Kukai*
écrivit aussi : "Les maîtres bouddhistes de Chine se
sont querellés pour voler le ghee."
Il voulait dire par là que le Grand-maître Zhiyi
et d'autres avaient volé le ghee,
le meilleur de l'enseignement Shingon,
pour en faire le ghee, le meilleur
du Sutra du Lotus. Voilà le point fondamental.
Le Grand-maître Zhiyi utilisa cette comparaison du Sutra du
Lotus au beurre clarifié (ghee)
en s'appuyant sur un passage du Sutra
du Nirvana, et il déclara que parmi tous les sutras,
c'est le Sutra du Lotus qui mérite d'être comparé
au ghee. L'enseignement Shingon
fut introduit d'Inde en Chine deux cents ans ou plus après l'époque
de Zhiyi. Comment alors Zhiyi
aurait-il pu voler le ghee de l'enseignement
Shingon pour en faire le ghee
du Sutra du Lotus ? Affirmer cela, c'est le comble même
de l'absurdité ! Sur la prière
(Sado, 1272 à Sairen-bo)
Dans votre lettre, vous
m'interrogez aussi sur la manière de répondre aux arguments
des adeptes de l'école Shingon.
Demandez-leur d'abord sur quels textes leur Grand-maître Kukai*
s'est appuyé pour qualifier le Sutra du Lotus de "théorie
puérile", et pour dire que le Bouddha Shakyamuni était
"encore au stade de l'obscurité". S'ils vous répondent
en citant un sutra ou un autre, posez-leur la question : "Parmi
tous les bouddhas des trois phases
de la vie, lequel représente le bouddha Vairocana* ? "
Et poursuivez en leur demandant : "Connaissez-vous la supercherie
utilisée par Shubhakarasimha*
et Vajrabodhi* ? "
Expliquez-leur ensuite de quelle manière Shubhakarasimha*
trompa le moine Yixing et lui
fit écrire un commentaire du Sutra
Vairocana*. Bien qu'il
n'y ait pas, dans le Sutra
Vairocana, la plus petite allusion au principe d'ichinen
sanzen, lorsque Shubhakarasimha*
introduisit ce sutra en Chine, il prétendit mensongèrement
qu'il s'y trouvait. Quant à la pire de leurs distorsions, demandez-leur : "Existe-t-il un seul passage, dans l'enseignement de quelque bouddha
que ce soit, parmi tous ceux qui apparurent dans les Trois
phases de la vie, qui autorise à piétiner le front
des bouddhas
(note) ? "
Enseignement,
pratique et preuve (Minobu,
1274 ? à Sammi-bo)
De plus, l'arrogance des
adeptes du Shingon est des milliards
de fois plus grande que celle de Devadatta.
Je vais brièvement décrire l'étrange comportement
de l'école Shingon. Ses
moines réalisent une peinture des Neuf Honorés assis sur
le lotus à huit pétales qui se trouve au centre du mandala
du Monde de la Matrice* (note).
Ensuite, ils montent sur cette peinture, et, en piétinant le
visage des bouddhas, conduisent la cérémonie qu'ils appellent
onction [kanjo]. C'est comme
s'ils foulaient aux pieds le visage de leurs propres parents ou marchaient
sur le front de l'empereur. Des moines de ce genre emplissent le pays,
et tous, du plus noble au plus humble des habitants, les prennent pour
maîtres. Comment, dans ces conditions, le pays ne courrait-il
pas à sa ruine ? Sur les
présages (Minobu,
1275, à Shijo Kingo ? )
Je dénonçai
comme des mensonges les récits du Shingon
qui prétendent que l'objet de pratique, jeté d'un bateau
à la mer par Kukai*
à son retour de Chine, avait été retrouvé
plus tard sur le Mont Koya ; je réfutai
aussi la fable qui prétend qu'il se serait transformé
en bouddha Vairocana*.
[...]
Il est pourtant évident, par exemple, que si l'on prescrit un
traitement sans connaître la cause de la maladie, la condition
du malade ne peut qu'empirer. De même, si l'on autorise les moines
Shingon à essayer de vaincre les Mongols
par des prières et des incantations, il est certain que notre
pays connaîtra la défaite. En aucun cas il ne faut permettre
aux maîtres du Shingon,
ni d'ailleurs à ceux des autres écoles bouddhiques qui
s'y rattachent, d'offrir leurs prières. Ce serait différent
si d'aucuns parmi eux connaissaient le véritable Dharma bouddhique,
mais, en fait, même lorsqu'on le leur enseigne, ils ne le comprennent
pas.
Sur
le comportement du Bouddha (Minobu,
1276, à Konichi-ama)
Shubhakarasimha*
comprit que l'enseignement du Tiantai
était encore supérieur à la description qu'on lui
en avait faite en Inde et qu'il serait très difficile avec les
trois sutras qu'il avait apportés de le dépasser. Aussi,
afin de tromper Yixing, il lui
dit : "Mon bon moine, vous êtes l'un des hommes les plus
intelligents de Chine et l'école Tiantai
possède un enseignement véritablement profond et mystique.
Mais l'école Shingon dont
j'ai apporté les sutras en Chine est supérieure à
l'école Tiantai sur un
point : elle utilise les mudra
et les mantra dharani*."
Yixing pensa que ce n'était
peut-être pas impossible. Shubhakarasimha*
dit alors à Yixing : "De
la même manière que le Grand-maître Zhiyi
écrivit des commentaires
sur le Sutra du Lotus, j'aimerais concevoir des commentaires
sur le Sutra Vairocana* pour propager
l'enseignement de l'école Shingon.
Pourriez-vous les écrire pour moi ? " Yixing
répondit que c'était chose facile. (...) L'acarya
Yixing écrivit tout cela
fidèlement, comme Shubhakarasimha*
le lui avait dicté. L'enseignement
théorique*
du Sutra du Lotus fut adressé à Shariputra
et l'enseignement essentiel*,
à Maitreya. Dans les
360 provinces de Chine, personne ne découvrit ce subterfuge.
Au début, il y eut quelques polémiques sur les mérites
relatifs des écoles Tiantai
et Shingon. Mais Shubhakarasimha*
était une personne qui inspirait un grand respect et les moines
de l'école Tiantai avaient
moins de poids que lui.
[...] Je suppose que c'est parce que, lorsqu'il séjourna en Chine,
il étudia seulement l'enseignement de l'école Shingon,
la pratique des mudra et des mantra
dharani*.
Mais il ne semble pas avoir étudié les aspects théoriques
de la doctrine. De retour au Japon, il découvrit que l'école
Tendai était beaucoup
plus florissante qu'il ne le pensait et en conclut qu'il serait difficile
de propager l'enseignement du Shingon
auquel il était attaché. Par conséquent, il reprit
l'enseignement de l'école Kegon
qu'il avait étudié au Japon avant son départ, et
il commença à affirmer [comme le Kegon
le disait de sa propre doctrine] que l'enseignement du Shingon
était supérieur à celui du Sutra du Lotus.
Mais il comprit que, s'il se contentait de l'affirmer, comme le faisaient
les maîtres de l'école Kegon,
personne ne le croirait. C'est pourquoi il modifia à sa manière
le raisonnement du Kegon
(note) en disant : "Je propage en réalité
la véritable doctrine contenue dans le Sutra
Vairocana*, dans le
Bodaishin Ron du bodhisattva Nagarjuna
et dans l'enseignement du maître du Shingon
Shubhakarasimha*",
consolidant ainsi sa position à grand renfort de mensonges absurdes.
Mais, malgré cela, les moines de l'école Tendai
n'ont pas su fermement le contredire.
[...] Les temples du Mont Hiei [centre de l'école Tendai]
n'auraient pas du avoir de pires ennemis que ceux qui prétendent,
comme on le fait communément au Japon, que l'enseignement du
Shingon est supérieur
à celui du Sutra du Lotus. Mais parce que Ennin*
mit un bâillon sur la bouche des trois mille moines [du Mont Hiei, leur interdisant ainsi de parler], tout se passa comme les
maîtres du Shingon le souhaitaient.
En fait, le To-ji [principal temple
Shingon dans la région
de Kyoto] n'eut pas de meilleur allié que Ennin*.
[...] Mais un moine considéré
comme le plus respectable du Mont Hiei,
Annen, établit, dans son
ouvrage intitulé Kyojijo Ron, une classification des
neuf écoles donnant la première place au Shingon,
la deuxième au Zen, la troisième
à l'école Tendai-Hokke,
la quatrième au Kegon, etc.
A cause de cette redoutable erreur d'interprétation,
l'école Zen parvint à
répandre ses enseignements à travers tout le Japon et
le pays est au bord de la ruine.
[...] Le Grand-maître Saicho
étudia les enseignements
Tendai et Shingon
pendant quinze ans au Japon, par lui-même. Il possédait
de manière innée des capacités de compréhension
merveilleuses, et, sans l'aide d'un maître, s'éveilla à
la vérité. Mais, pour dissiper les doutes des autres,
il se rendit en Chine où il reçut l'enseignement des écoles
Tiantai et Shingon. Les maîtres,
en Chine, avaient à cet égard diverses opinions mais,
dans son coeur, Saicho
était certain que
l'enseignement du Sutra du Lotus était supérieur
au Shingon. C'est pourquoi il
n'utilisa jamais le terme "école" pour se référer
au Shingon, parlant seulement
des "pratiques shikan et
"paroles véritables"
[Shingon] de l'école Tendai".
Il décida que, chaque année, seraient ordonnés
deux novices qui devraient étudier pendant douze ans au Mont Hiei. De plus, il obtint que fut promulgué un édit impérial
désignant le Sutra du Lotus, le Sutra Konkomyo*
et le Sutra Ninno* comme
les trois sutras destinés à assurer la protection et la
prospérité du pays, et décrétant qu'ils
devaient être lus et récités au Shikan-in.
[...] L'enseignement ésotérique, à son tour, se
divise en deux catégories. La première est celle de l'enseignement
théorique*,
qui comprend les sutras Kegon*,
Hannya*,
Vimalakirti,
du le Sutra du Lotus et du Nirvana.
Bien qu'ils enseignent l'inséparabilité des vérités
profanes et de la vérité suprême du bouddhisme,
ils n'enseignent pas les mudra
et les mantra dharani*.
La deuxième catégorie est celle de l'enseignement ésotérique
à la fois la pratique et théorique. Ce sont les principes
que l'on trouve dans les sutras Vairocana*, Kongocho* et Soshitsuji*.
Ils enseignent la non-dualité des vérités profanes
et bouddhiques ainsi que les mantra
dharani*
et les mudra." Ce passage
signifie essentiellement que, pour ce qui est de la supériorité
relative du Sutra du Lotus, les trois
sutras du Shingon mentionnés plus haut sont théoriquement
en accord, puisqu'elle réside dans le principe d'ichinen
sanzen. Mais la pratique des mudra
et des mantra dharani*
n'est pas exposée dans le Sutra du Lotus. C'est pourquoi
le Sutra du Lotus représente l'enseignement ésotérique théorique, alors que les trois sutras du Shingon
représentent l'enseignement ésotérique à
la fois théorique et pratique. Ces deux enseignements sont donc
aussi différents que le ciel de la terre ou que les nuages de
la boue.
[...] En réalisant que l'erreur de Ennin*
découle de l'interprétation qu'il donne de son rêve.
Il fit ce rêve après avoir établi, dans ses commentaires,
que l'enseignement du Shingon
était supérieur à celui du Sutra du Lotus.
Si ce rêve avait été un rêve de bon augure,
comme Ennin*
lui-même le prétendit, nous pourrions en conclure que l'enseignement
du Shingon est effectivement
supérieur. Mais le rêve de transpercer d'une flèche
le soleil est-il donc un rêve de bon augure ? [...] Si les forces japonaises et mongoles s'étaient livré
bataille, si les prières des maîtres du Shingon
avaient prouvé leur efficacité, et si le Japon avait remporté
la victoire grâce à elles, on pourrait alors dire que le
Shingon est précieux.
[...] Aucune autre doctrine ne surpasse cet enseignement [du Sutra
du Lotus], grande lanterne qui illumine la longue nuit des souffrances
de la vie et de la mort, épée
acérée qui tranche la racine de l'obscurité
fondamentale inhérente à la vie. Les enseignements
des écoles Shingon et
Kegon entrent dans la catégorie
de zuitai. Ils sont par conséquent
faciles à croire et faciles à comprendre puisque le Bouddha
les exposa en tenant compte des capacités ou des désirs
des personnes dans les Neuf états,
tout comme un père sage instruirait son enfant ignorant [de la
manière la mieux adaptée à ses facultés
de compréhension]. Par ailleurs, on appelle zuiriki
l'enseignement que le Bouddha exposa en puisant directement dans son
état de Bouddha, de la même manière qu'un père
sage guide son enfant ignorant vers la compréhension à
laquelle il est lui-même parvenu.
Le choix en
fonction du temps
(Minobu,
10 juin 1275 ; adressé à Yui)
L’école Shingon, non seulement s’est
éloignée de la vérité, mais leurs [ses]
voix ont été extrêmement injustes. Ils ont caché
profondément leurs racines, de sorte que ceux qui ont une intelligence
superficielle ne pouvaient pas les distinguer. Ils ont trompé
les gens pendant longtemps. Tout d’abord, il n’y a pas d’école Shingon en Inde, mais l’école Shingon du Japon prétend
qu’il y en a une dans ce pays. Où est la preuve ? Le Sutra Vairocana*, qui est
le sutra cardinal pour l’école Shingon,
est venu de l’extérieur ici au Japon. En comparaison avec
le Sutra Vairocana*, le Sutra
du Lotus l’emporte sur le Sutra
Vairocana* sur sept
points. Comme les preuves se trouvent dans les deux sutras, je ne vais
pas en faire un commentaire. L’école Shingon prétend que le Sutra
Vairocana* est supérieur
au Sutra du Lotus par deux ou trois facteurs. Cependant c’est
une idée absurde et erronée.
[...] Moi [Nichiren], je suis arrivé à la conclusion,
après avoir ré-examiné cet incident, que le camp
de la cour impériale a perdu la guerre parce qu’ils ont
adressé des prières selon les principes de l’école Shingon qui sont erronés,
mensongers et déviés. Même s’il n’y
avait eu qu’une personne pour offrir une prière à
une loi aussi peu fiable, cette prière pourrait causer un tel
désastre que même une nation pourrait être ruinée
– à plus forte raison quand le dirigeant adresse des prières,
à l’unisson avec 300 moines, au Dharma de l’école Shingon qui considère
le Sutra du Lotus comme son plus grand ennemi ! C’était
une conséquence inévitable que le camp de la cour impériale
ait été battu. [...] Les années passant, les enseignements
erronés de l’école Shingon qui ont causé la catastrophe, se sont progressivement répandus
dans la région de Kanto, où les moines du Shingon,
devenus des administrateurs de grands temples, ont commencé à
propager leur enseignements erronés. Dans cette région,
la plupart des gens qui sont issus de samouraïs rustres n’ont ni la connaissance, ni la capacité pour comprendre
la différence entre enseignements véritables et enseignements
faux, mais ils croient simplement que les Trois
trésors, - le Bouddha, le Dharma et le Sangha, devraient être
respectés. Ainsi, ils sont devenus naïvement des fidèles
de l’école Shingon. [...] La chute des Heike et
la guerre civile de la période de Jokyu
sont la preuve que la croyance en la fausse loi de l’école
Shingon a mené [son adepte]
à sa perte.
Honzonmondosho ( Minobu, septembre 1278
à Joken-bo)