Au moment où
j'allais être décapité, l'Honoré du monde [le
Bouddha Shakyamuni] a mis sa tête à la place de la mienne.
Ce qui se produisit par le passé se produit de même à
présent.
La suprématie du Dharma (Minobu, 4 août 1275, à Oto, fille de Nichimyo)
Alors que le gouvernement du Régent ne savait quelle décision prendre, des moines du Jodo,
du Ritsu, du Shingon et d'autres écoles, comprenant que leur sagesse était insuffisante
pour vaincre Nichiren dans un débat religieux, envoyèrent
des pétitions au gouvernement. Voyant que celles-ci restaient sans
effet, ils se rendirent auprès des femmes et des veuves des hauts
dignitaires pour me dénigrer. Ces femmes rapportèrent leurs
calomnies aux autorités en disant : "D'après certains
moines, Nichiren a déclaré que les défunts régents Hojo
Tokiyori
et Hojo Shigetoki sont tombés dans l'enfer des souffrances
incessantes ; il a dit qu'il faudrait brûler les temples Kencho-jo ; Jufuku-ji,
Gokuraku-ji,
Choraku-ji et Daibutsu-ji,
et que des grands patriarches comme Doryu
et Ryokan devraient être décapités.
Ses déclarations prouvent qu'il est coupable de tout ce dont on
l'accuse. Et puisque le conseil suprême de la régence n'a
pu encore décider de sa punition, il faudrait le faire venir pour
qu'il confirme s'il a bel et bien fait de telles déclarations."
C'est ainsi que je fus appelé à comparaître en justice.
Au tribunal, le magistrat dit : "Telles sont les paroles rapportées
au Régent. Les avez-vous oui ou non prononcées ? "
Je répondis : "Ce sont bien les mots que j'ai prononcés,
exceptée l'affirmation que les défunts régents Hojo
Tokiyori
et Hojo Shigetoki sont tombés en enfer. Mais j'ai indéniablement dénoncé
les hérésies des écoles auxquelles ils adhéraient
de leur vivant. Si j'ai parlé ainsi, c'est parce que je me préoccupe
de l'avenir du pays ; si vous désirez assurer la paix et la sécurité
en ce pays, il est urgent que vous ordonniez aux moines des autres écoles
de tenir un débat en votre présence.
[...] Dans la nuit du douzième jour du neuvième mois de
la huitième année de Bun'ei (12 septembre 1271), je fus officiellement condamné. La façon
dont on m'arrêta fut inhabituelle et illégale, encore plus
abusive que l'arrestation de Ryoken et du
moine Ryoko qui s'étaient réellement
rebellés contre le gouvernement. Le général Hei
no Saemon vint m'arrêter, à la tête de centaines
de soldats en cuirasse. Sous le heaume que portent les nobles de la cour,
le général avait un regard terrible et parlait d'une voix
furieuse.
[...] Comprenant immédiatement les implications funestes de cet
événement, j'ai pensé : "Je m'attendais à
ce qu'un événement de ce genre se produise tôt ou
tard ! Quelle chance pour moi que d'offrir ma vie au Sutra du Lotus ! Si je dois perdre cette pauvre tête pour devenir Bouddha, ce sera
comme si j'échangeais du sable contre de l'or ou du gravier contre
des pierres précieuses ! "
Shofu-bo, principal auxiliaire d'Hei
no Saemon,
bondit en avant, prit le cinquième rouleau du Sutra du Lotus à l'intérieur même de ma robe et m'en frappa trois
fois au visage puis le jeta à terre. Les soldats s'emparèrent
des neuf autres rouleaux du Sutra, les déroulèrent, les
piétinèrent ou se les enroulèrent autour du corps,
les éparpillant sur le sol de bois et les tatamis jusqu'à
ce qu'ils jonchent les quatre coins de la pièce.
Je m'exclamai alors d'une voix sonore : "Voyez de quelle manière
démente Hei
no Saemon se conduit ! Vous tous venez de faire tomber le pilier du Japon ! "
Au son de ma voix, les soldats présents furent saisis d'étonnement.
Quand ils me virent affronter sans aucune crainte les redoutables représentants
du Dharma, ils durent comprendre qu'ils étaient dans l'erreur car
ils devinrent livides.
De la même manière que je l'avais fait le 10, au tribunal,
ce soir-là, le 12, j'exposai en détail à Hei
no Saemon les hérésies des écoles Shingon,
Zen et Jodo,
ainsi que l'incapacité de Ryokan de faire tomber la pluie par ses prières. [...]. Lorsque je lui
rapportai ces faits, Hei
no Saemon essaya de défendre Ryokan,
mais en vain. Finalement, il ne fut plus capable de dire un seul mot.
Dans cette nuit du 12, je fus placé sous la garde de Hojo
Nobotuki, le seigneur de la province de Musachi
et, aux alentours de minuit, on vint me chercher pour me décapiter.
En arrivant dans l'avenue Wakamiya
(note),
je regardai la foule des soldats qui m'entouraient et leur dis : "Ne
craignez rien, je n'ai pas l'intention de vous créer des ennuis.
Je veux seulement dire mes derniers mots au bodhisattva Hachiman".
Je descendis de cheval et m'écriai : "Bodhisattva Hachiman,
es-tu donc vraiment une divinité ? quand Wake
no Kiyomoro allait être décapité, tu as pris
la forme d'une lune de dix pieds de large. Quand le Grand-maître Saicho exposait le Sutra du
Lotus, tu lui as fait don d'un surplis pourpre. Moi Nichiren, je
suis le plus grand pratiquant du Sutra du Lotus au Japon et je
ne suis coupable d'aucun crime. J'ai exposé le Dharma pour éviter
à tous les êtes de tomber dans l'enfer des souffrances incessantes
auquel les condamne leur opposition au Sutra du Lotus. D'ailleurs,
si le grand empire mongol attaque ce pays, comment les divinités
bouddhiques comme Tensho
Daijin*
et Hachiman pourraient-elles êtres épargnées ? quand le Bouddha
Shakyamuni enseigna le Sutra du Lotus, le bouddha Taho,
et de nombreux autres bouddhas et bodhisattvas apparurent, brillant comme
autant de soleils, de lunes, d'étoiles et de miroirs. En présence
des innombrables bouddhas et dieux de l'Inde, de la Chine et du Japon,
le vénérable Bouddha demanda à chacun d'eux de faire
serment d'assurer au pratiquant du Sutra du Lotus une protection
constante. Et chacune d'entre vous, divinités bouddhiques, avez
prêté ce serment. Je ne devrais pas avoir besoin de vous
le rappeler. Pourquoi n'êtes-vous pas ici, maintenant que le moment
est venu d'honorer votre promesse solennelle ? " Pour finir j'ai
crié : "Si je dois être exécuté ce soir
et accéder à la Terre
pure du
Pic du Vautour, je rapporterai
immédiatement au Bouddha Shakyamuni que Tensho
Daijin*
et Hachiman ont trahi la promesse qu'ils lui avaient faite. Si cela vous semble insupportable,
vous feriez mieux d'agir sans tarder ! " Puis, ayant dit ce que j'avais
à dire, je suis remonté à cheval.
Alors que le cortège passait à la hauteur du sanctuaire
de la plage de Yuinohama,
j'ai parlé à nouveau : "Arrêtez-vous un instant,
messieurs, j'ai un message à faire porter à quelqu'un qui
vit près d'ici.".
Un garçon du nom de Kumao fut envoyé
chez Shijo Kingo qui vint me
rejoindre en toute hâte. Je lui dis : "Ce soir, je marche vers
mon exécution. Cela correspond à un voeu que je fais depuis
de nombreuses années. En ce monde, on voit des faisans qui ne sont
nés que pour être capturés par des aigles, on voit
des souris naître pour devenir seulement la proie des chats. On
voit aussi des hommes naître et perdre la vie en essayant de venger
le meurtre de leur femme et de leurs enfants. De tels faits se sont produits
plus souvent qu'il n'y a de grains de poussières sur la terre.
Mais jusqu'à présent, personne n'a perdu la vie pour défendre
le Sutra du Lotus. Moi-même je suis né pour devenir
un pauvre moine, incapable de m'acquitter pleinement de ma dette de reconnaissance
envers mes parents et mon pays. Maintenant, je suis prêt à
offrir ma tête au Sutra du Lotus et à partager les
bienfaits ainsi obtenus avec mes parents, avec mes disciples et mes adeptes,
exactement comme je vous l'ai toujours promis."
Alors, les quatre frères de Shijo,
prenant les rênes de mon cheval, m'accompagnèrent à
Tatsunokuchi,
dans le district de Koshigoe.
Finalement, nous arrivâmes au lieu que je croyais être celui
de mon exécution. Les soldats s'arrêtèrent et se mirent
à tourner bruyamment autour de moi. Shijo
Kingo, en larmes, me dit : "Voici votre dernière heure
venue.". Je lui répondis : "Quel insensé vous
êtes ! Vous devriez plutôt vous réjouir de cela comme
d'un grand bienfait ! Avez-vous oublié votre promesse ? "
Je n'avais pas plutôt prononcé ces mots qu'un corps céleste
lumineux, aussi brillant que la lune, apparut en direction d'Enoshima,
et traversa rapidement le ciel du sud-est au nord-ouest. C'était
peu avant l'aube, dans la nuit du 12, et il faisait encore trop sombre
pour discerner les traits de qui que ce soit, mais l'objet rayonnant répandit
un tel éclat, comme par une nuit de pleine lune, que je pus voir
le visage de tous ceux qui se trouvaient là. Le bourreau aveuglé
tomba, face contre terre. Les soldats terrifiés, cédèrent
à la panique. Certains s'enfuirent à quelque distance, d'autres
sautèrent de cheval et s'agenouillèrent sur le sol, tandis
que d'autres encore se recroquevillaient sur leur selle. Je m'écriai
: "Approchez ! Pourquoi vous éloignez-vous de ce misérable
prisonnier ? Venez plus près ! Approchez donc ! " Mais
aucun d'eux n'osa le faire. "Et si l'aube arrivait ? Hâtez-vous
de m'exécuter, cela vous sera trop pénible après
le lever du soleil ! " Je continuai à les exhorter ainsi mais
ils ne réagirent pas.
Ils attendirent encore un peu, puis quelqu'un donna l'ordre de me conduire
à Echi, dans cette même province
de Sagami. Je répondis que puisque
aucun de nous ne connaissait le chemin, il nous faudrait un guide. Mais
personne ne voulait ouvrir la marche. Au bout d'un certain temps, un soldat
finit par dire : "C'est dans cette direction."
Nous prîmes cette route et vers midi nous arrivâmes à
Echi. Nous nous rendîmes à la
résidence de Homma Rokurozaemon. Là,
je commandai du saké et en offrit aux soldats. Quand vint pour
eux le moment de partir, certains dirent, en joignant les mains et en
inclinant la tête de la façon la plus respectueuse : "Nous
ne savions absolument pas qui vous étiez. Nous vous détestions
uniquement parce que l'on nous avait dit que vous calomniiez le bouddha Amida que nous vénérons.
Mais maintenant que nous avons vu votre noblesse de nos propres yeux,
nous allons abandonner le Nembutsu que nous pratiquons depuis si longtemps." Certains allèrent
même jusqu'à sortir leur chapelet Nembutsu de son étui et à le jeter au loin. D'autres firent serment
de ne jamais plus pratiquer le Nembutsu.
Après leur départ, ce fut aux hommes de Rokurozaemon
qu'incomba la tâche de me garder. Puis Shijo
Kingo et ses frères s'en allèrent à leur tour.
Sur
le comportement du Bouddha - (Minobu, 1276, à Konichi-ama)
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