablement très peu à voir avec la propagation du Nembutsu en Chine, et beaucoup à voir, en revanche, avec les différents ennemis intérieurs et extérieurs de la dynastie Tang déclinante, à l’affût de ses faiblesses et cherchant à en tirer avantage. De même, la mort prématurée de l’empereur était plus probablement due à une confiance mal fondée dans des recettes douteuses d’immortalité. Nichiren, cependant, y vit une indication claire de la [loi de] cause et effet. Comme nous l’avons vu dans sa critique de Honen, Nichiren croyait que le fait de soutenir le bouddhisme de la Terre Pure revenait à soutenir une forme de bouddhisme de l’au-delà qui dénigrait les autres formes de bouddhisme, y compris celles qui pouvaient donner espoir et conduite pratique pour cette vie et pas seulement pour l’après-vie. En fait, cela revenait à calomnier ou déformer le Dharma et, par conséquent, à attirer tous les désastres prédits dans les passages du sutra que Nichiren avait cités auparavant. La tentative de réprimer toutes les formes du bouddhisme ne fit qu'empirer les choses. Dans l’esprit de Nichiren, la chute des dynasties Zhou et Qin était le résultat d’un échec à maintenir les cinq vertus constantes, qui étaient l’équivalent des cinq préceptes majeurs du bouddhisme. La mort de l’empereur Wuzong était le résultat de son échec à propager le Dharma correct et, plus tard, à sa tentative de détruire le bouddhisme en Chine. Le Mandat du Ciel dépendait, par conséquent, de la capacité du souverain à protéger et soutenir le Dharma. Ainsi, la question est à nouveau posée : pouvons-nous vraiment dire que le destin d’une nation ou, du moins, de son gouvernement dépendent du bouddhisme ? A travers toute l’histoire du confucianisme en Chine, le Mandat du Ciel a reçu différentes interprétations. Certaines interprétations dépendaient plus fortement de l’intercession de pouvoirs célestes, tandis que d’autres adoptaient une position plus naturaliste. Mencius, par exemple, semblait mettre sur le même pied le Mandat du Ciel et ce que nous pourrions appeler la "volonté du peuple". Il n’est pas trop difficile de défendre l’idée selon laquelle des souverains vertueux gouverneront sagement et maintiendront le respect et la confiance du peuple, et n’agiront pas contre le bien public pour un bénéfice privé. Un tel gouvernement sera plus stable et plus capable de surmonter une crise qu’un gouvernement corrompu qui n’a pas le soutien du peuple, et qui affaiblit ou même dilapide les biens de la nation pour un bénéfice privé à court terme. Un tel gouvernement jouira de la confiance du peuple ; il jouira par conséquent du Mandat du Ciel. Est-ce que cela a du sens de prétendre que l’on peut recevoir le Mandat du Ciel en soutenant une religion particulière, dans ce cas précis, le bouddhisme ? En réalité, l’exemple de l’empereur Wuzong montre le contraire. Il a patronné le bouddhisme au début de son règne et il a eu pourtant à faire face à la rébellion et à la guerre. Ainsi, peut-on dire que le Mandat du Ciel peut être gagné ou perdu selon la sorte de bouddhisme qui a été soutenue ou supprimée ? Une telle prétention semble très forcée et plus qu’un peu auto-justificatrice quand elle est faite par des bouddhistes qui essaient de gagner le patronage des souverains et/ou de les convaincre de réprimer des rivaux. Mais supposons que la question posée soit, non pas le bouddhisme, mais le Dharma. Le Dharma ne se réduit pas seulement aux idées ou aux enseignements, encore moins aux opinions du Bouddha et de ses disciples. L’affirmation du bouddhisme est que le Dharma représente la nature véritable de la réalité et le chemin de vie et les méthodes de pratique spirituelle qui mènent à un Éveil à cette nature véritable. La fidélité au Dharma est véritablement supposée signifier la fidélité à la Vérité, et pas seulement à un système religieux. La question véritable ne devrait-elle pas être formulée dans les termes suivants : quelle religion est capable de produire un gouvernement prospère ? La question véritable est plutôt celle de savoir quelle sorte de conception va guider n’importe quel gouvernement : la recherche de l’intérêt personnel, ou la fidélité à la vérité et l’action de compassion ? En cela, les traditions confucéennes et bouddhistes de bon gouvernement peuvent trouver un terrain commun. Nous ne pouvons, cependant, en rester là. Le gouvernement bienveillant, qui est le thème principal du confucianisme, a déjà été mentionné au tout début du Rissho Ankoku Ron comme l’une des multiples méthodes proposées pour mettre fin aux souffrances du peuple japonais. Mais même dans sa forme la meilleure, le paternalisme débonnaire du confucianisme s’est révélé ne pas être à la hauteur pour répondre aux incertitudes qui sont au cœur de la vie humaine, sans parler des désastres naturels qui étaient alors, et sont encore, largement au-delà du contrôle humain. En plus, la tradition confucéenne a souvent manqué d’atteindre cet idéal, et a débouché sur rien de moins qu’une idéologie autoritaire au service d’un statu quo oppressif. Par conséquent,
il est besoin de quelque chose de plus. Pour cette raison, Nichiren considérait
que le Dharma (Enseignement) du Bouddha répondait à l’inquiétude
la plus profonde inhérente à la souffrance universelle de
tous les êtres sensibles, dont les causes sont à chercher
dans l’avidité, la colère* et l’ignorance. Le
Dharma (Enseignement) du Bouddha, et plus particulièrement le Sutra
de la Fleur de Lotus du Dharma Merveilleux, montre le chemin pour
vaincre cette souffrance en indiquant que tous les êtres ont, en
fait, la nature de bouddha. Dans cette perspective, nous ne sommes pas
juste des nobles en puissance ou des roturiers qui avons besoin d’être
gouvernés comme la tradition confucéenne l’enseigne.
Nous sommes plutôt des bouddhas en puissance et nous devrions nous
regarder les uns les autres avec une grande compassion et traiter chacun
avec la dignité qui sied à la nature précieuse et
interdépendante de toute vie. Tel est le but du bouddhisme : non
pas simplement de favoriser un bon gouvernement et la bienveillance, mais
de permettre à tous les gens de cultiver une vision plus profonde
de ce qu’est la vie elle-même, afin de vaincre l’illusion
et l’égoïsme, et de prendre conscience de ce monde comme
d'une Terre pure dans laquelle l’éveil est une possibilité toujours présente. A notre époque,
on ne peut plus attendre d’un gouvernement qu’il patronne
le bouddhisme, ou même le soutienne directement, mais on peut attendre
d’un gouvernement qu’il crée les conditions grâce
auxquelles une telle vision magnifique d’interdépendance et d’attention à la dignité de la vie pourrait devenir
la base pour un monde vraiment juste et pacifique. Dans le Rissho Ankoku Ron, Nichiren porte attention à la critique de son hôte selon laquelle il est absurde d’imputer les calamités présentes à Honen, lequel est décédé près de quatre décades auparavant. En réponse, Nichiren cite plusieurs incidents de l’histoire de la Chine et du Japon au cours desquels différents actes inconvenants ont précédé la chute des dirigeants. Le premier incident concerne la chute de la dynastie Zhou (~ -1100/-256), en Chine, le second concerne la chute de la dynastie Qin occidentale (265-316), le troisième concerne la mort de l’empereur Wuzong (<840-846>) de la dynastie Tang (618-906), et le dernier exemple concerne le sort de l’empereur retiré Go-Ttoba. Le premier incident est rapporté dans Les Mémoires historiques (Annales de l’Historien), une histoire de la Chine écrite par l’historien Sima Qian, 司 馬 遷 (~ 145-86 de notre ère), d’après une citation de Zhiyi dans le Maka Shikan, ouvrage complété ensuite par Zhanlan dans son Guketsu (Annotations sur le Maka Shikan), où il cite le commentaire de Zuo Qiuming sur Les Annales des Printemps et des Automnes. Le roi Ping (<-770/-720>), de la dynastie Zhou, lorsqu’il déplaça sa cour à Loyang, observa que ceux qui vivaient le long du fleuve Yi ne suivaient plus les anciennes coutumes des Zhou et retournaient à leurs propres coutumes paysannes. Ils laissaient leur chevelure tomber, ne portaient pas de vêtements en haut de leur corps, et faisaient des offrandes dans les champs. Un des officiers du roi prédit que ce territoire leur échapperait sous peu. Le second incident est également tiré du Maka Shikan. Zhiyi décrit comment le poète et philosophe réputé Ruanji (210-263) permettait à sa chevelure de pousser en bataille et laissait sa ceinture défaite, parmi d’autres actes inconvenants. Ruanji était l’un des Sept sages du Bois des Bambous, qui proposaient de vivre selon un mode de vie naturaliste en accord avec la philosophie d’influence taoïste appelée Taixuanjing (Livre du Mystère suprême). Les Sept sages et leurs disciples étaient considérés comme abominables par leur manière de parler et d’agir d’une façon non conformiste, ou même vulgaire. Fondamentalement, c’étaient des anciens Chinois "hippies". Ce genre de conduite fut considéré dans les années ultérieures comme un des signes que la maison des Si-ma, souverains de la dynastie Qin occidentale, qui a régné peu de temps (215-316), était sur le déclin. http : //nichirenscoffeehouse.net/Ryuei/RAR24.html Nichiren en vient alors au destin de l’empereur retiré Go-Toba (1180-1239). Pour Nichiren, ce dernier exemple avait une beaucoup plus grande signification que la brève mention qui en est faite ici ne pourrait l’indiquer. Dans l’année 1275, Nichiren écrivit le Shinkoku-o gosho (Souverains de notre pays), dans lequel il affirmait que la défaite de l’empereur retiré Go-Toba pendant le soulèvement de l’ère Jokyu, daté de 1221, et la mort prématurée de l’empereur Antoku (1178-1185) par noyade à la bataille de Dan-no-ura l’avait tellement troublé lorsqu’il était jeune garçon que trouver une signification à ces tragédies avait compté parmi les principales raisons de son étude du bouddhisme.
Afin de comprendre pourquoi Nichiren trouvait ces événements si dérangeants, nous devons brièvement passer en revue la compréhension de l’histoire et du rôle des empereurs japonais chez Nichiren. A en juger d’après le Shinkoku-o gosho, Nichiren acceptait les croyances concernant le pouvoir impérial japonais qui étaient communes à son époque. Une croyance était que les empereurs descendaient tous des dieux du Japon par une lignée interrompue remontant aux sept dieux célestes et aux cinq dieux terrestres. Le premier des dieux terrestres était présenté comme la déesse du Soleil Amaterasu Omikami, honorée au grand sanctuaire d’Ise. Nichiren l’inclura plus tard sur le mandala calligraphique qu’il dessinera pour représenter le Gohonzon de l’enseignement essentiel du Sutra du Lotus. Après les douze dieux célestes et terrestres, le premier empereur mortel était l’empereur Jimmu. Par conséquent, on croyait que la famille impériale était une dynastie divine qui ne pouvait être supplantée ou remplacée parce que la ligne de succession ininterrompue remontant jusqu’aux dieux devait être maintenue. Quand les Japonais commencèrent à modeler leur cour et leur bureaucratie sur les modèles chinois, une chose qu’ils n’importèrent pas était le concept d’un Mandat du Ciel qui pouvait être retiré à une dynastie et conféré à une autre. Au neuvième siècle, les Japonais identifièrent l’empereur Ojin, 応 神 (<362-394>), le légendaire quinzième empereur, avec le Grand bodhisattva Hachiman, 八 幡 神. Nichiren affirme explicitement cette identification dans son Kangyo Hachiman-sho (Remontrances au Bodhisattva Hachiman). Hachiman avait commencé comme une divinité shinto de l’île méridionale de Kyushu. Il reçut le titre de "Daibosatsu" Grand Bodhisattva, en 81 parce qu’un oracle avait déclaré que Hachiman accorderait sa protection à la construction de la statue de Vairocana du temple Todai-ji de Nara. Au IXe siècle, les bouddhistes japonais développèrent la théorie de honji suijaku ("essence de la racine et manifestation de la trace"), selon laquelle les divinités shinto étaient identifiées aux traces, ou ombres, des bouddhas et bodhisattvas, qui étaient, à leur tour, regardés comme l’origine, ou racine, des divinités locales. Sur la base de cette théorie, Hachiman fut parfois considéré comme la manifestation de la trace du bouddha Amitabha. Dans le Kangyo Hachiman-sho, cependant, Nichiren identifiait Hachiman comme une manifestation de la trace du Bouddha Shakyamuni. Nichiren a également inclus le Grand bodhisattva Hachiman sur son mandala calligraphique. Pendant le règne de l’empereur Heijo, 平 城 (774<806-809>-824), un oracle rapporta à la cour que Hachiman avait fait le serment de protéger cent souverains. On considéra que cela signifiait que tous les empereurs japonais, en commençant par l’empereur Jimmu, 神 武, jusqu’au centième dans la ligne de succession, seraient sous la protection divine de Hachiman. C’était la réponse shinto au Mandat du Ciel. Malheureusement pour le désir des Japonais d’un gouvernement en ligne directe et continue par les descendants des dieux, le pouvoir impérial est tombé devant la puissance armée des samouraïs longtemps avant le temps du centième empereur, quoique le nouveau gouvernement militaire affirmât gouverner au nom de l’empereur. En bref, l’histoire s’est déroulée comme suit : à partir de 644, la famille impériale a été dominée par les intrigues du clan aristocratique Fujiwara, dont les filles devinrent les veuves des empereurs, et dont les chefs de clans contrôlaient une succession d’enfants empereurs, en forçant les empereurs les plus âgés à se retirer. Avec le temps, les Fujiwara et d’autres familles nobles de Kyoto amassèrent de plus en plus de domaines fonciers privés exempts d’impôts, comme le faisaient les différents temples bouddhistes. Ces guerriers devinrent la classe des samouraïs, et en peu de temps les Fujiwara firent appel à eux afin d’utiliser leur force armée pour maintenir l’ordre et résoudre les conflits de succession au trône impérial. Les deux clans les plus puissants étaient les Taira (ou Heike, 平 家) et les Minamoto (ou Genji, 源氏). Ces deux clans comprirent que, au lieu de soutenir les Fujiwara, ils pouvaient prendre le pouvoir directement. Après une guerre de deux ans entre ces clans les Taira sortirent victorieux des Minamoto en 1160, et leur chef, Taira Kiyomori (1118-1181) devint le souverain de facto du Japon. En 1180, les Minamoto, sous la direction de Minamoto Yoritomo (1147-1199), se révoltèrent et commencèrent la Guerre de Gempei, qui dura jusqu’en 1185. La Guerre de Gempei se termina par la défaite totale des Taira et la noyade de l’empereur Antoku (1178-1185), le 81e empereur du Japon et petit-fils de Kiyomori, à la bataille de Dan-no-ura. Yoritomo, las des intrigues et de la vie douce et décadente de l’aristocratie de Kyoto, créa un bakufu, ou "administration de la tente", à Kamakura, en 1192. Yoritomo reçut le titre de shogun, ou "généralissime chargé de soumettre les barbares" octroyé par l’empereur Go-Toba, le frère de l’enfant-empereur noyé, Antoku. Cela marqua le véritable commencement du shogunat de Kamakura, et un passage du pouvoir impérial au pouvoir militaire qui allait durer jusqu’en 1868. L’histoire de l’ascension et de la chute des Heike et la fin du pouvoir impérial devint la base de la tragédie épique japonaise, Genji-Monogatari (Le Dit de Genji). Dans sa biographie de Nichiren, J.A. Christensen fournit une utile vue d’ensemble de la situation politique pendant le shogunat de Kamakura, en commençant par l’incorporation, par Minamoto, des seigneurs féodaux provinciaux connus sous le nom de daimyo, dans le nouvel ordre politique:
A l’époque où le Rissho Ankoku Ron fut soumis aux autorités, en 1260, la situation avait connu une complication supplémentaire : le régent retiré Hojo Tokiyori (1227-1263) était la personne qui, en fait, tirait les ficelles. La question principale, cependant, était que les dirigeants de fait du Japon n’étaient plus les empereurs de Kyoto, mais le gouvernement militaire de Kamakura, conduit par le clan Hojo. En 1221, l’empereur retiré Go-Toba et ses deux fils, l’empereur retiré Tschuchimikado (1195-1231) et l’empereur retiré Juntoku (1197-1242) firent une tentative pour renverser les régents Hojo et restaurer le pouvoir impérial. Les forces de Hojo Yoshitoki (1163-1224), alors régent, les vainquirent et les trois anciens empereurs furent exilés. Go-Toba fut envoyé à l’île d’Oki, Tschuchimikado fut envoyé à Shikoku, et Juntoku fut envoyé à l’île de Sado. Le fils de Juntoku, l’enfant-empereur Chukyo (1218-1234) fut déposé. Cet incident fut connu comme le soulèvement de Jokyu , d’après le nom de l’ère pendant lequel il survint. Cela troubla profondément Nichiren parce que cela signifiait, pour lui, le renversement de l’ordre social : les dirigeants étaient devenus les dirigés. Cela signifiait aussi que le serment de Hachiman de protéger cent empereurs n’avait pas été respecté. Le monde était entré dans une sombre période de chaos et même les dieux avaient échoué à sauver les souverains. Les Taira et l’empereur retiré Go-Toba avaient même fait appel aux pouvoirs des bouddhas et des bodhisattvas en organisant des services de prières conduits par les prêtres supérieurs des principaux temples tendai dans le but de vaincre leurs ennemis, mais leurs prières n’avaient abouti à rien. Donc, même le pouvoir des bouddhas et des bodhisattvas n’avait pas été capable d’empêcher la victoire des clans guerriers et la mort tragique, par noyade de l’empreur Antoku, âgé de sept ans, et, plus tard, l’exil ignominieux de l’empereur retiré Go-Toba et de ses deux fils. C’était comme si l’injustice l’avait emporté et qu’aucun pouvoir, sur la terre comme au ciel, ne voulait ou pouvait redresser les choses. Cependant, Nichiren comprenait que les choses n’étaient peut-être pas aussi mauvaises qu’elles le semblaient. Peut-être n’était-ce pas seulement le pouvoir armé qui avait permis aux Minamoto et, plus tard, aux Hojo, de l’emporter. Bien que Nichiren n’usât pas de l’expression "Mandat du Ciel", il proposa effectivement la même idée dans le Kangyo Hachiman-sho en relation avec Hachiman :
Nichiren perçut le problème fondamental comme étant celui de l’échec des empereurs à soutenir le Sutra du Lotus. Nichiren attendait des souverains qu’ils aient de l’intégrité pas simplement dans les termes des valeurs séculières, mais aussi dans ceux d’engagement et de fidélité profonds aux valeurs spirituelles, le Dharma Merveilleux, tel qu’il est enseigné dans le Sutra du Lotus. Dans le Rissho Ankoku Ron, Nichiren impute la responsabilité de la chute du pouvoir impérial à l’échec des empereurs à mettre un coup d’arrêt à l’essor du mouvement Nembutsu exclusif de Honen. Dans des écrits postérieurs, Nichiren reproche aux empereurs et au clergé des temples tendai de s’être détournés du Sutra du Lotus et de s’être appuyés, à la place, sur les pratiques ésotériques de l’école Shingon pour battre leurs ennemis. De toute manière, les empereurs avaient abandonné ce que Nichiren croyait être la responsabilité primordiale des souverains : soutenir le Dharma Merveilleux. C’est ici que nous trouvons la convergence du shinto, du confucianisme et du bouddhisme dans la conception du monde et les enseignements de Nichiren. Pour Nichiren, le Mandat du Ciel consistait à avoir ou perdre la protection des dieux, en particulier Hachiman; et, comme cela a été mentionné ci-dessus, Nichiren croyait que Hachiman était la manifestation de la trace du Bouddha Shakyamuni. On doit noter que le shogunat de Kamakura regardait Hachiman comme sa divinité protectrice, un dieu du tir à l’arc et de la guerre. Minamoto Yoritomo bâtit même le sanctuaire de Tsurugaoka Hachiman à Kamakura. [Cf. Hachimangun-ji, le deuxième temple fréquenté par Nichiren]. En 1280, le sanctuaire Tsurugaoka brûla, ce qui incita Nichiren à écrire le Kangyo Hachiman-sho. Nichiren vit la destruction du sanctuaire comme un signe que Hachiman avait abandonné le Japon et ses dirigeants parce que ces derniers continuaient à abandonner le Sutra du Lotus. CONCLUSION Qu’est-ce que cela peut signifier pour ceux d’entre nous qui ne croient pas aux empereurs divins, ou au Mandat du Ciel, ou aux divinités shinto ou aux bodhisattvas bouddhistes ? Qu’est-ce que cela peut signifier pour ceux d’entre nous qui vivent dans des pays où la séparation de l’Eglise et de l’Etat est une valeur importante, et où personne ne pourrait suggérer sérieusement que le sort de la nation dépend du soutien au bouddhisme, qui plus est d’un sutra particulier à l’intérieur de la tradition bouddhiste ? C’est la question à laquelle nous revenons constamment dans ce commentaire. Et, encore et encore, nous voyons que, pour les peuples des sociétés pré-industrielles, les souverains étaient considérés comme des intermédiaires entre les mondes naturel et humain et le divin, que le divin fût le Ciel confucéen, Hachiman et les divinités shinto, ou le Bouddha Eternel Shakyamuni du Sutra du Lotus. La responsabilité du souverain était de créer entre les gens et d’étendre à son domaine une harmonie entre le Ciel et la Terre en soutenant l’ordre intégral de toutes choses. Il n’y a aucune indication, dans les écrits de Nichiren, qui pourrait faire croire qu’il ne prenait pas l’existence de ces choses au sens littéral. Il les voyait certainement comme plus que simplement littérales, mais l’existence littérale de ces divinités et fonctions cosmiques et Mandats était quelque chose que lui et ses contemporains tenaient pour certain. Mais ce ne sont pas là, au contraire, des choses que nos contemporains tiennent pour certaines, et, à l’extérieur du Japon, très peu de gens parlent du confucianisme, du shinto et du bouddhisme comme d'autre chose que de religions étrangères sans rapport avec la vie moderne. Peut-être pouvons nous établir un lien avec l’intuition que ces modes de pensées mythiques de sociétés paysannes essaient de communiquer : à savoir que les êtres humains ont la responsabilité de créer une société juste en harmonie avec le monde naturel. Si nous créons une société dont la fondation est bâtie sur l’exploitation et la conquête, l’avidité et l’agression, nous avons alors une société où chacun lève la main contre l’autre et où le gain à court terme l’emporte sur la stabilité à long terme. Nous avons besoin de gouverner nos vies et, par extension, nos sociétés selon d’autres normes que l’avidité pour le pouvoir et la richesse. La puissance des dieux, bouddhas et bodhisattvas est, finalement, la puissance de nos propres sagesse et compassion. Nous comprenons cette puissance en suivant la norme supérieure qui est celle du Dharma Merveilleux que Nichiren considérait comme le plus complètement exprimé dans le Sutra du Lotus. Le Dharma Merveilleux n’est pas une croyance sectaire ou un dogme mais la compréhension que tous les êtres sont intrinsèquement dignes de notre respect, de notre compassion et de notre gratitude et que le lieu et le temps pour réaliser la paix véritable, la pureté et l’Éveil sont exactement là où nous sommes en ce même moment. Cela peut paraître vague, mais cela ne se réalise que dans le déroulement des circonstances concrètes de nos vies quotidiennes – dans la manière dont nous remplissons nos responsabilités, accomplissons notre travail, traitons nos familles, passons du temps avec nos amis, votons, faisons des courses, et contribuons à différentes causes qui agissent sur le monde autour de nous. De cette manière, nous créons l’harmonie intégrale du Ciel et de la Terre, en commençant par nous-mêmes et en l’étendant au monde entier. N.B. Les dates pour les empereurs mythiques (règnes et
vies centenaires, par exemple) font l'objet d'interprétations et de fluctuations,
d'ailleurs relatives, puisque tout ceci se situe au cours du 2e millénaire
avant notre ère |