On dit que même
une tortue s'acquitte de sa dette de reconnaissance
(note). A plus forte raison, des êtres
humains ne devraient-ils pas faire de même ? En ce qui me concerne,
pour m'acquitter de ma dette envers mon ancien maître Dozen-bo,
j'ai voulu propager les enseignements du Bouddha au Mont Kiyosumi
et conduire mon maître Dozen-bo
à l'Éveil. Mais c'est un homme de peu de sagesse, plutôt
ignorant, et de plus, qui pratique le Nembutsu.
Il me paraissait peu probable qu'il puisse échapper aux trois
mauvaises voies. En outre, il ne tient aucun compte des conseils de
Nichiren. Néanmoins, le quatorzième jour du onzième
mois de la première année de Bun'ei
(1264), j'ai eu une entrevue avec lui, au monastère de Saijo à
Hanabusa (note).
Il m'a dit alors : "Je n'ai ni sagesse ni espoir de promotion.
Je suis un vieil homme, qui ne revendique aucun moine célèbre
du Nembutsu pour maître.
C'est simplement parce que cette pratique à notre époque
est devenue partout si répandue que je me contente de réciter
Namu Amida Butsu. De plus, sans l'avoir véritablement décidé,
j'ai eu l'occasion de faire sculpter cinq statues du bouddha Amida.
Peut-être cela est-il dû à un karma formé par
le passé. Tomberai-je en enfer en raison de ces fautes ? "
A ce moment-là, je n'avais pas la moindre intention de débattre
avec lui. Mais, en raison de l'incident avec Tojo
Saemon Nyudo Renchi, je n'avais pas revu mon maître
depuis plus de dix ans. C'était comme si nous étions
devenus étrangers l'un à l'autre et même hostiles.
J'ai pensé qu'il serait plus poli et courtois de raisonner calmement
avec lui, de lui parler avec douceur. Mais d'un autre côté,
dans le domaine de la vie et de la mort, personne ne peut prévoir
de manière certaine qui mourra jeune ou vieux. Il m'est apparu
que je n'aurais peut-être plus jamais l'occasion de le revoir. J'avais
déja averti son aîné Dogi-bo Gisho (note)
qu'il tomberait dans l'enfer avici s'il ne changeait pas
d'attitude, et apparemment, il était mort dans de très mauvaises
conditions. Pensant que Dozen-bo
pourrait connaître le même sort, j'ai ressenti pour lui une
grande pitié et j'ai donc décidé de lui parler en
termes vigoureux.
Je lui ai dit que, pour avoir fait sculpter cinq statues du bouddha Amida,
il s'était condamné lui-même à tomber cinq
fois dans l'enfer avici.
Et cela, lui ai-je expliqué, parce qu'il est dit dans le Sutra
du Lotus, dans lequel le Bouddha s'engage désormais à
"rejeter sincèrement les enseignements
provisoires"(réf.)
que le Bouddha Shakyamuni est notre père et le bouddha Amida,
notre oncle. Faire exécuter cinq statues de l'oncle et leur faire
des offrandes sans en avoir fait sculpter une seule à l'image de
son propre père, n'est-ce pas là manquer à la piété
filiale ? [...] J'ai expliqué cela en détail à
Dozen-bo
mais il n'a pas eu l'air de bien comprendre ce que je lui disais. Et les
personnes qui se trouvaient près de lui ne semblaient pas moins
perplexes. J'ai entendu dire que, par la suite, Dozen-bo
s'est converti à l'enseignement du Sutra du Lotus. J'en
déduis qu'il a fini par abandonner ses conceptions erronées
pour devenir une personne dont la croyance est juste et cette pensée
me remplit de joie. Quand j'ai appris, de plus, qu'il avait fait enchâsser
une statue du Bouddha Shakyamuni, mon émotion fut indescriptible.
Au moment de notre entrevue, on aurait pu penser que j'étais trop
sévère. Mais je n'ai fait que lui expliquer les choses telles
que les enseigne le Sutra du Lotus, et c'est sans aucun doute
pourquoi il a ainsi modifié sa conduite. Comme le dit le proverbe,
"les bons conseils écorchent souvent les oreilles, tout comme
un bon médicament laisse souvent un goût amer dans la bouche".
Désormais, moi, Nichiren, je me suis acquitté de ma
dette de reconnaissance à l'égard de mon maître
et je suis certain que les bouddhas et les divinités bouddhiques
approuveront ce que j'ai fait. J'aimerais que vous transmettiez tout ce
que je viens de dire à Dozen-bo.
Le savant maître
Chan-wou-wei (Kamakura, 1270 à Joken-bo
et Gijo-bo)
Moi, Nichiren,
je suis le fils d'une famille de chandala
du littoral, vivant à Tojo, dans la province d'Awa,
région reculée de l'est du Japon. Perdre ce corps - qui
autrement se dégradera sans servir à rien - pour la cause
du Sutra du Lotus, ce sera comme recevoir de l'or en échange
de vulgaires cailloux. Aucun de vous ne devrait se désoler pour
moi. S'il vous plaît, transmettez ce que j'ai dit au moine Dozen-bo.
L'exil de Sado (Echi,
octobre 1271, à un moine nommé Enjo-bo du temple Seicho-ji)
Le Sutra
du Nirvana avertit : "[Il faudra transmettre l'enseignement]
sans en omettre un seul mot, même au risque de sa vie." Si,
dans cette existence présente, par crainte pour ma vie, je ne parle
pas franchement, dans quelle existence future atteindrai-je la bodhéité ? Dans quelle vie prochaine serai-je capable de sauver mes parents et mon
maître ? Avec cet avertissement en mémoire,
j'ai décidé de parler ouvertement.
Enseignement,
pratique et preuve (Minobu, 1274 ? à Sammi-bo)
Toutefois,
si nos parents ou notre souverain deviennent les ennemis du Sutra
du Lotus, ne pas leur obéir est un acte de piété
filiale et une manière de nous acquitter de notre dette de reconnaissance
à l'égard de notre pays. Par conséquent, depuis que
j'ai lu le Sutra du Lotus, [j'ai conservé ma foi sans
faiblir] même quand mes parents m'ont supplié d'arrêter
en joignant les mains, quand mon maître a rompu tous liens
avec moi, quand j'ai été exilé à
deux reprises
(note) par le Régent
de Kamakura, et après
avoir échappé de peu à la décapitation.
Le Palais royal
(Minobu,
12 avril 1275 à Shijo Kingo)
Aussi, le
28ème jour du 4ème mois de la 5ème année de
Kencho (1253), je l'ai publiquement
déclaré pour la première fois devant une petite assemblée
dont faisait partie Joen-bo, du côté sud de la salle de pratique
de Dozen-bo,
au temple Seicho-ji, dans le village
de Tojo, de la province d'Awa.
Depuis vingt ans, je ne cesse de le dire sans reculer d'un pas.
Lettre aux moines
du Seicho-ji (Minobu,
le 11 janvier 1276 aux moines du temple Seicho-ji)
Puisque j'étais
expulsé loin de ma région, il semblait peu probable, à
moins d'événements extraordinaires, que je puisse retourner
à Kamakura. Je ne pourrais
donc jamais plus me rendre sur la tombe de mes parents. En pensant à
cela, j'éprouvais des remords tardifs. Je me demandais, le coeur
empli de regrets, pourquoi, avant de me trouver dans cette situation,
même s'il avait fallu pour cela traverser mer et montagnes, je n'avais
pas été, sinon chaque jour, au moins une fois par mois,
prier sur la tombe de mes parents et m'enquérir de la santé
de mon maître.
Lettre à Konichi-bo
(Minobu,
mars 1276 à la veuve Konichi, mère de Yashiro)
Je suis convaincu
que le bienfait que me valent mes efforts est reconnu de tous, des Trois
trésors du bouddhisme jusqu'à Bonten,
Taishaku et aux divinités
Nitten et Gatten.
Par ce bienfait, je conduirai sans aucun doute à l'Éveil mes parents
et mon maître défunt, Dozen-bo.
Mais je conserve certains doutes. Maudgalyayana,
disciple du Bouddha, tenta de sauver sa mère Shodai-nyo mais il
n'y parvint pas et elle demeura au royaume des esprits
faméliques*.
[...] Ainsi, même en faisant soi-même tous les efforts possibles
pour sauver les autres, il reste difficile de les sauver des graves rétributions
karmiques qu'ils ont eux-même créées. Le défunt
Dozen-bo
me traita toujours comme l'un de ses disciples favoris, et je ne peux
pas croire qu'il ait nourri la moindre haine à mon égard.
Mais c'était un homme timoré, et il était attaché
à sa position [de supérieur] au temple Seicho-ji.
De plus, il redoutait la réaction de Tojo
Kagenobu, l'administrateur de la région [s'il prêtait
l'oreille à mes enseignements]. Et, au temple [Seicho-ji],
vivaient des moines tels qu'Enchi-bo et Jitsujo, aussi mauvais que Devadatta
ou Kokalika, dont il craignait
les menaces plus que tout. C'est pourquoi il fit la sourde oreille à
l'enseignement de son disciple préféré, un disciple
qui l'avait respecté pendant de nombreuses années. On peut
se demander ce qu'il adviendra d'un tel homme dans sa prochaine vie.
Un élément joua pourtant en sa faveur : Kagenobu,
Enchi-bo et Jitsujo moururent tous les trois avant Dozen-bo,
et cela fut pour lui une aide. Leur mort prématurée est
due au châtiment des dix Filles-démones
qui protègent le Sutra du Lotus. Après leur mort,
Dozen-bo
accorda une certaine croyance au Sutra du Lotus, mais c'était
un peu comme s'armer d'un bâton après la bataille, ou comme
allumer une lampe au beau milieu du jour, à midi : cela n'est plus
d'aucune utilité. De plus, il me semble que, en toutes circonstances,
on devrait éprouver de la compassion envers ses propres enfants
ou disciples et se préoccuper de leur sort. Dozen-bo
n'était pas entièrement sans pouvoir, et pourtant, tout
au long de mon exil sur l'île de Sado,
pas une seule fois il n'essaya de me rendre visite. Cela ne ressemble
guère au comportement d'un pratiquant du Sutra du Lotus.
Malgré tout cela, j'ai beaucoup pensé à lui et, lorsque
j'ai appris sa mort, j'ai senti que, dussé-je pour cela
braver le feu et l'eau, je devais me rendre sur sa tombe au plus vite,
pour la toucher et y réciter un volume du Sutra du Lotus.
[...] Ainsi, la fleur retourne à sa racine et l'essence de la plante
demeure dans la terre. Les bienfaits [de Namu
Myoho Renge Kyo] s'accumuleront sans aucun doute dans la vie du défunt
Dozen-bo.
Lettre d'accompagnement : Le
mois dernier, la nouvelle de la mort de Dozen-bo
m'est parvenue, sans aucune précision. J'ai pensé que je
devrais me rendre moi-même au temple aussi rapidement que possible,
en compagnie de Niko, le moine qui
porte cette lettre. Cependant, bien que je ne me considère pas
comme retiré du monde, d'autres semblent me considérer ainsi,
aussi me suis-je fait une règle de ne pas quitter cette montagne.
[...] J'aimerais donc que vous seul et Gijo-bo fassiez lire ce traité
à voix haute, deux ou trois fois, au sommet du Kasagamori, par
ce moine Niko. S'il vous plaît, demandez-lui de le lire une fois
aussi devant la tombe du défunt Dozen-bo.
Traité
sur la dette de reconnaissance (Minobu,
le 21 juillet 1276, à Joken-bo et Gijo-bo)
Je suis sans
nouvelles de vous deux depuis votre dernière lettre. Mais j'ai
été très heureux d'apprendre que vous avez lu, à
Kasagamori, les deux lettres (note) que
j'ai écrites à l'ère
Kenji, en mémoire du sage Dozen-bo.
Si les racines d'un arbre s'enfoncent profondément dans le sol,
ses branches et ses feuilles ne se dessécheront jamais. Si la source
est inépuisable, le flot ne tarira pas. Faute de bois, le feu s'éteint.
Sans terre, les plantes ne peuvent pousser. Nichiren est semblable à
la plante et son maître à la terre. C'est uniquement grâce
à mon révéré maître Dozen-bo
que moi, Nichiren, suis devenu le Pratiquant
du Sutra du Lotus et que l'on parle tant de moi, en bien comme
en mal.
[...] Le plant de riz fleurit et donne des grains, mais l'essentiel demeure
dans le sol. Grâce à quoi, la tige pourra refleurir et redonner
des grains. Les bienfaits que moi, Nichiren, obtiens en propageant le
Sutra du Lotus rejailliront sur Dozen-bo.
Que c'est magnifique ! On dit que si un maître a un bon disciple,
tous deux atteindront la bodhéité,
mais que si un maître forme un mauvais disciple, tous deux tomberont
en enfer.
Sur
les Fleurs et les Graines (Minobu, avril 1278,
à Joken-bo et Gijo-bo)
Grâce
à mes parents et à mon maître, qui tous sont morts
et partis maintenant, je fus capable de comprendre cette vérité.
Celui qui m’a enseigné, Maître Dozen,
qui avait peur de Tojo Kagenobu, seigneur
d’un domaine et adepte d’Amida,
me témoignait haine et mépris comme si j’étais
son ennemi parce que je propageais le Sutra du Lotus –
bien qu’il ressentît de la compassion pour moi au tréfonds
de son cœur. A l’époque, par ouï-dire, j’ai
appris que Maître Dozen
commençait à croire au Sutra du Lotus, mais s’il
y crut au moment de sa mort est incertain. Cela est préoccupant.
Il n’est certainement pas en Enfer,
mais il est inimaginable qu’il ait quitté le cycle
de naissance et de mort. Il est extrêmement regrettable de penser
qu’il erre dans le monde intermédiaire entre les mondes présent
et futur.
[...] Je voudrais faire des prières pour que ces mérites
que j’ai reçus à travers la persécution religieuse
soient transférés à mes parents, à
mon maître et tous les êtres en ce monde.
Questions
- réponses concernant l’objet de vénération
(Minobu, septembre
1278
à Joken-bo) |