Réponse à Sairen-bo

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 7, p. 25; SG* p. 312.
Gosho Zenshu p. 1340 ; Sairen-bo gohenji

Sado, le 13 avril 1272, à Sairenbo Nichijo

 

Observez la plus grande prudence et ne venez me voir qu'à la nuit tombée. Je vous enseignerai un principe expliquant les bienfaits correspondant à la plus haute étape de la pratique bouddhique, celle de l'Éveil parfait.
J'ai bien compris le contenu de votre lettre. J'ai également reçu vos divers dons venus de la capitale. Du temps où je vivais à Kamakura, j'avais chaque jour des objets semblables sous les yeux, mais je n'en avais encore jamais vu depuis que je suis en exil. Sur cette petite île lointaine, ils sont véritablement très précieux.

Vous dites dans votre lettre que, depuis le début du 2e mois de cette année, vous avez pris la décision de me suivre et que, désormais, bien que vous vous considériez comme une personne sans qualités particulières, vous seriez honoré de compter parmi mes disciples.

On lit dans le Sutra du Lotus  : "Vie après vie, sur diverses Terres de bouddha, ils renaîtront toujours avec le même maître."(réf.) Et encore  : "Si l'on reste proche des Maîtres du Dharma, on entrera rapidement sur la voie du bodhisattva. En suivant ces maîtres et en s'entraînant auprès d'eux, on verra des bouddhas aussi nombreux que les grains de sable du Gange."(réf.)

Il est dit aussi à ce sujet dans un commentaire  : "Auprès d'un bouddha, s'éveille pour la première fois notre désir d'entrer sur la Voie. En suivant de nouveau ce même bouddha, on parviendra à l'étape de non-régression."(réf.) Dans un autre commentaire on lit encore  : "En suivant un bouddha ou un bodhisattva, on crée d'abord un lien avec lui, et c'est avec ce même bouddha ou bodhisattva que l'on parviendra au but ultime."(réf.)

A la lumière de ces passages du Sutra et de commentaires, je me demande si, depuis un nombre incalculable de kalpa passés, nous ne sommes pas liés par l'engagement de maître et disciple.

Le fait que nous soyons nés ensemble, en cette époque impure des Derniers jours du Dharma, dans ce pays, le Japon, sur le continent du Sud, le Jambudvipa  ; que nous récitions d'une même voix Namu Myoho Renge Kyo, ce Dharma qui est la raison ultime de la venue en ce monde de tous les bouddhas ; que nous gardions avec sincérité cette foi en notre cœur, qu'elle imprègne nos corps et dirige nos mains - tout cela n'est-il pas le résultat de liens karmiques créés par le passé ?

Lorsque j'observe la situation du Japon, je constate que le Roi-Démon du sixième Ciel a pénétré le corps des personnes de sagesse, transformant les maîtres de l'enseignement correct en maîtres des enseignements erronés, les maîtres bienveillants en maîtres malveillants. Tel est le sens des mots du Sutra : "Des démons maléfiques s'empareront des autres."(réf.)

Moi, Nichiren, je ne suis pas un sage mais le Roi-Démon du sixième Ciel a néanmoins tenté de s'emparer de moi. Parce que, depuis longtemps, je suis sur mes gardes, il n'ose plus m'approcher. Sachant qu'il n'a aucun pouvoir sur moi, il a pris possession du souverain et de ses hauts dignitaires, ou des moines ignorants comme ce Ryokan, et les pousse à me haïr.

Il faut comprendre qu'il y a, à notre époque, des différences entre les divers maîtres. Certains exposent l'enseignement correct, d'autres, des enseignements erronés. Il faut s'écarter de ceux dont les principes sont erronés ou nuisibles, et se rapprocher de ceux dont l'enseignement est correct et bienveillant. Même si la vertu d'un maître est vantée par-delà les quatre océans, même si sa sagesse semble aussi brillante que le soleil et la lune, s'il s'oppose au Sutra du Lotus, il faut admettre que son enseignement est nuisible et erroné, et il ne faut pas l'approcher. Il est écrit dans un sutra  : "Si une personne s'oppose au Dharma, il ne faut pas rester en sa compagnie. Être proche d'elle et vivre avec elle, c'est se condamner à tomber dans l'enfer avici."(réf.) Cette mise en garde est on ne peut plus claire.

Aussi honnête et droit que l'on soit, malgré tous les efforts que l'on déploie pour être reconnu comme une personne de vertu, dans le monde profane aussi bien que religieux, si l'on entretient des rapports amicaux avec une personne mauvaise, tout naturellement, deux ou trois fois sur dix, on se laissera endoctriner par elle jusqu'à devenir soi-même, en définitive, une personne mauvaise. Voilà pourquoi il est dit dans le commentaire Guketsu  : "Même sans être, à l'origine, une personne mauvaise, si l'on s'associe et se lie d'amitié avec une personne malveillante, inévitablement, on deviendra soi-même une personne mauvaise dont la réputation détestable se répandra dans le monde entier."(réf.)

Pour finir, les maîtres pernicieux qui propagent des enseignements erronés et nuisibles sont les religieux qui, à notre époque, s'opposent au Sutra du Lotus. Il est dit dans le Sutra du Nirvana  : "Bodhisattva, ce ne sont pas les éléphants sauvages qui sont le plus à craindre, ce sont les mauvais amis  ! Si vous mourez tués par un éléphant sauvage, vous ne tomberez pas dans les trois mauvaises voies. Mais si vous mourez en suivant un mauvais ami, vous êtes assurés d'y tomber." Et dans le Sutra du Lotus on lit  : "En cette époque mauvaise, il y aura des moines à la sagesse frelatée et au cœur plein de ruse et de fausseté."(réf.)

Comme je l'ai souvent déjà souligné par le passé, des maîtres comme Shubhakarasimha* et Vajrabodhi*, Bodhidharma, Huiko, Shandao et Honen, Kukai* du temple To-ji et Enchin du temple Onjo-ji, Ennin* du Mont Hiei ou Ryokan de la région de Kanto, ont probablement lu les paroles d'or, "Maintenant, ... en rejetant sincèrement les enseignements provisoires, [je n'enseignerai que la voie ultime]"(réf.) en les interprétant comme s'il avait été écrit "en rejetant sincèrement l'enseignement véridique, je n'exposerai que les enseignements provisoires." En lisant le passage  : "Parmi tous les sutras, ce Sutra [du lotus] doit être respecté comme le plus élevé."(réf.), ils l'interprètent comme s'il disait  : "Parmi tous les sutras, il tient la place la moins élevée." Et quand ils lisent " [j'ai enseigné de nombreux sutra et] parmi eux, ce Sutra du Lotus occupe la première place"(réf.), c'est comme s'ils lisaient  : "Le Sutra du Lotus occupe la deuxième place" ou "en ordre d'importance, ce Sutra est le troisième." Voilà pourquoi je considère ces moines comme des maîtres hérétiques et leurs enseignements comme erronés et nuisibles.

J'appelle maître de l'enseignement correct et bienveillant celui qui lit les paroles d'or du Bouddha Shakyamuni en restant fidèle à leur sens réel, c'est-à-dire en comprenant que tous les autres sutras sont des moyens [des enseignements provisoires] alors que le Sutra du Lotus est la vérité [de l'enseignement définitif (jikkyo)].

Il faut lire à cet égard le 77e volume du Sutra Kegon*, dans la partie Nyuhokkai. Et, dans le Sutra du Lotus, il est dit  : "Un bon ami est la grande cause et le lien qui nous oriente et nous conduit sur la voie de la bodhéité. Il éveille en nous le désir de voir le Bouddha et de parvenir à l'Éveil parfait sans supérieur."(réf.)

Ce sont les paroles mêmes du Bouddha  ; le maître correct et bienveillant est celui qui rejette sincèrement les principes des quatre saveurs et des trois enseignements, ainsi que les sutras du Hinayana et du Mahayana provisoire* exposés seulement comme des moyens ; c'est le maître qui rejette également les écoles Nembutsu, Shingon, Zen et Ritsu, ainsi que les sutras sur lesquels elles s'appuient, afin d'enseigner Myoho Renge Kyo, "l'unique grande raison pour laquelle les bouddhas apparaissent en ce monde."(réf.)

Quant à moi, Nichiren, né au Japon dans les cinq cents premières années de l'époque des Derniers jours du Dharma, j'ai rencontré les trois grands ennemis et subi toutes sortes d'épreuves et de calamités, exactement comme le Bouddha l'avait prédit. Mais, sans ménager ni mon corps ni ma vie, je récite Namu Myoho Renge Kyo. Interrogez-vous avec la plus grande attention : Nichiren doit-il être considéré comme un maître de l'enseignement correct ou un maître des enseignements erronés ?

Chacun des tenants des diverses écoles que je viens de nommer prétend avoir saisi mieux que quiconque le sens du Sutra du Lotus et le pratiquer. Mais aucun d'eux n'a connu les persécutions que j'ai subies - banni dans la province d'Izu, à l'ère Kocho, exilé sur l'île de Sado à l'ère Bun'ei, conduit sur le lieu d'exécution à Tatsunokuchi, ou confronté à d'autres difficultés trop nombreuses pour être toutes énumérées. S'il faut en croire les passages du Sutra [qui prédisent de telles difficultés], c'est bien moi qu'il faut considérer comme le maître de l'enseignement correct et bienveillant, alors que les érudits des autres écoles sont des maîtres nuisibles, aux enseignements erronés.

De nombreux autres passages de sutra et de traités établissent une distinction entre ces deux sortes de maîtres, les bons et les mauvais. Mais je suis certain que vous les connaissez déjà et j'en resterai là pour l'instant.

Comme il est merveilleux de lire dans votre lettre : "Désormais, j'abandonnerai les maîtres des enseignements erronés de notre époque et je suivrai exclusivement votre enseignement qui est celui du maître correct"  ! Quand le Bouddha Shakyamuni, notre maître originel, apparut en ce monde pour enseigner le Sutra du Lotus, tels des ombres et des échos, les bouddhas et les bodhisattvas sont venus des autres mondes pour l'aider à exposer son enseignement. Il n'est pas impossible que maintenant, au Japon, ils apparaissent ici, envoyés par Shakyamuni, Taho et les autres bouddhas des dix directions afin de m'assister dans mes efforts pour propager l'enseignement. Il est dit dans le Sutra : "Je ferai usage de mes pouvoirs supranaturels pour envoyer dans d'autres pays des personnes qui réuniront des assemblées pour écouter le Dharma. Et j'enverrai aussi [des moines, des nonnes, des hommes et des femmes laïques, appelés par ces mêmes pouvoirs supranaturels, afin qu'ils écoutent enseigner le Dharma. Ces personnes, ainsi rassemblées, écouteront le Dharma, auront foi en lui, l'accepteront] et l'appliqueront sans le transgresser."(réf.) Il est clair que c'est à vous que correspond ce passage du Sutra puisque vous écoutez le Dharma, vous avez foi en lui, vous l'acceptez et l'appliquez sans le transgresser. Comment pourrait-il y avoir le moindre doute à cet égard ?

Le Sutra évoque ceux qui "vie après vie renaissent avec le même maître dans diverses Terres de bouddha", mais certaines personnes, notamment les trois catégories d'auditeurs-shravakas, après avoir reçu la graine de la bodhéité, rejettent le Mahayana, choisissent le Hinayana et retombent dans les Cinq ou les Six voies au cours de plusieurs renaissances successives ; pourtant, quand vient le temps d'atteindre la bodhéité, tous obtiennent l'Éveil. C'est peut-être pourquoi, maintenant, vous avez choisi de devenir un disciple de Nichiren en rejetant les principes erronés et les mauvais maîtres du Nembutsu, du Shingon et des autres écoles. Comme c'est remarquable !

Quoi qu'il en soit, réfutez comme moi l'opposition au Dharma des adeptes des diverses écoles et amenez-les à rejeter ce qui est erroné et à croire en ce qui est correct. Puis, quand vous parviendrez sur la Terre de la lumière éternellement paisible, où siègent les trois sortes de bouddha, en présence des bouddhas Shakyamuni et Taho, vous pourrez demander : "Nichiren et moi sommes-nous, oui ou non, depuis le passé illimité, liés par l'engagement de maître et disciple  ? Ai-je été envoyé, oui ou non, par le Bouddha Shakyamuni afin de l'aider dans ses efforts pour propager l'enseignement  ? " Et quand les bouddhas vous répondront "Tout à fait  ! ", peut-être alors en serez-vous totalement convaincu. Il vous faut donc poursuivre la pratique avec assiduité  ! Plus que jamais, persévérez !

En fait, depuis le 2e mois [février], j'ai commencé à vous enseigner des principes importants. Cela a eu pour résultat que le 8e jour du 4e mois [le 8 avril], dans la nuit, à l'heure du Tigre [4 h du matin], j'ai conduit pour vous la cérémonie d'ordination aux préceptes (note) de l'enseignement parfait* du Dharma Merveilleux.

Comment une personne ayant reçu cette ordination pourrait-elle ne pas devenir, au cours de son existence présente, un bouddha de l'Éveil parfait  ? Et si vous êtes parvenu en cette vie au niveau de l'Éveil parfait, quelle raison auriez-vous, dans votre vie prochaine, de régresser jusqu'à l'étape de togaku [précédant l'Éveil parfait] ou à d'autres étapes inférieures de la pratique  ? En tenant compte du lien qui nous unit depuis le passé illimité, et du principe qui veut que l'on renaisse, vie après vie, avec le même maître, si moi, Nichiren, j'atteins la bodhéité en cette vie présente, comment pourriez-vous vous séparer de moi et tomber dans les mauvaises voies de l'existence ?

Les sutras, qui ont enregistré les paroles du Bouddha et ses intentions profondes, sont libres de tout mensonge, dans les domaines profanes aussi bien que religieux. Il est dit, dans le Sutra du Lotus  : "Lorsque je serai entré dans le nirvana, les personnes de sagesse devront croire en ce Sutra et le pratiquer. Les personnes qui feront cela peuvent être assurées, sans le moindre doute, d'atteindre la Voie du Bouddha."(réf.) Il y est dit encore  : "De cette manière, on parviendra rapidement à la Voie sans pareille du Bouddha."(réf.) Si ces passages étaient mensongers, et si la prédiction que nous atteindrons la bodhéité était également un mensonge, la langue de tous les bouddhas tomberait de leur bouche, la Tour du bouddha Taho s'effondrerait en miettes, le siège sur lequel les deux bouddhas [Shakyamuni et Taho] sont assis côte à côte se changerait en un lit de métal brûlant au coeur de l'enfer avici, et les trois terres - de Transition, de la Rétribution concrète et de la Lumière éternellement paisible - deviendraient les trois mauvais états d'enfer, d'avidité et d'animalité. Comment cela serait-il possible ?

"Ah, cela ne fait aucun doute, nous parviendrons au but  ! Oui, nous sommes absolument certains de l'atteindre  ! " Avec cette pensée constamment en tête, même en exil, nous avons d'innombrables raisons de ressentir une joie sans limite dans notre corps comme dans notre esprit !

Ainsi, jour et nuit, je réfléchis aux principes importants, et d'heure en heure, de moment en moment, je goûte cet enseignement de l'atteinte de la bodhéité. Parce que j'utilise mon temps de cette façon, les mois et les années passent aussi rapidement que s'il ne s'écoulait qu'un instant. C'est comparable au moment, décrit dans le Sutra, où les deux bouddhas Shakyamuni et Taho, assis l'un à côté de l'autre dans la Tour aux Trésors, hochent la tête pour approuver les merveilleux principes du Sutra du Lotus. Bien que cinquante kalpa mineurs se soient écoulés, les pouvoirs supranaturels du Bouddha donnèrent aux membres de la grande assemblée l'impression qu'il ne s'était pas passé plus d'une demi-journée (réf.).

Depuis le commencement de notre kalpa, parmi tous ceux qui ont encouru la disgrâce de leurs parents ou de leur souverain et qui ont été bannis sur des îles lointaines, personne n'a jamais ressenti une joie pareille à la nôtre. Ainsi, l'endroit où nous résidons et pratiquons l'enseignement du Véhicule unique, quel qu'il soit, devient la cité de la lumière éternellement paisible. Sans avoir à se déplacer d'un seul pas, nos disciples et nos bienfaiteurs laïques peuvent apercevoir le Pic du Vautour en Inde, et en un jour ou en une nuit, atteindre la Terre de la lumière éternellement paisible existant depuis toujours, et revenir. Je ne peux exprimer la joie que me procure cette pensée !

Cette joie est si intense que je veux maintenant vous faire une promesse. Si, une fois votre peine d'exil levée, vous pouvez rapidement rentrer dans la capitale, le seigneur de Kamakura [Hojo Tokimune] aura beau s'obstiner à refuser le pardon de Nichiren, je ferai appel aux divinités célestes. Je rentrerai à Kamakura et vous écrirai à Kyoto. Et si c'est moi qui suis gracié avant vous, de retour à Kamakura, je demanderai aux divinités célestes de vous permettre de retrouver votre ville natale, l'ancienne capitale [Kyoto].

Avec mon profond respect,
Nichiren.

Le 13e jour du 4e mois.

Réponse à Sairen-bo.

ARRIERE-PLAN - Cette lettre fut envoyée à Sairenbo Nichijo le 13e jour du 4e mois de 1272, à Ichinosawa, sur l'île de Sado, alors que Nichiren Daishonin était âgé de cinquante et un ans. Sairenbo, un ancien moine du Tendai, vivait aussi en exil à Sado. D'après les lettres que Nichiren Daishonin lui a envoyées, il apparaît que Sairenbo avait une bonne connaissance des enseignements bouddhiques. Une fois gracié par le gouvernement, Nichiren Daishonin quitta Sado pour se rendre ensuite au Mont Minobu. Peu après, Sairenbô fut à son tour gracié et put ainsi revenir à Kyoto, sa ville natale. Il reçut bon nombre d'écrits importants de Nichiren Daishonin, parmi lesquels " L'héritage ultime du Dharma de la vie " et " La véritable entité de la vie ". (Commentaire ACEP)

En anglais : Reply to Sairen-bo

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=309&m=1&q=Sairen-bo
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_ReplySairenbo.htm

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