Un bouddhisme pour notre temps

Une interprétation moderne du Triple Sutra du Lotus par
Niwano Nikkyo
traduit de A Buddhism for today (Kosei Publishing Co - 2006)

Voir : SUTRA DU LOTUS - CHAPITRE XX

Bodhisattva Fukyo - Sans Mépris

Dans le chapitre XIX, tous les disciples qui ont écouté le Bouddha n'ont certainement pas tous compris en totalité la signification de son sermon et l'avertissement qu'il contient. Certains se sont peut-être découragés en pensant : ‘‘Il ne nous est pas possible de pratiquer parfaitement tous les enseignements du Sutra du Lotus.’’ D'autres, pleins de suffisance, ont peut-être pensé : ‘‘Nous pouvons d'une manière ou d'une autre obtenir les mérites si nous appliquons à la lettre les cinq pratiques du maître du Dharma’’. D'autres encore ont pu se sentir momentanément satisfaits d'eux-mêmes : ‘‘À la différence des disciples des deux véhicules, shravakas et pratyekabuddhas, nous, les bodhisattvas, sommes les possesseurs ces pouvoirs surnaturels. Nous sommes bien différents d'eux’’.

Les sermons du Bouddha ont toujours été parfaits et satisfaisants pour tous. Lorsqu'il percevait le moindre doute dans l’esprit de ses disciples, Shakyamuni leur donnait assez d'instructions pour les guider vers l'Éveil parfait et complet, sans supérieur. Il fit probablement de même en enseignant le chapitre XIX.

« A ce moment, l'Éveillé déclara au bodhisattva-mahasattva Mahasthamaprapta*: "Tu dois maintenant le savoir, alors qu'un bhiksu* ou une bhiksuni*, un upasaka* ou une upasika* garde le Sutra du Lotus du Dharma, s'il est quelqu'un qui le diffame, l'insulte ou le calomnie, la rétribution qu'il retirera de ce grand forfait est telle qu'il l'a été précédemment exposé; quant aux mérites qu'il obtiendra, ils sont tels qu'il l'a été dit plus haut: la purification de l'oeil, de l'ouïe, du nez, de la langue, du corps, du cerveau." »

Alors, pour donner un exemple, Shakyamuni raconta l'histoire du bodhisattva Sans-Mépris (Fukyo, Sadaparibhuta).

L'histoire du bodhisattva Sans-Mépris

« Mahasthamaprapta (Seishi), autrefois, dans un passé d'innombrables, infinies, inconcevables quantités incalculables de kalpa, il était un bouddha du nom d'Ainsi-Venu Bhismasvararaja-Ghosasvara*, Arhat*, Samyak-Sambuddha*, Vidya-carana-sampanna*, Sugata*, Lokavit*, Purusa-damya-sarath, Sasta deva-manusyanam*, Buddha*, Bhagavat* ; son kalpa était appelé Vinirbhoga (Exempt de Déchéance) et son royaume Mahasambhava (Grande-Réalisation). Cet ÉveilléBhismasvararaja-Ghosasvara*, dans son monde, prêchait le Dharma aux devas*, aux hommes et aux asuras*. A ceux qui recherchaient l'état de shravaka*, il prêchait un Dharma adapté selon les quatre nobles vérités pour se sauver de la naissance, de la vieillesse, de la maladie, de la mort et parachever le nirvana. À ceux qui recherchaient l'état de pratyekabuddha*, il prêchait un Dharma adaptée selon les douze liens causaux. Aux bodhisattvas, en raison de l'Éveil complet et parfait sans supérieur*, il prêchait un Dharma adapté selon les six paramitas pour parachever la sagesse de bouddha.

« Mahasthamaprapta* cet ÉveilléBhismasvararaja-Ghosasvara* eut une longévité de kalpa égaux aux sables de quatre cent mille myriades de milliards de Gange. Le Dharma correct demeura au monde un nombre de kalpa comparable aux atomes d'un continent Jambudvipa ; le Dharma formel demeura au monde un nombre de kalpa comparable aux particules d'un monde terrestre à quatre continents. Cet Éveillé, ayant dispensé ses bienfaits aux êtres, passa ensuite en parinirvana. Après la disparition complète du Dharma correct et du Dharma formel, il y eut encore un bouddha qui apparut en ce royaume. Il s'appelait également l'Ainsi-Venu Bhismasvararaja-Ghosasvara*, Arhat*, Samyak-Sambuddha*, Vidya-carana-sampanna*, Sugata*, Lokavit*, Purusa-damya-sarathi*, Sasta deva-manusyanam*, Buddha*, Bhagavat* ; et il y eut successivement de cette façon vingt mille myriades de bouddhas, tous d'identique appellation.

« Alors que le tout premier Ainsi-Venu Bhismasvararaja* était passé en parinirvana, après la disparition du Dharma correct et durant le Dharma formel, des moines outrecuidants avaient grand pouvoir et autorité. Il y avait en ce temps-là un bhiksu-bodhisattva nommé Sadaparibhuta (Fukyo)*. Pour quelle raison, ô Mahasthamaprapta*, se nommait-il Toujours Sans-Mépris ? C'est que ce bhiksu, toutes les fois qu'il voyait un bhiksu* ou une bhiksuni*, un upasaka* ou une upasika*, leur rendait sans exception hommage et faisait leurs louanges en leur disant: "Je vous respecte profondément, je n'ai garde de vous mépriser. Pourquoi cela? C'est que vous pratiquez tous la voie du bodhisattva et obtiendrez de devenir bouddha.

« Or ce moine ne se consacrait point à la lecture et à la récitation des sutras, il ne pratiquait que cet hommage, au point que, voyant de loin les quatre congrégations, il allait encore exprès leur rendre hommage et faire leurs louanges en ces mots: "Je n'ai garde de vous mépriser; vous deviendrez tous bouddha. (note)

« Parmi les quatre congrégations, il s'en trouvait certains, à la pensée impure, pour se courroucer, ils le diffamaient et l'insultaient en disant: "D'où vient ce bhiksu* sans intelligence qui se permet de nous dire qu'il ne nous méprise pas et nous confère la prédiction: "Vous obtiendrez de devenir bouddha" ? Nous n'avons que faire d'une telle annonce insane." Ainsi passèrent de nombreuses années au cours desquelles il fut constamment insulté sans concevoir de courroux et disant toujours: "Vous deviendrez bouddha." Lorsqu'il tenait ces propos, il arrivait que plus d'un lui jetât des bâtons, des tessons ou des pierres; il s'enfuyait et se tenait à distance, criant malgré tout à haute voix: "Je n'ai garde de vous mépriser, vous deviendrez tous bouddha." Parce qu'il tenait constamment ces propos, les bhiksus* et bhiksunis*, les upasakas* et upasikas* outrecuidants l'avaient surnommé "Toujours Sans-Mépris".

« Alors que ce moine était sur le point de mourir, il entendit du ciel complètement les deux cent millions de myriades de stances du Sutra du Lotus du Dharma exposées auparavant par le bouddha Bhismasvararaja-Ghosasvara* et il put les retenir toutes tant qu'elles étaient; aussi obtint-il la purification de l'organe visuel et la purification de l'oreille, du nez, de la langue, du corps et du cerveau, comme décrites précédemment. Ayant obtenu la purification des six organes, il eut sa longévité augmentée de deux millions de myriades de milliards d'années et prêcha amplement aux hommes ce Sutra du Lotus du Dharma. Sur ce, les quatre congrégations outrecuidantes, bhiksus*, bhiksunis*, upasakas* et upasikas*, qui l'avaient tenu en dédain et lui avaient donné le surnom de Sans-Mépris, voyant les grands pouvoirs mystiques, le pouvoir d'éloquence plaisante, la grande force de bonté et d'apaisement qu'il avait obtenus et entendant ce qu'il prêchait, se soumirent avec foi et le suivirent.

« Ce bodhisattva convertit encore des dizaines de millions de myriades d'êtres et les fit demeurer dans l'Éveil complet et parfait sans supérieur*. Après que sa vie fut venue à terme, il obtint de rencontrer deux mille myriades de bouddhas, tous appelés Chandraprabhasvararaja*, et il exposa, au cours même de leur enseignement, ce Sutra du Lotus du Dharma. Grâce à ces circonstances, il rencontra encore deux mille myriades de bouddhas, semblablement appelés Dunddubhisvararaja*; ayant, au sein de l'enseignement de ces bouddhas, reçu, gardé, lu, récité et exposé aux quatre congrégations ce Sutra, il obtint la purification de l'oeil ordinaire et la purification des organes de l'ouïe, du nez, de la langue, du corps, du cerveau, et il prêcha le Dharma aux quatre congrégations en pleine assurance de pensée.

« Ô Mahasthamaprapta*, ce bodhisattva-mahasattva Toujours Sans-Mépris fit donc ainsi offrande à une quantité de bouddhas, il les honora, les vénéra, fit leur éloge et planta les racines de bien. Après cela il rencontra encore des dizaines de millions de myriades de bouddhas et exposa également ce Sutra au sein de l'enseignement de ces bouddhas. Ses mérites accomplis, il fut appelé à devenir Éveillé.

« Ô Mahasthamaprapta, qu'en est-il à ton avis? Le bodhisattva Toujours-Sans-Mépris pourrait-il être quelqu'un d'autre? C'était moi-même. Si je n'avais pas, au long de mes renaissances, reçu, gardé, lu et récité ce Sutra, si je ne l'avais pas exposé à autrui, je n'aurais pas pu obtenir rapidement l'Éveil complet et parfait sans supérieur*. C'est parce que j'avais, auprès de bouddhas précédents, reçu, gardé, lu, récité, prêché à autrui ce Sutra, que j'ai obtenu rapidement l'Éveil complet et parfait sans supérieur.

« Ô Mahasthamaprapta, les quatre congrégations de ce temps-là, bhiksus*, bhiksunis*, upasakas* et upasikas*, qui m'avaient dédaigné, l'esprit en courroux, restèrent pour cette raison deux cents myriades de kalpa sans jamais rencontrer de bouddha, ni entendre le Dharma, ni voir le Sangha. Mille kalpas durant, ils subirent de grandes souffrances dans l'enfer avici. S'étant acquittés de cette faute, ils rencontrèrent à nouveau Toujours-Sans-Mépris qui, par son enseignement, les convertit à l'Éveil complet et parfait sans supérieur*.

« Ô Mahasthamaprapta, qu'en est-il à ton avis? Les quatre congrégations de ce temps-là qui méprisaient toujours ce bodhisattva pourrait-ce être quelqu'un d'autre? Ce sont Bhadrapala* et les cinq cents bodhisattvas qui sont à présent dans cette Assemblée, Simhacandra* et les cinq cents bhiksunis*, Sugatachetana* et les cinq-cents upasakas, qui tous ne connaîtront plus de régression vers l'Éveil complet et parfait sans supérieur*.

« Ô Mahasthamaprapta, sache que ce Sutra du Lotus du Dharma dispense de grands bienfaits aux bodhisattvas-mahasattvas et peut leur permettre d'arriver à l'Éveil complet et parfait sans supérieur* ; c'est pourquoi les bodhisattvas-mahasattvas devront constamment, après le parinirvana de l'Ainsi-Venu, recevoir, garder, lire, réciter, expliquer, copier ce Sutra. »

Ensuite, le Bouddha désirant proclamer son enseignement à nouveau, le répéte en vers.

Les lecteurs remarqueront que ce chapitre du Sutra du Lotus est très différent des précédents. Jusqu'ici, nous avons vu des scènes montrant de nombreux pays merveilleux, bien dissemblables du monde réel, ainsi que des scènes terribles de l'enfer. La plupart des personnages, y compris les bouddhas, ont été présentés comme des surhommes ou des êtres idéaux. Mais ce chapitre-ci est fortement marqué par son côté humain. Bien qu'il n'y ait aucune description de lieu, le bodhisattva Sans-Mépris pourrait tout aussi bien évoluer dans une ville ordinaire d’aujourd’hui. Les êtres qui apparaissent dans l'histoire sont des personnes ordinaires, telles qu'on peut les rencontrer partout. Les "bhikshus, bhikshunis, upasakas et upasikas" ne désignent pas nécessairement des moines, des nonnes et des adeptes laïcs hommes et femmes, mais englobent des gens de différents milieux et de différentes classes sociales : des fonctionnaires subalternes vaniteux, des jeunes gens aux dents longues, des commerçants d'un certain âge se voulant des hommes modérés au jugement sûr, des femmes bien braves mais bornées. Parmi eux, nous imaginons aussi des prêtres érudits qui prétendent avoir une connaissance complète du bouddhisme, des moines d’âge mûr fiers de garder les préceptes et de vieux ermites qui ne viennent en ville que pour recevoir des aumônes mais qui ne prêchent aucun enseignement, restant seulement debout et silencieux au coin d'une rue, l'air distant et supérieur. Le bodhisattva Sans-Mépris est l'image d'un jeune moine honnête et sérieux avec quelque chose de touchant et d'inhabituel.

Les autres chapitres du Sutra du Lotus ont un style littéraire très particulier alors que le chapitre XX se rapproche davantage d'une narration moderne, plus humaine. Il parle de choses qui nous sont plus familières. C'est qu'en effet il établit de manière très vivante comment, juste en respectant les autres, un homme ordinaire (bompu) met en pratique sa foi et atteint finalement la perfection de sa personne.

Dans le chapitre précédent, le Bouddha expose cinq sortes de pratiques du Maître du Dharma et indique les kudokus-mérites vastes et illimités pouvant être obtenus par ces pratiques. Mais les personnes ordinaires seront naturellement découragées par la discipline personnelle requise et se diront : ‘‘Je suis incapable de réaliser les cinq sortes de pratiques’’, ou peut-être par conformisme diront-elles ‘‘Je peux toujours faire ces cinq sortes de pratiques pour la forme’’. L'esprit des hommes ordinaires fonctionne malheureusement ainsi.

Shakyamuni percevait parfaitement l'esprit de ceux qui écoutaient ses enseignements. Aussi pouvons-nous deviner pourquoi il changea complètement de méthode dans ce chapitre. En racontant des histoires sur sa vie passée, il souhaitait faire comprendre aux gens trois importantes leçons. La première est que pratiquer de tout cœur, ne fut-ce qu'une seule sorte de bonne action est tout à fait respectable, et qu'agir ainsi représente le premier pas vers le salut. La deuxième est que le nombre de techniques spirituelles que nous pouvons apprendre et pratiquer n'a pas de réellement d’importance. La construction d'une vie humaine peut se faire à partir de la pratique d'une seule sorte de bonne action accomplie avec dévotion et persévérance. La troisième leçon est que la pratique de bodhisattva s’enracine dans le respect des autres, c'est-à-dire par la reconnaissance de la nature de bouddha (buddha-dhatu) dans tous les humains. Si nous essayons de sauver les autres sans reconnaître leur nature de bouddha, nous ne répétons que des actions vides de sens et des cérémonies formelles. Le vrai salut se trouve dans la découverte et le respect de la nature de bouddha chez autrui.

Le Bouddha illustre ces trois leçons de base par l'histoire du bhikshu Sans-Mépris, tellement humain. De plus, il déclare qu'il était lui-même Sans-Mépris dans une existence précédente. Si bien que le Bouddha qui semblait bien distant se rapproche tout à coup de nous. Nous comprenons que si nous suivons la voie prise par Sans-Mépris, nous pouvons atteindre la perfection. Le Bouddha nous avait semblé être quelque part au-dessus des nuages, séparé de nous, mais lorsqu'il nous dit qu'il était Sans-Mépris dans une vie précédente, c'est à dire quelqu'un de proche et d'attachant, c'est comme si nous avions trouvé une échelle pour monter jusqu'à la demeure du Bouddha au-dessus des nuages. C'est très encourageant et nous pouvons dire : ‘‘Il n'y a rien d'impossible dans la pratique de bodhisattva. Il suffit de commencer en suivant l'exemple de Sans-Mépris’’. Dans ce sens, le chapitre XX occupe une place spéciale dans la seconde moitié, honmon, et, en fait, dans le Sutra du Lotus tout entier.

De nombreux enseignements de grande portée transparaissent dans l'histoire du bodhisattva Sans-Mépris. Considérons-les un à un.

Découvrir et révéler la nature de Bouddha des autres

C'est durant la période Zoho (Dharma Formel ou Dharma de Semblance) que le bhikshu Sans-Mépris apparut dans le monde. Pendant la période Zoho, la vérité prêchée par un bouddha existe encore mais elle est apprise et pratiquée de façon formelle et ne mène plus à l'Éveil. Au cours de cette période, les moines bouddhistes se consacrent à l'étude, à la discussion des doctrines bouddhiques et des cérémonies, et ils sont fiers d'être instruits. Certains d'entre eux n'observent que les préceptes, les pratiquent dans l'indifférence à l'égard des autres et mènent des vies religieuses séparées du monde. La foi et la pratique des disciples sont faibles et chancelantes. L'âme véritable du bouddhisme est perdue.

Quelle est donc la vraie vie et l'esprit véritable du bouddhisme ? La réponse est dans l'expression "Tous les êtres sensitifs possèdent de façon innée la nature de bouddha (buddha-dhatu)." Notre vie spirituelle commence par cette prise de conscience. Faire surgir la nature de bouddha des profondeurs de nous-mêmes, la nourrir et la développer vigoureusement est le premier pas ; c'est l'état d'esprit du shravaka et du pratyekabuddha.

Si on a soi-même la nature de bouddha, les autres doivent l'avoir aussi. Si on peut comprendre de tout son cœur qu'on a la nature de bouddha, on arrive à reconnaître spontanément que les autres la possèdent également. Celui qui ne comprend pas cela n'a pas réalisé vraiment qu’il a la nature de bouddha.

Il y a de nombreux hommes mauvais autour de nous. Nous trouvons qu'ils sont méchants même lorsque nous essayons de les voir sous leur jour le plus favorable. Nous ne pouvons pas nous forcer à sympathiser avec ceux qui tuent pour voler ou qui jettent les gens hors de leur maison. Cependant, nous jugeons que ces gens sont mauvais à cause de leurs actes criminels dont parlent les journaux. Si nous connaissions les circonstances de leurs vies, nous trouverions sans doute que personne n'est mauvais au point de ne pas éprouver certains sentiments humains.

Un meurtrier peut jouer avec son bébé et le bercer dans ses bras lorsqu'il est chez lui. Un maître-chanteur peut traiter son chien avec autant de gentillesse que si c'était son enfant. Un gangster qui extorque de l'argent aux citoyens honnêtes peut avoir un complice pour lequel il ressent autant d'affection que s'il était son frère. Nous ne devons pas considérer leurs crimes à la légère et les idéaliser comme des héros de film. Mais lorsque nous pensons aux mauvaises personnes avec calme et sans préjugé, et non avec sentimentalité, nous ne pouvons que reconnaître en eux un peu de nature humaine.

Un peu de nature humaine — c'est cela la graine de la nature de bouddha. Une graine de nature de bouddha illumine l'âme d'une personne dont l'esprit est emprisonné et souillé par le mal de ses crimes. C'est comme une minuscule lucarne dans un sombre cachot. Tout le monde, sans exception, possède un telle "lucarne" dans son esprit, c'est-à-dire, une graine de nature de bouddha.

Nous devons essayer de trouver l'ouverture dans l'esprit des autres, les respecter autant que possible et, en agissant ainsi, les rendre conscients de cette ouverture. Quelqu'un qui en prend conscience ouvrira son esprit plus largement par lui-même parce qu'il désirera que plus de lumière pénètre dans les profondeurs de son obscurité. C'est en cela que sont importants la découverte et le respect de la nature de bouddha dans les autres en même temps que la découverte de sa propre nature de bouddha. Découvrir et respecter la nature de bouddha est en fait le but premier de la pratique de bodhisattva. Le bouddhisme est alors vivant.

En disant que ‘‘ce moine ne se consacrait point à la lecture et à la récitation de sutras, il ne pratiquait que cet hommage’’ Shakyamuni ne dit pas qu'il n'y avait nul besoin de lire et de réciter les sutras, mais que la lecture et la récitation des sutras, en tant que simple formalité, n'avait pas de valeur dans la période Zoho (Dharma Formel). Il insiste sur le fait que, pour un moine, il est plus important de respecter les autres et de leur révéler leur nature de bouddha que de lire et réciter les sutras quand cela devient de simples formalités. Ceci est la vie et l'âme du bouddhisme.

Le bodhisattva Sans-Mépris honorait et louait toutes les personnes qu'il voyait en disant ‘‘Je n'ai garde de vous mépriser ; vous deviendrez tous bouddha.’’ Cette action de bodhisattva est la découverte et le respect de la nature de bouddha chez les autres. Ses paroles ‘‘vous deviendrez tous bouddha’’ est une façon de signifier aux autres sa découverte et leur dire à quel point il respectait et appréciait leur nature de bouddha.

Il y a deux manières de faire découvrir à l'homme sa nature de bouddha. L'une est la "conversion directe" ; c'est la façon d'indiquer (ko-ji, faits directs), qui a été expliquée dans le chapitre XVI. L'autre est la "conversion détournée" ; c'est-à-dire, la façon d'indiquer "les affaires des autres" (ta-ji, faits détournés), également expliquée dans ce chapitre. La conversion directe consiste à faire prendre conscience à l'autre de sa nature de bouddha par notre discours convainquant et surtout à travers sa découverte en nous. C'est la manière pratiquée par le bodhisattva Sans-Mépris. La conversion détournée consiste à faire prendre conscience aux autres de leur ignorance par la critique. C'est la manière pratiquée en rappelant quelqu'un au devoir par des paroles rudes : ‘‘Que signifie cette manière de vivre affreuse et égoïste? Si tu continues à vivre ainsi, peux-tu imaginer ce que tu ressentiras lorsque tu seras sur le point de mourir ?’’ Avec certaines personnes cette manière s'avère efficace.

La conversion directe peut être comparée à un médicament ayant un bon goût, qui démolit doucement le mur de l'illusion. La conversion détournée est une opération agressive. Si quelqu'un peut supporter cette méthode, il changera complètement sa vie grâce à elle. Cependant, la conversion directe est plus efficace dans la plupart des cas ; cette façon suit le cours naturel de l'Éveil et est conforme au processus psychologique normal. Les paroles de réconfort ne font de mal à personne. Un sentiment positif est comme une chaude lumière. La nature de bouddha de l'autre commence à s'activer.

Dans le Japon d'avant-guerre, les enfants étaient éduqués par des punitions (éducation détournée). Mais après la Seconde Guerre mondiale, l'éducation changea en un enseignement fait d'encouragements (éducation dans l'ordre direct) parce qu'on a compris que les louanges sont plus efficaces que les blâmes dans le développement du caractère des enfants et dans le développement de leurs talents particuliers. Par ailleurs, dans l'éducation des enfants, une tendance s'est développée vers l'indulgence excessive, ce qui est un abus de l'éducation par la conversion directe. Il est aussi nécessaire de former les esprits des enfants par l'éducation détournée.

Tout le monde éprouve du plaisir à être loué, mais les adultes qui ont perdu leur pureté d'esprit se sentent mal à l'aise lorsqu'on les loue ; ils ont le sentiment qu'on les flatte. Ce malentendu peut être dissipé si la louange provient réellement du cœur de la personne qui la formule. Une louange sincère ouvrira petit à petit "la lucarne" de l'esprit de l'autre.

On peut dire cela de ceux qui étaient respectés et loués par le bodhisattva Sans-Mépris. Parmi eux, certains se fâchèrent, l'injurièrent et le méprisèrent ou le rouèrent de coups et le frappèrent avec des pierres. Mais il ne se mit jamais en colère et persévéra pendant de nombreuses années en répétant constamment la même chose. Son attitude sincère adoucit graduellement le cœur de ceux qui l'avaient méprisé.

Ceci apparait dans le nom de Sans-Mépris que lui donnèrent ses ennemis. S'ils n'avaient pas eu un certain sentiment amical envers lui, ils ne lui auraient pas donné ce surnom. Au début, les personnes arrogantes étaient en colère en pensant qu'il les insultait ou qu'il se mêlait de ce qui ne le regardait pas. Mais progressivement elles modifièrent leur attitude envers Sans-Mépris, en vinrent à le considérer simplement comme un original et pensèrent : ‘‘Il ne s'irrite ni ne se fâche jamais, même lorsqu'il est injurié ou battu. Il nous présente constamment ses respects et nous loue. C'est vraiment un personnage étrange.’’ Ils s'étaient habitués à lui et en même temps ils commençaient à prendre vaguement conscience de la grandeur de Sans-Mépris, en admettant à contrecœur qu'il avait quelque chose de supérieur. La persévérance de Sans-Mépris leur fit à la longue ressentir de la considération et du respect.

Le comportement de ce bodhisattva est pour nous un grand enseignement. Lorsqu'une personne répète un acte aussi étrange que de présenter ses respects à tous ceux qu'elle voit, et si elle agit ainsi de tout cœur et en le répétant patiemment sans faillir, en dépit des persécutions, son comportement touchera forcément les autres et fera naître du respect dans leur cœur. Parce que les gens arrogants ont ressenti de l'admiration et du respect pour Sans-Mépris, ils le crurent tous et le suivirent lorsqu'il leur prêcha l'enseignement du Sutra du Lotus.

Aux environs de 1750, un moine bouddhiste japonais, Zenkai, après trente années d'efforts solitaires, finit de creuser un tunnel de quelques 185 mètres de long à travers une montagne rocheuse dans la Gorge Yabakei dans l'île de Kyushu. Son but était que les villageois puissent utiliser ce passage en toute sécurité. Au début il fut traité de fou et persécuté de diverses manières. Néanmoins, il continua à creuser obstinément la montagne. Son travail sincère et persévérant fit à la longue une impression si profonde sur les villageois qu'ils finirent par l'aider de bon cœur.

Il y a de nombreux cas où les hommes ont construit des routes, défriché des terres incultes ou creusé des canaux d'irrigation pour le bien des autres et ont vécu la même expérience. Ces exemples nous apprennent que de grands résultats proviennent de la réalisation de bonnes actions sincères et d'une persévérance indomptable face aux obstacles.

Deux leçons importantes

L'enseignement important de l'histoire du bodhisattva Sans-Mépris est exprimé dans le passage suivant :

« Lorsqu'il tenait ces propos, il arrivait que plus d'un lui jetât des bâtons, des tessons ou des pierres ; il s'enfuyait et se tenait à distance, criant malgré tout à haute voix : ‘‘Je n'ai garde de vous mépriser, vous deviendrez tous bouddha’’ ».

Nous pouvons en tirer deux leçons.

Supposons que Sans-Mépris ne se soit jamais troublé même si on lui avait cassé un bras ou si on l'avait blessé au front. Cette attitude semble sans doute digne aux Japonais qui l'appellent fushaku shinmyo (ne pas épargner sa vie pour le Dharma ou prêcher la doctrine bouddhique au péril de sa vie) ce qui est une erreur d'appréciation car la véritable signification de fushaku shinmyo est de « se consacrer au Dharma par-dessus tout ». Ainsi, il faut d'abord garder le Dharma, le développer et le propager de toutes les manières possibles. L'idée de supporter la honte ou de nous enfuir doit être repoussée. Si nous prenons la décision ‘‘Je veux vivre aussi longtemps que possible et je persévérerai en prêchant toujours le Dharma’’, nous éviterons forcément de nous exposer au danger.

Ceci est particulièrement vrai pour les Japonais. Ils manquent souvent de respect pour la vie humaine et prennent à la légère même leur propre vie. Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux soldats furent sacrifiés en vain pour "ne pas rendre les armes" et "mourir pour l'honneur" comme on l'a vu dans les raids suicides des aviateurs "kamikazes". Cette perte regrettable provenait de l'idée fausse de l'armée et de la marine japonaises qui considéraient la reddition comme ignoble et le plus grand des déshonneurs. Les dirigeants militaires du Japon n'eurent pas l'intelligence de comprendre que la véritable victoire était celle de l'homme qui gagne en fin de compte, même s'il a fallu parfois battre en retraite ; au lieu de cela, ces dirigeants, qu'on ne peut que blâmer, forcèrent les soldats à se jeter aveuglément sur l'ennemi.

À l'opposé le Général Douglas Mac Arthur, le commandant en chef de l'armée américaine dans les Philippines, lors de l'ouverture des hostilités de la Seconde Guerre mondiale, retira ses troupes de Manille dans la péninsule Bataan lorsqu'il fut battu par l'armée japonaise.

Quand Corregidor tomba, il s'échappa dans un torpilleur vers la partie nord de l'île Mindanao et, de là, il s'envola pour Darwin en Australie. C'est précisément grâce à sa fuite des Philippines que, plus tard, il put reprendre l'offensive contre l'armée japonaise et finalement occuper le Japon.

Dans les temps anciens, cependant, les Japonais semblent ne pas avoir eu de telles idées préconçues concernant la vertu de "ne pas rendre les armes". Par exemple, lorsque Kusunoki Masashige, célèbre samouraï du XIVème siècle, se retrancha avec son armée dans le château d'Akasaka et fut entouré par les nombreuses armées ennemies d'Ashikaga Takauji, il s'enfuit en toute hâte du château avec l'idée de tenter une autre bataille. Il se peut qu'il ait compris l'importance de l'adaptabilité grâce à sa croyance ferme dans les enseignements du Bouddha. Sa fuite du château d'Akasaka lui permit de harceler les forces ennemies dans d'autres batailles.

Le seigneur féodal Shimazu Yoshihiro, réalisant l'imminence de sa défaite dans la bataille de Sekigahara entre le clan Toyotomi et son rival Tokugawa en 1600, brisa l'encerclement ennemi et se réfugia dans son domaine, la province de Satsuma dans l'île de Kyushu. Grâce à cela son clan devint si fort que, plus tard, le shogunat des Tokugawa reconnut sa supériorité et c'est de là que vint la force qui renversa le régime Tokugawa entraînant la Restauration Meiji en 1868. Shimazu Yoshihiro était aussi un croyant fervent du bouddhisme.

Cela peut paraître étrange mais aucun Japonais ne considère Kusunoki Masashige ou Shimazu Yoshihiro comme des lâches. Tout le monde considère qu'il a pris la bonne décision en battant en retraite.  À quel moment et pourquoi les Japonais ont-ils perdu leur flexibilité de pensée et d'action ? Est-ce que cette rigidité fut influencée par le confucianisme qui s'imposa au Japon après le bouddhisme ? Le confucianisme nous enseigne pourtant à respecter la vie humaine, comme dit le proverbe : "Le Sage se tient loin du danger". Ou alors est-ce que l'idée de prendre à la légère la vie humaine est particulière aux Japonais ? Les faits historiques ne nous permettent pas de conclure si vite. Bien qu'on ne sache pas à quel moment cette pensée se développa, elle s'imposa à un moment pour être conforme à la philosophie du gouvernement.

Une étude poussée de cette question serait très utile pour expliquer cette caractéristique japonaise. Une tendance à soutenir les luttes politiques et économiques par le recours à la violence est apparue ces dernières années, et les manifestations ainsi que les grèves organisées par les syndicats se sont beaucoup durcies. Finalement, cette tendance provient d'un manque de souplesse mentale.

Le roseau plie sous le vent et ne casse pas, même s'il semble fragile. D'autre part, une branche de chêne peut casser au cours d'une tempête malgré l'apparence vigoureuse de l'arbre. N'est-ce pas la chose la plus importante pour les Japonais — comme pour tous les humains — d'entretenir la souplesse d'esprit de façon à construire une nation meilleure ? Je crois que la bonne compréhension du bouddhisme est la manière la plus rapide et la meilleure pour atteindre ce but.

Le bouddhisme enseigne le principe de l'adaptabilité et y encourage ses disciples. La vie du bodhisattva Sans-Mépris illustre l'idéal d'une personne vivant de cette manière.

Un autre point important concernant ce bodhisattva est que, tout en fuyant les persécutions physiques, il resta ferme dans sa croyance et ne renonça jamais. . Voilà qui marque la différence entre la faiblesse et la souplesse. Une personne faible abandonnera facilement sa croyance à la moindre pression extérieure. Mais un vrai disciple maintiendra sa croyance et ne déviera pas, quoi qu'il arrive. L'avantage de la souplesse d'esprit est de permettre de rester sur son chemin de vérité coûte que coûte. Le bodhisattva Sans-Mépris ne cessa jamais de révéler la nature de bouddha aux autres en leur montrant son respect, tout en s'échappant lorsqu'un danger physique se présentait. À la fin, il amena ses persécuteurs à découvrir leur propre nature de bouddha. Un tel homme peut vraiment être appelé un homme courageux.

Le bodhisattva Sans-Mépris atteignit un état spirituel très élevé en témoignant simplement de son respect envers les autres et en leur révélant leur nature de bouddha. Ainsi au seuil de la mort, il entendit du ciel le Sutra du Lotus que le bouddha Bhismasvararaja-Ghosasvara avait prêché antérieurement. L'expression "il entendit du ciel" signifie qu'il entendit la voix du Bouddha résonner dans son esprit ou, en d'autres termes, qu'il prit conscience de la Vérité. Cette découverte n'a rien de mystique ni de mystérieux, la Vérité peut être découverte par n'importe qui.

La Vérité existe depuis le passé éternel quand c'est réellement La Vérité. Dans le passé, plusieurs hommes célèbres en ont pris conscience. Le chapitre XX du Sutra du Lotus déclare que Bhismasvararaja-Ghosasvara avait compris la Vérité et l'avait prêchée, mais celle-ci n'était pas enseignée dans le monde à l'époque du bodhisattva Sans-Mépris. Mais comme la vérité est éternelle et impérissable, lorsqu'un homme hors pair apparaît dans ce monde, il la découvre. Le bodhisattva Sans-Mépris était un homme exceptionnel.

On pourrait penser que cette histoire n'est plus valable pour notre époque où les moyens de communication sont très perfectionnés. Ce serait une opinion très limitée. Au cours de l'histoire de l'univers, dans la durée immémoriale, des phénomènes ressemblant à notre culture actuelle ont peut-être apparu et disparu plus souvent que nous pouvons l'imaginer. Si une guerre atomique devait arriver, notre civilisation actuelle serait complètement détruite. Une vie nouvelle et différente serait engendrée et, peut-être qu'après des centaines de milliers ou des centaines de millions d'années, cette vie développerait sa propre culture.

En considérant donc la vie universelle depuis des temps immémoriaux, il n'est pas étonnant que de nombreux Bhismasvararaja-Ghosasvara a* aient prêché la vérité et que le bodhisattva Sans-Mépris l'ait comprise de lui-même lorsqu'il s'est trouvé au seuil de la mort.

En considérant donc la vie universelle depuis des temps immémoriaux, il n'est pas étonnant que de nombreux Bhismasvararaja-Ghosasvara* aient prêché la Vérité et que le bodhisattva Sans-Mépris l'ait comprise de lui-même lorsqu'il s'est trouvé au seuil de la mort.

Répétition patiente de l'étude et des sermons

Comment le bodhisattva Sans-Mépris a-t-il réussi à prolonger tellement sa vie alors qu'il approchait de la mort ? Sans-Mépris prit conscience de l'enseignement du Sutra du Lotus. Grâce à cette foi totale, sa vie fut prolongée de deux-cents myriades de kotis de nayutas d'années. Durant cette longue période, il prêcha partout ce Sutra. II ne réalisa donc pas seulement la pratique du bodhisattva du respect des autres mais il prêcha aussi les enseignements du Bouddha dans toute leur profondeur. De cette manière, il progressa de plusieurs niveaux dans la pratique de bodhisattva. Ensuite il mena à la bodhéité tous les hommes arrogants qui l'avaient injurié. Au terme de sa vie, il rencontra deux-mille kotis de bouddhas. Il adora, vénéra, honora tous ces bouddhas et sous leur direction prêcha le Sutra du Lotus. Grâce à cela, il rencontra encore deux-mille kotis de bouddhas, et sous la direction de ces bouddhas, il prêcha aussi le Sutra. Il obtint ainsi la clarté et la pureté des yeux, des oreilles, du nez, de la langue, du corps et du mental et prêcha le Dharma sans crainte aux quatre groupes, c'est-à-dire à tous 1es hommes.

Après avoir ainsi cultivé les racines de la bonté, il rencontra encore un grand nombre de bouddhas et il prêcha encore le Sutra du Lotus sous leur direction et, grâce à ces mérites, il rencontra à nouveau un grand nombre de bouddhas et il reçut aussi leur instruction. Il répéta ainsi d'innombrables fois les enseignements du Bouddha et permit aux autres de les pratiquer. Ayant mené à leur terme ses mérites, il devint lui-même bouddha.

La grandeur de la vie spirituelle du bodhisattva Sans Mépris c'est le courage de ne jamais reculer et de persévérer jusqu'à l'accomplissement total de son intention originelle. Loin d'être insouciant et terre-à-terre, il était constamment en recherche et tenace. Il a marché sur la voie menant à la bodhéité en étudiant et en agissant, en agissant et en étudiant, pour son perfectionnement constant, c'est-à-dire par la répétition de la pratique de l'enseignements du Bouddha et en aidant les autres à pratiquer.

Nous pouvons suivre son itinéraire pas à pas. C'est très bien d'entrer dans la Voie de bouddha en réalisant une seule pratique de bodhisattva. Si nous accomplissons une seule pratique mais de tout cœur, nous finirons par comprendre que de nombreuses vérités dérivent de cette Vérité unique. Et nous ne garderons pas cette compréhension pour nous mais la partagerons avec tous les hommes. Par-là, nous obtiendrons les bienfaits-kudokus de cette Voie et nous approfondirons notre compréhension. En d'autres mots, nous rencontrons successivement d'innombrables bouddhas. Lorsque nous les rencontrons, nous rendons hommage à leurs enseignements, les vénérons, les honorons et les louons ; nous transmettons aussi leurs enseignements à tous les hommes. Grâce à cela, nous rencontrons encore beaucoup plus de bouddhas (vérités). Par ces répétitions, nous approchons petit à petit de l'état d'esprit d'un bouddha. Shakyamuni, par son exemple, nous en fournit une illustration. Cela ressort de ses paroles :

« Le bodhisattva Toujours-Sans-Mépris pourrait-il être quelqu'un d'autre? C'était moi-même. Si je n'avais pas, au long de mes renaissances, reçu, gardé, lu et récité ce Sutra, si je ne l'avais pas exposé à autrui, je n'aurais pas pu obtenir rapidement l'Éveil complet et parfait sans supérieur. C'est parce que j'avais, auprès de bouddhas précédents, reçu et gardé, lu, récité, prêché à autrui ce Sutra, que j'ai obtenu rapidement l'Éveil complet et parfait sans supérieur. »

En révélant cela, il montra que vivre comme le bodhisattva Sans-Mépris est une bonne façon de devenir bouddha.

Comme on l'a vu au début de ce chapitre, sa révélation devrait stimuler grandement ceux qui se sont découragés dans leur quête religieuse. Certains peuvent penser ‘‘Je ne sais pas vraiment comment prêcher le dharma aux autres parce que je ne l'ai pas parfaitement compris moi-même.’’ Mais s'ils comprennent seulement le principe selon lequel nous n'avons qu'à prêcher le dharma tel que nous l'avons compris et de notre mieux, plus ils le diffuseront et plus ils approfondiront leur compréhension. Nous poursuivons notre route vers le perfectionnement pas à pas par la patiente répétition de l'étude et des sermons. C'est très encourageant.

N'oublions pas les mots importants du début de ce chapitre:

« voyant de loin les quatre congrégations, il allait encore exprès leur rendre hommage et faire leurs louanges en ces mots: "Je n'ai garde de vous mépriser; vous deviendrez tous des bouddhas" ».

C'est cet esprit qu'il nous faut pour prêcher le Dharma. Nous ne devons pas adopter une attitude molle pour parler du Dharma et seulement quand les gens viennent nous interroger ou lorsque nous les rencontrons par hasard. L'attitude positive est d'aller au-devant des autres. C'est l'attitude d'un bodhisattva qui désire réellement sauver les hommes de leurs souffrances. Sans-Mépris eut le courage de concrétiser cette pratique de bodhisattva. Au début, il ennuyait les hommes arrogants par sa pratique patiente et provoquait leur colère, mais ils reconnurent finalement sa sincérité.

La phrase ci-dessous mérite également notre attention :

« Les quatre congrégations de ce temps-là, bhiksus*, bhiksunis*, upasakas* et upasikas*, qui m'avaient dédaigné, l'esprit en courroux, restèrent pour cette raison deux cents myriades de kalpas sans jamais rencontrer de bouddha, ni entendre le Dharma, ni voir le Sangha. Mille kalpas durant, ils subirent de grandes souffrances dans l'enfer avici

Tel est le résultat du refus des enseignements du Bouddha. Cependant ce passage ne veut pas dire qu'un dieu ou qu'un bouddha infligera une punition aux hommes. Simplement, lorsque des hommes arrogants et colériques injurient et maltraitent quelqu'un qui poursuit la pratique sacrée de bodhisattva révélant la nature de bouddha des autres, ils ne pourront pas rencontrer de bouddha, ni entendre le Dharma, ni voir un disciple des enseignements du Bouddha pendant deux cents kotis de kalpas. Aucune rencontre avec le bouddha n'est possible tant que les yeux de l'esprit sont fermés, aucune vérité ne peut être entendue tant que les oreilles sont bouchées. À cause de cela, ils ne peuvent pas éteindre le feu de l'illusion qui brûle dans leur esprit et, pendant un millier de kalpas, ils subissent les souffrances de l'enfer sans rémission. Le Bouddha n'impose jamais aucune punition aux hommes, il les sauve toujours avec sa grande compassion. S'ils ne désirent pas voir le Bouddha ou une personne qui transmet ses enseignements, il ne les force pas à être sauvés mais attend calmement le moment où leur karma négatif sera épuisé.

Quel que soit le mauvais karma d'une personne, si elle subit pendant longtemps de grandes souffrances en rétribution de ses actes, la négativité s'effacera par un effet de compensation. L'œil de son esprit ne s'ouvrira qu'au moment où son karma négatif sera épuisé. L'homme troublé par les souffrances commence sincèrement à rechercher le salut réel. En lui naît le désir de se fier à quelque chose d'authentique et son cœur a soif d'espérance. Il s'éveille ainsi à sa propre nature de bouddha. C'est le sens de la phrase suivante :

« S'étant acquittés de cette faute, ils rencontrèrent à nouveau Toujours-Sans-Mépris qui, par son enseignement, les convertit à l'Éveil complet et parfait sans supérieur.»

Une fois qu'une personne entre en contact avec les enseignements du Bouddha, elle est certaine d'être libérée un jour de ses souffrances.

Dans une vie précédente, Sans-Mépris enseigna aux hommes arrogants l'existence de leur nature de bouddha. Mais parce qu'ils ne reçurent pas son enseignement avec humilité, ils subirent une longue période de souffrances. Après cela, ils s'éveillèrent à l'existence de la nature de bouddha et ils furent enfin capables d'entrer dans la voie du salut. S'ils n'avaient pas été informés auparavant de l'existence de leur nature de bouddha par Sans-Mépris, que serait-il advenu d'eux ? Ils auraient été éternellement incapables de se libérer de leurs souffrances.

N'oublions pas que quelle que soit la personne, le fait de respecter sa nature de bouddha et de de lui enseigner son existence lui apporte un grand mérite-kudoku et la guide vers le salut. C'est la leçon la plus importante de ce chapitre.

Pour finir, le Bouddha répète son enseignement en vers. Les stances finales sont tellement importantes que nous devrions les apprendre par cœur. Si l'on a compris le contenu de la partie en prose il n'y a pas de difficulté à en comprendre le sens.

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Chapitre XX du Sutra du Lotus

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