Un bouddhisme pour notre temps Une interprétation moderne du Triple Sutra du Lotus par |
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Devadatta Nous avons vu jusqu'à présent que le Bouddha prédisait directement à beaucoup de disciples l'acquisition de la bodhéité. Cependant, c'étaient tous des disciples immédiats du Bouddha, de sexe masculin, avec une volonté de fer et qui se dévouaient complètement à leur discipline spirituelle. Si seules de telles personnes peuvent atteindre l'Éveil parfait, complet, sans supérieur, le principe selon lequel tous les êtres vivants possèdent la nature de bouddha n'est pas complètement attesté. Nous avons vu, jusqu'à présent, que le Bouddha prédisait l'accès à la bodhéité à beaucoup de disciples en leur présence. Mais ils étaient tous des disciples directs du Bouddha, de sexe masculin qui se dévouaient complètement à leur discipline spirituelle avec une volonté de fer. Si pour atteindre l'Éveil parfait, complet, sans supérieur, il fallait être comme eux, le principe selon lequel tous les êtres vivants possèdent la nature de bouddha n'est pas totalement confirmé. Dans ce chapitre, la grandeur et la perfection des enseignements du Bouddha sont révélées par des hommes mauvais et par des femmes. Devadatta était un cousin de Shakyamuni. Selon les Jatakas (Chroniques des histoires des vies du Bouddha), il était le plus pervers et le plus cruel des hommes. Il jalousait Shakyamuni parce que celui-ci était appelé le Bouddha et qu'il était vénéré par une grande foule. Ambitionnant de prendre la place de son cousin, Devadatta lui tendait des pièges, le calomniait et le diffamait. Il essaya même plusieurs fois de le tuer. Un jour, il précipita un rocher sur le passage de Shakyamuni. Une autre fois, il enivra un éléphant afin que l'animal, fou-furieux, attaquât le Bouddha. Une fois, il tenta d'empoisonner Shakyamuni et une autre fois, il tira sur lui avec son arc. Mais même Devadatta, pourtant le principal ennemi du Bouddha, reçut sa prédiction d'Éveil. La tolérance et la générosité du Bouddha envers Devadatta sont vraiment extraordinaires. L’autre point important de ce chapitre est le passage qui parle de la fille d'un dragon, âgée seulement de huit ans, qui devint bouddha devant toute l’assemblée. Les gens de notre époque, en particulier ceux qui sont nés l'après la dernière guerre mondiale, doivent trouver injuste de mettre une femme sur le même plan qu'un méchant homme. Il faut savoir que dans l'Inde de l'époque de Shakyamuni, la femme était considérée comme l'incarnation du mal, des obstacles à la pratique religieuse des hommes et on pensait qu'elles ne pouvaient pas obtenir l'Éveil. La société de l'Inde ancienne était divisée en quatre castes héréditaires : la plus élevée, les brahmanes, était celle des prêtres chargés de l'étude de la religion brahmanique et de la moralité ; la deuxième, les kshatriyas, était une caste militaire comprenant les rois et les guerriers ; la troisième, les vaisyas, comprenait les paysans, les artisans et les marchands ; la quatrième, les sudras, était celle des travailleurs manuels. Le système des castes maintenait rigoureusement les séparations basées sur la naissance ; quelle que soit l'intelligence d'une personne, elle ne pouvait jamais s'élever au-dessus de sa caste d'origine. Si elle était née sudra, elle devait rester sudra toute sa vie. Mais un brahmane, même stupide, pouvait acquérir une position très élevée et diriger un grand nombre d'autres personnes. Une personne née kshatriya pouvait obtenir de grands pouvoirs même si elle était lâche. Grâce à leurs richesses, les vaisyas conspiraient avec les brahmanes et recherchaient les bonnes grâces des kshatriyas. Les vaisyas avaient une part du pouvoir absolu sur les sudras et les faisaient travailler comme des animaux de trait. Les membres de la caste sudra, formant pourtant la plus grosse partie de la population, étaient traités à peine comme des êtres humains. La société de l'Inde ancienne était gouvernée et dirigé par les trois castes supérieures. Inutile de dire à quel point les castes inférieures étaient opprimées. C'est au sein de cette société que le Bouddha affirma que tous les hommes étaient égaux. Il nous est difficile d'imaginer aujourd'hui l'impact révolutionnaire de cette déclaration. C'est avec un immense courage et un esprit indomptable que, faisant face avec patience à toutes les attaques, Shakyamuni présenta le Sutra du Lotus, l'enseignement de l'égalité entre tous les hommes. C'est aussi à cause des conditions sociales de son temps qu'il insistait sur les difficultés de recevoir, garder et transmettre le Sutra du Lotus. Quant à la bodhéité des femmes, nous devons tenir compte de la hiérarchisation de cette société et des mentalités de l'époque de Shakyamuni. Lorsqu'il affirma que les femmes aussi pouvaient devenir bouddhas et, qu'à ce niveau, il n’y avait pas de distinction de sexe, tous les êtres humains étant égaux face à la bodhéité, ce fut vraiment une déclaration historique puisque les femmes étaient considérées comme intrinsèquement mauvaises. Depuis la Révolution française, l'idée d'égalité s'est fortement enracinée dans l'esprit des hommes et l'idéal démocratique s’est développé en Occident. Pourtant, il y a plus de deux mille ans, Shakyamuni avait déjà prêché l'égalité entre les humains et l'égalité dont il parlait était bien plus profonde que celle des démocrates modernes. Mais les hommes des siècles suivant la mort du Bouddha furent incapables d'accepter cet enseignement ni de le propager. Nous devons certainement beaucoup d'excuses aux générations révolues pour avoir mis un si longtemps à comprendre l'idéal du Bouddha concernant l'égalité entre les humains. Procédons maintenant à l'examen du texte de ce chapitre. Procédons maintenant à l'examen du texte de ce chapitre. Le Bouddha s'adresse aux bodhisattvas, aux divinités et aux quatre congrégations et leur conte la relation qu'il eut avec un ermite dans une vie précédente :
Après avoir conté cette histoire à tous les bhiksus, Shakyamuni révéla que ce roi était lui-même et que l'ermite Asita d'alors était l'actuel Devadatta. Le Bouddha déclara aux quatre groupes que Devadatta,
Les hommes mauvais deviendront des bouddhas Ne négligeons pas de donner à cette déclaration du Bouddha l'importance qu'elle mérite : il dit que Devadatta, qui avait essayé de le tuer, deviendrait bouddha. Il faut garder à l’esprit que la bodhéité, pour Devadatta, ne se réalisera que s'il se libère des illusions et que s'il pratique les disciplines spirituelles. Oui, même le plus mauvais des hommes possède la nature de bouddha. Mais sa vraie nature de bouddha ne commencera à briller que si cet homme entre en contact avec le Dharma et lève le sombre voile de l'illusion qui recouvre son esprit. . Ces paroles du Bouddha laissent entrevoir le salut aux hommes qui vivent à notre époque dégénérée (mappo). Deux autres leçons sont à retenir de ce passage du sermon du Bouddha. L'une, c'est que si un homme supporte les persécutions et les adversités et continue à pratiquer les disciplines spirituelles, ses difficultés seront finalement la cause qui lui permettra de devenir bouddha. Shakyamuni dit en effet :
Cette déclaration est des plus importantes. Lorsque nous sommes méprisés, abusés et troublés par les autres, nous avons tendance à nous fâcher, à nous sentir tristes et à commencer à douter du Dharma. Nous devons au contraire endurer de telles épreuves et les transformer en une force positive grâce à l'enseignement du Sutra du Lotus le Dharma suprême dans ce monde. De nombreux maîtres et guides du passé, y compris les bouddhas Shakyamuni et Nichiren, ont prouvé par leur exemple que l'homme peut transformer des désavantages en avantages, "changer le poison en élixir" (hendoku iyaku). Ne rendez pas la haine pour la haine La seconde leçon est que nous ne devons pas rendre le mal pour le mal et la haine pour la haine. Non seulement Shakyamuni ne s'irrita jamais envers Devadatta, qui lui fit beaucoup de mal, mais le remercia même de être son "ami de bien" (zenshishiki). On pourrait se dire que cette attitude ne conviendrait pas dans le monde d'aujourd'hui, où nous devons lutter si fort pour l'existence. Mais l'idée du Bouddha est confirmée par l'événement récent suivant. Lors des discussions avec le Japon pour le Traité de la Paix de San Francisco en 1951 (note), J.R. Jayawardene, à l'époque ministre des Finances et Délégué principal de Ceylan (act. Sri-Lanka), déclara que son pays renonçait à son exigence de réparations par le Japon, citant les paroles suivantes du Bouddha du Dhammapada (Versets du Dharma) : ‘‘Jamais la haine n'éteint les haines en ce monde. Par l'amour seul les haines sont éteintes. C'est une loi très ancienne.’’ On rapporte que son discours provoqua une tempête d'applaudissements. Le diplomate a pour tâche de menacer un pays ennemi, de le tromper, de négocier avec celui-ci, de gagner secrètement certains de ses citoyens et de trahir ses amis au dernier moment. Sur le plan humain, cette habileté diplomatique est aussi honteuse que celle d'un criminel. Il est impressionnant qu'à une conférence pour la paix, à laquelle participaient des diplomates chevronnés, l'enseignement du Bouddha soit avancé par le délégué sri-lankais dans le cadre de la politique étrangère de son pays ! De plus, le fait que les autres délégués aient acceuilli son discours par des applaudissements chaleureux montre qu'il n'y a qu'une seule voie pour le salut de l'humanité. Cet événement nous redonne de l'espoir concernant le futur de la race humaine. Si nous rendons à nos adversaires la haine pour la haine, ils seront encore plus haineux envers nous. Ainsi, la haine engendrera la haine et cela continuera indéfiniment dans un cercle vicieux. Dans le Dhammapada, le Bouddha enseigne que la haine de l'homme cessera pour toujours s'il y renonce, et dans le Sutra du Lotus il enseigne à l'homme une attitude positive, par laquelle il progresse afin de transformer la haine en gratitude. Certes, on peut se dire qu'il est très difficile pour une personne ordinaire de réaliser cela. Shakyamuni dit ce qui suit :
Le sutra continue :
À ce moment-là, Manjushri jaillit de l'océan avec les bodhisattvas de sa suite et à une question du bodhisattva Prajnakuta, il répond qu'il avait converti beaucoup de gens dans le palais du Roi-dragon sous la mer. Le Bodhisattva Prajnakuta loue Manjushri pour ses grands résultats et celui-ci réplique :
Ensuite Manjushri affirme à Prajnakuta que la conversion des bodhisattvas n'est pas si extraordinaire et qu'il a des choses bien plus merveilleuses à raconter. Puis il décrit la fille du Roi-Dragon, âgée de huit ans, et la façon dont il lui a enseigné le Sutra du Lotus, la rendant capable d'atteindre la bodhéité.
Elle fait l'éloge du Dharma et dit pour conclure :
Les congrégations sont incapables de comprendre cette déclaration. Shariputra dit à la fille du Roi-Dragon :
Il énumère ensuite toutes les raisons pour lesquelles une femme ne peut pas devenir bouddha. Or, la fille du Roi-Dragon possède une perle précieuse. Elle la prend et la tend au Bouddha qui l'accepte aussitôt. Ce geste du Bouddha signifie qu’il a reconnu l'Éveil de la fille du Roi-Dragon qui dit alors au bodhisattva Prajnakuta et à Shariputra :
Les femmes deviendront bouddhas
Ainsi se termine le chapitre Devadatta. Les femmes de notre époque peuvent être perplexes parce que la fille du Roi-Dragon fut transformée en homme avant de devenir bouddha. Cette image a été introduite dans le Sutra à cause de l'idée qu'on se faisait de la femme dans l'Inde ancienne. En fait, la soudaine transformation d'une femme en homme ne signifie rien d'autre que la transcendance de la différence entre mâle et femelle. Le Bouddha Shakyamuni affirme que les animaux, les oiseaux, les vers, les plantes et les arbres, ainsi que tous les êtres humains possèdent la nature de bouddha. Comment pourrait-il alors faire une discrimination entre hommes et femmes ? D'après le Bouddha, tous les êtres vivants sont égaux. C'est cela que nous devons garder à l'esprit pour éviter tout malentendu. Chapitre XII du Sutra du Lotus
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