Fleur du Dharma

Ryuei Michael McCormick


Chapitre VIII - Non-dualité
Première partie

Glossaire

Je vois aussi des bodhisattvas
qui ont compris que la nature de tous les dharmas
n'est pas duelle,
mais non-substantielle comme l'espace.

(Sutra du Lotus - Chapitre I - Introduction).


Le bouddhisme enseigne que tout ce qui existe participe à une dynamique interdépendante ou, autrement dit, que tous les phénomènes sont imbriqués les uns dans les autres. Les phénomènes que nous considérons généralement comme séparés et distincts sont en réalité reliés entre eux, et vont parfois jusqu'à s'assimiler mutuellement. Cet enseignement découle naturellement des principes de base de la production conditionnée et des neuf consciences étudiés dans les chapitres précédents. La vision non-duelle du monde propre au bouddhisme se distingue radicalement des dualismes religieux, philosophiques et même scientifiques qui prédominent dans la culture moderne.

Shiki Shin Funi : la non-dualité du corps et de l'esprit

Commençons notre exploration des non-dualités bouddhiques par celle du corps et de l'esprit. Dans le bouddhisme de Nichiren, nous utilisons pour cela l'expression shiki shin funi. Shiki signifie "corps" et shin, "esprit" ou "cœur". Funi veut dire "non deux". Cette simple expression résume une attitude totalement différente à l'égard du corps et de l'esprit que celle qui caractérise les assertions classiques de la philosophie occidentale. Celle-ci considère le corps et l'esprit comme deux entités distinctes, réunies d'une certaine façon l'une à l'autre. Cette conception a dominé le monde occidental au moins depuis Platon. Selon les enseignements de ce dernier, nous sommes en réalité des âmes qui, à cause de leurs passions et de leur ignorance, ont été chassées du monde idéal des formes dans des corps d'un monde matériel. Nous devons nous efforcer de nous libérer de la sensualité et de l'ignorance pour pouvoir revenir dans le monde parfait des formes et échapper ainsi à la fatalité d'une perpétuelle réincarnation. Cela pourrait ressembler au bouddhisme, mais en réalité cette conception en est totalement différente. En fait, cela est assez proche des idées qui ont été clairement rejetées par Shakyamuni.

Avant d'examiner la différence entre bouddhisme et platonisme voyons de quelle façon les idées de Platon sont parvenues jusqu'à nous et les conséquences de cette philosophie sur la culture occidentale. Au début du christianisme, l'idée que nous sommes des âmes immortelles projetées dans des corps matériels à cause de nos désirs sensuels était largement répandue à travers l'Empire romain. L'enseignement de réincarnations successives et de la dualité du corps et de l'esprit était partagé par beaucoup de premiers chrétiens. C'était particulièrement vrai pour ceux qui avaient une forme d'esprit plutôt métaphysique ou philosophique, par exemple, les gnostiques ou bien le théologien éminent du IIIe siècle, Origène, et cela malgré le fait que la Bible ne parle jamais de la vie humaine en termes duels. Bien plus, la promesse du christianisme n'est pas la libération de l'âme immortelle de la prison du corps, mais de la résurrection finale qui est une transformation et une restauration de la personne dans son entièreté. Nous savons qu'à la fin, le christianisme, tel que nous le connaissons, a prévalu sur le gnosticisme, le paganisme et les religions initiatiques. Lors de ce processus, il a supprimé les enseignements gnostiques concernant la réincarnation ainsi que les formes les plus extrêmes du dualisme. Malheureusement, l'Eglise a gardé la croyance en une âme bonne et un corps mauvais. Saint Augustin en porte une grande part de responsabilité, car c'est lui qui a formulé la doctrine du péché originel qu'il a associé au désir charnel. Il convient de noter qu'avant de se convertir au christianisme, saint Augustin faisait partie des manichéens, une branche des gnostiques pour qui le corps et le monde matériel étaient le mal, alors que l'âme et le monde spirituel étaient le bien. Il semble qu'après sa conversion, saint Augustin ait rejeté les formes les plus extrêmes de ces enseignements, mais ait gardé l'attitude sous-jacente. A partir de là, le christianisme occidental a officiellement enseigné l'unité du corps et de l'esprit dans leur essence, mais a continué à considérer le corps au mieux avec suspicion et, au pire, avec mépris et haine.

Au XVIIe siècle, Descartes a repris à son compte la division corps/esprit dans sa célèbre formule lapidaire : "Cogito, ergo sum", "Je pense, donc je suis". Par là il affirmait la réalité de son moi parce qu'il percevait un moi en train de penser. Le bouddhisme réplique à cela quelque chose comme "Je pense, donc il y a des pensées qui engendrent la notion d'un moi pensant". En tout état de cause, pour Descartes le corps et l'esprit sont deux substances distinctes : le corps est une "substance étendue" alors que l'esprit est une "substance pensante". Ensuite il a dû s'expliquer sur la façon dont le corps et l'esprit sont unis l'un à l'autre. C'est ainsi qu'il a chargé de cette fonction la glande pinéale*. Bien sûr, maintenant cela nous fait sourire ; cependant, les spéculations de Descartes sont devenues "le sens commun" et nous perpétuons encore ses assertions - sauf en ce qui concerne la glande pinéale.

Sans plus nous appesantir sur la longue et complexe histoire de la science, de la religion et de la philosophie occidentales, voici en quelques mots la situation actuelle. La science et la médecine (à l'exception de la psychologie) se sont réservées l'étude du monde matériel et du corps. Leur juridiction couvre tout ce qui s'inscrit dans l'espace, possède une forme matérielle et peut être quantifié, ce que Descartes appelait "substances étendues". Dans ses positions les plus matérialistes, la science insiste sur le fait que l'esprit n'est pas une substance à part, mais un sous-produit d'un processus matériel. C'est là une des façons de résoudre le dualisme. A l'opposé, la religion privilégie l'esprit. Elle a tendance à ignorer le monde matériel ou bien le fustige comme étant une "distraction de la béatitude céleste" qui nous attend, si nous nous concentrons sur des préoccupations spirituelles, tel le salut de notre âme. Certaines formes de religion enseignent même que le monde matériel n'est qu'une illusion qui tire sa réalité d'un monde spirituel, autrement dit de l'esprit. C'est une autre façon intéressante de régler le problème de la dualité. Mais en fin de compte, la personne entière, dotée d'un aspect corporel et spirituel, n'est jamais prise en compte par la plupart des structures laïques ou religieuses.

La conséquence d'une telle situation est une sévère aliénation qui affecte notre santé mentale et notre santé physique. Origène, le théologien dont nous avons parlé plus haut, s'est castré lui-même parce qu'il sentait que ses désirs charnels l'empêchaient de réaliser ses buts spirituels. Voilà un des nombreux exemples du dualisme autodestructeur. Cela n’est pas sans rappeler également l'histoire des adeptes du Heaven's Gate (La Porte du Paradis) qui se sont suicidés pour se libérer de leurs "contenants physiques". Auparavant, plusieurs hommes de cette secte s'étaient déjà castrés. Shakyamuni, au contraire, enseigna qu'on devait prendre soin de son corps. Il faut comprendre la grande valeur de notre vie en tant qu'être humain car c'est à travers notre existence corporelle dans ce monde que nous pouvons rencontrer et pratiquer le Dharma. Loin de considérer le corps comme un ennemi ou une prison, Shakyamuni enseignait que le corps lui-même était le support de la pratique de la perception mentale qui conduit à la bodhéité. Nous développons la conscience du corps en portant notre attention sur le souffle. Puis nous étendons notre conscience aux différents états du corps, aux fonctions, aux parties qui le constituent. C'est une façon plus saine et plus productive de relier le corps et l'esprit.

Quant à l'esprit, il a été également sous-estimé par la communauté scientifique et médicale jusqu'à il y a peu. La médecine occidentale, suivant en cela Descartes, considérait généralement le corps comme un mécanisme. Cette machine pouvait être remise en état simplement en réparant ou en remplaçant des pièces, ou bien en usant de drogues adéquates. L'influence de l'esprit sur la santé et son rôle dans la guérison n'étaient pas sérieusement pris en compte jusqu'à environ 1990. Les médecins connaissaient certes "l'effet placebo" qui met en évidence l'effet positif de la foi du patient en un traitement, même si celui-ci n'a aucune réalité strictement médicale. Ils savaient également que beaucoup de maladies, comme les ulcères, l'asthénie chronique, les allergies, l'anorexie, étaient provoquées ou aggravées par le stress ou le mal-être psychique. Mais on se contentait de qualifier ces maladies de "psychosomatiques", de symptômes physiques provoqués par l'esprit. Et l’on avait tendance à les considérer comme des exceptions à la règle selon laquelle le corps et l'esprit étaient deux entités distinctes qui pouvait incidemment s'affecter l'une l'autre. Cet état de choses a commencé à changer grâce aux recherches, dont celle du psychiatre David Spiegel de l'Université de Stanford. A partir du milieu des années 70, Spiegel a étudié les effets que pouvaient avoir des groupes de soutien, hommes et femmes, auprès de malades souffrant du cancer du sein à un stade avancé. Alors qu'il s'attendait à une simple amélioration de la santé émotionnelle des patientes, il a constaté que la vie de celles-ci était prolongée en moyenne de 18 mois. C'était plus du double de celles qui ne participaient pas aux groupes de soutien et également plus que ce qui pouvait être mis sur le compte des traitements médicamenteux. Après la publication par Spiegel de ces résultats en 1989, beaucoup d'autres recherches ont été entreprises dans ce sens.

S'appuyant sur les résultats de ces recherches et d'autres découvertes et expériences, Daniel Goleman et Joël Gurin font le commentaire suivant dans leur ouvrage La médecine du corps/esprit (réf.) :

L'ensemble de ces travaux et expériences cliniques suggère que la dichotomie entre corps et esprit, longtemps cautionnée par la philosophie occidentale, est en fait illusoire. Les études effectuées accordent une large place à une "nouvelle synthèse", dans la science médicale. Ainsi se voit promue une médecine du corps/esprit, une approche qui considère l'esprit (pensées et émotions) comme ayant un impact capital sur la santé du corps.

Pour les patients cette nouvelle synthèse a une grande signification pratique. Cela signifie que si vous prenez en compte et exercez un certain contrôle sur votre état émotionnel et mental - soucis, répulsions, réactions habituelles, pessimisme et dépression - vous contribuez à rester en bonne santé ou, en cas de maladie, à guérir plus rapidement.

Du point de vue des médecins, des infirmiers et des autres personnels de santé, il y aurait beaucoup à gagner si on allait au-delà de l'aspect uniquement physique et tenait compte de la manière dont la maladie est vécue, la manière dont elle affecte l'esprit du malade et les réactions émotionnelles qu'elle provoque.

En un mot, le principe de base de la médecine corps-esprit est le traitement de la personne dans sa globalité. Le traitement de la détresse émotionnelle devrait être un complément essentiel des soins médicaux standards. Dans les soins apportés à leur santé, les patients peuvent être des participants actifs, soit en prévenant les maladies, soit en les abrégeant par un contrôle de leurs états psychiques.

Bien évidement, ce principe doit être modulé en fonction de nombreux facteurs propres au fonctionnement de la santé et de la maladie. Personne ne s'attend à ce que les patients puissent se guérir eux-mêmes par les seules pensées positives. Cette idée simpliste ignore la complexité de la biologie et de l'encodage de nos gênes. Et, ce qui est pire, cette idée peut donner aux malades un sentiment de culpabilité par rapport à leur maladie, alors que ce n'est pas du tout le message de la médecine corps/esprit.

Toutefois, il devient de plus en plus évident que l'état d'esprit peut influencer la santé physique. Et même si l'influence de l'esprit peut ne pas avoir un effet aussi spectaculaire que, par exemple, la pénicilline dans le traitement d'une pharyngite à streptocoque, elle peut néanmoins être significative. Les approches corps/esprit peuvent certainement réduire la sévérité et la fréquence des symptômes médicaux. Elles peuvent aider à rendre les maux de tête moins fréquents, réduire les nausées qui accompagnent la chimiothérapie, accélèrent le rétablissement après une intervention chirurgicale et permettent aux arthritiques d'être moins handicapés par la douleur. De plus, cette approche peut aider à augmenter la résistance du corps à la maladie.

Dans le bouddhisme de Nichiren, la pratique de daimoku est employée pour renforcer la puissance de l'esprit afin de surmonter la maladie. Bien que la pratique de Namu Myoho Renge Kyo soit principalement orientée sur l'atteinte de la bodhéité, le bouddhisme reconnaît qu'un esprit sain, en harmonie avec le Dharma Merveilleux, peut influer sur la santé et l'harmonie du corps.

Le point de vue bouddhique sur la relation entre le corps et l'esprit est très différent de celui de Platon, saint Augustin ou Descartes. Au lieu de se représenter le corps et l'esprit comme deux substances distinctes, Shakyamuni a parlé du corps et de l'esprit en termes de différents aspects d'un processus unique. La tradition bouddhique enseigne que l'individu se compose de cinq agrégats : la forme, (shiki, rupa), la sensation, la perception-(vedana), la conceptualisation (sanjana), la volition (samskara) et la conscience embryonnaire (vijnana, shi-ki). En effet, tout ce que nous expérimentons relève de l'un ou de plusieurs de ces composants. Ce ne sont pas cinq substances séparées mais différents facteurs ou étapes dans le processus de la prise de conscience de toute chose, y compris l'expérience d'être un moi.
- La forme représente l'objet ou les objets qui sont expérimentés par les cinq sens, ou bien les objets mentaux telles les pensées et les émotions qui sont expérimentées par le mental ; - L'objet provoque des sensations qui peuvent être agréables, désagréables ou neutres ; - Les sensations sont ensuite conceptualisées ; - Les conceptualisations provoquent certaines attitudes, décisions et réactions ; - Tout cela provoque la perception d'un sujet conscient expérimentant ces objets et qui réagit, ou ne réagit pas, par une action.

Le bouddhisme se concentre principalement sur la conscience et la perception de soi qui résultent de ce processus. Il constate qu'il n'y aurait pas de conscience s'il n'y avait pas d'objets. Sans objets aucune expérimentation n'est possible. Même les tenants du Rien-que-Conscience ne nient pas les objets d'expérience. Ils mettent simplement l'accent sur le fait que sans le truchement de la conscience il ne peut y avoir de perception de la réalité et que toutes les choses peuvent être vues en tant que manifestations d'un processus universel qui engendre la conscience. Ce point de vue considère l'aspect mental et physique de la réalité comme des parties intégrantes l'un de l'autre et non pas comme des substances distinctes ; ce sont deux pôles différents du processus de la production conditionnée. Si nous réexaminons la chaîne causale, nous voyons que la conscience produit le corps-esprit qui produit les six sens. La conscience-réservoir (alaya-vijnana) qui est le champ de toutes les actions physiques et mentales, produit le nom-forme (nama-rupa) actuel, notre corps/esprit du présent. C'est cela qui nous permet de faire de nouveau l'expérience du monde au travers de nos sens physiques et de notre sens mental (pensées et idées). Notre conscience des expérimentations physiques et mentales des différents événements met en mouvement d'autres activités physiques et mentales qui deviennent, à leur tour, des graines dans notre conscience-réservoir et parviennent à la fructification dans des expérimentations physiques et mentales ultérieures. Dans ce processus, il n'y a pas de clivage, pas d'âme immuable collée à un corps physique qui aurait besoin de revenir à la pureté d'un monde spirituel. Le but du bouddhisme est la transformation de notre expérience consciente de la vie, faite de phénomènes physiques et mentaux. Plutôt que de nous affranchir de notre corps, le but de la vie est de nous éveiller au Dharma Merveilleux, de sorte que notre corps et notre esprit expriment la sagesse et la compassion de la bodhéité. Nous récitons Namu Myoho Renge Kyo pour la transformation de tout notre être et non pas seulement de notre esprit.

En résumé, le point de vue dualiste de Platon, à la base de la culture occidentale, considère l'esprit (ou âme) comme distinct du corps qui est sa prison. La spiritualité occidentale est tournée vers le déni des désirs de la chair et le renoncement à ce monde pour une existence spirituelle où l'esprit est libre des contraintes corporelles avec ses exigences et sa fragilité. En conséquence, la science occidentale insiste sur le fait que l'esprit est un sous-produit du corps (tout particulièrement du cerveau) et que le confort matériel et la réussite dans cette vie sont le seul paradis qui peut être réalisé. Alors que le bouddhisme reconnaît que le corps et l'esprit sont deux aspects différents de la production conditionnée, et que le bonheur ne peut être trouvé qu'en dépassant l'autocentrisme et l'égoïsme qui s'appuient aussi bien sur l'esprit que sur les désirs corporels. En outre, la pratique bouddhique est fondée sur le développement de l'Éveil par le biais d'un processus à la fois physique et mental, et tend à réaliser la vraie nature de la réalité, ce qui englobe le corps et l'esprit. À la différence du dualisme spirituel ou du matérialisme réductionniste qui ont dominé l'Occident la majeure partie de son histoire, le bouddhisme présente un point de vue sur le monde et un mode de vie fondamentalement exempt du dualisme et reconnaît l'unité du corps et de l'esprit.

Nous venons d’évoquer la pratique de Namu Myoho Renge Kyo par rapport à la non-dualité corps/esprit. Mais quel est l'enseignement de Nichiren sur les causes et le traitement des maladies dans l'optique du Sutra du Lotus et de Namu Myoho Renge Kyo ? Dans une lettre à un de ses disciples malade, Nichiren explique la nature des maladies en citant un texte de Zhiyi, le fondateur de l'école Tiantai, qui distingue six causes de maladie. Les cinq premières sont essentiellement physiques ou matérielles, et ces maladies peuvent être traitées par différentes médecines, la chirurgie ou l'exercice. La sixième cause est répertoriée comme étant "l'effet du karma", désignant ainsi l'effet des actions engrangées sous forme de graines dans la conscience-réservoir. Au-delà de la prévention et du traitement des maladies par les médecines, la chirurgie, l'exercice ou un régime sain, nous devons accorder toute notre attention au monde spirituel caché derrière le monde matériel et le traiter avec responsabilité.

Le passage suivant de Médecine du corps/esprit montre bien que les médecins ont compris que nos attitudes et croyances affectent le corps :

En ce qui concerne la santé, il faut tenir compte de l'attitude du patient. De nombreuses études ont mis en évidence que, par exemple, l'optimisme, l'espoir, le sentiment de contrôler la situation ont une influence sur le bien-être physique. L'optimisme en ce qui concerne la santé n'est pas une attitude irréaliste à la manière de Pollyanna (note), mais un optimisme étayé par la conviction que les hommes peuvent être des acteurs actifs de leurs vies. Le pessimisme, au contraire, augmente la passivité et le défaitisme.

Bien qu'il soit techniquement difficile d'entreprendre des recherches sur le lien entre l'optimisme et la santé, plusieurs études ont maintenant prouvé que l'optimisme maintient les personnes en bonne forme. D'autres éléments psychologiques liés à l'optimisme - l'espoir et le sentiment de maîtriser la situation - se sont également avérés importants pour la santé physique. A l'inverse, un manque de sentiment de maîtrise peut mener à la passivité et au défaitisme, ce que les psychologues appellent la fragilité émotionnelle conditionnée qui laisse présager d'une mauvaise santé. (réf.)

Ces médecins en viennent à la conclusion que nos croyances et nos attitudes intérieures ont un grand pouvoir sur nos corps. C'est pourquoi la meilleure cure contre la maladie est "l'espoir et le sentiment de maîtrise". Nichiren était arrivé à une conclusion assez similaire. Pour lui, "l'espoir et le sentiment de maîtrise" est la nature atemporelle de l'Éveil du Bouddha, essence du Sutra du Lotus et clef de notre bodhéité. Par conséquent, le rejet ou l'ignorance du Sutra du Lotus revient à la négation de la bodhéité elle-même, alors que l'acceptation du Sutra revient à l'acceptation de la bodhéité et constitue la clef de la santé et de l'entièreté du corps/esprit. C'est pourquoi Nichiren affirme que la croyance dans le Sutra du Lotus est la solution à tous les problèmes de la souffrance. C'est ce qu'il écrit à son disciple malade :

A la lumière des citations précédentes, il est impossible que votre maladie ait une autre origine que les six causes de maladie. Je laisserai de côté les cinq premières pour le moment. Les maladies de la sixième sorte, qui résultent du karma, sont les plus difficiles à guérir. Elles varient en gravité, et nous ne savons rien de précis sur elles, sinon que les plus graves sont dues à l'opposition au Sutra du Lotus. Même Shennong, Huangdi, Hua-To et Bian-Que baissèrent les bras et Jisui, Rusui, Jivaka et Vimalakirti ne surent que dire. De telles maladies ne peuvent être guéries que par le bon remède, par le Sutra du Lotus du Bouddha Shakyamuni, comme il est dit dans ce Sutra lui-même. (réf.)

Esho Funi - Non-dualité des êtres et de leur environnement

Le principe bouddhique de non-dualité ne s'arrête pas au seul corps/esprit. L'enseignement de la production conditionnée implique également la non-dualité de l'être vivant et de son environnement. Le terme nichirenien pour cela est "esho funi". Esho est la contraction d'un mot, qui signifie "rétribution dépendante", et de shobo, qui signifie "rétribution proprement dite". Rétribution dépendante se rapporte à l'environnement dont l'être, ou les êtres vivants dépendent pour leur survie et dont la nature est déterminée par leur karma. La rétribution proprement dite se rapporte au corps/esprit qui est la rétribution directe du karma. Le terme funi signifie, comme précédemment, non-deux, non-duel. L'ensemble, esho funi, signifie que le corps, l'esprit et l'environnement ne sont pas des entités séparées mais des manifestations karmiques.

En Occident, notre attitude à l'égard du monde environnant a été très longtemps duelle et extrêmement destructrice. Nous avons eu la tendance à nous considérer non seulement comme séparés du monde autour de nous mais comme les seigneurs et maîtres de la création. La Bible elle-même semble approuver cette approche dans la Genèse (1/28) lorsque Dieu dit à Adam et Eve : "Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre." Ce passage biblique ne signifie pas nécessairement que nous devons aller dévaster les forêts, excaver les mines et chasser les animaux jusqu'à leur extinction, sous prétexte que cela sert à nos besoins. Bien au contraire, d'autres passages de la Bible indiquent que l'homme ne doit pas agir de la sorte. Toutefois, dans l'interprétation de la Bible, le dualisme platonicien, qui voit le monde comme une prison physique ou une sombre caverne, déteint sur le christianisme occidental. Considérer l'environnement, au mieux, comme utilement consommable et, au pire, comme un ennemi à soumettre, est tout à fait typique de la civilisation occidentale.

Ce n'est que récemment qu'une approche plus holistique commence à se dégager, considérant l'homme comme faisant partie du monde de la nature et non distinct d'elle. L'hypothèse Gaïa est une théorie scientifique encourageante car elle reconnaît la relation interdépendante entre le vivant et son environnement.

Dans son livre, Urgence planète Terre (réf.), Al Gore expose brièvement l'hypothèse Gaïa et ses implications  :

"Et si nous pouvions trouver un moyen pour comprendre notre propre connexion à la terre - toute la terre - nous pourrions reconnaître le danger de la destruction de tant d'espèces vivantes et de la destruction de l'équilibre climatique. James Lovelock, le théoricien qui a formulé l'hypothèse de Gaïa, soutient que le système complexe de la Terre adopte tout entier le comportement d'autorégulation caractéristique d'un organisme vivant, qui lui a permis de maintenir, à travers les âges, un équilibre parfait entre tous les "composants fondamentaux" nécessaires à la vie - jusqu'aux bouleversements sans précédent apportés par la civilisation moderne : Nous voyons maintenant que l'air, les océans, les sols forment bien davantage qu'un environnement pour la vie. Ils font partie de la vie elle-même. Ainsi, l'air est à la vie ce que son pelage est à un chat ou son nid à un oiseau. Non pas quelque chose de vivant, mais quelque chose d'élaboré par du vivant pour se protéger contre un monde qui, autrement, serait hostile. Pour la vie sur la Terre, l'air est notre protection contre le froid glacial et les radiations mortelles de l'espace". Lovelock affirme que sa vision des relations entre la vie et les éléments inanimés du système terrestre ne nécessite aucune explication d'ordre spirituel. Pourtant, beaucoup de ceux qui l'écoutent discernent une tonalité spirituelle dans ses propos. Ce n'est sans doute pas pure coïncidence si la proportion de sel dans notre sang est à peu près la même que dans les océans. Le processus long et complexe par lequel l'évolution a bâti le réseau des interrelations entre le vivant et l'inanimé est peut-être explicable en termes purement scientifiques, mais le simple fait de l'existence du monde vivant et de la place que nous y occupons inspire le respect, l'émerveillement, un sens du mystère - une réponse spirituelle -, quand on réfléchit à sa signification profonde."

L'interdépendance du vivant et de son support environnemental fait partie de l'enseignement bouddhique depuis toujours. Lorsque Shakyamuni a enseigné qu'il fallait être attentif au corps, il a en même temps demandé de réfléchir aux éléments qui formaient ce corps. Suivant en cela la plupart des thèses du monde antique, pour le Bouddha le corps était composé de terre, d'air, de feu et d'eau. En fait, il n'est pas difficile de reconnaître notre dépendance à l'égard de ces quatre éléments qui sont généralement considérés comme des matières "non vivantes". Par exemple, nous ne pouvons pas vivre sans la nourriture qui provient du sol, sans l'air que nous respirons, sans l'eau que nous buvons, sans la chaleur du soleil. Rien que la réflexion sur la composition de notre corps à partir de ces quatre éléments devrait suffire pour admettre que nous ne sommes rien sans notre environnement et que nous en faisons partie.

Pour aider les hommes à comprendre l'interdépendance de tout ce qui est, y compris le vivant et son environnement, les enseignements mahayana usent souvent de la métaphore du Filet de Joyaux du dieu Indra. Ce filet recouvre tout l'univers. Chaque croisement de maille de ce filet est pourvu d'un joyau réfléchissant les autres joyaux et est, à son tour, réfléchi par tous les autres. Ainsi, chaque joyau contient tous les autres. De la même manière, toutes les choses qui sont contiennent toutes les autres. Tout être vivant est un reflet du monde dont il vient et le monde est, à son tour, un reflet de tout ce qui vit. Le bouddhisme de Nichiren voit également le vivant et son environnement en tant que supports se réfléchissant les uns les autres.

Dans une lettre à un disciple, Nichiren explique la signification de esho funi, en se servant de l'analogie du corps et de son ombre.

Les dix directions sont l'environnement (eho) et les êtres vivants sont "le vivant" (shoho). L'environnement est comparable à l'ombre et le vivant est comparable au corps. Sans corps, il ne peut y avoir d'ombre. De la même manière, sans vivant il n'y a pas d'environnement. Le vivant et son environnement sont produits en même temps. (Sur les présages) (réf.).

Nichiren avait la ferme conviction, fondée sur les enseignements mahayana, que l'environnement n'est pas un simple support du vivant mais qu'il réfléchit la nature intérieure du vivant auquel il sert de support. Cette idée dépasse les projections psychologiques lorsque les gens font l’amalgame entre ce qu’ils expérimentent et leurs partis pris, leurs polarisations inconscientes. Les contenus de l’inconscient influencent, certes, la vision du monde qui nous entoure mais, selon l’enseignement bouddhique, le karma qui détermine la nature de notre corps/esprit détermine de la même façon le milieu dans lequel nous vivons. Selon cette logique, nous sommes non seulement responsables de la personne que nous sommes mais également du milieu dans lequel nous vivons et que nous quitterons en mourant.

Les six Mondes-états de la roue du devenir et les quatre Mondes-états supérieurs, ceux des auditeurs-shravakas, des pratyekabuddhas, desbodhisattvas et des bouddhas, sont, en réalité, des exemples des différents états de vie et des mondes environnementaux qui leur correspondent. La production conditionnée, la triple vérité et les neuf consciences sont différentes manières d'expliquer comment tout cela fonctionne. Dans l'optique de la production conditionnée, toute chose advient par le jeu des causes et des effets. Dans l'optique de la triple vérité, rien ne possède une nature intrinsèque fixe, mais toute chose a une nature temporaire qui est fonction des causes et des conditions qui la font advenir. Enfin, dans l'optique des neuf consciences, la conscience-réservoir est le champ où interagissent des causes et des conditions variées. Ces interactions forment la base des naissances et des morts de tous les êtres ainsi que du monde où ils vivent. Les six mondes-états décrivent différents types d'êtres qui adviennent avec leur corps/esprit/environnement lequel exprime la nature des graines karmiques dont ils proviennent.

Au XIIIe siècle, les Japonais étaient victimes d'épidémies, de tremblements de terre, d'oppression politique, et étaient menacés d'une invasion étrangère. Nichiren pensait que c'était parce que le peuple ne comprenait pas qu'il était en son pouvoir de modifier les conditions de vie par l'adoption du Sutra du Lotus, clef de la bodhéité. Lui-même avait réalisé que si les gens croyaient au Sutra du Lotus, ils seraient capables de semer les graines de la bodhéité dans la profondeur de leur vie et, par cela, de se changer eux-mêmes ainsi que de modifier les circonstances. Selon Nichiren, on peut semer les graines de l'Éveil par la simple récitation de Namu Myoho Renge Kyo car, en faisant cela, on met en mouvement les causes qui provoqueront la révolution dans la conscience-réservoir où sont engrangées toutes les graines karmiques. Une fois que la transformation des illusions en Éveil est accomplie, tous les aspects de la vie changent. L'espoir de Nichiren était qu'un jour tous pratiquent Namu Myoho Renge Kyo et, par cela, Éveillent leur esprit, restaurent leur santé et apportent la paix au monde, conformément au principe de non-dualité.
Un gosho de la tradition nichirenienne dit :

Chacun de nos instants-pensée (ichinen) inclut tous les phénomènes car il reflète toutes les parties de l'instant-pensée du Dharma universel. S'éveiller à ce principe, c'est saisir en soi-même cette relation.
Même si vous pratiquez et croyez en Myohorengekyo, si vous considérez ce Dharma comme extérieur à vous, ce n'est pas dans le Dharma Merveilleux que vous croyez mais en un enseignement inférieur. "Enseignement inférieur" s'applique aux enseignements autres que ce Sutra, c'est-à-dire provisoires et transitoires. Aucun enseignement provisoire ne conduit directement à la bodhéité. Sans chemin direct vers la bodhéité, on ne peut atteindre l'Éveil, même si l'on pratique vie après vie pendant d'innombrables kalpas. Et il est donc alors impossible d'atteindre la bodhéité en cette vie-ci. Par conséquent, en récitant le Dharma Merveilleux et en lisant le Sutra du Lotus, il faut absolument faire surgir du plus profond de vous la conviction que chacun de nos instants-pensée est Myoho Renge Kyo. (Sur l'atteinte de la bodhéité) (réf.)

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