Un bouddhisme pour notre temps

Une interprétation moderne du Triple Sutra du Lotus par
Niwano Nikkyo
traduit de A Buddhism for today (Kosei Publishing Co - 2006)

Voir : SUTRA DU LOTUS - CHAPITRE XVIII

Bienfaits conséquents à la joie

Ce chapitre reprend de manière détaillée les mérites de l'acceptation joyeuse des enseignements du Bouddha. De tels bienfaits sont prêchés maintes et maintes fois parce que notre joie de recevoir le Dharma et notre sentiment profond de gratitude envers lui sont indispensables à la foi. Même si nous avons lu de nombreux sutras et si nous avons mémorisé toutes les doctrines bouddhiques, aussi longtemps que nous n’acceptons pas les enseignements du Bouddha le cœur empli de joie, cela signifie seulement que nous possédons beaucoup d’informations sur le bouddhisme et non pas que nous y croyons. Éprouver l’acceptation joyeuse des enseignements du Bouddha, c'est avoir foi en eux. C’est pourquoi les bienfaits conséquents à la joie sont prêchés à plusieurs reprises dans ce chapitre.

On dit souvent que la foi potentialise : l'objet de la foi est multiplié par l'esprit de la foi (bodhicitta). Cependant, même si l'objet de la foi est le plus parfait du monde, son effet sur une personne ne peut pas apparaître si elle adopte la mauvaise attitude ou si sa foi est trop faible. Supposons que les enseignements du Bouddha soient équivalents au nombre cent. Si l’acceptation joyeuse du Dharma est égale à zéro, cent multiplié par zéro égale zéro et zéro multiplié par cent égale zéro. De même, si fort que puisse être le sentiment religieux d'une personne, le résultat sera sans valeur si l'objet de sa foi est vide. Aussi sincèrement qu'une personne puisse croire en un objet vide, le résultat sera nul. Si elle a la foi dans une doctrine erronée, il est évident que cela la mènera à un résultat mauvais ou malheureux. Si l’enseignement est une mauvaise religion qui équivaut à la valeur négative de moins un, en supposant que l'esprit religieux de l'homme soit équivalent à cent, moins un multiplié par cent égale moins cent. C'est donc un résultat entièrement négatif qui apparaîtra chez le disciple parce que l’enseignement lui-même est, à l’origine, une valeur négative. Par ce simple calcul nous voyons facilement quels seront les effets terribles d'une croyance aveugle en une religion négative.

L'enseignement du Sutra du Lotus peut être comparé à un nombre infini positif. Supposez que le Sutra soit l'équivalent du nombre cent. Si quelqu'un croit profondément avec ichinen (une pensée en un seul moment) dans ce Sutra et ressent en même temps un sentiment de gratitude envers lui, et si cet ichinen du Sutra est considéré équivalent à un, un effet hautement positif apparaîtra en lui parce que ce nombre un multiplié par cent est égal à cent.

Si, pour un croyant, l'acceptation de la joie conséquente aux enseignements du Bouddha est importante, les bienfaits croîtront vers l’infini au fur et à mesure que son sentiment religieux passera à deux, cinq, dix, cent, etc.

« A ce moment* le bodhisattva-mahasattva Maitreya*, s'adressa à l'Ainsi-Venu: "Vénéré du monde*, si des fils et filles de foi sincère (kulaputra), entendant ce Sutra du Lotus du Dharma, s'en réjouissent en conséquence, quelles bénédictions obtiendront-ils? »

Il est certain que le bodhisattva Maitreya savait déjà combien de bonheur une personne qui adhère avec joie au Sutra du Lotus peut obtenir. Mais comme on peut s'y attendre de la part de quelqu'un qui est l'idéalisation de la compassion du Bouddha, il posa cette question avec l'intention d'approfondir la foi de tous les êtres humains ; il demanda au Bouddha d’exposer les bienfaits de la joie conséquente de manière plus détaillée pour ceux qui avaient un niveau de compréhension peu élevé.

Alors le Bouddha s'adresse au bodhisattva Maitreya :

« Ô Invincible, après le parinirvana de l'Ainsi-Venu, si des bhiksus*, des bhiksunis*, des upasakas* et upasikas*, ou tous autres sages, avancés en âge ou jeunes, ayant entendu ce Sutra et s'en étant réjouis en conséquence, quittent l'assemblée du Dharma et se rendent en un autre lieu - que ce soit en des viharas*, un lieu désert, une ville, un bourg, une agglomération, un village - et que, comme ils l'ont entendu, ils l'exposent selon leurs capacités à leur père, leur mère, leur parentèle, leurs bons amis et connaissances; que ces gens, l'ayant entendu, s'en réjouissent en conséquence et à leur tour s'en aillent propager l'enseignement; que d'autres, l'ayant entendu, s'en réjouissent aussi en conséquence et propagent l'enseignement, et ainsi de suite de proche en proche jusqu'au cinquantième; ô Invincible, les mérites venant de la joie conséquente qu'aura ce cinquantième, fils de foi sincère ou fille de foi sincère*, je vais maintenant te les exposer, écoute bien. »

Trois points importants

Les paroles du Bouddha comprennent trois points importants. Le premier est exprimé par les mots ‘‘comme ils l'ont entendu’’. Pour un néophyte, après avoir entendu l'enseignement, il est très important de le transmettre exactement tel qu’il l'a entendu. S'il néglige de le faire, il y a le risque qu'il informe mal les autres sur les points cruciaux de l'enseignement. Transmette l'enseignement correctement peut sembler facile, mais il n’en est rien, comme des sociologues l’ont démontré dans l'expérience suivante. Un certain nombre de personnes sont alignées. La personne se trouvant en tête de file raconte à voix basse une petite histoire dans l'oreille de la personne suivante, et de la même manière l'histoire est transmise jusqu'à la fin de la file. Supposez, par exemple, la petite histoire suivante : Mary passe par hasard au moment où John et Jim sont en train de se disputer. John semble l’emporter sur Jim parce que ce dernier, le visage enflammé, lance un regard furieux à John dont le visage est pâle. Même une histoire aussi brève change de manière surprenante lorsqu'elle est transmise par dix personnes. Si, lors de la transmission, quelques détails sont modifiés, cela ne tire pas à conséquence. Il arrive que l’histoire inverse les situations : c’est Jim qui l’emporte sur John ou bien c’est John qui rougit et Jim qui pâlit.

Pourquoi une histoire aussi courte change-t-elle au cours de la transmission orale entre les membres d'un si petit groupe ? C'est parce qu'une personne l'entend mal, une autre s'en souvient incorrectement et fait des erreurs en la transmettant, d’autres y introduisent leur propre interprétation et l'histoire racontée s’éloigne de plus en plus de l’original. Les opinions personnelles sont, en effet, un obstacle qui cause des malentendus et des erreurs de mémorisation.  Par exemple, si nous pensons a priori qu'un homme humilié doit avoir un visage pâle, nous aurons entendrons que c’est Jim qui avait un visage pâle et, ainsi, notre mémorisation sera incorrecte.

Si les enseignements du Bouddha avaient été transmis avec des erreurs comme celles-ci, il y aurait eu des conséquences sérieuses pour nombre de personnes. C'est pourquoi le Bouddha nous avertit en disant : "comme ils l'ont entendu". Bien sûr, une personne qui a saisi les points essentiels d'un enseignement est en droit de l'énoncer de diverses manières selon les circonstances ; il est en effet naturel de modifier la façon de prêcher en fonction de la capacité de ses auditeurs. Mais un débutant ne doit pas oublier l’avertissement du Bouddha.

On peut faire remarquer ici que les disciples de Shakyamuni attachaient une grande importance à la transmission fidèle des enseignements. Ses cinq-cents disciples principaux se rassemblèrent à Rajagriha dans le Magadha quelques mois après sa mort. Ils comparèrent d'abord les enseignements de Shakyamuni qu'ils avaient entendus les uns des autres et, après s'être assurés de la forme correcte des paroles du Bouddha, ils s’efforcèrent de les graver profondément dans leur mémoire. Cette réunion pour la compilation des sutras bouddhiques fut appelée samgiti (ketsuji) ou concile bouddhique ; elle était destinée à pérenniser la doctrine instaurée par Shakyamuni.

Lors de ce concile, on imagine que les disciples ont procédé de la manière suivante : Ananda, le disciple ayant le plus souvent entendu les sermons du Bouddha, est choisi pour réciter les enseignements ; Mahakashyapa, qui préside le concile, lui pose question sur question concernant l'enseignement : quand, où, à qui et à quelle occasion le Bouddha l'avait exposé et quel en était le contenu ? Ananda répond à chaque question. Les autres disciples écoutent sereinement ces questions et ces réponses. S'ils ne trouvent pas de différence entre les réponses d’Ananda et leur propre souvenir, ils concluent à leur exactitude. Lorsque l'un d'eux a une objection, elle est soumise à discussion. Les disciples approuvent un enseignement seulement lorsque l'accord est unanime, car ils sont extrêmement conscients du caractère sacré que représente la définition des textes canoniques laissés par le Bouddha à la postérité.

Lorsqu'ils ont approuvé unanimement un enseignement en disant : "C'est exactement ce que nous avons entendu de la bouche du Bouddha", ils le récitent tous ensemble et le mémorisent. C'est pourquoi de nombreux sutras bouddhiques commencent par les mots "Ainsi ai-je entendu".

La répétition exactement du même contenu se retrouve fréquemment dans les sutras du bouddhisme primitif, tels que les agamas, reflétant l'effort de mémorisation des questions et des réponses lors des conciles bouddhiques. Dans les sutras du Mahayana, y compris le Sutra du Lotus, la répétition est utilisée pour les passages où il est nécessaire de faire une profonde impression sur les lecteurs.

Le deuxième point important se trouve dans les mots "selon leurs capacités ". Ces mots ont deux significations : la première traduit l'idée de "faire au mieux de ses moyens" et la seconde exprime le fait de "s'y adonner de toutes ses forces".

Il est pratiquement impossible, pour une personne qui entend un enseignement pour la première fois, de le prêcher aussi bien que le ferait un moine entraîné ou un érudit. Si un débutant expose un enseignement en hésitant et s'il est un orateur malhabile, c'est bien naturel. Si c’est un écrivain de talent, il doit transmettre l'enseignement par écrit. Dans tous les cas, on doit transmettre la doctrine suivant sa capacité et son expérience. C'est la première signification des mots "selon leurs capacités".

Cependant, si un orateur maladroit s'efforce sincèrement de transmettre l'enseignement, son enthousiasme impressionnera inévitablement ceux qui l'écoutent. C’est sa sincérité qui sera importante. C'est la deuxième signification des mots "selon leurs capacités".

Le troisième point est que ce chapitre parle du mérite de la cinquantième personne qui a écouté l'enseignement avec joie et, à son tour, le transmet à cinquante autres personnes. Cela illustre bien la grandeur des enseignements du Sutra du Lotus.

La première personne qui assiste à un prêche reçoit l'enseignement directement de la bouche d’un bon connaisseur du Dharma qui possède, en plus, une grande force de persuasion. Elle est donc profondément émue par ses paroles. Cette première personne transmet ensuite l’enseignement aux autres. Elle n'a pas une connaissance étendue du Dharma, ni une foi profonde, ni une longue expérience de prédicateur. Même si elle peut transmettre l'enseignement exactement comme elle l'a entendu, la joie que ressent celui qui écoute diminue proportionnellement à la distance d'avec le premier orateur. De ce fait, lorsque l'enseignement est transmis à la cinquantième personne, dans la plupart des cas, il ne procurera aucune joie à un auditeur qui ne fera pas d'effort et se contentera d’un "Ah, bon !"

À cet égard, le Sutra du Lotus diffère des autres enseignements. Aussi longtemps que le contenu de ce Sutra est transmis correctement de personne à personne, même la cinquantième personne peut l’accepter avec joie parce qu'il est tout à fait exceptionnel. Bien sûr, la joie de la cinquantième personne sera inévitablement moindre que celle de la première. Mais même ce faible degré de joie engendre un grand bienfait. Nous devons réfléchir à la profonde signification de ces mots : "les bienfaits venant de la joie conséquente qu'aura ce cinquantième".

Le Bouddha parle ensuite des bienfaits de la cinquantième personne qui reçoit la vérité avec joie. Notons particulièrement les points suivants : les divers bienfaits (kudokus) sont exprimés dans le Sutra du Lotus d'une manière hautement symbolique et les notions abstraites sont représentées sous une forme concrète. Il importe de ne pas prendre ces mots et ces phrases au sens littéral mais de saisir leur sens caché sous peine d'être victime de malentendus absurdes concernant les enseignements du Bouddha.

« Qu'au nombre des êtres vivants de quatre cent millions de myriades de quantités incalculables de mondes, relevant des six voies, des quatre modes de naissance - de l'oeuf, de la matrice, de la moisissure, de la transformation -, pourvus ou non de forme, avec ou sans notions conscientes, ou bien ni avec ni sans notions conscientes, apodes, bipèdes, quadrupèdes, multipèdes, se trouve un homme en quête de mérites qui, en se conformant à ce qu'ces êtres désirent, leur procure tout le nécessaire à leurs plaisirs; à chacun des êtres il donne tout un continent Jambuvipa de matières précieuses, merveilleuses et rares - or*, argent, béryl, nacre, agate*, corail*, ambre* - ainsi qu'éléphants, chevaux et chars, des palais et des pavillons construits des sept matières précieuses. Ce grand donateur, ayant fait de tels dons pendant quatre-vingts années pleines, a cette réflexion : j'aurai fait don aux êtres du nécessaire à leurs plaisirs en me conformant à ce qu'ils désiraient expressément; or les voici tous vieux et décrépits, ils ont passé quatre-vingts ans d'âge; les cheveux blancs, le visage ridé, ils mourront avant longtemps. Je me dois de les instruire dans le Dharma du Bouddha. Il rassemble donc ces êtres et leur expose le Dharma qui convertit, il le leur montre, le leur enseigne, les en fait bénéficier, les en fait se réjouir. Ils obtiennent tous instantanément la voie d'entré dans le courant*, la voie de revenant une fois*, la voie de sans-retour*, la voie d'arhat, mènent leurs infections à l'épuisement et, en de profondes méditations et concentrations, obtiennent tous la liberté souveraine et se munissent complètement des huit délivrances. »

Les "six voies" signifient les six mondes-états dans lesquels les êtres transmigrent continuellement ; "quatre modes de naissance" fait référence aux quatre catégories de créatures vivantes : créatures ovipares nées d’un œuf, créatures vivipares nées d’une matrice, les larves et les autres créatures vivant dans la terre humide nées dans l'humidité et les êtres dont l'origine est inconnue, par exemple, les êtres célestes, nés par métamorphoses.

Dans l'expression "avec ou sans notions conscientes", "conscientes" désigne une personne qui a l'esprit de discernement et "sans notions conscientes" désigne une personne qui n'a pas cet esprit.

Dans l'expression "ni avec ni sans notions conscientes", "avec notions conscientes" désigne quelqu'un qui a compris qu'il ne peut pas voir avec un esprit de discernement l'aspect réel des phénomènes (shoho jisso), et "sans notions conscientes" désigne quelqu'un qui transcende à la fois l'esprit de discernement et de non-discernement.

Pris dans leur ensemble, ces expressions désignent une personne capable de toutes sortes d'approches. Nous n'avons pas à nous attacher rigoureusement à ces termes ; il s'agit plutôt d'une description de toutes sortes de créatures vivantes.

Les catégories commençant par srotaapannas sont les quatre degrés atteints par un bouddhiste theravada :

1-srotaapanna, ou littéralement, "entré dans le courant" menant au nirvana, est le premier degré vers la réalisation de soi,
2- sakrdagamin, littéralement "retournant", ou devant naître seulement une fois de plus, est le deuxième stade dans lequel le pratiquant évite les défilements de l'esprit (désirs terrestres, klesha, bonno) mais où il a toujours la possibilité d'être souillé,
3- anagamin, littéralement, "sans retour" ou plus de renaissance, est le troisième degré dans lequel le pratiquant a maîtrisé tous les désirs terrestres,
4- arhat qui signifie littéralement, "digne d'offrandes" ou "honorable" est le dernier degré dans lequel le pratiquant est libéré de toutes les souillures et où il obtient la connaissance parfaite et un esprit pur.

Dans leur pratique, les disciples du bouddhisme theravada s'efforcent d'atteindre l'illumination en passant par chacun de ces quatre degrés. Cependant le Bouddha mentionne ici, qu'ils ont atteint instantanément les quatre degrés.

Les mots "huit délivrances" renvoient à huit sortes de méditations pour se libérer des attachements. Une explication détaillée n'est pas nécessaire ici parce qu'elles sont du ressort de l'étude spécialisée des doctrines bouddhiques.

Alors le Bhagavat demande au bodhisattva Maitreya :

« Quel est ton avis ? Les mérites de ce grand donateur seront-ils tenus pour nombreux ou non? »

Maitreya dit au Bouddha :

« Bhagavat, les mérites de cet homme seront fort nombreux, incalculables, infinis. Si ce donateur ne faisait don aux êtres que du nécessaire à tous leurs plaisirs il aurait d'infinis mérites, qu'en sera-t-il alors en les menant au fruit d'arhat? »

Alors le Bouddha dit à Maitreya d'une voix plus ferme :

« Je te le dis à présent en toute clarté, les mérites qu'un tel homme aura obtenus en faisant don du nécessaire à tous les plaisirs aux êtres des six voies dans quatre cent millions de myriades de quantités incalculables de mondes et en leur faisant en plus obtenir le fruit d'arhat ne se peuvent comparer aux mérites de cette cinquantième personne qui, entendant une seule stance du Sutra du Lotus du Dharma, s'en réjouit en conséquence; ils n'en arrivent pas même au centième, au millième, au cent millionième de myriadième, au point même qu'ils ne sauraient être connus par nul calcul ni comparaison. »

Il y a deux raisons pour lesquelles les images ou les comparaisons ne peuvent pas exprimer les mérites de cette cinquantième personne. La première est que les dons matériels diffèrent fondamentalement du don du Dharma. Donner des objets est certainement une bonne action mais les bénéfices d'une telle action sont limités et relatifs. Par exemple, supposez que nous donnions de l'argent à des personnes dans le besoin. Une somme d'argent relativement petite peut mener une personne à rétablir sa situation.  Une autre personne peut s’offrir une vie plus confortable grâce à cet argent, mais une fois la somme dépensée, la situation ne sera pas meilleure qu'auparavant. Au contraire, cet argent peut avoir eu un effet nocif, encourageant la paresse et le goût de luxe. Le don matériel n’est donc pas toujours une bonne chose.

Lorsque nous donnons aux pauvres de l'argent ou des objets et, en même temps, si nous leur enseignons comment, grâce à cela, améliorer leur vie, ce don les aidera. Les dons matériels sont plus efficaces lorsqu’ils s'accompagnent d’un enseignement. Et c'est aussi bon pour toute la société. Mais ce genre de don est également limité et relatif parce que ses bénéfices durent ce que dure une vie. Le don vraiment sacré et éternellement efficace est celui du Dharma, c'est-à-dire le don des enseignements du Bouddha. Ce genre de don n'est pas limité à notre vie car il s'étend aux vies ultérieures.  Rien n'est aussi important que les bienfaits obtenus par ce don.

Le Bouddha fait remarquer à Maitreya qu'une personne qui fait des dons matériels à tous les êtres vivants dans l'univers, tout en prêchant les enseignements du Bouddha, leur permet d'atteindre l'état d'arhat. Et pourtant, les mérites obtenus par cette personne ne sont pas comparables aux mérites qu'une cinquantième personne qui, en écoutant un seul vers du Sutra du Lotus, le reçoit avec joie. Ceci peut sembler d'abord étrange mais s'explique de la façon suivante :

L'état d'arhat, c'est-à-dire l'état mental capable d'éviter toutes les infections (asrava), représente le sommet de l'enseignement hinayana. Mais si un pratiquant s'isole dans les montagnes, les mérites qu'il atteint s'arrêtent à ce niveau. Les enseignements du Bouddha ont une valeur inestimable mais dont les résultats ne peuvent se manifester complètement si personne ne transmet ces enseignements, élevant ainsi les auditeurs et leur donnant pouvoir et courage, améliorant ainsi le monde entier. Si, après leur Éveil, les moines bouddhistes restent confinés dans leurs temples et se consacrent à organiser les funérailles et les services mémoriaux, ils ne mettent pas en pratique l'esprit véritable du Bouddha.

L'enseignement du Sutra du Lotus ne se limite pas au salut personnel ; son but est de sauver de nombreux autres êtres. Lorsqu'une personne entend ne serait-ce qu'un seul vers du Sutra du Lotus et le reçoit avec joie, ce sentiment d'acceptation joyeuse se mue immanquablement en pouvoir de sauver d'autres personnes.

Supposez que l'état d'arhat, traduisant l'illumination personnelle, soit l'équivalent du nombre cent. La joie que l'on ressent en écoutant pour la première fois un vers n'a de valeur que du point de vue de son propre Éveil. Cependant il y a une grande différence entre le chiffre cent, indiquant l'illumination hinayana, et le chiffre un dans l'enseignement mahayana. Dans le Mahayana le chiffre un s'étend à l'infini et a le potentiel de devenir mille, dix mille et plus.

La bodhéité d’une seule personne peut être comparée à cent kokus (18039 litres) de riz dans un entrepôt. Une telle quantité peut suffire pour une vie entière mais c'est tout. Le riz peut être mangé par des charançons ou des rats ou peut pourrir.  Le sentiment de joie que quelqu'un ressent en recevant le Sutra du Lotus est l'équivalent d'un sho (le centième d’un koku) de grains de riz semés dans un champ. Ces grains ont la possibilité de pousser et de produire des centaines ou des milliers de kokus de riz. C'est la raison pour laquelle les mérites d'une personne qui, en entendant un vers du Sutra du Lotus, le reçoit avec joie, sont bien plus nombreux que ceux obtenus en faisant les dons les plus merveilleux, y compris celui du Dharma, permettant aux autres d'atteindre l'état d'arhat.

Nous venons de discuter des bienfaits de la cinquantième personne qui entend le Sutra du Lotus pour la première fois et l'accepte avec joie. Voyons maintenant ce qu'il en est des kudokus des premiers shravakas de la communauté ? Le Bouddha les explique ainsi :

« Ô Invincible, les mérites de la cinquantième personne qui aura, de cette façon, entendu de proche en proche le Sutra du Lotus du Dharma et s'en sera réjouie en conséquence seront déjà innombrables, infinis, en quantités incalculables. Qu'en sera-t-il alors de celui qui l'aura entendu le premier dans l'assemblée et s'en sera réjoui en conséquence? Ses mérites seront encore supérieurs à d'innombrables, d'infinies quantités incalculables, on ne pourrait en trouver une comparaison. »

Comme nous l’avons vu, le shravaka est capable de recevoir avec joie même l’enseignement transmis par la cinquantième personne. Combien plus grande est la joie de celui qui peut recevoir l’enseignement de la bouche de celui qui a déjà atteint l’Éveil ! Cette joie apportera de grands changements dans sa vie et aura des conséquences infinies dans la société.

L'opportunité de rencontrer l'enseignement

Ce chapitre déclare que même une personne non-éveillée, qui n'est pas profondément émue par son premier contact avec l'enseignement, obtiendra néanmoins de nombreux mérites. Cela nous dit combien il est important d'avoir l'occasion de rencontrer le Dharma. Nous possédons tous la nature de bouddha (buddha-dhatu), mais si nous n’avons pas l’occasion d’en prendre connaissance en rencontrant le Dharma nous ne pourrons pas atteindre la délivrance (vimoksha). Entrer en contact avec l'enseignement pour rencontrer la bodhéité est la condition première de notre Éveil et doit être considéré comme un acte sacré. Par conséquent, l’offrir une telle opportunité aux autres est aussi un acte sacré.

Le Bouddha prêche donc les mérites d'une personne qui entend et reçoit le Sutra du Lotus ne serait-ce qu'un moment et persuade les autres d'en faire autant :

« Ô Invincible, si quelqu'un se rend, pour l'amour de ce Sutra, dans les viharas* et que, soit assis soit debout, il l'écoute et l'accepte ne serait-ce qu'un fort bref instant; en raison de ce mérite, là où il renaîtra corporellement, il obtiendra d'excellents et merveilleux chars à éléphants et à chevaux, des palanquins aux joyaux de prix et il montera aux palais célestes. Et si quelqu'un encore se trouve assis à l'endroit où s'expose le Dharma et qu'un autre survenant, il exhorte ce dernier à s'asseoir et à écouter, voire partage avec lui son siège, les mérites de cette personne lui feront obtenir, dans sa renaissance corporelle, le trône d'Indra, le trône du roi des Mahabrahmas ou encore le trône où s'assoit le roi qui fait tourner la roue du Dharma. »

« Et si encore, ô Invincible, il se trouve quelqu'un pour annoncer à un autre qu'il existe un sutra intitulé Sutra du Lotus du Dharma et qu'ils pourraient aller l'écouter ensemble, qu'ainsi ce dernier reçoive l'enseignement, ou même qu'il ne l'entende que durant un fort bref instant, les mérites d'une telle personne feront que, dans sa renaissance corporelle, il obtiendra de naître au même endroit que les bodhisattvas possesseurs de dharanis. »

Indra et Brahma sont les dieux gardiens suprêmes des enseignements du Bouddha. Un souverain faisant tourner la roue sacrée, ou chakravartin, est un grand roi qui dirige ce monde correctement et paisiblement sur la base des enseignements du Bouddha. Les bodhisattvas qui possèdent déjà les dharanis sont ceux qui instruisent les hommes afin de leur éviter le mal et qui 1es persuadent de faire le bien. Les personnes qui donnent aux autres la chance de rencontrer le Sutra du Lotus devraient être considérées comme étant aussi sacrées que les dieux ou qu'un roi faisant tourner la roue du Dharma ou que des bodhisattvas. La renaissance corporelle de ces hommes dans un endroit où vivent les bodhisattvas signifie qu'elles renaîtront spirituellement dans ce monde, c'est-à-dire que leur vie sera complètement modifiée et renouvelée.

Ce chapitre affirme aussi que ces personnes renaîtront non seulement spirituellement mais aussi physiquement dans ce monde, et que leur forme humaine sera parfaite. Inutile d'examiner chaque condition de leur renaissance ; il nous suffit de comprendre que la renaissance spirituelle d'une personne apparaît dans ses traits physiques, démontrant la vérité que l'esprit de l'homme influence son corps. Cependant, une telle modification corporelle apparaît très lentement et son expression ne change pas beaucoup dans le monde présent. Dans ce cas, le changement humain ne signifie pas la beauté ou la laideur physique mais l'élévation lumineuse de l'esprit. Plus une personne accumule de pratiques spirituelles, plus son état d'esprit sera brillant.

Lorsque nous voyons d'anciens portraits et des statues de moines érudits ou célèbres, de sages, de saints, nous en trouvons peu qui soient dotés d'une beauté physique dans le sens commun du terme. Dans les représentations des dix disciples majeurs du Bouddha, personne ne pourrait dire s'ils étaient beaux excepté Ananda et Rahula. La plupart d'entre eux ont des visages peu engageants qui ne permettent pas de dire : ‘‘Il a une tête d'arhat’’. Néanmoins, chacun de ces dix disciples est décrit comme étant une personne ayant un visage doux et compatissant avec une expression où transparaît la profondeur de sa sagesse. Si ces disciples accumulent la pratique du bodhisattva chaque fois qu'ils renaissent, leur élévation spirituelle influencera de plus en plus les traits de leur visage et les amènera finalement à être possesseurs des marques d'un bouddha, devenant parfaits dans les trente-deux marques et les quatre-vingts caractéristiques d'un bouddha. Nous pouvons, nous aussi, acquérir ces signes distinctifs.

L'influence de la renaissance spirituelle de l'homme n'est pas limitée à l'aspect mental mais affecte aussi l'aspect corporel. Ce changement se déroule très lentement mais sûrement. C'est la manière dont nous devons interpréter cette partie du Sutra du Lotus.

Suite

Chapitre XVIII du Sutra du Lotus

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