Fleur du Dharma

Ryuei Michael McCormick


Chapitre I - Le Sutra du Lotus
et la pratique du bouddhisme nichirénien

Glossaire
 

Alors, l'Éveillé déclara à Jogyo (Visistacaritra) et sa vaste multitude de bodhisattvas :

"Les pouvoirs supranaturels des bouddhas sont si innombrables et infinis qu'ils sont au delà de tout concept et de toute expression. Si je devais, à l'aide de ces pouvoirs supranaturels, exposer durant d'innombrables, d'infinis milliers de millions de myriades de quantités incalculables de kalpas les mérites de ce Sutra afin d'en assurer la passation, je serais encore incapable d'en venir à bout. Pour en dire l'essentiel : l'ensemble des enseignements possédés par l'Ainsi-Venu, l'ensemble des pouvoirs supranaturels et souverains de l'Ainsi-Venu, l'ensemble des trésors essentiels et secrets de l'Ainsi-Venu, l'ensemble des modes fort profonds de l'Ainsi-Venu sont tous énoncés, dispensés, révélés et manifestés dans ce sutra. Voilà pourquoi vous devrez, après le parinirvana de l'Ainsi-Venu, de tout coeur le recevoir, le garder, le lire, le réciter, l'expliquer, le copier et le pratiquer en tant que Dharma. Dans tout lieu où se trouve quelqu'un qui le reçoit, le garde, le lit, le récite, le copie et le pratique en tant que Dharma, que ce soit en un endroit où il y a qu'un volume de ce texte ou dans un temple, que ce soit dans un bosquet, au pied d'un arbre, dans un vihara ou dans une résidence laïque, dans un palais ou dans une montagne, une vallée ou un désert, il vous faudra chaque fois ériger un stupa et y faire offrande. Pourquoi cela ? Sachez qu'un tel endroit est le lieu de la Voie, que là les bouddhas obtiennent l'Éveil complet et parfait sans supérieur, que là les bouddhas mettent en branle la Roue du Dharma, que là les bouddhas entrent dans le nirvana." (Sutra du Lotus - Chapitre XXI - Pouvoirs supranaturels des Ainsi-Venus)

 

Nos vies semblent n'être qu'un mouvement constant d'oscillations entre joie et angoisse, entre plaisir et souffrance. Nos lointains ancêtres se sont assurément déjà demandé "pourquoi ?" Pourquoi la douleur suit-elle le plaisir, et le plaisir suit-il la douleur dans un cycle apparemment sans fin ? Pourquoi les bons souffrent-ils et les méchants prospèrent ? Qu'est-ce qui fait que nous soyons nés dans cette vie si aléatoire et si injuste ? Pour répondre à ces questions et trouver une consolation, les sociétés primitives ont créé la religion, puis la philosophie.

Autrefois, dans les premiers millénaires avant notre ère, un homme est né, prince d'un petit royaume tribal, dans le sous-continent indien. Cet homme dont nous analyserons ici la vie et les enseignements s'est "éveillé" c'est-à-dire a eu une perception directe des causes et de la nature de tous les aspects de la vie humaine, y compris de la souffrance. Pour cela il fut appelé Bouddha, ce qui signifie l'Éveillé. Dans sa compassion, il s'est fixé comme but de partager son Éveil avec toute l'humanité pour que nous puissions tous parvenir à son Eveil et en finir avec les effets douloureux de la vie. De ce point de vue, le bouddhisme ressemble aux autres religions ou philosophies, mais il recèle des différences importantes.

Au lieu de chercher les causes de la souffrance dans les agissements impénétrables d'une puissance supérieure, le bouddhisme en donne une explication réaliste et logique en reliant les conditions de vie à la loi de causalité. A l'inverse des religions qui promettent la fin des souffrances dans quelque paradis mythique après la mort, le bouddhisme enseigne le moyen d'en finir avec la souffrance dès cette vie. En bref, au lieu de postuler un Être Suprême capable de faire cesser la souffrance, le Bouddha a enseigné que tous les êtres avaient la potentialité de développer cette capacité et qu'ils étaient responsables de l'activation de ce potentiel. Cet enseignement a attiré au Bouddha de nombreux disciples, dès son existence ici-bas. La promesse de supprimer la souffrance sans compter nécessairement sur les êtres mythiques (et parfois capricieux) est une idée puissante.

Le Bouddha, dans sa sagesse, s'est rendu compte du fait qu'un enseignement unique était peu susceptible d'être efficace pour un si grand nombre d'individus disparates. Pour aider chacun à atteindre l'idéal bouddhique, il a enseigné à différents groupes, selon les demandes et l'ouverture d'esprit qui leur étaient propres. Cela explique que les sermons du Bouddha semblent parfois contradictoires. Regardant cela de loin, avec le recul de quelque 2500 ans, on aurait tendance à oublier que le Bouddha aidait des groupes fort dissemblables, ayant des besoins et des capacités de compréhension très différents, à parvenir au même niveau de réalisation. Il faut également tenir compte du fait que les enseignements du Bouddha n'ont pas eu de support écrit pendant plusieurs siècles après sa mort. Les détenteurs de ces sutras (enseignements) ont certainement eu la tendance à en édulcorer les thèmes. Ces deux faits ont eu comme conséquence inévitable des différences doctrinales entre les disciples des différents sutras. Bien que le Bouddha ait conduit différentes personnes à une même compréhension par des enseignements différents, chaque lignée s'est mise à propager son propre enseignement, sans égard au fait que ses destinataires puissent en concevoir une compréhension entièrement différente du but initialement prévu. C'est ainsi que les différentes lignées en vinrent à diverger et se sont, par la suite, constituées en écoles antagonistes.

Le Dharma merveilleux (ou Vérité) du Sutra du Lotus s'est constitué au moment où commençaient à apparaître les divergences entre les enseignements. Le sutra d'introduction, ou Sutra aux Sens Infinis, déclare d'emblée que le Bouddha a enseigné différentes choses à différentes personnes avec l'intention de les mener à la même réalisation. Puis le Sutra du Lotus continue, en l'explicitant, et indique les raisons de cette diversité. Il va même au-delà d'une simple mise au point. Certaines écoles s'étaient mises à enseigner que des personnes différentes avaient différentes potentialités spirituelles ; ainsi seules certaines personnes seraient capables d'atteindre la bodhéité, les autres devant se satisfaire de buts moins élevés. C'était en contradiction totale avec l'intention du Bouddha, celle d'apporter l'Éveil à tous les êtres vivants. C'est cette intention primordiale qui est vigoureusement réaffirmée dans le Sutra du Lotus. Il enseigne qu'absolument tout ce qui vit a la potentialité de parvenir à la bodhéité. La "nature de bouddha", c'est notre capacité de devenir pleinement conscients de la véritable nature de notre vie et de voir les choses exactement telles qu'elles sont. Parvenus à cette pleine conscience, nous sommes en mesure d'agir avec sagesse afin de soulager aussi bien nous-mêmes que les autres. C'est ce qui nous éveille à la loi de la causalité gouvernant toute chose (nous en reparlerons plus loin). Nous pouvons dès lors prendre le contrôle de notre vie, en assumant la responsabilité de nos actes. Au lieu de nous contenter de réagir aux circonstances qui nous paraissent être en dehors de tout contrôle, nous pouvons relever n'importe quel défi, de façon créative, par l'action la mieux adaptée à chaque situation.

Le Bouddha Shakyamuni

Le Sutra du Lotus nous enseigne que la vie d'un bouddha dépasse notre manière habituelle de penser et qu'elle se situe au-delà de la vie et de la mort. Le Bouddha Shakyamuni est en réalité le Bouddha Atemporel toujours présent en nos vies et nous conduisant au jaillissement de notre propre nature de bouddha. Cela signifie que Shakyamuni a pleinement réalisé pour lui-même la nature causale de sa propre vie. Il a ainsi cessé d'identifier sa vie avec les phénomènes éphémères par lesquels nous mesurons habituellement nos vies. Il n'était plus limité par les conditions de son corps ou par les états d'esprit passagers, parce qu'il savait que toute vie, y compris la sienne, est l'expression de "tout ce qui a jamais été et de tout ce qui jamais ne sera". Bien qu'il ait été un être humain, tout comme nous, il est parvenu à la conscience totale du processus dynamique de causalité qui unit toutes les choses en tant que vérité universelle qui transcende les phénomènes par essence éphémères. En nous appuyant sur les enseignements du Sutra du Lotus, nous pouvons dire que la véritable nature atemporelle de la vie du Bouddha est une activation de notre propre nature atemporelle. En tant que personnage historique, Shakyamuni a montré par sa propre vie comment appliquer la sagesse et la compassion qui jaillissent de la nature de bouddha. Même maintenant, l'esprit de l'Éveillé incarné dans le Sutra du Lotus continue à nous guider vers la réalisation de notre potentiel.

Le Bouddha est né il y environ 2500 ans dans un petit royaume tribal gouverné par le clan Shakya, situé dans ce qui est maintenant le Népal méridional. Son nom de famille était Gautama qui signifie "Vache Supérieure" et fait référence au statut aristocratique de sa famille. Son prénom aurait été Siddhartha, "But atteint". Le jeune prince Siddhartha grandit dans l'aisance matérielle. Cependant, malgré les efforts de son père, le roi Suddhodana, de protéger son fils des dures réalités de la vie, celui-ci était douloureusement conscient des limites des plaisirs et privilèges de la vie. Sa prise de conscience du destin tragique inévitable de l'humanité est relatée dans la légende des quatre rencontres.

Décidant de franchir les limites de son palais, il partit dans un char faire le tour de son royaume. Il rencontra tout d'abord un vieillard décrépi, ridé et courbé par les ravages du temps. Son aspect troubla profondément Siddhartha. Il demanda au conducteur de son char si c'était là un cas isolé ou si tout le monde était destiné à devenir vieux. Le conducteur expliqua au prince la vieillesse et dit : "C'est notre lot à tous".

Le prince fit d'autres sorties de son palais et chaque fois il fut confronté à d'autres aspects de la souffrance. La rencontre suivante fut celle d'un homme terrassé par la maladie.

Puis ce fut un mort sur qui se lamentaient ses proches et ses amis. Et chaque fois son conducteur disait : "C'est notre lot à tous".

La dernière rencontre fut celle d'un moine-mendiant. Le conducteur dit à Siddhartha que cet homme avait renoncé à son statut de maître de maison afin de trouver la paix et de dépasser les souffrances de la vie. Siddhartha sut alors que c'était là le chemin qu'il lui fallait suivre. A quoi bon pouvait être une vie dans un palais si elle ne préservait pas de la vieillesse, de la maladie et de la mort ? Plutôt que de vaincre des royaumes, Siddhartha décida qu'il vaincrait la souffrance. Et ce serait une victoire pour tous. La nuit même, il quitta son palais pour devenir moine. Il n'y reviendrait pas avant d'avoir vaincu la vieillesse, la maladie et la mort.

Siddhartha mena la vie d'ascèse des moines ermites pendant six ans. Il espérait qu'une vie de renoncement à soi et de discipline sévère lui donnerait la clé de son questionnement. Toutefois, au bout de six ans, son corps était affaibli au point de frôler la mort, sans qu'il se soit le moins du monde approché de son but. Siddhartha comprit alors que le déni de soi était, tout autant que l'indulgence pour soi, un obstacle à l'Éveil. Providentiellement, une fille du village, appelée Sujata, lui sauva la vie en lui offrant du riz bouilli. Il découvrit alors la valeur de la Voie du milieu. De même que les cordes d'un instrument de musique ne doivent être ni trop tendues ni trop lâches pour produire un son, la pratique spirituelle ne doit être ni trop laxiste ni trop sévère pour être efficace. Le temps était enfin venu pour Siddhartha de réaliser son but. Ayant recouvré sa santé, il partit s'asseoir au pied d'un arbre pippal et entra en méditation.

Libéré de ses doutes, de ses distractions et inhibitions inconscientes, Siddhartha eut une vision de plus en plus claire de la condition humaine, en commençant par sa propre vie. Il retrouva tous les événements de ses existences passées et put voir les causes et les conditions qui l'avaient mené à l'arbre bodhi sous lequel il atteignit la bodhéité (bodhi signifie Éveil). Sa conscience se porta alors sur tous les êtres sensitifs et il vit également comment leurs vies étaient régies par les causes et les conditions mises en marche par ces êtres eux-mêmes. Finalement il contempla la chaîne causale qui fait que toute chose existe et par laquelle les êtres sensitifs forgent leur propre destin. Il comprit que tous ces êtres qui souffrent dans le cycle de la vie et de la mort sont pris au piège de leur ignorance, ce qui les pousse à la poursuite de désirs égoïstes. Siddhartha sut alors que toute douleur était due à la mésinterprétation de la véritable nature de la réalité. Alors que la nuit s'achevait et que le ciel montrait les premiers signes de l'aube, Siddhartha s'éveilla à la Vraie nature de la vie. A partir de cet instant, il fut connu comme le Bouddha Shakyamuni, le Sage du clan Shakya. Il résolut de transmettre ce qu'il avait découvert pour le salut de tous les êtres vivants.

Pendant quarante ans, le Bouddha a sillonné l’Inde, enseignant les hommes selon leurs aptitudes à comprendre. Progressivement il parvint à développer la sagesse et la perspicacité de ses disciples jusqu'à ce qu'ils soient prêts à recevoir son enseignement le plus élevé, le Dharma Merveilleux du Sutra de la Fleur de Lotus. Il mourut à 80 ans dans le bosquet de shala, entouré de nombreux disciples.


La loi de la cause et de l'effet

Regardons maintenant de plus près la loi de causalité, car elle est au centre de la découverte du Bouddha. Cette loi est parfois appelée karma, terme qui ne signifie nullement destin, bien qu'il soit souvent interprété dans ce sens. Ce terme signifie "actes" ou "faits" et se réfère à la manière dont nos vies sont charpentées par ce que nous faisons. D'un point de vue plus général, la loi de causalité explique comment tous les phénomènes apparaissent et disparaissent en tant qu'expression des actions et de leurs conséquences. Tous les phénomènes qui existent, depuis les hommes et les planètes jusqu'aux particules subatomiques et états d'esprit, sont les effets des causes précédentes et produiront, à leur tour, des causes qui provoqueront des effets futurs. Comprendre ce processus, c'est réaliser que rien n'existe indépendamment de ces causes et conditions, et que rien ne possède quelque existence permanente que ce soit. De la sorte, tout ce qui existe n'est qu'un support momentané et un élément interdépendant dans le flux dynamique de la chaîne causale. Cela signifie également que tout ce que nous cherchons à nous approprier n'est qu'un élément de cette chaîne, qui glisse invariablement de nos mains, ne nous procurant aucune des satisfactions que nous en escomptions.

Prenons, par exemple, une grappe de raisin. Il y a quelques années, alors que je conduisais à travers des vignobles, j'ai été frappé par l'idée que chaque grappe est la transformation du sol, de l'eau de pluie, de la lumière du soleil et d’une graine initiale dont aucune ne permet de penser qu’elle ressemblera à une grappe de raisin. En termes de causalité, la graine est la cause, la grappe est l'effet et porte en elle la graine qui sera la cause de futures grappes. En termes de cause et condition, la graine est toujours la cause, alors que le sol, l'eau de pluie et la lumière du soleil sont les conditions qu'on peut appeler aussi causes contributives. En outre, chacun de ces grains de raisin était destiné à disparaître dans le procédé de vinification et devenait ainsi la cause de quelque chose qui pouvait éventuellement devenir un élément du corps humain. Ce raisin pouvait, tout aussi bien, se décomposer sur la vigne et contribuer ainsi à la formation du sol. Il pouvait encore être séché ou bien être consommé tel quel, devenant ainsi source de nutrition.

Bien sûr, le raisin est seulement un exemple. La loi de causalité est universelle et s'applique à tous les phénomènes. Le processus de cause et effet est inhérent à toute chose et toute chose n'est qu'un instant événementiel dans la chaîne causale. Nous ne sommes pas en dehors de ce processus, nous y contribuons de la même manière que tout ce qui est. Cependant, à la différence des objets inanimés et des êtres vivants qui n'ont pas une conscience de soi, nous créons nous-mêmes les causes qui vont déterminer la sorte de vie qui nous apportera joie ou souffrance. Le Bouddha nous a enseigné que ce que nous sommes aujourd'hui est le résultat de ce que nous avons pensé, dit ou fait dans le passé et que notre avenir sera le résultat de ce que nous pensons, disons ou faisons dans le présent.

Malheureusement, nous nous emprisonnons dans un cercle vicieux de souffrances en n'identifiant pas la nature causale et impermanente de toute chose. Nous ne réalisons pas de quelle manière nous mettons en marche les diverses causes qui détermineront, le cas échéant, le déroulement de notre vie. Dans nos tentatives d'obtenir ce que nous croyons devoir nous procurer une plénitude permanente, cette ignorance nous fait agir d'une manière qui est loin d'être bénéfique, tant pour nous que pour les autres. Tout le monde connaît le proverbe "on ne récolte que ce que l'on sème". Mais qui d’entre nous est réellement sûr que toutes ses paroles, ses actions et même ses pensées sont telles qu’il aimerait les voir lui revenir en miroir, venant de personnes, de lieux ou d’événements de la vie quotidienne ? La plupart du temps, nous agissons sans réfléchir réellement aux conséquences de nos actes. Ainsi, beaucoup de personnes sont seules et à la recherche d'une compagnie, mais bien peu se demandent si elles cultivent les qualités qui les rendront vraiment attrayantes pour les autres. Au lieu de cela, elles se plaignent de leur solitude, de la froideur des autres ou incriminent la difficulté de rencontrer la bonne personne dans un quelconque bar. De la sorte ces personnes deviennent plus anxieuses, frustrées et déprimées, ce qui les rend moins attirantes aux yeux des autres. Même si elles réussissent à trouver quelqu'un, elles ont souvent des espérances si peu réalistes qu'elles finissent par rompre avec la personne dont elles attendaient précédemment la réalisation de leurs rêves. Ballottés entre ce que nous croyons vouloir et nos espérances de voir se réaliser nos désirs irréalistes, il n'est pas étonnant que nous finissions par créer des causes porteuses de souffrances futures.

Le Sutra du Lotus et les Trois grands Dharmas cachés

De quelle manière le Sutra du Lotus peut-il nous aider à mieux comprendre la loi de causalité ? La réponse à cette question se trouve dans le titre même du Sutra. Le lotus symbolise l'unité de la cause et de l'effet, car ses fleurs et ses graines coexistent en même temps. Puisque les moyens et les buts sont inséparables, les causes que nous créons par nos pensées, nos paroles et nos actions déterminent immédiatement la nature des effets qui en découleront. En créant la cause qui consiste à garder le Sutra et par là parvenir à l'Éveil, nous nous en assurons simultanément l'effet.

Le lotus symbolise également la pureté de la bodhéité qui se développe au milieu de nos vies ordinaires, tout comme les fleurs du lotus dans une eau boueuse. Convenons que chacun se perçoit en tant que personne ordinaire avec des combats et des ennuis ordinaires, et ne se ressent pas comme une personne dotée de qualités particulièrement vertueuses. Chacun estimera peu probable de développer la vue et la compassion du Bouddha. Cependant, d'après le Sutra du Lotus, nous pouvons manifester ces qualités par la foi en nos capacités d'atteindre la bodhéité et plus encore par la foi en la présence dynamique dans nos vies de la bodhéité en tant qu’esprit d'Éveil - aspiration à la bodhéité (bodhicitta). Dès que nous nous fions au Sutra du Lotus, nous pouvons constater qu'au milieu de notre routine quotidienne, nous pouvons agir avec plus de bon sens et de compassion. Pour notre bonheur, Nichiren a mis à la disposition de toute personne une méthode pour comprendre et mettre en pratique le véritable enseignement de Shakyamuni. Il a enseigné trois principes de base qui s'appuient sur les vérités essentielles cachées dans les profondeurs du Sutra et appelées "Les Trois grands Dharmas cachés". A partir de ces principes, il a établi une pratique simple et pourtant profonde, accessible à tous. Ce sont :

1 - L'objet essentiel de vénération (Gohonzon) qui est la vie du Bouddha Atemporel présente en toute chose. Le Sutra du Lotus enseigne que l'Éveil de Shakyamuni n'a pas commencé sous l'arbre bodhi et ne s'est pas achevé dans le bosquet shala. Comme la vraie nature de la réalité dont il est une expression, l'Éveil du Bouddha n'a ni début ni fin. Il est "non-né" et "non-mort", et donc "éternel". La bodhéité est contenue en nous-mêmes, en tant que potentiel toujours présent, et en même temps elle englobe notre vie en tant qu'influence spirituelle et action des bouddhas qui œuvrent sans discontinuer à nous éveiller. Le Bouddha éternel se manifeste sous la forme du Bouddha historique, Shakyamuni, en même temps que sous la forme du Bouddha idéalisé de la Terre pure du Pic du Vautour du Sutra du Lotus et, de même, sous la forme de la Véritable nature de la réalité. A travers le Sutra du Lotus, qui est un texte concret, un profond enseignement ainsi qu'une pratique immédiate, nous pouvons visiblement et directement nous relier à la présence spirituelle et à l'influence du Bouddha éternel.

2 - Le grand Titre (Daimoku) - en sino-japonais, le nom du Sutra du Lotus est Myohorengekyo et les cinq caractères qui le composent sont par eux-mêmes le noyau des enseignements de Shakyamuni et l'expression de l'essence du Sutra du Lotus. Et puisque ces cinq caractères incarnent l'essence de l'enseignement du Bouddha, ils nous permettent de concentrer notre esprit et notre coeur sur ce que cet enseignement a de plus élevé.

Lorsqu'on ajoute au Titre Namu, qui signifie "se consacrer à", on obtient Namu Myoho Renge Kyo, ou "Dévotion à la Vérité merveilleuse de la Fleur de Lotus". Selon Nichiren, la récitation du grand mantra Namu Myoho Renge Kyo nous permet de développer notre confiance dans l'éternel Bouddha et d’ouvrir nos vies à tous les bénéfices et qualités de la bodhéité.

Pour mieux saisir ce qu'est Namu Myoho Renge Kyo, voyons de plus près ce qu'exprime chacun de ses cinq caractères.

Namu vient du sanskrit "namas", qui peut se traduire par "je me dévoue à" ou bien "je prends refuge en". C'est l'affirmation selon laquelle, lorsque les autres méthodes de travail sur soi pour atteindre le bonheur se sont avérées insuffisantes, nous en venons à reconnaître que le bonheur authentique se trouve dans le Dharma.

Myoho signifie Vrai Dharma (enseignement) ou Dharma Merveilleux qui explicite la dynamique de la vie et sa nature profonde d'interdépendance, où tout ce qui existe relève de la transformation et du support mutuels. Ce que nous appelons "nature de bouddha" est la potentialité inhérente à toute vie de découvrir et de réaliser sa propre nature profonde.

Renge désigne la fleur du lotus. C'est l'image du fonctionnement du Dharma en ce que le lotus symbolise l'unité de la cause et de l'effet et, en ce qui nous concerne, l'unité de l'aspiration à la bodhéité et sa réalisation. C'est également l'image de la pureté de la bodhéité qui fleurit au milieu du marécage de la vie quotidienne.

Kyo, ce sont les "sutras" ainsi qu'on appelle les écritures bouddhiques. A l'origine, "sutra" désignait la trame d'un tissu, puis la trame d'un discours. Ici, il s'agit de tous les enseignements du Bouddha qui trouvent leur apogée dans le Sutra du Lotus. Dans un sens plus large, comme tous les phénomènes manifestent les enseignements du Bouddha, ce sont tous les phénomènes qui peuvent être considérés comme des enseignements et des manifestations de la vérité du Sutra du Lotus. La récitation de Namu Myoho Renge Kyo est ainsi l'expression verbale de l'élan qui nous porte vers la bodhéité. C'est également l'affirmation de notre foi en notre nature de bouddha qui peut être activée et revivifiée à tout moment. En ce sens, c'est la graine de l'Éveil dans notre propre vie et dans la vie des autres. Plus nous cultivons cette graine par notre pratique, plus nous développons notre idéal. Qu'il soit bien clair que la récitation mantraïque de Namu Myoho Renge Kyo est autre chose que la version bouddhiste de "abracadabra" ou la répétition à vide de syllabes sino-japonaises, bien qu'elle puisse éventuellement être réduite à cela. Namu Myoho Renge Kyo peut paraître peu de chose, mais même une clef minuscule peut ouvrir un immense trésor, et Namu Myoho Renge Kyo est précisément une telle clef. C'est en même temps la graine et le fruit de tous les enseignements du Bouddha. Dans un premier temps, c'est la possibilité de prendre une distance par rapport à nos angoisses en se tournant vers le Dharma Merveilleux, source de bienfaits authentiques et mise en lumière d'opportunités de la réalisation de soi. A mesure que notre Éveil et notre compassion s'approfondissent par la pratique, la récitation du Grand Titre (Daimoku) commence à exprimer spontanément notre désir de bodhéité pour nous-mêmes et pour les autres. Daimoku peut aussi devenir une façon de formuler un profond changement, une réorientation du coeur, par laquelle nous tournons le dos à notre malencontreux égocentrisme et nous dirigeons vers le Vrai Dharma. Enfin, cette récitation réunit dans l'expression de notre foi toute notre gratitude à l'égard du Dharma et apporte la joie en nous menant à l'océan de l'Éveil parfait et universel de tous les êtres.

3. L'Estrade des préceptes (kaidan). On considère comme kaidan tout lieu où est récité daimoku en basant sa vie sur l'esprit de l'enseignement du Bouddha Shakyamuni. Historiquement, le kaidan était l'endroit où l'on prononçait publiquement les vœux d'adhésion au bouddhisme en tant que membre du clergé. Nichiren a universalisé le concept du kaidan pour que tous puissent garder les enseignements essentiels et pratiquer le Sutra du Lotus en tout lieu, en récitant Namu Myoho Renge Kyo. Dans le bouddhisme de Nichiren, il n'y a pas de différence fondamentale entre les moines et les laïcs. Par rapport à la foi, ils sont égaux et seules leurs fonctions diffèrent. D'ailleurs, la pratique du bouddhisme Nichiren ne demande pas de vivre dans un monastère, ni même de faire des retraites intensives. C'est une pratique qui peut être faite en tout lieu et à tout moment, en famille ou en solitaire. L'important est que, quel que soit votre lieu de pratique, il devienne pour vous le kaidan. Afin de mettre ces Trois grands Dharmas cachés en pratique, les bouddhistes nichiréniens récitent régulièrement des passages choisis du Sutra du Lotus et "font daimoku" (récitent le mantra) au début et à la fin de chaque journée devant le Gohonzon (généralement représenté sous la forme d'un mandala calligraphié). Par cela nous nous rappelons à nous-mêmes que le Bouddha éternel Shakyamuni, présent spirituellement en nous par ce daimoku, est en train de nous transmettre le Dharma, si bien que nous sommes en mesure de nous éveiller à tout moment à la Vérité. En suivant fidèlement les enseignements et la pratique, les bouddhistes nichiren sont de plus en plus en mesure de créer des causes qui leur permettront de manifester une parfaite sagesse et une grande compassion bouddhique en toute circonstance. C'est cela qui leur permet de transformer non seulement leur propre vie, mais également la vie des autres pour que ce monde cesse d'être un monde de souffrances et devienne un monde pur de paix et de tranquillité.

La loi de causalité est à la base de toutes les formes de bouddhisme. Le concept de "nature de bouddha" est propre au bouddhisme du Mahayana dont nous parlerons plus loin. Toutes ces notions trouvent leur apogée dans les Trois grands Dharmas cachés, noyau du bouddhisme de l'école Nichiren (Nichiren Shu). Dans la suite du livre, nous y reviendrons à maintes reprises. Et chaque fois leur signification et leur importance seront mises en lumière par les enseignements de Shakyamuni. Pour finir, nous les examinerons sur un plan beaucoup plus profond.

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