Grandes lignes du bouddhisme Ryuei Michael McCormick |
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Les renseignements les plus directs sur la vie et l’enseignement du Bouddha historique Shakyamuni ainsi que sur ses disciples se trouvent dans le canon pali de l’école Theravada et dans les agamas - traduction du canon sarvastivadin. L’école Sarvastivada, un des grands courant du bouddhisme indien, a disparu au XIIème siècle. Les agamas ont pour la plupart été traduits en anglais [et en français]. Le canon pali est appelé ainsi, car il est rédigé en pali, dialecte assez proche de celui qui était parlé dans le Magadha et dans lequel s’exprimait probablement le Bouddha. Les termes pali sont légèrement différents du sanskrit des sutras mahayana et de ceux utilisés par la majorité des bouddhistes occidentaux. Par exemple, les mots comme nirvana, dharma, sutra se disent nibbana, dhamma, sutta en pali. En dehors des commentaires sur le canon pali, j’utiliserai les termes sanskrits car ils sont plus largement connus. On n’oubliera pas pour autant que dans le canon pali les termes sont différents. Il existe une convergence notable entre le canon pali et les agamas en ce qui concerne les Quatre Nobles Vérités, l’Octuple Noble Chemin, la Production conditionnée, les Trente-sept aides pour atteindre la Voie, de même qu’une identité significative dans les vinayas, préceptes pour les moines et les nonnes. Ces textes constituent le fond commun de toutes les écoles du bouddhisme, y compris le Mahayana et le Vajrayana. Le canon pali complet s’intitule Tipitaka en pali et Tripitaka en sanskrit
(trois corbeilles), car il est composé de trois sections principales appelées
« corbeilles » : II. Le Vinaya-pitaka (La corbeille de la discipline) est un recueil de règles
monastiques avec des commentaires et le récit des circonstances dans lesquelles
elles ont vu le jour. Il est subdivisé comme suit : III. L’Abhidharma est une analyse systématique des enseignements des sutras
et des vinayas. Cette énorme quantité de textes constitue à elle seule une bibliothèque. L’Abhidharma et les grandes sections du Vinaya sont des lectures arides. Même les sutras peuvent être très techniques et répétitifs. Et pourtant d’innombrables pierres précieuses se trouvent dans toutes les parties du canon pali. L’ensemble présente une vision du monde unique et un aperçu du mode de vie enseignée par le Bouddha Shakyamuni. Avant de passer aux sutras mahayana, il est nécessaire de rappeler quelques points sur la tradition orale à la base de tous ces sutras. Après la mort du Bouddha (Ve ou IVe siècle avant notre ère), cinq-cents de ses disciples, parvenus à l’Éveil, se seraient réunis et auraient récité les sutras et les vinayas. Ananda, l’assistant du Bouddha, aurait récité tous les sutras qu’il avait entendus. C’est pourquoi tous les sutras commencent par les mots d’Ananda «Ainsi l’ai-je entendu ». Upali, connu pour son observance scrupuleuse des préceptes, aurait récité les vinayas. Tous les moines auraient approuvé ce qui avait été récité par Ananda et Upali. Toutefois le Vinaya fait état d’autres moines parvenus à l’Éveil, des arhats, qui n’auraient pas assisté à ce rassemblement et qui se rappelèrent autrement les sutras et les vinayas. Il est donc admis que les souvenirs peuvent être différents. Quoi qu’il en soit, la récitation des sutras et des vinayas devint une tradition orale et ce n’est qu’au Ier siècle avant notre ère que le canon pali a été fixé par écrit au Sri Lanka. C’est à peu près à la même époque que les premiers sutras mahayana ont été rédigés en sanskrit. A ce moment, il existait déjà au sein de la communauté monastique des divergences à propos des variantes dans les préceptes adoptés par les sanghas régionaux. Il y avait également différents courants de pensée concernant l’Abhidharma, la troisième corbeille qui systématisait les enseignements des sutras. De là est né le courant le plus conservateur, le bouddhisme Theravada (Véhicule des Anciens) qui est encore pratiqué au Sri Lanka et dans l’Asie du Sud-Est. Il suit exclusivement le canon pali et ne reconnaît pas les sutras Mahayana. Les partisans du Mahayana ont cependant commencé à fixer par écrit leurs propres sutras qui, critiquaient, à biens des égards, ce qu’ils considéraient comme une spiritualité naïve et auto-complaisante des érudits de l’Abhidharma. Ils appelèrent leur propre courant Mahayana (Grand Véhicule), estimant qu’il était plus important de devenir bodhisattva qu’arhat (sage libéré des naissances/morts). Le bodhisattva est un être de compassion qui reste délibérément dans ce monde des naissances/morts afin de sauver les autres par l’enseignement du Dharma. La voie du bodhisattva est comme un « grand véhicule », car il vise à transporter tous les êtres jusqu’à l’Éveil, sans laisser quiconque derrière soi. Ils donnèrent le nom péjoratif de Hinayana ou « Petit Véhicule » au courant de leurs adversaires les plus conservateurs, pour qui l’Éveil ne pouvait être achevé qu’individuellement par des efforts personnels et sans aucune aide. Il faut noter que dans les pays comme le Tibet, la Chine et le Japon, les bouddhistes se considèrent comme appartenant au Mahayana, mais les Theravadins seraient en droit de se sentir offusqués d’être appelés « Petit Véhicule ». En fait, la distinction entre Mahayana et Hinayana n’est faite qu’au sein du Mahayana et se rapporte plus à des mentalités qu’à des écoles ou des individus. Les moines mahayana sont également à l’origine de pratiques dévotionnelles dédiées au Bouddha et inspirées par les récits de mérites transférés au peuple par des bouddhas ou des bodhisattvas ; ils mènent les autres, après leur mort, vers leurs Terres Pures. Ces pratiques répondent à l’aspiration des laïcs à s’impliquer dans le culte des reliques et des stupas. La dévotion et la vénération se portaient également sur les sutras réputés posséder un pouvoir mystique de protection et de chance, ou même de mener à la bodhéité par la simple vénération. De nos jours, les sutras mahayana ne sont pas considérés obligatoirement comme les paroles littérales du Bouddha historique. Et de fait ce n’est pas toujours le Bouddha historique qui prononce ces enseignements. Mais les mahanasites estiment que ces sutras expriment mieux le cœur et l’esprit du Bouddha par l’utilisation de mythes, de poésie et de paradoxes, que ne le font le canon pali et les agamas qui présentent de façon plus dépouillée ce qu’a fait ou dit le Bouddha. L’exubérance dévotionnelle et les idées paradoxales des bouddhismes du Tibet et de l’Est asiatique ont leur source dans les sutras mahayana. Le courant mahayana n’a, sans doute, jamais été très répandu en Inde et le bouddhisme, dans son ensemble, disparut de l’Inde au XIIe siècle pour diverses raisons historiques, dont le déferlement de l’islam. Mais c’est la version mahayana qui fut propagée avec succès en Chine, en Corée, au Japon et probablement au Tibet. Actuellement, les enseignements de base sur lesquels s’accordent tous les
mahayanistes sont contenus dans le Tripitaka tel qu’il est consigné dans
le canon pali et / ou dans les agamas. Mais le Mahayana comprend également
: Il existe cependant beaucoup de sutras mahayana. En Chine, de nombreuses écoles monastiques se sont consacrées à l’étude et la pratique de différents sutras selon leurs centres d’intérêt et leurs aspirations. Ce sont ces écoles qui ont été introduites au Japon. Voici un bref résumé des principaux courants. L’école Tiantai (Tendai au Japon) considère le Sutra du Lotus comme l’enseignement suprême mais étudie également la philosophie de la vacuité des sutras de La Perfection de la sagesse (Prajnaparamita, Hannya). La pratique essentielle de cette école est la méditation shi kan (arrêt samatha et examen-introspection, vipassana ) mais comprend également la récitation mantraïque du nom du bouddha Amitabha ainsi que divers rites dévotionnels. L’école Huayan (Kegon* au Japon) considère comme enseignement suprême le Sutra de la Guirlande des Fleurs (Avatamsaka, Kegon). Elle se consacre également à la méditation et aux mantras. Un de ses premiers patriarches était en même temps Maître Zen, si bien que pendant longtemps il existait une grande proximité entre les enseignements théoriques Huayan et la pratique des écoles Zen, particulièrement en Chine et en Corée. L’école Zhenyan (Shingon au Japon) suit les pratiques ésotériques (tantriques) du bouddhisme Vajrayana primitif. Elle a disparu de Chine mais reste très puissante au Japon. Ces écoles ont pratiquement disparu en Chine après les persécutions de l'empereur Wu au IXème siècle. Elles dépendaient trop des grands monastères et des érudits et n’ont jamais pénétré dans les couches populaires. Elles ont toutefois laissé un riche héritage de réflexions novatrices dans les domaines de l’étude et la pratique du bouddhisme mahayana de l’Inde, et leurs commentaires n’ont rien perdu de leur actualité. Alors qu’est ce qui subsiste en Chine et que peut-on trouver aujourd’hui dans un temple chinois ? Deux autres écoles du bouddhisme chinois ont survécu aux persécutions du IXème siècle. Elles n’avaient pas besoin de grands monastères, d’un nombreux clergé, de ressources cérémonielles. Ces deux écoles avaient une plus large audience populaire, ou du moins ils en étaient une amorce. Le bouddhisme de la Terre Pure accorde la suprématie au Sutra de la Terre Pure dans lequel le Bouddha Amitabha (Bouddha de la Lumière et de la Vie Infinie) formule une série de vœux pour créer une Terre parfaite où ceux qui invoquent son nom peuvent renaître et où ils peuvent atteindre la bodhéité. Ce salut par la foi en un bouddha est le bouddhisme le plus répandu et le plus populaire dans l’Asie de l’Est. On trouve sa forme la plus extrême au Japon, mais nous en reparlerons plus loin. Le Chan (Zen au Japon, Son en Corée) est le bouddhisme le plus connu en Occident. C’est le bouddhisme de la légende de Bodhidharma, Huineng et d’autres. Actuellement il en existe deux branches. Le Caodong (Soto au Japon) met l’accent sur la pratique de la méditation sereine connue aussi comme zazen (pratique assise) et shikantaza (juste s'asseoir). C’est Dogen qui l’enseigna au Japon au XIIIe siècle. Le Lin-ji (Rinzai au Japon) pratique les koans (littéralement ‘cas de jurisprudence’), anecdotes ou énigmes apparemment dénuées de sens, utilisées pour aider le pratiquant à déclencher l’Éveil. Cette tradition doit beaucoup à Hakuin, moine japonais des XVII-XVIII siècles. En Chine, en Corée et au Vietnam c’est la branche Lin-ji qui est la plus représentée. Au Japon c’est la branche Soto qui compte le plus d’adeptes mais l’école Rinzai a une forte influence culturelle malgré un nombre d’adhérents plus réduit. Au Japon, les écoles de la Terre Pure et du Zen sont très distinctes. Alors que sur le continent, en Chine, en Corée et au Vietnam les deux courants sont enseignés dans les mêmes monastères par les mêmes maîtres. Les deux ont été depuis longtemps mélangés et harmonisés. Ainsi, dans un temple chinois, on trouve surtout des laïcs pratiquant la Terre Pure, tout comme les moines et les nonnes, mais ceux-ci suivent également les préceptes vinayas, étudient la philosophie du Tiantai et du Huayan, en ajoutant un peu d’ésotérisme Zhenyan. Les laïcs et les moines parfaitement ordonnés pratiquent également le Zen. Le bouddhisme pénétra au Japon au VIème siècle. On appelle les premiers
centres bouddhiques les “Six écoles des Nara”, la capitale du Japon à cette
époque. C’étaient les écoles suivantes : Au VIIIe siècle apparurent deux nouvelles écoles. A la fin du XIIe et au XIIIe siècle, sous le patronage de l’aristocratie, les écoles Tendai et Shingon devinrent des religions officielles, les autres écoles leur étant subordonnées et cantonnés dans des études théoriques. Cela ne correspondait pas à la demande des masses qui avaient besoin de pratiques simples et faciles convenant aux guerriers (samouraïs) très occupés et aux paysans encore plus occupés et illettrés. C’est ce vide que vinrent combler les réformateurs de Kamakura : Honen, Shinran, Dogen, Nichiren et d’autres. Honen développa le mouvement de la Terre Pure (Jodo shu) au Japon en enseignant qu’il suffisait de réciter Namu Amida Butsu (Dévotion au Bouddha Amitabha) pour renaître dans la Terre Pure et que tous les autres enseignements et pratiques étaient superflus et faisaient obstacle à la récitation du nembutsu (mantra du nom du Bouddha). Cet enseignement exclusif fut désapprouvé par l’école Tendai et le shogunat, et Honen ainsi que plusieurs de ses disciples furent exilés (deux d’entre eux furent même exécutés pour différentes infractions). Mais ce mouvement devint si populaire que même d’autres écoles s’en inspirèrent et adoptèrent la pratique du nembutsu.
Dogen fonda l’école Soto, appelée également Zen Soto (bien que Dogen était vigoureusement opposé au nom même de Zen !). Dogen avait étudié le bouddhisme sous la direction de Maître Rujing en Chine. Il n’a pas, à proprement parler, enseigné une nouvelle forme de bouddhisme. Mais pour lui, la pratique du nembutsu était juste un peu mieux que « le coassement de grenouilles dans un étang » et il supportait mal la scolastique et le ritualisme des autres écoles. En même temps, il condamna les autres maîtres Zen pour leur anti-intellectualisme et leur négligence des sutras ainsi que pour leur laxisme, alors qu’avec son Maître en Chine, lui-même avait fait l’expérience d’une vie de discipline. Nichiren était un moine tendai pour qui les problèmes du Japon venaient
de ce que le peuple avait négligé le Sutra du Lotus et les enseignements
originels de l’école Tiantai. Il a d’abord cherché à réformer le Tendai le faisant revenir à la doctrine de départ mais s’est rapidement rendu compte
que la portée du Sutra du Lotus était beaucoup plus vaste que celle qui
avait inspiré le Tiantai traditionnel. Selon lui, il avait reçu de Shakyamuni
la mission de révéler la profondeur de ce sutra. Son enseignement est axé
sur la mise en pratique directe du Sutra du Lotus par la foi et la récitation
de Namu Myoho Renge Kyo (Dévotion au Sutra du Dharma Merveilleux de la Fleur
du Lotus). C’était pour Nichiren le moyen pour concilier la simplicité du
courant de la Terre Pure et la véritable intention du Bouddha Shakyamuni
contenue seulement dans le Sutra du Lotus, car il révèle : Ces différentes écoles s’excluaient mutuellement, idéologiquement et cultuellement. Cependant ces deniers temps, les adeptes de ces mouvements se sont aperçus du tort qu’ils causaient au Dharma par leurs débats polémiques et que chaque école et leurs fondateurs avaient des valeurs dignes d’une écoute respectueuse. J’ai pu ainsi faire l’expérience avec des croyants des écoles bouddhiques américaines et leurs analogues japonais d’un désir d’apprendre et de partager les uns avec les autres. Le bouddhisme pénétra au Tibet beaucoup plus tard qu’en Asie de l’Est. Alors qu’il serait arrivé en Chine au Ier siècle et au Japon au VIème, le Tibet ne reçut le bouddhisme indien qu’au IXème siècle. Entre le VIème et le IXème siècle l’Inde connut l’essor du tantrisme Vajrayana à l’intérieur du courant mahayana. Les mandalas de visualisation, les mantras, les mudras (gestes manuels symboliques) faisaient désormais partie des cérémonies auxquelles on accédait par initiation et censées conduire les disciples plus rapidement à l’Éveil. Par ailleurs, la pensée bouddhique s’était développée grâce aux enseignements de Nagarjuna sur la vacuité, puis grâce aux travaux de ses successeurs sur d’autres points obscurs. Ces pratiques tantriques et les théories dialectiques hautement sophistiquées furent transmises au Tibet par des maîtres comme Atisa, Padmasambhava et d’autres. Ces enseignements se sont mélangés et fusionnés avec le Bon, la tradition shamanique autochtone. Le courant indien tantrique évita l’Asie de l’Est qui continua à développer ses propres traditions bouddhiques, sans qu’on ait à les juger supérieures ou inférieures aux transmissions indiennes tardives. Les bouddhistes tibétains créèrent quatre écoles distinctes. Au XIXème siècle, est né le mouvement Rime, une tentative de plusieurs moines
de diverses traditions pour créer un esprit plus œcuménique, arrêtant les
discordes et essayant d’apprendre les uns des autres. Le Dalai Lama actuel
soutient ce mouvement. |
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