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Fleur du Dharma

traduction de "Dharma Flower"

de Ryuei Michael McCormick de l'ordre bouddhiste Nichiren.


DICTIONNAIRE

    Glossaire
Chapitre II - La roue du devenir (bhavachakra)

C'est bien, c'est fort bien, il en est comme tu le dis, Shariputra, l'Ainsi-Venu est lui aussi comme cela, car il est père de l'ensemble des mondes, ayant de longue date mis fin aux angoisses, aux dépressions, aux détresses, à l'ignorance, à l'obscuruté fondementale, ayant réalisé un savoir sans limites, des pouvoirs supranaturels et l'absence de toute crainte, ayant totalement maîtrisé les paramitas de la patience et de la prajna, ayant réuni le grand amour-empathie et la grande compassion-karuna, il ne connaît jamais la fatigue ; il est constamment en quête du bien et dispense à tous ses bienfaits
Or, il est né dans ce triple monde, cette vieille demeure vermoulue en proie au feu, afin de sauver les êtres des flammes de la naissance, de la vieillesse, de la maladie, de la mort, des regrets, des souffrances, de la
stupidité*, de l'obscuruté et des trois poisons, afin de leur enseigner comment obtentir l'Éveil complet, parfait, sans supérieur. Il a vu les êtres brûlés par la naissance, la vieillesse, la maladie, la mort, les regrets et l'affliction ; il les a vus subir toutes sortes de douleurs à cause des cinq désirs et de l'âpreté au gain ; à cause de leurs attachements avides, ils subissent dans le présent une multitude de douleurs et par la suite, ils subiront la douleur des voies des enfers, des animaux et des démons affamés.
Même s'ils naissent dans les Mondes-états des devas et des hommes, ils connaîtront la douleur de la pauvreté, celle de se trouver séparé de l'aimé, celle de se trouver uni au détesté et toutes sortes de douleurs de ce genre. Plongés dans ces Mondes-états, les êtres se divertissent dans les réjouissances, ils n'en prennent pas conscience à cause de leurs perceptions émoussées ; ils ne s'en étonnent pas, ne s'en effraient pas ; ils ne connaissent pas la satiété et ne recherchent pas la
délivrance. Dans cette maison en flammes que sont les trois mondes, ils ne cessent de courir et bien qu'ils se heurtent à de grandes souffrances, ils ne pensent pas devoir s'en préoccuper. (Sutra du Lotus. Chapitre III - La parabole)

 

Il serait plus juste de se référer aux enseignements du Bouddha en tant que Dharma-Enseignement du Bouddha qu'en tant que bouddhisme. Le bouddhisme n'est pas un -isme parce que ce n'est pas une idéologie ou un ensemble d'affirmations dogmatiques que l'on doit accepter avec une foi aveugle. C'est plutôt un mode de vie conçu pour aider les hommes à voir les choses telles qu'elles sont en réalité, sans illusions, projections, paranoïa et fausses prétentions. Ce mode de vie comprend une doctrine et une discipline qui aident les disciples à faire par eux-mêmes l'expérience de la vérité. Au début, il faut accepter certains éléments par la foi, mais à terme, ceux qui essaient de vivre conformément au Dharma du Bouddha en auront la preuve vécue. De ce point de vue, la foi est la confiance que l'on accorde au sain raisonnement du Dharma du Bouddha et à sa propre capacité de le mettre en pratique. A la différence d'un -isme qui exige une croyance aveugle en quelque chose d'impossible à vérifier, le Dharma bouddhique est plutôt une expérience pour voir la vérité par soi-même, grâce à des méthodes qui nous viennent de Shakyamuni. Comme Nichiren l'écrit dans la Prière pour la pluie des trois maîtres du Tripitaka (réf.) :

"Pour établir la valeur relative des doctrines bouddhiques, moi, Nichiren, je suis convaincu qu'il n'y a pas de meilleurs critères que la raison et la preuve donnée par les textes. Plus décisive encore que les preuves littérale et théorique, est la preuve concrète."

Dans ce passage, Nichiren nous indique que l'enseignement et la pratique authentiques du bouddhisme doivent satisfaire à trois critères. Ils doivent correspondre aux transcriptions des sermons bouddhiques, ils doivent se conformer à la raison, sans entrer en conflit avec la logique ou la science, et, le plus important, ils doivent être en mesure de nous libérer des souffrances pour une vie plus heureuse. Le bouddhisme est, par essence, le moyen de trouver le bonheur authentique grâce à l'éveil à sa propre authenticité. Se réveiller du cauchemar de la confusion et de la souffrance, et devenir pleinement conscient de la véritable nature de la vie, c'est devenir bouddha, un Éveillé. Le Sutra du Lotus nous enseigne la chance que nous avons tous, tant que nous sommes, de posséder la capacité de nous éveiller. Notre bodhéité potentielle est inhérente à notre nature de bouddha et nous sommes en mesure de nous éveiller au fait que nous ne sommes pas des individus statiques, séparés les uns des autres, au fait que la réalité est par nature interdépendance dynamique, qui fonctionne selon la loi de la cause et de l'effet. En percevant la véritable nature des phénomènes (shoho jisso) nous devenons aptes à vivre sainement, de façon créative et compatissante, dans la sérénité et la clarté.

Si donc nous sommes capables d'atteindre la bodhéité, qu'est-ce qui nous empêche de le faire ? Pourquoi la vie semble-t-elle si pleine de souffrances, de confusions, de déceptions et de frustrations ? Notre existence peut ressembler à un parcours sur des montagnes russes, comme si après chaque période d'envol venait nécessairement une phase d'abattement. Dans le meilleur des métiers on peut avoir des patrons ou des collègues difficiles, même la plus réussie des relations humaines connaît ses moments de crise quand ce n'est pas de tragédie. Chaque acquisition peut en faire craindre la perte. La vie peut aussi ressembler à une roue qui tourne de façon extravagante et où la fortune est une loterie voisinant la perte. Cela a été illustré dans un diagramme tibétain connu sous le nom de "roue du devenir" et qui représente toutes les vicissitudes de la vie, depuis les états les plus misérables d'anéantissement et de souffrance jusqu'aux états les plus exaltants de triomphe et de joie. Cette roue illustre également le cycle de causes et d'effets qui nous maintient sur les montagnes russes du bonheur et de la souffrance. Les descriptions suivantes de la roue se rapportent au diagramme qui se trouve au début du livre. Voir :

 
Les Trois poisons

Le mieux est de commencer par le centre de la roue où se pourchassent le coq, le serpent et le porc. Ces trois symboles représentent l'avidité, la colère et l'ignorance. Ce sont les trois forces qui empoisonnent notre existence et qui nous maintiennent chevillés à la roue du devenir, rendant impossible une réalisation de soi durable. Ces trois poisons créent réellement notre manière erronée de percevoir la vie, en nous aliénant nous et les autres. Il semble évident que l'avidité, la colère* et l'ignorance sont des défauts dont nous aimerions nous passer. Et pourtant, il est vraiment difficile de les éliminer. On pourrait dire que nous sommes biologiquement programmés pour chercher à obtenir ce que nous voulons, à rejeter ce que nous ne voulons pas et à ignorer ce qui nous dérange ou nous indiffère. A un certain niveau ces instincts sont même nécessaires pour notre survie et notre bien-être. Aussi, est-il très difficile d'aller contre nos pulsions naturelles, même lorsque celles-ci se déguisent ou se pervertissent. En outre, comme ces trois poisons ne nous laissent aucun répit, nous ne nous rendons jamais compte de la véritable nature de l'existence et restons des acteurs passifs de la roue du devenir. Cependant, par la pratique et la récitation de Namu Myoho Renge Kyo nous pouvons acquérir la distance nécessaire à une réaction positive, afin de contrôler la direction que prend notre vie et éventuellement sortir, avec les autres, du cercle infernal que représente cette roue.

Pour mieux comprendre les trois poisons, examinons-les séparément.

L'avidité est un poison, car sous son influence nous réduisons tout chose et toute personne à un objet de consommation. Nous sommes incapables d'apprécier quoi que ce soit dans sa réalité, mais seulement du point de vue de la gratification de nos désirs ou de nos besoins. Ainsi, nous passons à côté de la beauté et de la valeur réelle des choses et des hommes. Même lorsque nous parvenons à obtenir l'objet de nos désirs, peu de temps après nous constatons que soit il nous déçoit soit nous l'avons perdu. En conclusion, l'avidité nous fait rechercher le bonheur à l'extérieur de nous au lieu de le rechercher en nous, là où il peut éventuellement être trouvé.

La colère* est le résultat naturel de l'avidité. C'est notre réaction face à ce qui vient faire obstacle à nos désirs. Cependant, comme tous les objets de nos désirs sont susceptibles d'être perdus ou impossibles à obtenir tout de suite, nous passons beaucoup de temps à accumuler de la colère sous forme de ressentiment ou de frustration. Là encore, cela nous empêche d'apprécier la vraie valeur des personnes, des lieux et des objets qui font notre vie, et cela nous conduit à toutes sortes d'hostilités et de paranoïa. La colère* peut également être un poison au sens littéral. Elle provoque souvent un stress qui nous rend plus vulnérables aux maladies. En conclusion, la colère* est l'état d'esprit de celui qui n'a pas compris que la véritable sécurité ne peut venir que de l'intérieur, la sécurité qui transcende nos angoisses devant les agressions extérieures.

L'ignorance nous empêche de voir ou de reconnaître la nature impermanente de tout ce qui est. Elle est le voile qui cache les racines de l'avidité et de la colère*, et se trouve à la source de l'une comme de l'autre. L'ignorance nous pousse à croire que nous pouvons obtenir quelque chose sans contrepartie, que nous pouvons nous en sortir par des actes immoraux censés nous assurer une parfaite sécurité, que nous pouvons atteindre la pleine réalisation de soi au milieu d'un tout éphémère, et que notre moi est séparé du monde dans lequel nous vivons. L'ignorance ne voit pas que tout apparaît et disparaît en fonction de facteurs et de circonstances générés par la loi de causalité. En dernière analyse, l'ignorance est la peur devant la non-substantialité et l'insondabilité de la réalité.

L'avidité, la colère* et l'ignorance détruisent non seulement nos vies intérieures, mais peuvent aussi se manifester par des actes d'exploitation des autres, de violence et de malhonnêteté. Même si beaucoup de souffrances de la vie sont inévitables, nous créons beaucoup de souffrances inutiles pour nous-mêmes et pour les autres en violant les principes éthiques de base, afin de satisfaire nos désirs. Un coup d'oeil sur n'importe quelle émission d'information, un magazine ou un journal, suffit à nous fournir des exemples sans fin de ces trois poisons. Fournir à cela un antidote est un aspect très important de la récitation de Namu Myoho Renge Kyo . En faisant daimoku, le processus invisible des trois poisons est interrompu et nos pensées se tournent vers le Dharma Merveilleux. Dans un moment de crise, la récitation mantraïque de Namu Myoho Renge Kyo , ou même sa récitation uniquement mentale, est une manière rapide et puissante de nous rappeler que dans nos vies, il y a bien autre chose que les trois poisons. Quand nous ne voyons plus la vraie nature de notre vie, le fait de réciter Namu Myoho Renge Kyo nous permet de constater que l'égoïsme étroit et confus n'a plus de prise sur nous.

Les quatre vertus infinies

Examinons maintenant le cercle autour du moyeu. Nous voyons un groupe de personnes dont certaines montent vers des états de vie supérieurs alors que d'autres tombent dans le cercle central, selon qu'elles laissent ou non les trois poisons dominer leur pensées, leurs émotions et leurs actions.

En règle générale, nous aimerions tous progresser. Mais que faisons-nous pour cela ? Il ne suffit pas de se débarrasser des trois poisons, même si c'est un bon début. Nous devons également stimuler nos émotions positives et les attitudes saines dans notre relation à nous-mêmes et aux autres. Le bouddhisme enseigne qu'il existe quatre "vertus infinies". Ce sont : l'amour-empathie (maitri, ji), la compassion (karuna, jihi), la joie altruiste (mudita) et l'équanimité (upeksha). On les appelle "vertus infinies" parce qu'en les développant nous prenons le chemin d'un bonheur infini. On les qualifie également de "demeures divines" parce que grâce à elles on se rend digne de renaître dans un "royaume céleste". En d'autres termes, les "vertus infinies" ou les "demeures divines" désignent des qualités que les hommes attribuent généralement à Dieu. Toutes correspondent aux voies par lesquelles les autres religions cherchent l'union avec Dieu.

Le Bouddha les a intégrées dans une forme de contemplation pour ceux qui avaient à surmonter des sentiments d'aversion, de haine ou de mépris pour les autres. Ces vertus furent également enseignées à ceux qui croyaient fermement que le but suprême dans la vie était la recherche de l'union avec une déité ou une puissance supérieure, car ils n'étaient pas prêts à entendre l'enseignement sur le bonheur qui venait de leur propre éveil. Pour le Bouddha, ce sont juste des qualités que nous pouvons semer, cultiver et nourrir en nous par la pratique bouddhique. C'est un des aspects possibles de la pratique de daimoku, un chemin qui nous ramène vers le Dharma Merveilleux, source de bonté, compassion, joie et équanimité. La pratique de Namu Myoho Renge Kyo nous permet de greffer le Dharma Merveilleux directement dans notre vie, de telle sorte que nous devenons capables de nous ouvrir aux autres de manière chaleureuse et dépourvue d'égoïsme. Nous nous rendons compte alors que la plus grande "bénédiction" est d'être rempli d'amour et de sérénité dans toutes nos pensées, paroles et actions. A ce sujet, Nichiren écrit à l'un de ses disciples :

"Le trésor du corps est plus précieux que le trésor du grenier, le trésor du cœur est plus précieux que le trésor du corps et c'est le plus précieux de tous. Après avoir lu cette lettre, efforcez-vous d'accumuler les trésors du cœur  ! " (Les trois sortes de trésor) (r�f.)

L'amour-empathie (maitri) est la plus importante des quatre vertus infinies parce que les trois autres n'en sont que différents aspects. L'amour-empathie est une attitude d'ouverture et d'amitié sans égoïsme envers tous les êtres. Les miséricordieux ne souhaitent rien d'autre que le bonheur et l'absence de souffrance pour tous. Ils n'éprouvent ni colère ni ressentiment. Mais par ailleurs, l'amour-empathie ne repose pas sur l'orgueil et ne doit pas devenir une obsession. Il serait plus juste de parler d'amour inconditionnel qui s'étend sur tous les êtres, qui nous amène à les traiter en amis et à oeuvrer à leur bonheur comme si c'était le nôtre.

La compassion (karuna, jihi) est une attitude d'ouverture et de sollicitude à l'égard de ceux qui souffrent. Elle nous arrache à notre auto-complaisance et notre indifférence mais ce n'est ni la pitié ni la condescendance. C'est un aspect de l'amour-empathie, celui qui nous pousse à aider ceux qui souffrent et les encourager à s'aider soi-même. La véritable compassion consiste à se voir dans les autres et oeuvrer avec eux pour améliorer les choses. Elle s'exprime toutes les fois que nous prêtons une oreille attentive ou tendons une main secourable, que nous offrons du temps, de l'argent ou quelque autre bien pour aider ceux qui ont besoin d'aide.

La joie altruiste (mudita) est celle qui nous fait partager les bonheurs et les triomphes des autres personnes. C'est l'absence d'envie ou de jalousie. Si l'amour-empathie est un souhait de voir les autres heureux et prospères d'une façon générale, la joie-mudita est ce que nous ressentons quand les autres sont heureux et libérés de la souffrance. La joie-mudita, c'est la reconnaissance que la vie en elle-même est une valeur et que le bonheur augmente réellement lorsqu'il est partagé.

L'équanimité (upeksha) est la capacité de garder l'équilibre et l'impartialité dans nos relations quotidiennes avec les autres. Elle ne doit pas être confondue avec l'indifférence ou la froide réserve. C'est plutôt un profond sentiment d'engagement, sans parti pris, qui ne se laisse troubler ni par les triomphes ni par les tragédies de la vie. Celui qui a développé l'équanimité accepte les personnes et les situations pour ce qu'elles sont, puis agit de façon créative afin de susciter des résultats, les meilleurs possibles pour chacun. Parfois l'équanimité réclame simplement de la tolérance, de la compréhension et de la patience. L'équanimité est également un sentiment profond de paix qui ne se laisse troubler ni par les hauts ni par les bas de la vie.

Ceux qui ont remplacé les trois poisons par les quatre vertus infinies sont non seulement peu enclins à commettre des actes qui nuisent aux autres, mais deviennent des personnes qui sont reconnues pour leur générosité, leur intégrité et leur sereine confiance en soi. Lorsque le coeur est plein d'amour, de compassion, de joie et d'équanimité, on provoque tout naturellement des changements positifs dans son environnement et auprès de ses proches.

La nouvelle attitude peut dans un premier temps s'exprimer par des gestes simples comme de céder sa place dans les transports ou par la manière dont on salue ses collègues ou ses clients. Puis, à mesure que les quatre vertus grandissent, on peut ressentir le désir d'aider par un travail bénévole ou par des dons en argent ou d'autres biens. Une telle ouverture et l'enthousiasme à oeuvrer pour le bien-être de tous est le début de l'Éveil et d'un vrai bonheur, but du Dharma du Bouddha.

Au début de la lettre Le riche Sudatta, gosho de la tradition Nichiren, l'auteur écrit :

"Comme beaucoup de choses dans la vie, devenir bouddha n'a rien d'extraordinaire. Cela consiste, par exemple, à donner de l'eau en période de sécheresse à une personne qui a soif, ou à procurer du feu à une personne lorsqu'il fait froid. Ou encore, c'est faire ou donner quelque chose d'irremplaçable pour sauver une personne en danger de mort."(réf.)

Nul besoin de croire en un quelconque système métaphysique de récompenses et punitions pour se rendre compte qu'une personne qui est dominée par l'avidité, la colère* et l'ignorance est une personne malheureuse. Ses actions, ses relations avec les autres et son environnement seront l'inévitable reflet de la frustration, de l'animosité et de la confusion que signent les trois poisons.

A l'inverse, ceux dont le coeur et l'esprit sont remplis d'amour, de compassion, de joie et d'équanimité seront des personnes dont le bonheur, la créativité et la sérénité auront un effet apaisant sur les autres et le monde autour d'eux.

Cela étant, le Bouddha a enseigné que la vie s'étend au-delà d'une unique naissance et mort. En s'appuyant sur son profond Éveil au processus de la vie/mort ainsi que sur la loi de causalité, le Bouddha a compris que ce que nous sommes et ce à quoi nous sommes confrontés dans cette existence, est lié aux actions commises dans nos vies précédentes. Tout comme ce que nous deviendrons dans nos existences futures dépend de ce que nous faisons dans le présent. En d'autres termes, chaque pensée, chaque parole et chaque action a le pouvoir de créer notre destinée dans cette existence et celles à venir.

Les six mondes
Dans la vision que le Bouddha a du monde et du processus universel des renaissances gouvernées par la loi de causalité ou karma, nos actions et nos prises de position ne nous qualifient pas toujours pour une renaissance en tant qu'êtres humains. En d'autres termes, le fait d'être né en tant qu'être humain fait déjà partie de l'enjeu. Si nous cédons régulièrement aux trois poisons et vivons de façon inhumaine, nous renaîtrons dans un état non-humain. Et à l'inverse, ceux qui vont au-delà de la morale quotidienne et cultivent avec succès les quatre Demeures divines auront la possibilité d'accéder à une existence future plus céleste et raffinée. Les différents Mondes-états (y compris celui de l'humanité) par lesquels transitent les êtres vivants, conformément à la loi de causalité, sont appelés les "six Mondes-états" ou les Six chemins de transmigration. Ils sont représentés sur le cercle suivant de la roue du devenir.

Avant d'entrer dans le détail de ces six Mondes, il faut préciser qu'il ne convient pas de prendre cet enseignement au sens littéral. Ce ne sont pas des descriptions d'êtres réels ou d'endroits localisables, mais des métaphores pour des états d'esprit et des façons de voir et d'interagir avec le monde en fonction de ses habitudes, de ses tendances et de ses préjugés. En fait, selon le bouddhisme, il est plus important d'apprendre à contrôler notre vie actuelle et nous diriger vers des états humains et merveilleux plutôt que de spéculer sur l'après-mort. L'image des six Mondes nous aide dans l'effort que nous faisons pour prendre conscience de la façon dont ces états se manifestent à chaque instant. Nichiren souligne souvent ce point. Voici un passage particulièrement explicite dans le gosho traditionnellement intitulé Enfer et bodhéité :

"Ni la Terre pure, ni l'enfer n'existent en dehors de nous-mêmes ; ils se trouvent dans notre propre coeur. On appelle bouddha celui qui s'éveille à cette vérité, celui qui l'ignore, simple mortel (bompu). Le Sutra du Lotus nous éveille à cette réalité et celui qui croit dans le Sutra du Lotus découvrira que l'enfer même peut se changer en Terre de Bouddha. Même si l'on pratique les enseignements provisoires depuis d'innombrables kalpas, si l'on s'écarte du Sutra du Lotus, on ne pourra que tomber en enfer."(réf.)

Cela étant précisé, examinons chacun des six Mondes-états afin de savoir les reconnaître.

Tout en bas se trouve le Monde des enfers (naraka) figuré dans la partie inférieure de la roue. Le bouddhisme dénombre plus d'une centaine d'enfers, avec huit enfers majeurs brûlants et huit enfers majeurs glacés, que connaissent ceux qui sont à tel point consumés par la haine, l'amertume et le désespoir que leur seul désir est de se détruire et de détruire les autres par dépit et pulsion d'anéantissement.
Le Monde des esprits affamés (preta) est à peine meilleur. Il se trouve à droite dans la partie inférieure de la roue. On décrit les preta avec d'énormes bouches et le ventre gonflé, mais des gorges minuscules. Ceux-ci ne peuvent jamais être rassasiés et se consument dans un désir intense. C'est l'état de ceux qui souffrent de toutes sortes d'addictions qui contrôlent et dominent leur vie. Cette addiction peut être la drogue, l'alcool, le sexe, le jeu, le pouvoir et même la religion.
Le Monde des animaux (tiryagyoni) est représenté à gauche de la partie inférieure de la roue. C'est l'état de la ruse, de l'agression brutale et des désirs instinctifs, un état où l'on ne recherche que la gratification immédiate, sans se préoccuper des conséquences ou du bénéfice à long terme. Ici, plaisir et peine règnent sans partage sur la raison et en dehors de toute morale. Tout en étant moins douloureux que les deux précédents états, ce Monde conduit inévitablement à la frustration et la confusion, si ce n'est à la douleur et la souffrance.
Le Monde des démons combattants (asuras) apparaît en haut à droite, avec l'échelle dressée. C'est le domaine des démons arrogants, obsédés par leur propre pouvoir et dont l'unique désir est de renverser les dieux bienveillants du Ciel. L'histoire de leurs guerres vient des mythes védiques de l'Inde ancienne. On en trouve un équivalent dans la mythologie grecque où les titans luttent contre les dieux de l'Olympe. Elle apparaît également dans la Bible où les anges rebelles menés par Satan tentent de renverser Dieu et sont expulsés par les anges restés fidèles. C'est un état plein d'orgueil et d'arrogance, de compétitivité extrême et d'envie. Les personnes qui vivent dans cet état ne peuvent jamais rester en repos et se sentir en sécurité, car elles doivent constamment veiller à maintenir ou augmenter leur prestige, quel que soit le degré auquel elles soient déjà parvenues.
Le Monde des humains (manushya) se situe en haut à gauche. Dans cet état, les souffrances sont reconnues pour ce qu'elles sont et l'on fait appel à la morale et à la raison pour améliorer la condition humaine. A ce stade peut commencer une vie civilisée. Le Monde-état des humains est considéré comme une grande chance, car la raison n'y est pas écrasée par la souffrance et les errements dans les Quatre mauvaises voies - comme sont appelés les quatre Mondes précédents - et elle n'est pas non plus distraite par le plaisir de la Voie céleste. Dans le Monde-état des humains, ceux qui sont capables de se relier au Dharma, et avoir ainsi une tête claire et une forte discipline, seront en mesure de rechercher l'Éveil et d'atteindre la Voie de la délivrance.
En haut de la roue se trouve le monde-état céleste où séjournent les dieux (deva). Au contraire du concept occidental du paradis, le séjour céleste bouddhique n'est pas un lieu d'éternel salut. C'est plutôt le domaine transitoire de béatitude où les désirs sont satisfaits. C'est également le domaine d'une subtilité et d'un raffinement toujours grandissants, au-delà de nos concepts terrestres de temps, d'espace et de matière. Cet état est atteint en réponse aux bonnes actions et également lors de la méditation bouddhique ou d'autres disciplines spirituelles. Toutefois, ce Monde fait partie de la roue du devenir et ceux qui se trouvent en haut auront à un certain moment à "redescendre sur terre".

Voilà les Mondes-états que tout le monde peut expérimenter à tout moment dans la vie quotidienne. Chaque état succède rapidement ou lentement à un autre, plusieurs fois par jour.

Dans l'un de ses Traités majeurs, le Kanjin no honzon sho (Traité sur l'observation du coeur), Nichiren remarque :


"Quand nous regardons le visage des autres, il change d'un moment à l'autre. Il nous paraît tantôt joyeux, tantôt furieux, tantôt calme. Parfois ce visage exprime l'avidité, parfois l'ignorance, parfois la flatterie. La fureur est le monde de l'enfer ; la convoitise*, le monde des esprits affamés ; la bêtise, le monde de l'animalité ; la flatterie, le monde des asuras ; la joie, le monde du Ciel et le calme, le monde de l'humanité. Ainsi nous pouvons voir les six voies de l'illusion, dans l'expression des gens depuis l'enfer jusqu'au monde des dieux." (réf.)

Chaque état d'esprit renferme en soi tous les autres. Ils ne s'excluent pas mutuellement : le désespoir, l'avidité, l'instinctivité, la raison, l'orgueil et la béatitude témoignent d'une certaine condition sous-jacente aux autres, et tous ces états peuvent évoluer de l'un à l'autre. Par exemple, si nous rationalisons une pulsion irréfléchie destinée à satisfaire un désir, tout en maintenant notre sens moral, nous mélangeons les mondes des humains, des animaux, des esprits affamés et des démons combattants. Ou bien, si un toxicomane touche le fond et qu'il s'ensuit une conversion religieuse, il démontre à quel point les mondes des esprits affamés, de l'enfer et de l'état céleste sont proches et découlent l'un de l'autre. Et ce ne sont là que deux des innombrables combinaisons possibles.

Chacun de nous, cependant, s'ancre dans la vie en laissant prédominer habituellement un ou deux de ces mondes-états. L'un des premiers buts de la récitation de Namu Myoho Renge Kyo est d'élever notre esprit jusqu'à la clarté et la stabilité relative du monde des humains, de sorte que le véritable cheminement vers l'éveil puisse commencer. Selon le Bouddha, le tourbillon des quatre mondes inférieurs nous pousse à croire que la souffrance est inévitable et aggrave les trois poisons qui nous tirent vers le bas. De même, le monde céleste peut trop facilement mener à la satisfaction et nous faire penser que la souffrance ne nous concerne pas.

Notre tâche ultime est de nous libérer de la roue du devenir. Mais cela est extrêmement difficile à réaliser si l'on se prélasse dans le luxe ou si l'on est accablé par la tragédie.

Prenons, par exemple, le cas d'un homme dont le toit fuit. Lorsqu'il pleut, l'homme se plaint que les conditions sont trop mauvaises pour entreprendre des réparations et qu’il doit supporter la souffrance d'un toit percé. Quand le soleil luit, l'homme proclame que le jour est trop merveilleux pour s'inquiéter d'un toit délabré. Alors qu’il devrait réparer son toit dès la première occasion et cesser de se chercher des excuses, qu’un temps couvert devrait le dissuader de partir pique-niquer et plutôt lui rappeler la pluie à venir afin de le motiver à réparer sa maison, il n’en est absolument rien. De la même façon, l'état d'humanité présente une tension égale entre le bonheur et la souffrance. C'est pourquoi cet état est le plus favorable à la recherche de la délivrance (gedatsu).

Tous ceux qui sont dominés par les six Mondes-états ont en commun la recherche du bonheur en dehors d'eux-mêmes. Même ceux qui ont élevé leur conscience en cultivant les quatre Vertus infinies en dehors du Dharma bouddhique échouent à en découvrir la véritable source. Ils ne réalisent pas que la source des vertus et du bonheur est le Dharma Merveilleux qui doit être développé dans leur vie à partir de leur nature de bouddha. Du Ciel le plus élevé jusqu'à l'enfer le plus profond, tous les êtres sont capables de s'éveiller à la vraie nature de la réalité.

C'est la fonction du bodhisattva présent dans chacun des six Mondes de la roue du devenir. Il représente le potentiel qu'il appartient à chacun de développer, tout ce qui vit possédant la nature de bouddha. Ces bodhisattvas représentent également la présence du Bouddha dans les six Mondes-états. Ils manifestent les intentions du Bouddha de mener tous les êtres à la bodhéité par la propagation du Véhicule unique explicité dans le Sutra du Lotus. Un gosho de la tradition nichirenienne dit :

"Pareillement, l'esprit de celui qui récite daimoku en suivant l'enseignement du Sutra du Lotus ne sera jamais déformé. Car, il faut le savoir, si l'esprit du Bouddha n'avait pas pénétré en nous, il nous serait impossible, en fait, de réciter daimoku." (Lettre à Myomitsu Shonin) (réf.)

Cela ne signifie pas que nous soyons possédés ou que Shakyamuni parle par notre bouche. L'esprit du Bouddha éternel pénètre en toute chose et éclaire la foi. Si bien que celle-ci confirme l'enseignement du Lotus afin que tous les êtres puissent atteindre la bodhéité.

Les Trois Obstacles et Quatre Démons


Les forces célestes et démoniaques propres à ces six Mondes doivent aussi nous rappeler la multitude de pulsions intérieures qui agissent au niveau de l'inconscient. Celles-ci peuvent soit nous aider, soit former des barrières. Souvenirs du passé, associations positives ou négatives, préjugés, habitudes ou prédispositions - tout cela peut obscurcir notre vision des choses et freiner nos aspirations. Par ailleurs, nous avons aussi des éclairs d'intuition et des élans d'enthousiasme. En période de crise, beaucoup de personnes découvrent des réserves cachées de courage, de compassion et de détermination dont elles ignoraient jusqu'alors l'existence. Il peut même y avoir des activations de spiritualité. Dans son ouvrage Les Formes multiples de l'expérience religieuse (réf.), William James pense que si vraiment il existe des forces spirituelles à l'œuvre dans notre vie, c'est précisément par les phénomènes inconscients qu'elles se font ressentir.

Par analogie avec notre conscience primaire qui, en se développant, ouvre nos sens et nous pousse à entrer en contact avec les objets matériels, il serait logique de penser que s'il existe des instances spirituelles supérieures susceptibles de nous toucher directement, la condition psychologique de leur activation est l'existence en nous d'une fonction inconsciente par laquelle ces instances peuvent se réaliser.

En outre, les circonstances et les événements extérieurs semblent mystérieusement correspondre aux nécessités de notre vie intérieure, nous fournissant les catalyseurs nécessaires pour faciliter notre développement en tant qu'êtres humains. C.G. Jung appelle "synchronicité" ces coïncidences significatives. Mais quel que soit le nom ou l'explication de ces forces internes ou externes, elles sont un facteur important dans la vie de beaucoup de gens, particulièrement chez des personnes sensibles ou attentives à ces phénomènes. Les dieux, démons et autres entités surnaturelles des six Mondes sont là pour nous rappeler que nos vies sont régies par bien autre chose que nos décisions conscientes ou le caractère aléatoire des événements extérieurs.

Nichiren cite souvent Zhiyi (538-597), le fondateur chinois de l'école bouddhiste Tiantai, à propos d'obstacles extérieurs et intérieurs auxquels il faut se confronter dès que l'on commence à suivre la Voie bouddhique. Le passage suivant en est un bon exemple :

"Le cinquième volume du Maka Shikan de Zhiyi dit : 'Au fur et à mesure que la pratique progresse et que grandit la compréhension, les Trois Obstacles et les Quatre Démons apparaissent, rivalisant les uns avec les autres pour faire entrave. Ils essaient toujours d'effrayer le gens pour les empêcher de comprendre le Vrai Dharma'. Cette citation est comme un clair miroir aussi bien pour moi que pour mes disciples. Etudiez le Dharma avec respect et servez-vous en afin de vous fortifier pour l'avenir". (Lettre aux Frères) (réf.)

Nichiren a également parlé de bienfaits et de transformations positives qu'apporte la récitation de Namu Myoho Renge Kyo , à propos des différents êtres des six Mondes-états, tels que les bouddhas, les bodhisattvas et les disciples libérés de la roue du devenir. De son point de vue, faire appel au Dharma Merveilleux en récitant Namu Myoho Renge Kyo n'est pas uniquement une contemplation individuelle et une transformation intérieure. C'est, en fait, un processus cosmique qui invoque la nature de bouddha universelle et grâce auquel nous découvrons notre unité avec tout ce qui vit, en nous libérant de l'intérêt mesquin pour nous-mêmes et en dévoilant le chemin caché vers la bodhéité.

Un passage de gosho inspiré de la tradition nichirenienne dit :

"Ce qui est révélé dans Myohorengekyo, c'est que notre état de bouddha à nous simples mortels et l'état de bouddha de Bonten, Taishaku et des autres divinités ; l'état de bouddha de Shariputra, Maudgalyayana et des autres auditeurs-shravakas, l'état de bouddha de Manjushri, de Maitreya et des autres bodhisattvas ne font qu'un et sont identiques au Dharma Merveilleux auquel se sont éveillés tous les bouddhas des Trois phases de la vie. C'est ce principe qui a pour nom Myohorengekyo. Par conséquent, quand on a récité une fois Myohorengekyo, par ce seul son, on fait jaillir et apparaître l'état de bouddha de tous les bouddhas, de tous les dharmas, de tous les bodhisattvast, de tous les auditeurs-shravakas, de toutes les divinités telles que Bonten, Taishaku, et le roi Yama, du Soleil, de la Lune, des myriades d'étoiles, des divinités célestes aussi bien que terrestres, et de tous les êtres humains dans les mondes-états d'enfer, d'avidité, d'animalité, d'asura, d'humanité et de bonheur divin aussi bien que l'état de bouddha de tous les autres êtres vivants. C'est un bienfait incommensurable, sans limites. Lorsque nous prenons pour objet de vénération Myohorengekyo qui existe dans notre propre vie, nous appelons l'état de bouddha qui se trouve en nous et grâce à notre récitation de Namu Myoho Renge Kyo, il se manifeste : c'est cela que l'on appelle "bouddha". Imaginez, par exemple, un oiseau qui chante, prisonnier de sa cage. Les oiseaux volant librement dans le ciel entendent son appel et se rassemblent autour du prisonnier. En voyant les oiseaux prendre leur essor dans le ciel, l'oiseau en cage essaie d'en sortir. Quand notre bouche récite le nom du Dharma Merveilleux, notre état de bouddha, ainsi appelé, se manifeste immanquablement. Cela éveille du même coup l'état de bouddha de Bonten et Taishaku qui, appelés par notre voix, nous protègent ; et la bodhéité des bouddhas et des bodhisattvas, appelée elle aussi, se réjouit. Voilà le sens du passage dans lequel le Bouddha déclare : "Ceux qui croient dans ce Sutra du Lotus, ne serait-ce qu'un instant, me réjouissent et réjouissent tous les autres bouddhas." Tous les bouddhas des trois phases de la vie atteignent aussi la bodhéité grâce aux cinq caractères Myo Ho Ren Ge Kyo. Ces cinq caractères sont la raison pour laquelle les bouddhas des Trois phases de la vie sont venus en ce monde ; ils sont le Dharma Merveilleux qui permet à tous les êtres vivants de parvenir à l'Éveil. En comprenant bien cela, sur la voie qui conduit à la bodhéité, récitez Namu Myoho Renge Kyo sans orgueil ni attachement à des conceptions erronées." (Parvenir directement à la bodhéité grâce au Sutra du Lotus). (rréf.)

 
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