Mise en garde contre l'attachement à son domaine

(Mise en garde contre l'attachement à son fief)

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 4, p. 321; SG* p. 830.
Gosho Zenshu p. 1163 - Shijo Kingo Dono Gohenji

Minobu, juillet 1277, à Shijo Kingo

Votre lettre, datée du 25 du mois dernier, est arrivée ici le 27 de ce mois, à l'heure du coq*. A la lecture de la lettre de votre seigneur [exigeant que vous vous engagiez par écrit à renier votre foi dans le Sutra du Lotus] et de celle dans laquelle vous faites serment de ne jamais écrire une telle renonciation, j'ai l'impression qu'il est aussi rare de rencontrer une détermination comme la vôtre que d'assister à l'éclosion d'une fleur udumbara ou de respirer le parfum d'un bourgeon de santal rouge.

Shariputra, Maudgalyayana, Mahakashyapa étaient de grands arhats ayant acquis les trois formes de clairvoyance et les six pouvoirs mystiques. De plus, ils étaient des bodhisattvas qui, en écoutant le Sutra du Lotus, étaient parvenus à la première* des dix étapes de développement* et à la première* des dix étapes de sécurité*, où l'on perçoit que rien ne naît ni ne s'éteint. Pourtant, même eux se sentirent incapables d'endurer les grandes persécutions qui attendent celui qui propage le Sutra du Lotus dans ce monde Saha à l'époque des Derniers jours du Dharma, et reculèrent devant cette tâche. A plus forte raison, comment un simple mortel n'ayant pas encore éliminé les trois catégories d'illusions, à l'époque des Derniers jours du Dharma, pourrait-il devenir pratiquant de ce Sutra ?

Même si moi, Nichiren, j'ai pu endurer des attaques à coups de canne et de bâton, de tuiles et de pierres, des calomnies et des persécutions des autorités, comment des laïcs qui ont femme et enfants et qui ignorent le bouddhisme pourraient-ils faire de même  ? Il aurait parfois mieux valu pour eux qu'ils n'aient jamais eu foi dans le Sutra du Lotus. S'ils ne parviennent pas à conserver jusqu'au bout leur croyance, n'ayant qu'une foi éphémère, ils deviendront un objet de risée pour les autres. En pensant à cela, j'ai éprouvé des regrets pour vous. Mais, aux moments où j'ai subi des persécutions répétées, aussi bien que tout au long des deux peines d'exil [voir Izu et Sado] auxquelles j'ai été condamné, vous avez gardé une foi inébranlable. C'était déjà en soi assez extraordinaire, mais, maintenant, en dépit des menaces [de votre seigneur], vous vous êtes engagé par écrit à persévérer dans la foi du Sutra du Lotus, même si vous deviez pour cela perdre vos deux domaines. Je ne trouve pas les mots pour exprimer mon admiration.

Le Bouddha Shakyamuni se demandait si même les bodhisattvas Fugen et Manjushri auraient la force de propager le Sutra du Lotus à l'époque des Derniers jours du Dharma. C'est pourquoi il a confié les cinq caractère de Myo Ho Ren Ge Kyo à Jogyo et aux trois autres guides de la multitude des bodhisattvas Surgis-de-Terre. Quand je réfléchis à tout cela, je me demande si ce n'est pas le bodhisattva Jogyo qui est entré dans votre corps, afin de m'aider, moi Nichiren, dans la propagation. Ou peut-être est-ce un effet de la bienveillance du Bouddha Shakyamuni.

Le fait que vous ayez de plus en plus d'ennemis au sein du clan Ema est sûrement dû aux intrigues de Ryokan et de Ryuzo. Si vous faisiez serment par écrit de renier votre foi, leur troupe n'en deviendrait que plus arrogante et ils en répandraient partout la nouvelle. Alors, tous mes disciples de Kamakura seraient pourchassés jusqu'à ce qu'il n'en reste plus un seul.

Il est dans la nature des simples mortels de ne pas savoir ce qui leur adviendra dans le futur. Ceux qui le savent précisément sont appelés des saints et des sages. Sans parler d'événements d'un passé lointain, je n'en citerai qu'un, proche de nous. Le seigneur Hojo Yoshimasa a abandonné ses deux domaines pour devenir nyudo. On m'apprend qu'il a finalement abandonné toutes ses terres, quitté ses fils, ses filles et sa femme, et s'est retiré du monde. Vous n'avez ni fils ni frère sur qui vous puissiez compter. Vous avez seulement un domaine en deux lieux différents. La vie est aussi fugace qu'un rêve, personne ne sait s'il sera encore en vie demain. Même si l'on doit devenir le plus misérable des mendiants, il ne faut jamais déshonorer le Sutra du Lotus. C'est pourquoi, dans le peu de temps que l'on a à vivre, il est inutile de se plaindre de son sort. Il vaut mieux, comme vous le faites vous-même en formulant par écrit votre serment, agir et parler sans la moindre trace de flatterie. Avec courbettes et flatteries, la situation ne fera qu'empirer. Même si votre domaine est confisqué et si vous en êtes expulsé, considérez cela comme une protection des dix Filles-démones. Renforcez votre croyance et faites entièrement confiance aux divinités bouddhiques.

Si moi, Nichiren, au lieu d'être exilé, j'étais resté à Kamakura, j'aurais très certainement été tué au cours de la bataille. C'est peut-être la bienveillance du Bouddha Shakyamuni qui vous a éloigné de votre seigneur, parce qu'il n'était pas bon pour vous de vous trouver là.

J'ai écrit une pétition en votre nom [que vous devriez remettre à votre seigneur] (voir la lettre). Il y a plusieurs moines [qui sont mes disciples à Kamakura] mais, comme il est difficile de compter sur eux, je pensais envoyer Sammi-bo. Cependant, parce que sa santé n'est pas tout à fait rétablie, j'envoie cet autre moine à sa place. Demandez à Daigaku Saburo, [s'il en a le temps], à Takino Taro* ou au seigneur Toki d'en faire une belle copie, et remettez-la à votre seigneur. Si vous agissez de cette manière, votre problème sera totalement résolu. Inutile de vous précipiter. Forgez plutôt une unité solide avec les autres croyants et laissez les ennemis du Dharma faire tout le tapage qu'ils veulent. Ensuite, si vous envoyez cette pétition, la nouvelle s'en répandra peut-être dans tout Kamakura et il se peut même qu'elle parvienne jusqu'aux oreilles du shogun. C'est ce que l'on appelle un malheur qui se transforme en bonne fortune.

Continuez votre pratique du Sutra du Lotus comme je vous l'enseigne depuis longtemps. Des circonstances favorables annoncent peut-être de petits événements heureux, mais de graves bouleversements annoncent immanquablement que le désastre se changera en bonne fortune. Ceux qui liront cette pétition comprendront qu'ils se sont trompés, les ennemis du bouddhisme seront démasqués. Dites simplement : "Je n'ai aucun désir de m'éloigner de mon seigneur et de lui rendre mon domaine. Toutefois, si mon seigneur me le demande, je considérerai cela comme une offrande au Sutra du Lotus, et je le ferai avec joie." Cela dit, n'ajoutez rien de plus.

Il ne faut jamais se comporter avec servilité à l'égard d'un fonctionnaire. Dites-lui : "Mon domaine ne m'a pas été octroyé par mon seigneur [pour des raisons ordinaires], je l'ai reçu parce que je lui ai sauvé la vie en le guérissant d'une grave maladie grâce à l'excellent remède du Sutra du Lotus. Si mon seigneur me le confisque, il tombera certainement malade à nouveau. Dans ce cas, même s'il me présente des excuses, je ne lui obéirai plus." Ayant ainsi dit ce que vous aviez à dire, rentrez chez vous sans attendre.

Ne participez plus à aucune réunion. La nuit, soyez vigilant. Soyez en bons termes avec les gardiens de nuit (note) et demandez-leur leur aide. Vous devriez toujours rester en leur compagnie. Si vous n'êtes pas à nouveau expulsé par votre seigneur, il y neuf chances sur dix pour que les samouraïs de votre clan essaient d'attenter à votre vie. Quoi qu'il arrive, n'encourez jamais une mort pitoyable.

Nichiren

Le septième mois de la troisième année de Kenji (1277), signe cyclique hinoto-ushi.

ARRIERE-PLAN - Nichiren Daishonin écrivit cette lettre au Mont Minobu en juillet 1277, alors qu'il était âgé de cinquante-six ans. Elle est adressée à Shijo Kingo, l'un de ses plus fidèles disciples à Kamakura. Les titre et nom complets de Shijo Kingo étaient Shijo Nakatsukasa Saburo Zaemon-no-jo Yorimoto, Kingo étant un titre équivalent au titre Saemon no jo ou Zaemon-no jo. Il était au service de la famille Ema, branche du clan Hojo au pouvoir, et était aussi bon médecin qu'habile dans les arts martiaux.
Au fur et à mesure que les adeptes laïques de Nichiren Daishonin devenaient plus actifs dans la propagation, ils commencèrent à rencontrer eux-mêmes diverses difficultés et persécutions. Vers 1274, après que Nichiren Daishonin fut rentré de l'exil sur l'île de Sado et se fut retiré sur le Mont Minobu, Shijo Kingo essaya de faire connaître les enseignements de Nichiren Daishonin à son maître, Ema Chikatoki, disciple du moine Ryokan du temple Gokuraku-ji. Le seigneur Ema ne vit pas du tout d'un bon oeil la croyance de son vassal dans le Sutra du Lotus, et le harcela de diverses manières. A un moment donné, poussé à cela par d'autres samouraïs de son clan lui faisant au sujet de Kingo des rapports mensongers, le seigneur Ema menaça de réduire son domaine et même de le transférer dans la province lointaine d'Echigo s'il ne reniait pas sa foi.
En juin 1277, Shijo Kingo fut, de manière fortuite, témoin d'un débat religieux à Kuwagayatsu, Kamakura, au cours duquel Sammi-bo, un disciple de Nichiren Daishonin, l'emporta sur le maître Ryuzo-bo, protégé de Ryokan. D'autres samouraïs au service du seigneur Ema, jaloux de Kingo, virent là une occasion de lui nuire et rapportèrent qu'il avait par la force mis fin au débat. Cela éveilla la colère du seigneur Ema qui menaça de confisquer le fief de Kingo.
Sur ces entrefaites, Nichiren Daishonin écrivit une pétition au seigneur Ema au nom de son disciple samouraï et l'envoya à Shijo Kingo, afin qu'il la lui remette dès que possible. Ce fut la "Lettre de pétition de Yorimoto". Peu après, le seigneur Ema tomba malade. Dans ces circonstances, il n'eut d'autre choix que de faire appel à Kingo. Il guérit grâce aux soins de Shijo Kingo et lui renouvela dès lors sa confiance. Par la suite, Shijo Kingo reçut de lui un domaine trois fois plus vaste que celui qu'il avait auparavant.
Quand Shijo Kingo reçut une lettre officielle du seigneur Ema, après le débat de Kuwagayatsu, lui ordonnant de faire serment, par écrit, de renier sa foi dans le Sutra du Lotus, il envoya cette lettre à Nichiren Daishonin au Mont Minobu en même temps qu'une lettre personnelle dans laquelle il s'engageait solennellement à ne jamais écrire un tel serment. Ce gosho, "Mise en garde contre l'attachement à son domaine" constitue la réponse de Nichiren Daishonin. (Commentaire ACEP)

En anglais : A Warning against Begrudging One's Fief

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=823
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_WarningBegrudgingFief.htm

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