Dharani
Ce chapitre explique comment les êtres non-humains, symboles du monde spirituel, sont profondément émus par les enseignements du Sutra du Lotus et font le vœu de protéger par des syllabes mystiques les enseignements et ceux qui les propagent.
Il y a d'abord deux bodhisattvas : Bhaishajyaraja* et Ksemadatta*, qui font le vœu de garder et de protéger les Maîtres
du Dharma. Cela n'a rien de surprenant puisque ces deux bodhisattvas sont les disciples et les messagers du Bouddha. Il y a ensuite deux rois célestes, Virudhaka* et Vaishravana* qui font le vœu de protéger le Sutra. Les vœux de ces rois célestes non bouddhistes signifient que les enseignements du Bouddha comprennent tous les autres enseignements et y répandent la vie spirituelle.
Après cela, dix rakshasis et Hariti* font le vœu de protéger le Sutra du Lotus. Elles déclarent d'une même voix devant le Bouddha :
« S'il s'en trouve pour chercher à les prendre en défaut, nous
les empêcherons d'en trouver l'occasion. »
Cette déclaration prouve que l'esprit du Bouddha existe même chez les démons et aussi que les enseignements du Sutra du Lotus ont le pouvoir de permettre aux démons de devenir bouddhas.
Cinq sortes de mots intraduisibles
Dans ce chapitre apparaissent de nombreux mots sanskrits. Pourquoi ne furent-ils pas traduits ? Cela est dû, sans doute, à la prudence de Kumarajiva, qui traduisit le Sutra du Lotus du sanskrit en chinois. Lorsque les sutras mahayanas furent traduits en chinois, les traducteurs, dont Kumarajiva, laissèrent "les mots intraduisibles" tels quels. Les traducteurs définirent comme intraduisibles les cinq sortes de mots suivants :
1. Les mots désignant des réalités particulières à l'Inde mais inconnus en Chine, c'est-à-dire les noms d'animaux, de plantes et de démons. Par exemple : le parfum de tamalapattra et de tagara, mentionnés dans le chapitre XIX, et des êtres tels que les garudas* et les kimnaras*.
2. Les mots possédant de nombreuses significations et qui ne peuvent être rendus par un seul mot. Par exemple, dharani désigne parfois le pouvoir mystique qui rend un orateur capable de restituer l'enseignement tel qu'il l'a entendu, ou alors le pouvoir d'arrêter tous les maux et d'encourager le bien. Mais d’autres fois dharani désigne des syllabes mystiques par lesquelles un récitant peut échapper à un désastre. Les syllabes mystiques du chapitre XXVI appartiennent à cette dernière catégorie.
3. Les mots mystiques. Par exemple : les formules magiques des dharani du chapitre XXVI. Ces mots furent laissés tels quels parce que leur signification profonde aurait été déformée s'ils avaient été traduits.
4. Translitérations communément admises. Par exemple : anutara-samyak-sambodhi qui peut être traduit comme "Éveil parfait" ou "Éveil complet et parfait sans supérieur" ou "prajana sans égale du Bouddha, etc.
5. Les mots ayant une signification spécifique et qui perdraient leur véritable sens s'ils étaient traduits. Par exemple : bouddha et bodhi.
N.d.T. : cf. l'article consacré aux "intraduisibles".
Ces cinq sortes de mots intraduisibles (goshu-fuhon) furent laissés tels quels par tous les traducteurs.
Après l'exposé du chapitre XXV
« Le bodhisattva Bhaishajyaraja* se leva de son siège, se découvrit l'épaule droite,
joignit les paumes en direction du Bouddha et lui adressa ces paroles: "Bhagavat, s'il se trouve des fils de foi sincère et des filles de foi sincère capables d'accepter et garder le Sutra du Lotus du Dharma, de le lire et de le réciter avec pénétration
et acuité, d'en recopier les volumes, combien de bénédictions
en obtiendront-ils?"
« Le Bouddha déclara à Bhaishajyaraja: " Si
des fils ou des filles de foi sincère faisaient offrande à autant
de bouddhas que les sables de huit mille millions de myriades de miliards de
Gange, qu'en est-il à ton avis? Les bénédictions qu'ils
en obtiendront seront-elles plutôt nombreuses ou non?"
« - Elles seront fort nombreuses, Bhagavat.
« Le Bouddha dit:
" Si des fils de foi sincèreou des filles de foi sincère sont capables d'accepter et
retenir ce Sutra, ne serait-ce qu'une stance de quatre vers (gatha), de
la lire et de la réciter, d'en comprendre le sens et de la mettre
en pratique comme il l'est prêché, les mérites en
seront fort nombreux."
« Alors le bodhisattva Bhaishajyaraja s'adressa à l'Éveillé :
" Bhagavat, je vais maintenant donner
à ceux qui exposent le Dharma une dharani (note)
qui les protégera." Et il prononça la formule suivante :
Anye manye mane mamane citte carite same samita visante mukte muktame same avishame samasame jaye [kshaye] akshaye akshine sante samite dharani alokabhashe pratyavekshani nidhiru abhyantaranivishte abhyantaraprisuddhi utkule mutkule arade parade sukankshi asamasame buddhavilokite dharmaparikshite samghanirghoshani [nirghoshani] bhayabhayavisodhani mantre mantrakshayate rute rutakausalye akshaye akshayavanatdye [vakkule] valoda amanyanatdye [svaha].
[N.d.T. J.N. Robert donne dans sa traduction du Sutra du Lotus une translitération différente conforme à la prononciation japonaise :
Ani mani manei
mamanei shirei sharitei shamya shabitai sentei
mokutei mokutabi shabi aishabi sôbi shabi shaei akishaei agini sentei
shabi darani arokyabasaihashabishani neibitei abentaraneibitei atandahareishutai
ukurei mukurei ararei hararei shugyashi asanmasambi boddabikirijiritei
darumaharishitei sôgyachirikushanei bashabashashutai mantara mantarashayata
urotaurota kyôsharya akishara akishayataya abaro amanyanataya.]
« Bhagavat, cette
divine dharani a été
exposée par autant de bouddhas que les sables de soixante-deux myriades
de Gange. S'il se trouve quelqu'un pour attaquer et blesser ces Maîtres
du Dharma, cela reviendra à avoir attaqué et blessé
ces bouddhas.
« Sur ce, le Bouddha
Shakyamuni loua le bodhisattva Bhaishajyaraja* en ces mots: "C'est bien, c'est
fort bien, Bhaishajyaraja*, c'est par une
attention miséricordieuse, pour protéger ces Maîtres
du Dharma que tu as exposé ces dharani; abondants seront les bienfaits qu'il dispensera aux êtres."
« Alors le bodhisattva Ksemadatta* s'adressa
à l'Éveillé: "Bhagavat, afin de protéger ceux qui lisent et récitent, acceptent
et gardent le Sutra du Lotus du Dharma, je vais moi aussi exposer
une dharani. Si ces Maîtres
du Dharma font leur cette dharani, les yakshas*, rakshasas*, putanas, krityas, kumbhandakas, pretas et
autres qui chercheront à le prendre en défaut ne pourront
en trouver l'occasion." Ainsi, devant l'Éveillé, il
prononça la formule :
« Jvale mandjvale ukke [tukku] mukku ade adavati nrtye nrtydvati ittini vittini cittini nrtyeni nrtydvati [svaha].
[version de J.N. Robert : Zarei makazarei uki moki arei arabatei chiritei chiritahatei
ichini ichini shichini nirichini nirichihachi.]
« "Bhagavat, cette dharani a été exposée par autant de
bouddhas que les sables du Gange et tous s'en sont réjouis en conséquence.
S'il s'en trouve pour attaquer et blesser ces Maîtres
du Dharma,
cela reviendra à avoir attaqué et blessé ces bouddhas".
« Alors le roi céleste Vaishravana,
gardien du monde, s'adressa à l'Éveillé: "Bhagavat, à mon tour également, par une attention miséricordieuse,
pour protéger ces Maîtres
du Dharma, j'expose cette dharani.
Et il prononça la formule suivante :
« Atte [tatte] natte vanatte anade nadi kunadi [svaha].
[version de J.N. Robert : Ari nari tonari anaro nabi kunabi.]
« "Bhagavat, grâce à cette dharani, les Maîtres
du Dharma se trouveront protégés et je protégerai également
moi-même ceux qui sauvegardent ce Sutra, les exemptant
de décrépitude et de chagrin sur une étendue de cent yojanas."
« Alors
le roi céleste Virudhaka*, qui se trouvait dans cette assemblée, entouré avec respect d'une
foule de mille millions de myriades de milliards de gandharvas*,
s'avança auprès du Bouddha, joignit les paumes et s'adressa à lui: "Bhagavat, je protégerai moi aussi ceux qui sauvegardent le Sutra du Lotus du Dharma à l'aide d'une dharani." Et il prononça la
formule suivante:
« Agane gane gauri gandhâri candédi mdtangi [pukkaléi] samkule vrusali sisi [svaha].
[version de J.N. Robert : Ideibi ideibin ideibi adeibi ideibi deibi deibi
deibi deibi deibi rokei rokei rokei rokei takei takei takei tokei tokei]
«"Bhagavat*, cette divine dharania été exposée par quarante-deux
myriades de bouddhas. S'il s'en trouve pour attaquer et blesser ces Maîtres
du Dharma, cela reviendra à avoir attaqué et blessé
ces bouddhas."
« Alors il y eut des rakshasis,
la première ayant nom Lamba*, la seconde
Vilamba* , la troisième Malakutadanti*,
la quatrième Pushpadanti*,
la cinquième Matutacandi*,
la sixième Keshini*, la septième
Acala*, la huitième Maladhari* , la neuvième
Kunti, la dixième Sarvasattvaujohari* ;
ces dix rakshasis, avec Hariti*, en même temps que leurs enfants
et leur suite, se rendirent de concert auprès du Bouddha et d'une
même voix s'adressèrent à lui : "Bhagavat, nous aussi désirons protéger ceux qui lisent et
récitent, acceptent et gardent le Sutra du Lotus du Dharma,
et les débarrasser de la décrépitude et du chagrin.
S'il s'en trouve pour chercher à les prendre en défaut, nous
les empêcherons d'en trouver l'occasion." Et, devant l'Éveillé,
elles prononcèrent la formule suivante :
« Iti me, iti me, iti me, iti me, iti me ; ni me, ni me, ni me, ni me, ni me ; ruhe, ruhe, ruhe, ruhe [ruhe] ; stuhe, stuhe, stuhe, stuhe, stuhe [svaha].
[version de J.N. Robert : ideibi ideibin ideibi adeibi ideibi deibi deibi
deibi deibi deibi rokei rokei rokei rokei takei takei takei tokei tokei.]
« "Que l'on grimpe plutôt sur nos têtes, mais que l'on n'aille
point tourmenter les Maîtres
du Dharma ; que ce soient yakshas*, rakshasas*, pretas*, putanas*, krityas*, vetadas*, kumbandhas*,
umarakas,*
apsamarakas,*
yakshakrityas*, krityas humains*, fièvres - qu'elles soient d'un jour, de deux jours, tierces,
quartes, et même jusqu'à sept jours ou fièvres chroniques
(dvaitiya, tritia,
chaturthakritya, nityajvara),
que ce soient des figures masculines ou féminines, figures de jeunes
garçons ou de jeunes filles, et même les rêves, aucun
non plus ne les tourmentera."
Et, devant l'Éveillé, elles prononcèrent les stances
:
« Quiconque
résiste à nos dharani
et tourmente ceux qui exposent le Dharma
Aura la tête brisée en sept morceaux
Comme les branches d'un arbre arjaka.
« Comme le crime du parricide
et comme l'acte funeste de celui qui presse l'huile*,
qui trompe les gens par le boisseau ou la balance,
ou le crime de Devadatta qui brise le Sangha,
celui qui fait tort aux Maîtres
du Dharma
obtiendra un sort pareillement funeste. »
Ces vers sont célèbres. On dit que si on touche une fleur d' arjaka, ses pétales s'ouvrent et tombent en sept morceaux. "Quiconque aura la tête brisée en sept morceaux" est du même ordre que "puisse le destin de cet homme être celui d'un parricide". Et "l'acte funeste de celui qui presse l'huile*" se réfère à une coutume indienne. Lorsque l'on moud des graines de gingelly (sésame indien), on met un poids sur la meule pour écraser les grains. Si le poids est insuffisant, les insectes odoriférants (magots) mêlés au sésame ne seront pas écrasés. Si le poids est trop important afin d'accélérer la mouture, les insectes seront broyés et l'huile perdra sa saveur. De ce fait, en Inde ancienne, cet acte était le symbole du crime par lequel une personne tue par cupidité.
On peut dire la même chose d'une personne qui trompe avec de fausses mesures et de faux poids. Bien que dans le système légal actuel un tel délit ne puisse être comparé à celui de l'homicide, c'est un acte odieux du point de vue spirituel. En Inde, la fraude sur les mesures était considérée comme un crime.
Le crime de provoquer le schisme dans le Sangha
Ensuite vient "le crime de Devadatta qui brise le Sangha". Devadatta commit une des cinq fautes cardinales en brisant l'entente étroite et loyale dans la communauté des disciples de Shakyamuni.
Il va sans dire que l'on commet un forfait en provoquant la division dans une communauté unie par la même foi. Une personne qui perturbe les maîtres du Sutra du Lotus ne vaut pas plus qu'un criminel et sa rétribution sera telle que sa tête sera brisée en sept morceaux comme la pousse d'un arjaka.
Si on se contente d'une lecture superficielle, le vœu des rakshasis peut sembler une vengeance contre les ennemis du Sutra du Lotus. Mais Il n'en est pas ainsi : elles prononcent des paroles passionnées à cause de leur vigueur et de leur zèle car elles n'ont pas accumulé d'aussi grandes vertus que les disciples du Bouddha et à cause de leur nature démoniaque. Si c'était une simple vengeance, Shakyamuni, qui prêche la tolérance envers tous les êtres vivants, n'aurait pas encouragé les rakshasis à plusieurs reprises :
« "C'est bien, c'est fort bien !"»
Nous avons abordé le principe de punition dans les chapitres 3 et 20. Ici ce principe s'applique avec toute sa sévérité. Mais le texte dit : ‘‘celui qui fait tort aux Maîtres
du Dharma / obtiendra un sort pareillement funeste’’ et non pas ‘‘Puisse le Bouddha briser sa tête en sept morceaux’’. De plus "obtenir un sort funeste" fait allusion aux rétributions karmiques résultant des offenses faites aux Maîtres
du Dharma, conformément au concept bouddhique selon lequel une personne sera punie par ses propres forfaits et non par un agent extérieur ou une force arbitraire.
Après que les rakshasis ont prononcé ces dharanis, elles s'adressent au Bouddha en disant :
« "Bhagavat, nous aussi protégerons de notre propre corps ceux qui
acceptent et gardent, lisent, récitent et mettent en pratique
ce Sutra. Nous lui ferons obtenir la sérénité,
le débarrasserons de la décrépitude et du chagrin,
dissiperons tous les poisons."
« l'Éveillé déclara aux rakshasis : "C'est bien, c'est fort bien; innombrables seraient déjà
vos bénédictions si vous ne pouviez protéger que
ceux qui acceptent et gardent le titre du Lotus du Dharma, qu'en
sera-t-il alors si vous protégez ceux qui le reçoivent et le gardent
en sa totalité et font aux volumes offrandes de fleurs, d'encens,
de guirlandes, de poudres, d'onguents, de fumigations, de bannières,
de dais, de musiques, font brûler toutes sortes de lampes - lampes
à beurre clarifié, lampes à huile, lampes aux diverses
essences : lampes à huile de sumana,
lampes à huile de fleurs de champaka,
lampes à huile de varshika - et ainsi de suite,
des centaines et des milliers de sortes d'offrandes. Kunti,
vous autres et ceux qui vous suivent, vous devez protéger de tels
Maîtres
du Dharma."»
Le chapitre conclut :
« Tandis que ce chapitre des dharanis était
exposé, soixante-huit mille personnes obtinrent l'adhésion
à la non-production des entités.»
Suite
Chapitre XXVI du Sutra du Lotus
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