Fleur du Dharma

Ryuei Michael McCormick


Chapitre VII - Les Neuf Consciences

Glossaire

 

De plus Nityodyukta, si un fils de foi sincère, ou une fille de foi sincère, après le parinirvana de l'Ainsi-Venu, reçoit et garde ce sutra, s'il le lit, le récite, l'explique ou le copie, il obtiendra mille deux cents mérites pour le mental. Grâce à cet organe purifié, en entendant ne serait-ce qu'une stance ou une phrase, il en pénétrera les sens innombrables et infinis. Les ayant compris, il sera capable de précher au sujet de cette seule stance ou phrase pendant un mois, quatre mois, voire un an ; tous les enseignements qu'il exposera ainsi ne contrediront point la réalité. S'il explique les textes profanes, les maximes pour gérer un pays ou les règles de vie pour assurer sa subsistance, ce sera toujours conformément au vrai Dharma. En ce qui concerne les êtres des six voies du monde tricosmique, il connaîtra en tous points ce qui traverse leur pensée, les motivations de leur pensée, les futilités de leur pensée. Même s'il n'a pas encore obtenu la sagesse sans infections, son organe mental sera purifié à ce point. Tout ce que cette personne pourra penser, estimer, exprimer, relèvera du Dharma bouddhique, sera authentique et réel, et aura été exposé dans les sutras par des bouddhas précédents. (Sutra du Lotus - Chapitre XIX - Les mérites du Maître du Dharma)


Ce chapitre examine la réalité du point de vue des enseignements du Vijnanavada ou Rien-que-Conscience. Alors que l'école Madhyamika (Voie du milieu), fondée par Nagarjuna, privilégie la notion de vacuité, l'école du Rien-que-Conscience enseigne que la réalité est inséparable de la conscience. Selon cette école, puisque la réalité n'existe pas en dehors de la conscience, l'essence de la pratique bouddhique est la transformation de la réalité par la transformation de la conscience.

L'école du Rien-que-Conscience (appelée également Yogacara ou école Yoga, à cause de l'accent qu'elle met sur la pratique de la méditation), s'est développée pendant les IVe et Ve siècles de notre ère. Elle a été créée en partie par réaction contre l'école Madhyamika qui, à l'origine, s'était elle-même constituée par réaction aux interprétations erronées. L'école du Rien-que-Conscience a été fondée par deux frères, Asangha et Vasubandhu ainsi que par le maître d'Asangha, Maitreyanatha. Au lieu de privilégier la correction des vues fausses, ils ont mis l'accent sur la pratique de la méditation et le rôle des différents états de conscience dans la manière dont nous élaborons notre expérience de la réalité. Dans la tradition mahayana, leurs ouvrages furent si novateurs et si efficaces que pratiquement toutes les branches ultérieures ont incorporé ces principes, tout comme cela avait été précédemment le cas pour l'école Madhyamika.

Les six premières formes de conscience

Commençons par l'étude des "Huit consciences". Selon Asangha et Vasubandhu, toute existence est créée ou, si l’on préfère, naît et meurt, à l'intérieur de huit champs de conscience. Il y a tout d'abord les cinq consciences qui nous parviennent à partir de nos cinq sens : la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher. Notre expérience des objets du monde extérieur provient de ces cinq sens, et nos connaissances ainsi que la capacité à agir dépendent de ce que ces derniers nous communiquent.

Ensuite vient la conscience qui provient de notre esprit (notre mental). Celui-ci coordonne les impressions qui proviennent des cinq sens pour former différents objets d'expérience. Par exemple, l'odeur d’un pin, le contact avec l'écorce, la vue du tronc et des aiguilles parviennent au cerveau et sont reliés à "l'étiquette pin". Ce niveau du mental est également le champ où se forment les pensées et les idées fugitives, les rêveries et tout ce que l'on pourrait qualifier de "babil mental". C'est là également que se constituent les phénomènes spécifiquement mentaux : hallucinations, rêves et visualisations. En résumé, la sixième conscience ou conscience du mental est celle qui reconnaît les objets, qui les mémorise et les restitue, celle aussi qui examine les concepts. Les cinq consciences des sens et le mental fonctionnent ensemble comme un écran de cinéma sur lequel sont projetés les phénomènes éphémères de la vie, y compris les idées, les sentiments, les souvenirs et les images intérieures.

Septième conscience

La septième conscience est celle du moi. C'est elle qui nous donne le sentiment d'être un sujet, un individu autogéré ; et cela à partir de la perception de notre corps dans un espace, et du sentiment de continuité engendré par la mémoire. Cette septième conscience trompe notre huitième conscience, celle qui "engrange" les impressions du corps, les souvenirs, etc. et de ce fait occulte un état supérieur de cognition. Nous reparlerons plus loin de la huitième conscience. Disons d'abord quelques mots au sujet de la septième conscience, celle qui génère le dualisme sujet-objet, soi et les autres, parce elle est sous-tendue par l'attachement à l'idée d'un moi séparé. C'est la septième conscience qui alimente et pérennise le sentiment d'un moi, étayant l'idée d'existences "en soi". En retour, c'est la septième conscience qui stimule la sixième qui devient un champ où s'élaborent différentes conceptions, théories et convictions. C'est ainsi que se renforce une vision du monde avec un moi permanent identifiable soit au corps soit à l'esprit, et qui sécrète la croyance en une âme et un "self" supérieur. Or l'idée d'un "self" donne naissance aux trois poisons qui réduisent le monde et même les autres êtres vivants à un amas d'objets qui peuvent être désirés, détestés ou ignorés.

La conscience "réservoir"

Nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes et parvenir à l'Éveil par la simple négation de notre "moi" ou en arrêtant le fonctionnement de notre septième conscience. Ce serait tout d'abord impossible, puisque le moi ne peut pas nier le moi. S'il tentait de le faire, il prouverait par cela même son existence et serait comme un chien qui pourchasse sa propre queue. D'ailleurs, la négation de la septième conscience n'est pas du tout souhaitable. Nous en avons besoin pour coordonner nos interactions avec le monde extérieur et garder la trace de notre histoire personnelle et de notre relation à nos proches. De même que nous n'aimerions pas être privés de l'un de nos cinq sens, nous n'aimerions pas être privés d'une conception cohérente de notre identité ou d'un moi en évolution. En effet, ces constructions mentales nous permettent d'avoir un sentiment de notre valeur et de nos responsabilités. En fait, la source de nos problèmes se situe dans une région plus profonde de la conscience. Cette région plus profonde s'appelle "conscience-réservoir" (alaya-vijnana) et correspond assez bien à l'inconscient tel que le définit la psychologie actuelle. C'est là que sont stockés tous nos souvenirs, nos pulsions, nos habitudes et nos idées et où ils continuent d'opérer en sous-tendant les mouvements de notre conscient. La conscience que nous avons de nos sens et de notre moi est comme la pointe visible d'un iceberg, alors que la conscience-réservoir est comme la masse de l'iceberg qui flotte sous la surface de l'eau. Elle correspond également à l'inconscient collectif, tel que le définit Jung : c'est là que résident les archétypes, les pulsions instinctuelles profondes, les idées qui régissent nos vies et tout ce qui semble transcender nos différences culturelles. Tout comme l'inconscient personnel et l'inconscient collectif de la psychologie moderne, la conscience-réservoir filtre tout et déforme nos expériences, nos réponses, réactions, associations, polarisations et préjugés culturels. Un exemple banal en est celui d’une personne qui tombe amoureuse et qui perçoit tout sous un jour nouveau, plus brillant, plus amical. Un autre bon exemple est donné par Mark Twain critiquant les préjugés culturels de son temps dans son roman Huckleberry Finn. Le héros, Huckleburry Finn, est persuadé qu'il ira en enfer parce qu'il a aidé son ami Jim à échapper à l'esclavage. Selon la culture de cette époque, un être humain pouvait être considéré comme une propriété, et aider un esclave à s'enfuir était donc l'équivalent d'un vol. C'était tout à fait immoral. Un des buts de la pratique bouddhique est de projeter la lumière sur tous nos conditionnements inconscients et, par là, de nous libérer de leur influence.

Une autre façon d'aborder la conscience-réservoir est de la considérer comme le champ du karma. En cet "endroit", si l'on peut s'exprimer ainsi, la loi de causalité "fonctionne" pleinement, avant de se manifester dans nos vies conscientes. Dans cette optique, tout ce que nous faisons, disons ou pensons, toutes nos intentions, sont des causes qui sont "engrangées", telles des graines, dans notre huitième conscience. Dès que les conditions extérieures s'y prêtent, les graines germent et donnent des fruits, sous forme d'effets dont nous faisons l'expérience par le biais de nos six premières consciences. A ce moment-là, notre réaction à ces expériences produit de nouvelles causes qui deviennent, à leur tour, des graines karmiques. Ce processus se perpétue de vie en vie, comme cela a été illustré précédemment par la roue du devenir.

Ainsi donc, notre expérience consciente provient d'une source profondément inconsciente. Dans ce processus, ce qui renaît, ce n'est pas un self donné, ce sont les graines de karma et les germes d'expériences préconscientes (situées légèrement au-dessus du champ de la conscience-réservoir). Si nous revenons aux douze liens causaux* de la production conditionnée tels que nous les avons examinés par rapport à la roue du devenir, nous voyons qu'il n'y a là rien qu'on pourrait appeler "individu" ou "self" et qui traverserait les étapes depuis l'obscurité fondamentale jusqu'à la vieillesse et la mort. Il n'y a qu'un processus dont nous extrapolons la notion, celle d'une personne soumise aux souffrances. Une question se pose alors. S'il n'y a pas d'entité individuelle qui passe d'une vie à une autre, qu'est-ce donc qui passe par les étapes d'obscurité-ignorance (avidya), des formations karmiques (samskara) et de conscience embryonnaire (vijnana, shi-ki) ? A quoi peut-on les attribuer sinon à un corps, un esprit, une âme ? De plus, où se trouve l'étape du devenir avant de donner lieu à un futur cycle de vie/mort ? La réponse est que toutes ces activités se passent dans la conscience-réservoir. Ce sont des "patterns" constitués de graines karmiques et non pas des âmes qui produisent de nouvelles vies, encore et encore. Ce processus se poursuit aussi longtemps qu'il reste des graines qui n'ont pas germé, et aussi longtemps que de nouvelles graines sont plantées, perpétuant le processus naissance/mort.

Cela implique que chacun de nous et chaque nouveau-né est un être humain unique et totalement nouveau. Nous ne sommes pas le même individu qui transmigre d'une vie à l'autre. Mais, en même temps, nous portons l'héritage karmique de nos prédécesseurs. De même, après notre mort, toutes nos actions et toutes nos intentions vont être portées à leur fructification par des personnes futures qui hériteront de notre bagage karmique.

Si nous pensons nos vies en tant que processus dynamique interdépendant et non pas en termes d'entités statiques et indépendantes, nous pouvons ressentir nos vies en train de traverser d'innombrables existences, en constante transformation et passant par différentes formes d'être. Dans ce sens, nous pouvons réaliser qu'il existe dans nos vies une continuité qui passe à travers les six mondes-états de la roue du devenir. Ces six mondes-états peuvent aussi être compris comme des manifestations de la conscience-réservoir. On pourrait dire que les mondes-états humain et céleste sont comme des roseraies merveilleusement entretenues mais où, à la place des fleurs, on aurait des qualités comme l'amour-empathie, la compassion, la joie et l'équanimité. Ceux qui vivent dans des mondes-états inférieurs n'auraient que des touffes d'herbe folle avec seulement quelques fleurs malingres. Les mauvaises herbes seraient alors l'avidité, la colère* et l'ignorance. Pour garder cette image, disons que nous devons vivre en soignant et entretenant notre beau jardin. Chaque moment nous offre la chance de planter de bonnes graines et d'éradiquer les mauvaises herbes. Chaque cycle de vie devient ainsi un nouveau cycle de saisons lors duquel nous pouvons goûter aux fruits de notre labeur et préparer le cycle prochain.

Cela dit, nous ne devrions pas sous-estimer la difficulté d'une telle tâche. Il faut garder à l'esprit que la conscience-réservoir est un vaste entrepôt de toutes les graines de nos prédécesseurs dans les existences passées et pas seulement celui d'un seul individu. La huitième conscience transcende la conscience présente personnelle. Celle-ci est seulement une manifestation d'un vaste champ ou d'une mer de karma, à l'image d'une vague sur la surface de l'océan. On comprend ainsi que les activités de la conscience-réservoir soient au-delà de notre contrôle conscient. Nous devons, bien entendu, faire du mieux que nous pouvons pour planter les bonnes graines et arracher les mauvaises herbes, mais nos vies sont malgré cela régies par de vastes couches de karma sur lesquelles notre volonté n'a pas de prise. Le bouddhisme enseigne que ces engrangements karmiques proviennent d'innombrables vies et que ces courants de fond karmiques peuvent devenir écrasants lorsque, dans un flux de marée, ils se manifestent en vagues fracassantes. Là encore les fruits du karma dont nous faisons l'expérience et les graines karmiques, les habitudes, les complexes que nous pouvons cerner à travers la réflexion sur soi, ne sont que la partie visible de l'iceberg.

De plus, notre aptitude à agir ou raisonner de telle ou telle façon peut être limitée par les circonstances d'un moment donné. Certains naissent avec des handicaps, tels que la cécité ou la surdité. D'autres naissent dans le dénuement ou même en esclavage, selon le pays et l'époque. La culture et la religion peuvent singulièrement restreindre la clarté et l'impartialité de notre vision du monde. La liberté et les capacités de notre conscience personnelle ne sont pas déformées uniquement par l'influence des profondes graines karmiques de la conscience-réservoir, elles sont également restreintes par les fruits karmiques que nous appréhendons à travers nos cinq sens et notre mental, les six premières consciences. Même nos idées et nos émotions sont les effets du karma. La conscience personnelle est, par conséquent, comme une vague sur la surface d'un vaste océan, qui se déplace en fonction des courants marins des causes passées et des vents capricieux de nos circonstances journalières. Ces vents sont engendrés par nos causes emmagasinées, tout comme les vents marins sont tributaires des courants.

Ne perdons pas non plus de vue l'influence du karma collectif et des immenses forces causales impersonnelles de notre environnement. La huitième conscience englobe le courant de la conscience personnelle propre à chaque individu, mais ne marque aucune limite ni avec la conscience des autres ni avec l'environnement. Les frontières et les "patterns" que trace notre conscience personnelle dans le cadre de la huitième conscience ne sont en réalité que des constructions arbitraires. En fait, il n'y a pas de relation duelle entre les processus causaux personnels et interpersonnels ou, plus exactement, les processus universels qui semblent impersonnels. Il faut absolument garder ce concept à l'esprit, car nos vies ne sont pas isolées. Nos choix et nos options sont influencés par notre interrelation avec un vaste monde et ont un impact bien au-delà de nous-mêmes.

Cela ne veut pas dire que nous sommes des marionnettes manipulées par le karma. Nous gardons le libre-arbitre et sommes responsables de la création de notre destin. Après tout, les circonstances sur lesquelles nous devons agir maintenant sont les fruits de nos propres causes précédentes ou de nos graines karmiques. La façon dont nous relevons le défi au présent déterminera la sorte de graine qui va germer dans le futur. Selon l'enseignement bouddhique, la seule chose qui contrôle notre destin est le karma que nous avons nous-mêmes produit. Au lieu de subir passivement le flot de bonnes ou de mauvaises causes créées dans le passé, nous devons prendre en main notre vie et agir en toute responsabilité, du mieux que nous pouvons. Plus nous agissons de la sorte, plus les circonstances deviennent favorables et plus nous gagnons en liberté.

Il est important de tenir compte aussi bien de notre liberté que de nos limites par rapport à notre pratique bouddhique. D’un côté nous sommes libres et capables de prendre la responsabilité de relever ce défi qui nous est imposé – imposé en tant que résultat de nos graines karmiques, mais, par ailleurs, l’énormité de cette tâche peut nous faire douter des chances de déraciner un jour complètement les graines corrompues de l’avidité, de la colère* et de l’ignorance. On peut se dire, avec plus de réalisme, qu’à force de détermination nous pouvons améliorer notre vie dans une certaine mesure et l’orienter dans une direction plus bénéfique. Nous ne pouvons cependant pas espérer débarrasser notre vie de toute négativité et d’autocentrisme sans l’aide de quelque force hors de la conscience personnelle générée par la conscience réservoir.

La pure conscience

Même si, à première vue, l'examen de la conscience-réservoir (alaya-vijnana) peut nous aider à comprendre à quel point le problème du karma est vaste et profond, il n'offre aucune solution concrète. Car comment pourrions-nous épuiser tout le stock de graines d'avidité, de colère* et d'ignorance emmagasiné depuis le commencement des temps dans la conscience-réservoir ? Comment pourrait la septième conscience, qui est simplement une manifestation éphémère de la vaste mer du karma, espérer planter suffisamment de graines de désaliénation pour repousser les graines avariées qui nous tiennent prisonniers de la roue du devenir ? Mais cela n'est toutefois pas si désespéré, car il existe un niveau plus profond de conscience que l'on appelle "pure conscience", amala.

L'existence de cette pure conscience a été enseignée par un moine indien, Paramartha (499-569), qui avait introduit en Chine les enseignements du Rien-que-Conscience d'Asanga et de Vasubandhu. Paramartha s'est inspiré des enseignements sur la nature de bouddha qui apparaissent dans un certain nombre de sutras mahayana, ainsi que des textes du maître d'Asanga, Maitreyanatha. Dans ses propres textes, Paramartha identifie la nature de bouddha à la neuvième conscience. Celle-ci n'est pas, en fait, distincte de la huitième conscience. Mais alors que la huitième conscience est le champ de la causalité, la pure conscience est l'aspect de ce champ où il n'y a aucune entité fixe ou indépendante, mais seulement un dynamisme non-duel et le merveilleux processus lui-même. Dans ce contexte, peu importe qu'à un moment donné, dans le fonctionnement de la conscience-réservoir, la graine ou le fruit apparaît puis disparaît, ils opèrent tous deux en accord avec la véritable réalité, qui est justement la pure conscience que rien ne peut perturber, parce qu'il n'y a là que des manifestations éphémères de la causalité, et que tout ce qui apparaît et disparaît en fonction des causes et des effets est non-substantiel et fondamentalement pur. Etant donné la pureté fondamentale de cet aspect de la conscience-réservoir, la neuvième conscience ne peut pas être une graine ou un fruit de cette conscience-réservoir. Et là est justement le fondement de la bodhéité, car c'est le véritable aspect (jisso) de la conscience-réservoir, la possibilité toujours présente pour que la conscience personnelle, qui en découle, puisse s'éveiller à la vérité. On peut comparer la pure conscience à un ciel bleu d'été et la huitième conscience à un ciel plein de nuages. Quel que soit le gris des nuages, ils n'affectent en rien la clarté du soleil qui se trouve derrière, pas plus que les nuages ne peuvent recouvrir le ciel partout et tout le temps, ou encore modifier la nature de la clarté solaire. Les nuages peuvent tout juste tantôt cacher, tantôt révéler le ciel bleu. De ce point de vue, le ciel ne change pas ; ce qui apparaît et disparaît ne sont que des nuages. De la même façon, la pure conscience est toujours présente et exempte de défilements-klesha. Ce sont les nuages de l'activité karmique qui obscurcissent l'éclat de sa pureté, nuages qui vont et qui viennent.
Chercher à comprendre ce qu'est la pure conscience correspond au besoin fondamental de découvrir ce qu'est vraiment la vie - c'était déjà ce qui nous poussait à examiner les consciences précédentes. Ce besoin traduit notre potentialité de bodhéité et c'est, en même temps, un élan qui nous vient des profondeurs de notre être, une forte aspiration à la bodhéité. Et c'est justement ce potentiel et cette aspiration que l'on appelle "nature de bouddha intrinsèque".

La neuvième conscience dépasse les points de vue et les capacités de la conscience personnelle. C'est une réalité largement transpersonnelle. Si bien qu'on ne peut pas vraiment dire qu'elle nous appartienne. Par moments elle peut même nous sembler être non pas une capacité intérieure, mais un "Autre transcendant". Elle se manifeste comme une transcendance dans nos aspirations, nos rêves, les coïncidences significatives (simultanéités) et les événements "providentiels" qui modifient le cours de notre vie dans une direction à laquelle nous n'aurions pas pensé. Cette conscience transpersonnelle est celle du Bouddha Atemporel, celle que Shakyamuni a pleinement réalisée dans sa vie, et c'est exactement la même qui se manifeste de multiples façons dans notre vie à nous.

La différence entre les catégories de tariki (salut obtenu grâce à une force extérieure) et jiriki (Éveil grâce à sa propre force intérieure) est examinée dans le gosho La grande signification de la durée de vie du Bouddha (réf.) :

A ce moment, le Sutra du Lotus énonce jiriki (éveil par sa propre force) mais il n'est pas lui-même jiriki. En effet, la force du moi inclut les dix mondes-états de tous les êtres sensitifs. Depuis le commencement, nous possédons le monde-état de bouddha, le nôtre, mais aussi le monde-état de tous les êtres sensitifs et donc devenir bouddha ne signifie pas produire un nouveau bouddha. [Le Sutra du Lotus] énonce tariki (salut par la force de l'Autre) mais n'est pas lui-même tarikii. Le bouddha "autre" est contenu en nous-mêmes et en tous les êtres sensitifs. Cet "autre" bouddha devient "l'identique", en tant que notre bodhéité.

Nichiren reconnaît le double caractère de la pure conscience. C'est pourquoi il parle souvent de l'esprit de Shakyamuni qui pénètre dans son corps ou dans celui de ses disciples, leur permettant ainsi de pratiquer correctement le Dharma. Par ailleurs, Nichiren parle également du Bouddha Atemporelen tant que Gohonzon ou objet de focalisation de la dévotion. Cependant, il a toujours mis en garde de ne pas rechercher le Gohonzon en dehors de nous-mêmes, car, en fait, le Gohonzon est la pure conscience qui réside dans les profondeurs de nos existences-phénomènes.

Un gosho dit :

Ne cherchez jamais ce Gohonzon en dehors de vous-même. Il n'existe que dans notre chair, en nous, êtres ordinaires, qui gardons le Sutra du Lotus et récitons Namu Myoho Renge Kyo. Le corps est le palais de la véritable ainsité, la neuvième conscience, réalité inchangeable qui régit toutes les fonctions de la vie. Le Véritable Aspect du Gohonzon (réf.)

La transformation des consciences

Comme il a été précisé au début de ce chapitre, les enseignements du Rien-que-Conscience visent à faciliter les transformations de la conscience. En devenant attentifs aux différents niveaux de la conscience et à la manière dont chaque niveau filtre les informations et façonne nos expériences, nous pouvons avoir une meilleure prise sur notre vie. L'enjeu est de parvenir à un point où nos préjugés inconscients et nos pulsions ne nous engluent plus dans une vision du monde autocentrée. Nous arrivons ainsi à orienter notre esprit vers un plus grand Éveil et une plus grande compassion. Selon Nichiren, la voie pour y parvenir est Namu Myoho Renge Kyo. Cette pratique déverrouille l'accès à la pureté intrinsèque de la neuvième conscience, à notre nature de bouddha qui transcende les illusions des autres consciences. Recevoir et garder le Sutra du Lotus est le moyen d'ouvrir notre esprit à la réalité de la vie et de projeter sur toutes les consciences la lumière qui va les transformer.

Un autre gosho de la tradition nichirenienne donne ce conseil :

Progressez sans cesse, sans relâche dans votre foi. Le Bouddha enseigne qu'il faut devenir maître de son coeur et non laisser son coeur devenir le maître. C'est pourquoi je vous ai toujours exhorté à vous consacrer au Sutra du Lotus sans ménager votre corps, au risque de votre vie. (Lettre à Gijo-bo) (réf.)

La transformation de la conscience peut être décrite en termes de perception des contenus de la conscience-réservoir et de la façon dont nous entrons en relation avec ces contenus. Répétons que la huitième conscience est un champ où sont plantées les graines karmiques et où elles viennent éventuellement à la fructification selon la loi de causalité. Il faut souligner que la conscience-réservoir n'est pas quelque chose en soi, ce n'est pas la conscience d'un quelconque être bienveillant ou d'une personne, et, bien sûr, elle n'est, au sens littéral, ni un contenant ni un champ. Les graines et les fruits des causes et des effets se remodèlent mutuellement dans leur interaction. Les divers objets et entités (y compris nous-mêmes) qui apparaissent sont des manifestations de ce processus. Selon l'école du Rien-que-Conscience, il y a trois différentes manières de percevoir et d'entrer en relation avec tout cela.
- La voie usuelle, non illuminée, est de s'imaginer, à tort, la réalité de sujets et d'objets dans la conscience-réservoir, selon les six consciences de la perception du monde et de la septième conscience.
- Une voie plus juste est de percevoir la conscience-réservoir en tant qu'interrelation de causes et d'effets, comme nous l'avons fait ci-dessus.
- Une voie plus profonde est de l'appréhender en termes de pure conscience intrinsèque et non-duelle où il n'y a ni sujets ni objets, et par conséquent pas matière à attachement, angoisse ou aliénation. C'est le point de vue à partir de la neuvième conscience, celui que nous nous efforçons d'avoir à l'esprit lorsque nous faisons daimoku.

Les maîtres de l'école du Rien-que-Conscience parlent de la percée opérée à partir des illusions de la septième conscience vers la pureté intrinsèque, représentée pas la neuvième conscience, comme d'une révolution au niveau de la huitième conscience. Nous pouvons peut-être en parler comme d'un profond changement de mentalité et de cœur. Avant cette révolution, la huitième conscience fonctionnait de sorte à perpétuer le désir dévorant, la colère* et l'ignorance. Nous pouvons dire que ce mode d'existence autocentré est celui dans lequel la loi de causalité fonctionne dans la huitième conscience et se focalise au niveau de la septième, la conscience personnelle. Après la révolution du cœur, la huitième conscience et les sept qui en dérivent, réalisent leur propre nature temporaire et commencent à manifester la pureté et la sagesse de la neuvième conscience, autrement dit la nature de bouddha. Dans ce mode d'existence, libre et dépourvu d'égoïsme, les productions de la huitième conscience et de toutes celles qui en dérivent, se focalisent et sont filtrées par la neuvième.

Une fois que la révolution du coeur est accomplie et que notre nature de bouddha commence à fleurir dans l'adhésion au Sutra du Lotus, les neuf consciences se transforment en cinq sortes de sagesse. La pure conscience n'est pas elle-même modifiée, mais à partir d'elle se forme une capacité cachée de sagesse qui devient :

1) une sagesse-active dans le domaine du Dharma, sagesse qui est la perception pure de la vérité absolue. La huitième conscience est purifiée et cesse d'être une source inconsciente de désillusions.
2) La huitième conscience fonctionne comme une sagesse-miroir, une perception qui reflète clairement la réalité sans projections, sans fixations cachées ou distorsions.
3) La conscience personnelle cesse de voir le monde en termes de moi et les autres, et commence à fonctionner comme la sagesse-égalité qui reconnaît la nature non-duelle de la réalité. Les six premières consciences arrêtent leur babil mental et cessent ainsi de catégoriser avec des étiquettes connues les impressions sensorielles.
4) Cette conscience devient la sagesse-analytique qui voit toutes les choses clairement et les apprécie comme si elle les voyait pour la première fois.
5) L'ensemble des cinq consciences sensorielles devient la sagesse-exécution sans que les impressions perçues viennent aggraver nos désirs dévorants, nos colères* et notre ignorance. Nous sommes alors en mesure d'apprécier la beauté de la vie et d'agir de manière vraiment bénéfique pour tous les êtres.

Le Sutra du Lotus consacre tout un chapitre à la purification des cinq sens et du mental. Ce chapitre déclare que celui qui croit dans le Sutra du Lotus et garde ses enseignements sera capable de purifier ses six sens. C'est une illustration pratique de la transformation des consciences dont nous venons de parler.

Les enseignements sur la pure conscience signifient que tous les êtres, sans exception, possèdent la capacité latente de parvenir à la bodhéité. De leur côté, les enseignements du Sutra du Lotus de l'école du Rien-que-Conscience signifient que le but de tous les enseignements bouddhiques est de permettre aux hommes de réaliser ce potentiel. De plus, le Sutra du Lotus stipule que le Bouddha Atemporel Shakyamuni est toujours à l'œuvre pour nous amener à la bodhéité. C'est au niveau de la neuvième conscience, la nature de bouddha, que nous recevons les bienfaits et les vertus de l'Éveil du Bouddha Atemporel. Réciter Namu Myoho Renge Kyo (Dévotion au Dharma Merveilleux des Enseignements de la Fleur de Lotus) avec foi, est la manière dont nous "recevons et gardons" l'influence spirituelle du Bouddha, cette influence qui pénètre tout et nous permet de transformer nos vies de l'intérieur. C'est la signification de la "purification des racines" et de "transformer l'ignorance en sagesse". C'est de cette manière que nos activités égoïstes se muent en six paramitas du bodhisattva.

Ces enseignements sont résumés dans le passage suivant du gosho de la tradition nichirenienne :

Ces paroles d'un ancien sage : "Dirigez votre esprit vers la neuvième conscience en vous appuyant, dans votre pratique sur les six consciences" sont en vérité très justes. (Enfer et bodhéité) (réf.).

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