Difficultés de traduction à partir d'un texte en sanskrit Kogen Mizumo |
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Certaines difficultés rencontrées lors de la traduction en chinois des textes bouddhiques rédigés en sanskrit ou dans les nombreuses langues vernaculaires d'Inde sont dues à ce que ces langues appartiennent à une aire linguistique fondamentalement différente. Il y a un fossé culturel et philosophique entre la Chine et l'Inde. Les premiers traducteurs ont découvert qu’il était pratiquement impossible de rendre en chinois certains mots et certains concepts indiens. Il existait entre les deux cultures une différence fondamentale dans la façon de penser et encore davantage dans la façon de s’exprimer. Au vue de ces difficultés, Daoan qui s’était consacré à la traduction des textes bouddhiques avant l’arrivée en Chine de Kumarajiva, élabora le concept des « cinq pertes et trois difficultés » que plus tard, sous la dynastie des Tang (618-907), le grand traducteur Xuanzang développa en « cinq sortes de mots intraduisibles ». Daoan partait de cinq cas où la signification originale fut perdue lors de la traduction et de trois types de notions qu’il était difficile de rendre en chinois. 1) La première « perte » était due à l’inversion de l’ordre des mots pour se conformer à la grammaire chinoise. Ainsi, pour évoquer les Trois Trésors l’ordre des mots devint « Je prends refuge dans le Bouddha » alors que l’original commence par le mot essentiel : « Buddham saranam gacchiami ». 2) Les langues indiennes sont d'expression simple, sans ornement, tandis que la langue chinoise emploie volontiers des expressions très sophistiquées et policées. Ainsi, pour plaire aux lecteurs, les traducteurs devaient se conformer au style littéraire en vigueur, perdant ainsi la simplicité de l’original. Cependant, lorsque Zhang Qian de la brève dynastie Wu (222-80) a essayé de traduire Dharmapada dans le style chinois, le moine indien Wei-Jinan (qui avait rapporté l’orignal de l’Inde) lui reprocha d’avoir enjolivé les mots du Bouddha par un langage fleuri, alors que l’important était de donner aux lecteurs l’accès à la compréhension correcte de ses enseignements. Zhang Qian se conforma à la recommandation du moine et refit une traduction simple et fidèle. 3) Lorsque les textes indiens veulent insister sur un point particulier, ils ont recours à la répétition de mots ou de phrases. Ce procédé littéraire déplaisait fort aux Chinois qui ont supprimé toutes les redondances. Par ailleurs, comme ces textes étaient transmis oralement, les répétitions servaient également à en faciliter la mémorisation. Ces répétitions à but mnémotechnique furent également supprimées. 4) Les textes indiens contiennent souvent des phrases à l’intérieur des phrases. Il n’est pas rare de trouver une longue digression explicative de plusieurs milliers de caractères au milieu d’une phrase, si bien qu’on en oublie le sens général. Un lecteur rompu à ce procédé littéraire n’était pas trop gêné par l’explication, mais ce genre de digression était habituellement supprimé dans la traduction, si bien que la complexité du discours original était perdue. 5) Dans les textes indiens, lorsqu’un point avait été pleinement analysé, l’explication y revenait souvent dans un passage ultérieur. Ces rappels furent également supprimés. A ces cinq « pertes », Daoan ajoute les « trois difficultés ». 1) Aux mots sanskrits raffinés et riches de sens, il fallait trouver des équivalents dans une langue appauvrie et accessible. 2) Alors que le sanskrit exprimait des nuances très subtiles, tenant compte des courants de pensée de l’époque du Bouddha, il fallait que le sens soit abordable pour des contemporains chinois. 3) Lors du premier concile, les cinq cent arhats sous la direction de Mahakashyapa, avaient déjà longuement et consciencieusement discuté pour savoir comment consigner les sutras en restituant fidèlement chaque phrase. Malheureusement plus tard, ces sutras ne furent pas transmis avec autant de soin. Xuanzang appelle « cinq sortes de mots intraduisibles » (goshu-fuhon) les mots des langues indiennes qui ne doivent pas être traduits. 1) Le premier cas est celui des mots dont le sens est si profond qu’il défie toute définition univoque. Par exemple le mot "dharani" sera simplement translitéré et non traduit. 2) Ensuite, il s’agit de mots qui ont plusieurs sens. Xuanzang fait remarquer que Bhagavat a six sens et que si l'on n’en traduit qu’un seul, les autres seront perdus. Il convient donc d’opter pour une translitération plutôt que pour une traduction. Car Bhagavat signifie a) celui qui possède des signes auspicieux, b) celui qui détruit les illusions et le mal, c) celui qui est pourvu de vertus auspicieuses de liberté telles que le Dharma, la renommée, les marques, les désirs et l’attention, d) celui qui a pleinement compris les Quatre nobles vérités, e) celui qui reçoit et garde de nombreuses excellentes pratiques, f) celui qui a quitté l’errance dans les transmigrations. Il faudrait un mot qui réunisse ces six définitions ! 3) Le troisième cas porte sur les mots tels que les noms, les plantes, les animaux, les minéraux et les lieux qui n’existent pas en Chine. 4) Il existe aussi une catégorie de mots traditionnellement translitérés. C’est le cas pour anuttara samyak sambodhi, qui pourrait être traduit par Voie suprême ou Éveil parfait mais la coutume d’employer sa forme phonétique s’était déjà établie en Chine. 5) Enfin, certains mots perdent leur signification spécifique lorsqu’ils sont traduits. Le mot "prajna" pourrait être rendu par "sagesse" mais une traduction aussi banale cacherait son sens le plus profond, alors qu’en le translitérant il sera préservé. La traduction des sutras ayant duré plusieurs siècles à partir des premières tentatives en Chine vers le IIème siècle, certains mots furent traduits et même translitérés différemment, reflétant la mentalité de l’époque et celle des traducteurs. Selon l'époque des traductions, on les appelle "anciennes traductions", "vieilles traductions" ou "nouvelles traductions". Les anciennes traductions datent d’avant Kumarajiva, c'est-à-dire avant la fin du IV siècle. Les vieilles traductions furent réalisées entre l'époque de Kumarajiva et l'an 645, lorsque Xuanzang commença ses travaux. Les nouvelles traductions comprennent celles de Xuanzang et celles des traducteurs ultérieurs qui adoptèrent généralement ces choix pour traduire les termes spécifiques. De nos jours, on utilise tout aussi bien les traductions selon Kumarajiva que les traductions selon Xuanzang. Pour finir, notons qu'au-delà des difficultés théoriques et philosophiques, les très nombreuses traductions et translitérations entravent sérieusement l’étude des sutras chinois. Kogen Mizumo. Buddhist Sutras. Origin, Development, Transmission. Kosei Publishing Co. Tokyo, 1980. Sixième édition anglaise,1995 pp. 52-55 |
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