Lire le Sutra du Lotus
Ryusho Jeffus


4 - Le Grand Spectacle

 
Chapitres XI, XIII, XIV et XV

Voyons d’abord les évènements qui accompagnent l’apparition de la Tour-aux-Trésors où se trouvent les reliques du Bouddha Taho (Maints-Trésors) et tout ce qui a trait à la Cérémonie dans les Airs. Je m’arrêterai cependant juste après que les bodhisattvas ont surgi de terre, puisque tout le chapitre suivant leur est consacré avec les chapitres II et XVI. Là-dessus, sautons-y à pieds joints.

C’est justement ce qu’on a envie de dire à ceux qui assistent à l’apparition de la Tour-aux-Trésors. Non seulement cet objet jaillit de terre mais il demeure dans le vide, comme par magie, au-dessus de la Grande-assemblée. Ce n’est pas un stupa ordinaire qui vient d'apparaître, non seulement parce que les stupas n'ont pas l'habitude de surgir du sol ni parce que cet édifice reste suspendu dans les Airs. Il est vrai que c'est extraordinaire pour les raisons ci-dessus mais, de plus, cette chose est gigantesque.

Ses dimensions sont indiquées en yojanas, une mesure que pratiquement personne ne connait. Je me suis amusé à faire un petit calcul pour me faire une idée de la taille de cette Tour. Le yojana est une de ces anciennes mesures qui n’avait pas de longueur fixe et, de plus, celle-ci a varié au cours des temps. Au départ, c’était la distance qu’un char tiré par un bœuf pouvait parcourir en une journée. Comme vous pouvez vous en douter, si l’état des routes était bon et les conditions favorables, le yojana s'allongeait.  Au VIème siècle, la longueur moyenne était de 8 miles américains mais, avec le temps, le yojana fut estimé entre 4 et 9 miles. Je vais m’en tenir à 5 miles pour rendre les calculs plus faciles. Mon résultat sera donc plutôt inférieur à la réalité ; mais même comme ça, c’est assez impressionnant.

Ainsi notre stupa de 16 milliards de km3 (donc de 16 milliards de milliards de m3) aurait pu contenir 8 fois plus d’étudiants, c’est-à-dire environ 128 milliards de milliards d’étudiants ! C’est quelques milliards de fois la population mondiale. Dans le Sutra du Lotus au moment où apparait la Tour, il ne s’y trouve qu’une seule personne : le bouddha Maints-Trésors (Taho). À l’évidence c’est plutôt une grosse structure destinée à impressionner non seulement tous ceux qui étaient présents mais aussi tous les futurs lecteurs du Sutra.

Là, je n’ai parlé que de la taille du stupa et de son volume en mètres cubes. Mais le Sutra le décrit comme étant décoré de banderoles et d'innombrables bannières. Il parle aussi de cinq mille balustrades et de dix millions de chapelles qui décorent la Tour. Selon mes calculs, cela signifierait que chaque chapelle aurait un volume moyen de 390 625 miles3. N'oubliez pas que cette chose est en suspension au-dessus du sol.

Il ne s’agit pas, bien évidemment, d’une structure réelle et, comme je l’ai dit, le but est d’impressionner l’assistance aussi bien par la taille et la magnificence de l’évènement que par sa signification et sa portée. Bref, il nous est adjoint de rester assis tranquilles et de prêter toute notre attention à ce qui vient de se passer et à ce qui va se passer. Même nos ordinateurs modernes, je crois, auraient du mal à dessiner une scène d’une telle ampleur. En tout cas, je n’ai encore rien vu de tel. Mais je me trompe peut-être, car je ne vais pas souvent au cinéma.

De l'intérieur de la Tour suspendue dans les Airs sort une grande voix qui adresse des louanges au Bouddha Shakyamuni pour son enseignement du Sutra du Lotus. Cette voix dit que Shakyamuni a fait quelque chose d’inestimable en exposant ce Sutra, il confirme sa validité et sa véracité.  Est-ce que vous pouvez vous imaginer à quel point cette voix doit être puissante pour être entendue de toute la Grande-assemblée depuis l’intérieur de la Tour ? 

Je ne sais pas pour vous, mais si j’avais été témoin de ce qui est décrit dans le Sutra du Lotus, j’en serais resté bouche bée ou je me serais évanoui. J’espère que je ne me serais pas enfui. Pour sûr, j’aurais compris que quelque chose d’extraordinaire allait se passer. C’est ce qu’ont dû ressentir les quatre congrégations. Même les devas célestes et les asuras se posèrent des questions. Et puis, un individu courageux dans la foule ose demander au Bouddha : « C’est quoi tout ce tintouin ? » Bon, peut-être pas vraiment dans ces termes.

Shakyamuni nous apprend alors que ce stupa, cette Tour-aux-Trésors, est le reliquaire du bouddha Maints-Trésors qui a fait le vœu d’apparaitre « en tout endroit et en tout âge où se prêche le Sutra du Lotus ». Comme Maints-Trésors ne peut pas enseigner lui-même, il va partout où le Lotus est dévoilé pour porter témoignage et attester de la véracité de ce Dharma. Son vœu de bodhisattva avait été de servir de preuve à la validité du Sutra du Lotus par son apparition et en faisant voir son stupa.

Il y a deux causes qui agissent ici selon le vœu originel de Maints-Trésors. Autrement dit, il y a deux choses qui rendent possible son apparition avec sa Tour. La première condition nécessaire est l’existence même de ce vœu initial. En énonçant ce vœu, il a simultanément rendu possible sa concrétisation. Dans notre vie, cela équivaut à la ferme détermination de réaliser quelque chose qui met aussitôt en mouvement le processus de sa réalisation. Ainsi, lorsqu’on exprime le vœu de pratiquer le bouddhisme, il est essentiel de comprendre ce que cela implique. Nous devons être des humains de notre monde et tenir nos promesses, quelles que soient les circonstances.

La seconde raison qui fait apparaitre Maints-Trésors réside dans les pouvoirs surnaturels qu’il a obtenus grâce à sa pratique du Sutra du Lotus. Autrement dit, Maints-Trésors a fait un vœu qui est devenu réalisable grâce à l’accumulation de bienfaits-kudokus résultant de sa pratique du Sutra du Lotus. C’est pour exprimer sa reconnaissance à l’égard de ces nombreux kudokus qu’il a promis d’apparaitre partout où serait enseigné le Sutra du Lotus ; et il a pu le faire parce qu’il avait obtenu le kudoku de pouvoir réaliser son vœu.

Dans notre vie, nous avons tous un trésor caché, le joyau de la bodhéité, que nous pouvons ignorer et laisser en sommeil. Mais nous pouvons aussi prendre une résolution – faire un vœu – et, par notre foi dans le Sutra du Lotus, mettre en action ce qu’il faut pour le réaliser et témoigner ainsi de notre bodhéité.

Lorsque les participants à la Grande-assemblée apprennent qui est dans la Tour-aux-Trésors et la raison de sa présence, ils demandent à voir Maints-Trésors. Shakyamuni répond que, pour cela, il doit remplir certaines conditions et, notamment, rappeler toutes ses émanations depuis tous les endroits de l’univers où ils enseignent le Dharma. C’est la première fois qu’est introduit le concept d’émanation, ce qui explique pourquoi il y a tant de bouddhas dans différents sutras.

Tous les bouddhas dont parle le bouddhisme ne font qu’un avec Shakyamuni, le Bouddha Atemporel qui se manifeste sous différentes apparences pour enseigner le Dharma et sauver les êtres des différents mondes cosmiques. Shakyamuni les fait se rassembler dans le monde Saha pour pouvoir ouvrir les portes du stupa et pour que la Grande-assemblée puisse voir Maints-Trésors. Ces émanations sont, en quelque sorte, des répliques du Bouddha Shakyamuni, ce ne sont pas d'autres bouddhas. 

A partir de la touffe blanche entre ses sourcils, Shakyamuni émet un rai de lumière vers l’est, comme il l’a déjà fait au début du Sutra du Lotus, et l’on voit alors les bouddhas de « royaumes aussi nombreux que cinq millions de myriades de milliards de sables du Gange ». Il ne s’agit pas d’un faisceau de lumière ordinaire : c'est la manifestation du pouvoir de rendre accessibles aux gens de ce monde les autres mondes où les émanations du Bouddha prodiguent leur enseignement. Ainsi, les quatre congrégations peuvent voir « des millions de myriades de bodhisattvas, emplissant les royaumes, qui prêchaient le Dharma à la multitude. Au sud, à l'ouest, au nord, dans les quatre directions intermédiaires, au zénith et au nadir ». Et tous ces mondes sont semblables à celui de l’est.  

Alors, « les bouddhas des dix directions déclarent chacun à la multitude des bodhisattvas qu’ils doivent à présent se rendre dans le monde Saha, auprès du Bouddha Shakyamuni » en train d’exposer le Sutra du Lotus.

Les émanations du Bouddha viennent, chacun avec leur suite, on pourrait dire avec leur staff. Ces groupes commencent à remplir le monde, ce qui oblige le Bouddha à opérer un conglomérat de plusieurs mondes cosmiques. Il commence par réunir plusieurs mondes Sumeru, c’est-à-dire des systèmes de mondes majeurs. Et comme cela ne suffit pas, il ajoute des milliers de millions nayutas de mondes. Ayant augmenté notre monde de ces mondes de systèmes cosmiques différents, il purifie l’ensemble en supprimant les monts et les saletés et en les remplissant de joyaux.

On peut dire à coup sûr – et Nichiren le souligne également – que nous assistons à la plus forte concentration de bouddhas que l’on puisse trouver dans les sutras.  Cela doit nous impressionner et nous rendre admiratifs et conscients de l’importance de ce Sutra. À la vue de tous ces bouddhas, comment pourrions-nous douter encore de sa vérité ?

Avançons un peu. Vous avez compris, sans doute, sur quelle immense échelle il faut situer les évènements qui viennent d’avoir lieu, cette échelle qui sera aussi celle des évènements dans les chapitres suivants. 

Le Bouddha Maints-Trésors invite Shakyamuni à venir prendre place à ses côtés. C’est la scène qui est représentée sur notre Honzon – le mandala objet de notre vénération – sous forme calligraphiée ou statuaire.

Ensuite, la Grande-assemblée est soulevée dans les Airs afin que tous puissent voir et témoigner que les deux bouddhas sont assis ensemble à l’intérieur, côte à côte.

C’est le début de ce qui est appelé « Cérémonie dans les Airs ». Ainsi que nous l’avons dit dans l'Aperçu général, le Sutra du Lotus est divisé en « Deux lieux et trois Assemblées ». Ici, nous avons bien deux lieux et, pour l’instant, deux assemblées. La première assemblée (déjà pas si petite !) est le groupe de disciples autour de Shakyamuni avant l’apparition de la Tour-aux-Trésors, la deuxième assemblée étant celle qui fut agrandie avec toutes les émanations du Bouddha avec leurs cortèges. Les deux lieux sont le Pic Sacré du Vautour et maintenant les Airs.

Le Sutra du Lotus change de niveau. Jusque-là, Shakyamuni utilisait les moyens appopriés* que sont les trois véhicules, puis il a parlé de la transformation des trois véhicules en un Véhicule unique. Maintenant, nous avons à faire à un deuxième point charnière : le passage du présent au futur. Jusqu’ici, Shakyamuni avait prêché pour ses contemporains, les pratiquants de son époque. À partir de maintenant, il vise les générations futures qui pratiqueront sans sa présence physique. Nous pouvons dire que, dorénavant, il pense à nous et qu'il parle pour nous.  

C’est maintenant que se produit un évènement capital que nous risquons de négliger tant nous sommes étonnés et émus par ce spectacle grandiose. Shakyamuni s'adresse à l'Assemblée et demande qui va enseigner le Sutra du Lotus dans le monde Saha après sa mort. Cette question du Bouddha marque le passage du présent vers le futur. Nous avons vu que tous ceux qui ont reçu la prédiction de bodhéité vont l’atteindre dans différents royaumes et non dans notre monde. Aucun disciple contemporain de Shakyamuni ne connaitra l’Éveil par la pratique dans notre monde. Shakyamuni pose la question de la propagation du Sutra du Lotus aux pratiquants du futur.

Le Bouddha a fait une promesse qui a une importance capitale pour ceux qui, comme nous, pratiquons et transmettons le Sutra du Lotus à une époque si éloignée de Shakyamuni. Il a promis que celui qui protège le Sutra du Lotus dans le monde Saha verra non seulement le Bouddha Shakyamuni mais aussi tous les bouddhas émanés et le Bouddha Maints-Trésors.

Je ne soulignerai jamais assez que nous, qui pratiquons aujourd’hui, avons reçu une promesse qui, dans son essence, est bien plus grande que celle qui fut donnée aux disciples contemporains de Shakyamuni. Cette promesse indique que le lien direct avec le Bouddha de ceux qui pratiquent actuellement est bien plus fort que le lien de ceux qui l'ont côtoyé dans sa vie sur Terre. Grâce aux mérites de notre pratique du Sutra du Lotus, nous sommes capables d’être en présence de Shakyamuni, de Maints-Trésors et de tous les corps émanés. Regretter de ne pas être né au temps de Shakyamuni, il y a près de 2500 ans, c’est comme préférer un enseignement inférieur plutôt que de comprendre la Vérité ultime révélée dans le Sutra du Lotus. J’insiste sur ce point car, souvent, nous décrions notre temps parce qu’il est trop éloigné de celui de Shakyamuni, nous oublions le lien privilégié que nous avons avec lui.

Nous pensons qu’il nous est impossible de comprendre le Bouddha ou de comprendre le Sutra du Lotus. Alors que, simplement en protégeant ce Sutra, en pratiquant et en le louant quotidiennement, en faisant des efforts constants pour partager cette doctrine avec les autres, nous sommes automatiquement en présence de Maints-Trésors, de Shakyamuni et de toutes ses émanations. Vous me l’avez entendu répéter de nombreuses fois et je ne peux qu’insister sur l’importance et la vérité de cette promesse. Sans elle et sans notre lien dont nous reparlerons à propos du chapitre XVI, ce sutra ne serait rien d’autre qu’un document de 3 000 ans que nous chercherions à appliquer comme on suivrait les instructions d’un guide de voyage. Ce serait comme de vouloir faire un gâteau avec une ancienne recette, avec une liste d’ingrédients disparus et des mesures qui n’ont plus cours. Je ne sais pas s’il vous est arrivé de regarder d’anciens livres de cuisine, mais tout aussi bien les denrées que les mesures n’ont rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Alors, à moins d’être un cuisinier chevronné, le résultat pourrait laisser à désirer. De même, sans cette promesse, il faudrait que vous soyez un pratiquant bouddhiste hors pair pour effectuer, vie après vie, des pratiques intenses et, en plus, être un érudit hautement qualifié pour tirer quelque bienfait du Sutra du Lotus.

J’arrêterai donc là le récit des évènements du chapitre XI, même s’il reste encore tant à en dire. La suite du chapitre parle des neuf actions aisées et des six actions difficiles que nous avons déjà vues. Elle contient également le passage d’où a été extrait le Hotoge, ce texte du service rituel standard, qui a un rythme si irrégulier et que nous traduisons par Difficultés de Garder ce Sutra. Nous en reparlerons.

Abordons maintenant les chapitres XIII et XIV où plusieurs groupes prennent la résolution de propager le Dharma du Sutra du Lotus. Je rappelle que certains disciples veulent bien s’en charger – mais pas dans notre monde Saha – et que d’autres êtres venant d’autres mondes se proposent également ; le Bouddha rejette l’offre dans les deux cas. Il refuse les premiers parce qu’ils refusent le monde Saha, il refuse les seconds parce qu'ils seraient incapables de comprendre la mentalité des terriens. Je dis parfois, pour plaisanter, que le malheureux E.T. a eu bien du mal à être accepté, alors imaginez des tas de E.T. débarquant sur notre planète pour nous enseigner le bouddhisme ! Dans les années 60, le livre de Robert Heinlein En terre étrangère fut une bible pour les hippies. Son héros principal, un martien, manque de se faire tuer à cause de son pacifisme que les hommes ne comprennent pas.

Shakyamuni s’est donc montré fort avisé en refusant toute aide venant de l’extérieur. Je simplifie beaucoup, bien évidemment, mais vous saisissez l’idée générale. D’ailleurs, il avait autre chose en tête et nous avons assisté au chapitre XV à l’apparition des bodhisattvas Surgis-de-Terre. Shakyamuni y parle de « bodhisattvas-mahasattvas en nombre égal aux sables de soixante mille Gange ; chacun d'entre eux ayant une suite égale aux sables de soixante mille Gange» qui vont «sauvegarder, lire, réciter et amplement prêcher ce sutra » après son parinirvana.

Le chapitre XIV fait état de différentes activités que les personnes doivent (ou ne doivent pas) accomplir pour propager correctement le Sutra du Lotus. Shakyamuni répond à la question : «Comment doit-on enseigner ce sutra dans l’Âge mauvais après le parinirvana du Bouddha ?»

D’après Shakyamuni, il y a quatre choses qu’un bodhisattva devra entreprendre :
- les pratiques paisibles au sens propre,
- les pratiques paisibles de la bouche,
- les pratiques paisibles de l’esprit,
- les pratiques paisibles du vœu.

Le chapitre s’appelle Pratiques Paisibles ou Pratiques Commodes ou encore Pratiques Aisées ; Anrakugyo hon en japonais.

La première pratique paisible concerne le corps et tout ce qui est d’ordre physique et considère la personne dans son comportement. Celui qui enseigne le Dharma doit être « patient, doux et conciliant ; son cœur ne connait ni la colère ni l'envie ». L'idée ici est que nous devons améliorer notre caractère pour être dignes d’enseigner non seulement avec des mots mais aussi par notre exemple.

Suit un paragraphe énumérant ce qu’il convient d’éviter. J’en ai tiré la conclusion que c’était une liste de suggestions pour nous inciter à examiner les influences et les fréquentations qui peuvent nous perturber. Cela m’a fait penser à la réponse de Nichiren à la proposition du gouvernement après son retour de Sado. Il refusa toute aide pour éviter de tomber dans la dépendance financière et politique.

La liste comporte également des mises en garde relevant du bon sens mais qu’il est utile de rappeler à ceux qui ont une responsabilité dans la communauté bouddhique. Même les églises chrétiennes recommandent à leurs prêtres de ne pas rester seuls avec une femme mariée. Notre comportement doit être correct dans nos activités non-bouddhistes et, bien-entendu, dans les activités bouddhistes. Certaines recommandations de cette liste sont, à mon avis, inutiles de nos jours mais nous pouvons néanmoins les garder en tête. 

Il convient d’avoir toujours à l’esprit le concept fondamental, fort éloigné de notre société matérialiste moderne, selon lequel toute chose est non-substantielle et impermanente. Il est plus facile de penser que les choses sont importantes et s’inscrivent dans la durée plutôt que de se dire que rien ne dure éternellement. Avec tous les loisirs dont nous disposons, comment ne pas se laisser distraire de la pratique alors qu’elle devrait être pour nous l’activité la plus agréable. C’est déjà une pratique en soi que de trouver dans chacune de nos méditations une sérénité agréable, une paix qui recouvre tout.

La deuxième pratique paisible concerne la parole. Le Sutra passe en revue notre façon de parler et nous conseille d’éviter la critique des personnes ou des autres sutras. Il faut distinguer l’affirmation d’une croyance différente et la dérive vers l’arrogance et le mépris. Nous sommes parfois trop enclins à adopter le parler cassant de Nichiren sans tenir compte de sa bienveillance. Cela ne coûte pas cher de proférer de belles paroles, mais manifester à l’autre sa compassion est autrement plus difficile. Le temps et le lieu comptent aussi pour beaucoup. Nous vivons dans un siècle qui en appelle à plus de sagesse et de discernement dans l’approche de l’autre plutôt qu’à nos intérêts égoïstes et des démonstrations de supériorité. Shakyamuni dit que celui qui enseigne ne doit pas « concevoir de pensée de rancœur » mais « il aura, à l'égard de l'ensemble des êtres, un grand sentiment de compassion ». Il est important de garder toujours à l’esprit notre désir d’Éveil, pour nous et pour les autres.

Pour ce qui est de la troisième pratique paisible, Shakyamuni nous met en garde contre les pensées pernicieuses à propos des erreurs des autres juste parce que leur pratique est différente de la nôtre. Il nous dit de les englober dans notre compassion. Le hic dans cette troisième pratique paisible est que notre environnement reflète ce que nous pensons réellement et nos discours en sont aussi un bon miroir. Il est possible d’utiliser la flatterie mais ce n’est pas vraiment une pratique bouddhiste. Si notre cœur est impur et que l’on s’engage dans le monde de la comparaison et de la recherche d'erreurs chez les autres c’est le meilleur moyen d'entrer dans le monde de l'animalité et y demeurer. Critiquer est facile mais combien plus difficile est de rester un guide de valeur vers la vérité.  Il suffit de penser au patron ou au parent jamais satisfait, comme si lui seul était capable de faire quelque chose de correct.

Quand nous nous sentons en phase avec les autres, indépendamment de leur croyance et de leur pratique, quand nous respectons les autres, même s’ils n’ont pas choisi de suivre le Sutra du Lotus, nous créons un climat pour qu'ils soient prêts à nous suivre. En créant un lien avec nous, ils respecteront le Bouddha qui transparait par notre pratique du Sutra. Par ce respect, même indirect, du Dharma ils créent la cause de rencontrer le Sutra du Lotus dans une prochaine existence. Si le Sutra du Lotus est véritablement ancré au plus profond de notre être, les autres souhaiteront avoir la même vie que nous. Notre influence positive sur les autres apporte d'autres grands bienfaits. 

La quatrième pratique paisible est celle du vœu que nous ne devons jamais oublier et qui est d’enseigner et de guider les autres vers le Sutra du Lotus. Shakyamuni dit que le pratiquant « devra concevoir un grand esprit de compassion à l'égard » des bouddhistes et des non-bouddhistes et chercher sans cesse le moyen le plus approprié pour les inciter à rechercher le Sutra. Si notre pratique est empreinte d’une authentique générosité du partage du Sutra du Lotus, nos vies seront pleines de grands bienfaits (kudokus), de grands amis et de la protection de tout l’univers.

En accomplissant ces pratiques pacifiques, nous créons une vie paisible qui reflète notre pratique et qui, à son tour, la renforce, comme dans une interaction en boucle.

Je pense que certains diront que tout cela est bien beau mais que Nichiren a été très sévère avec plusieurs personnes de son temps et que nous devrions, peut-être, être aussi stricts en discutant avec des gens qui ne croient pas au Sutra du Lotus. Je réponds toujours à cela en rappelant que les circonstances étaient fondamentalement différentes. Tout d’abord, peu d’entre nous se mettent en danger ou risquent à tout moment la mort pour leur foi. À notre époque, peu de pays s’opposent à la pratique d’une religion, que ce soit en privé ou en société. Bien sûr, cela peut se produire mais, pour nous, c’est rare. Dans un cas comme le nôtre, Nichiren préconise une méthode de propagation plus douce – à moins d’une absolue nécessité.

Lorsqu’il n’existe pas d’obstacle extérieur à la pratique, on peut parfaitement en créer un par notre obstination et notre agressivité. Ce sont alors des obstacles dus à l’erreur de jugement. Je peux me conduire en imbécile et mon entourage me traitera sans égards mais je n’ai pas le droit d’attribuer cette maltraitance à la pratique car je ne me conforme pas aux pratiques paisibles dans un environnement paisible. Dans un environnement qui n’est pas hostile, il n’y a aucune raison de se comporter de façon agressive.  Si l’environnement change, on peut envisager d’autres méthodes.

Quand j'ai adopté le bouddhisme j’étais dans le Corps des Marines. Quelques semaines après que j'ai commencé à pratiquer, il y eut une inspection générale des casiers personnels. Toutes mes affaires étaient correctement rangées mais j’avais aussi toute mon installation avec le Gohonzon. Les inspecteurs ont piqué une colère épouvantable, ils se sont mis à hurler que je ne pouvais pas garder le Gohonzon, que je devais arrêter la pratique sans quoi je serais envoyé au Vietnam. Pour me faire comprendre le sérieux de l’affaire, je fus privé de toute sortie et de droit de circulation sur la base en dehors des salles où je suivais les cours et de la cafétéria.

J’étais stupéfait en même temps que choqué. Comment était-ce possible aux USA où la liberté de religion était garantie par la Constitution ? J'ai décidé d’écrire à mon député pour trancher le litige ; on n’avait pas le droit de me menacer comme ça ! Vous pensez sans doute, comme moi à l’époque, que j’étais parfaitement dans mon droit. C’était, certes, une façon de voir les choses. Heureusement, quelqu’un de plus avisé que moi m’en dissuada. À son avis, si j’écrivais au député, j’aurais probablement gain de cause mais je serais à tout jamais estampillé comme celui qui va tout de suite cafter en haut lieu. Ma demande d’intervention me vaudra la réputation d’enquiquineur avant même de savoir qui je suis vraiment. Il me conseilla de me servir de ma pratique pour changer ma vie et mon environnement. Sa directive ne fut pas facile à suivre mais, au bout de six mois, les choses ont vraiment changé. Petit à petit je retrouvais ma liberté et fus de nouveau autorisé à quitter la base. De plus, un de ceux qui était le plus acharné contre ma pratique se mit à me poser des questions sur le bouddhisme et ma croyance. Et au bout de six mois, j’ai reçu une promotion spéciale considérée comme très méritoire dans l’armée. Cela me promettait une carrière bien meilleure que si j’avais porté une étiquette de protégé du Congrès.

La leçon de vie que j’aimerais faire passer là est que, souvent, une solution facile avec des résultats immédiats n’est pas forcément la meilleure. Parfois – et c’est là que notre sagesse a besoin d’être nourrie par la pratique – les solutions rapides, en fin de compte, ne sont pas bonnes. En étant plus fonceurs, nous pouvons amener, à court terme, plus de personnes au bouddhisme, en tout cas c’est ce que nous pensons mais, en fait, nous devons mettre en œuvre la pratique paisible et, au lieu de forcer l’autre à adopter notre pensée, l’encourager à comprendre ce que le Bouddha lui dit au fond de son cœur. On ne peut pas amener les gens à pratiquer correctement par la contrainte ou l’intimidation.

Au début du chapitre suivant, Bodhisattvas Surgis-de-Terre, plein de gens répondent avec ardeur à la demande de Shakyamuni d’enseigner le Sutra du Lotus après sa mort. Les bodhisattvas de divers autres mondes supplient Shakyamuni de leur permettre d’accéder à sa demande. Cela veut dire que des pratiquants d’autres lieux de l’univers veulent faire le vœu de venir dans notre monde Saha, si le Bouddha leur en donne l’autorisation. Mais nous avons vu que Shakyamuni refuse leur aide et révèle qu’il a prévu d’autres bodhisattvas pour accomplir cette tâche.

Aussitôt le sol se met à trembler. Rappelez-vous ce monde auquel ont été adjoints de nombreux autres mondes cosmiques lorsque le Bouddha a rappelé à lui ses émanations. Des profondeurs jaillissent des milliers de milliards de bodhisattvas. Ces nouveaux venus « avaient tous le corps couleur d'or, avec les trente-deux marques, brillant d'une lumière incommensurable. » Ils étaient, en fait, presque comme des bouddhas et leur nombre tendait vers l’infini – le Sutra dit qu’ils étaient « en telle quantité que nul nombre, nulle limite, nul décompte ou comparaison n'aurait pu en donner une idée ».

Ces bodhisattvas-mahasattvas sortent de terre et s’élèvent dans les Airs, s’inclinent devant la Tour-aux-Trésors où sont assis les deux Bouddhas, puis vont vers les émanations du Bouddha et font des circumambulations autour de chacun. Cela leur prend un temps égal à 50 kalpas mineurs mais «grâce aux pouvoirs mystiques du Bouddha ils purent croire que ce n'était qu'une demi-journée ». Ces bodhisattvas vont et viennent à leur guise descendant sur terre puis remontant dans les Airs en toute liberté, à la différence de l’assemblée précédente qui avait besoin de la force du Bouddha pour monter jusqu’à la Tour-aux-Trésors. Les bodhisattvas Surgis-de-Terre portent non seulement les marques caractéristiques de bouddha mais en ont aussi les pouvoirs. Les quatre chefs de file des bodhisattvas Surgis-de-Terre s’appellent Pratique-Supérieure, Pratique-Illimitée, Pratique-Pure et Pratique-Ferme. On peut noter que la pratique intervient pour les quatre. Nichiren dans son Shoho Jisso Sho (La véritable réalité de la vie) dit :  

« Exercez-vous dans les deux voies de la pratique et de l'étude. Sans pratique ni étude, il ne peut y avoir de bouddhisme. »

Au cœur du bouddhisme, il y a la pratique pour changer notre vie et cela ne peut se faire sans efforts continus.

Je pourrais vous raconter toute l’histoire mais je pense qu’il vaut mieux que vous la lisiez vous-même. Je préfère passer directement aux leçons que nous pouvons tirer de ce grand spectacle qui se déroule devant nos yeux tout au long des chapitres du Sutra du Lotus.

On me pose souvent la question s’il y a une part de réel dans tout cela ou si c’est juste une histoire imaginaire. Tel que je comprends le Sutra du Lotus, c’est une histoire imaginaire que nous devons rendre réelle. Par notre foi et notre pratique, nous pouvons réaliser ce grand spectacle dans notre vie. Personne ne peut le faire pour nous, à notre place. Est-ce que cette cérémonie a réellement eu lieu ? Non, bien sûr, au sens que l’envoi de l’homme sur la lune a réellement eu lieu, ou que les avions ont réellement détruit le World Trade Center à New-York. Mais pour celui ou ceux qui ont écrit ces chapitres du Sutra du Lotus, le but n’était certainement pas de relater un fait historique pour témoigner d’un évènement tangible.

Je pense que ce qui se passe au cours de ce grand spectacle est réel en tant que description de la merveille, de la stupéfaction, de l’expérience de l’Éveil quand fut comprise la vérité contenue dans le Sutra du Lotus. La vérité est que nous sommes tous des bouddhas, que nous contenons l’infini et le temps sans mesure, que nos petites vies reproduisent l’immensité cosmique et que la vie est illimitée.

Si l’on observe nos vies au niveau élémentaire, au niveau microscopique, elles sont faites de milliards de cellules [10 à la puissance 14], chacune étant une entité qui respire et se reproduit dans une étroite interdépendance avec tout le reste. Nous tous sommes interdépendants et liés aussi bien extérieurement qu’intérieurement. Quand nous pouvons voir au-delà du moi, du mien et du nous/eux et au-delà de toutes les divisions conventionnelles qui cachent la réalité, nous pouvons nous rendre compte de toute l’ampleur du grand spectacle qui se déroule dans notre vie. 

Je pense aussi que les auteurs voulaient provoquer un choc chez les lecteurs, les interloquer, leur infliger une douche glacée, une sorte d'éblouissement devant la grandeur du bouddhisme. C’est assez ahurissant d’affirmer comme ultime réalité que :
  - et d’un : nous pouvons tous devenir bouddha,
  - et de deux : il n’y a pas mille et une façons d’atteindre la bodhéité,
  - et de trois : ne pas attendre des autres qu’ils fassent pour nous ce que nous pouvons faire nous-mêmes.

Ce que nous apprend ce grand spectacle est que nous deviendrons des bodhisattvas Surgis-de-Terre seulement si nous décidons de devenir comme eux. Si nous décidons de vivre avec la conviction que nous sommes hautement qualifiés pour devenir bouddha, que nous n’avons besoin de rien de plus pour cela que notre foi en le Sutra du Lotus et si nous pratiquons avec foi et le désir d’aider les autres, nous présenterons immédiatement les caractéristiques de ces bodhisattvas Surgis-de-Terre. Nous ne pouvons pas juste nous proclamer tels, point à la ligne. Nous devons faire ce qu’il convient pour accomplir notre vœu de bodhisattva.

Comme moi, vous avez sans doute remarqué que lorsqu’ils surgissent de Terre, ces bodhisattvas ne demandent au Bouddha ni son autorisation de propager ni de leur octroyer la prédiction de bodhéité. En venant vers le Bouddha, ils lui demandent comment il va et s’il est fatigué. Je trouve que c'est important pour notre vie.  Est-ce qu’en pratiquant le bouddhisme nous cherchons à recevoir quelque chose ou bien commençons-nous notre pratique en exprimant de la gratitude pour ce que nous avons déjà ?

Ces bodhisattvas apparaissent dans ce monde sous différentes formes et tailles et accomplissent des tas de choses différentes. Ils ressemblent à des gens ordinaires mais leur véritable identité a « le corps couleur d'or» et ils sont liés au Bouddha depuis un temps sans commencement. Quand nous changeons notre façon de penser, quand nous comprenons que nous sommes déjà bouddhas et que nous pratiquons pour nous réaliser et non pas pour devenir quelque chose d’autre que ce que nous sommes, notre pratique est comme celle de ces grands bodhisattvas. Tels que nous sommes, nous sommes complets, il faut juste activer cette complétude.

Avant de commencer gongyo, nous nettoyons notre espace de pratique. En cela, nous faisons comme Shakyamuni lorsque l’Assemblée lui a demandé de voir le Bouddha Maints-Trésors. Nous nous mettons devant le Gohonzon que Nichiren identifie au Sutra du Lotus. Comme le Bouddha qui a purifié tous les mondes, commençons par la purification de notre espace de pratique. Rappelons à nous toutes ces pensées vagabondes qui s’éparpillent, ces émanations de nous-mêmes. Mettons de côté notre portable, nos courriels, nos rendez-vous, nos plans et préoccupations et concentrons-nous sur la formidable présence de deux Bouddhas assis côte à côte et sur celle du Bouddha Atemporel.

La purification de notre espace et le recueillement préludent à la célébration de l’enseignement du Sutra du Lotus, à une nouvelle écoute du merveilleux Dharma qui nous parle de l’existence atemporelle de la nature de bouddha et de l’Éveil de notre vie. Faire gongyo, c’est comme aller vers l’Ainsi-Venu, moins pour lui demander ce que nous pouvons parfaitement faire nous-mêmes que pour prendre conscience que, grâce à notre pratique, nous pouvons contempler la beauté et la vérité du message lotusien. Nous ne sommes pas alors des quémandeurs s’adressant à quelque haut personnage dispensateur de bienfaits, mais des corps dorés de bodhisattvas Surgis-de-Terre qui s’inclinent devant le Bouddha et accomplissent leur vœu de propager le Lotus à l’époque qui est la nôtre.

Il est dit dans le Lotus que les bodhisattvas Surgis-de-Terre ont été des disciples du Bouddha depuis un passé sans commencement. C’est notre lien avec le Bouddha Atemporel et non pas avec le Bouddha historique. C’est pourquoi nous lisons le Sutra du Lotus dans une perspective atemporelle, en tant que pratiquants atemporels qui, dans cette vie, se manifestent sous un aspect donné mais qui, profondément, sont des corps dorés de bodhisattvas. Nous avons été instruits et sommes parfaitement qualifiés pour atteindre la bodhéité dans la vie que nous menons sous notre apparence actuelle. Tout ce dont nous avons besoin est en nous, et le Sutra du Lotus est comme un code d’activation pour accéder à notre véritable identité.

L’apparition des bodhisattvas Surgis-de-Terre est un moment de transition de la théorie vers l’action. Nous devons manifester notre véritable identité non pas en réfléchissant dessus d’un point de vue théorique, tranquillement assis dans un coin, mais en vivant pleinement notre vie, en agissant. Notre pratique n’est pas théorique, pas plus qu’elle ne sert à nous seuls. C’est un engagement dans une action, dans une participation à l’évolution de la société par la transmission du Dharma en paroles et par notre exemple.

Rappelez-vous, nous allons vers le Bouddha pour lui demander comment il va, non pas pour qu’il s’occupe de comment nous allons. Je me souviens du célèbre discours de John Kennedy, président qui a marqué mon époque. C’est comme si c’était hier et je me revois adolescent devant la télévision. En le paraphrasant, je dis aussi que nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour les autres et pour le bouddhisme et non pas ce que les autres et le bouddhisme peuvent faire pour nous.

Les bodhisattvas surgissent d’une terre souillée. Nous ne vivons pas en dehors du monde et des désordres de la vie quotidienne. Nous sommes des gens ordinaires, avec un travail, nous luttons pour notre subsistance qui est souvent loin d’être parfaite ; c’est précisément le substrat dont nous devons surgir. Nous ne pouvons pas échapper au monde Saha. En tant que bodhisattvas, nous sommes en plein dedans et c’est grâce à cela que nous pouvons nous épanouir comme des fleurs. Les luttes et les conflits du monde Saha sont le terreau qui nous permet de démontrer la vérité du Sutra du Lotus. Qui pourrait croire que nous pouvons atteindre la bodhéité si notre vie était d’emblée parfaite ?   

J’ai passé pas mal de temps à essayer de rendre ce récit de grandiose mise en scène aussi réel que possible pour vous. Mais il reste encore des points à méditer pour voir leur implication dans notre vie.

Revenons au tout début de ce chapitre XV. Nous faisons la connaissance d’un très vieux bouddha, le Bouddha Mains-Trésors. Il est plus que vieux, il est ancien et même on peut dire qu’il n’a pas d’âge, qu’il est en dehors du temps. Ce n’est pas le Bouddha du passé mais une représentation du Bouddha primordial, celui du commencement métaphysique des choses. Notre Bouddha Shakyamuni prend place à ses côtés.

À ce moment-là, le passé, le présent, et (comme nous le verrons dans le chapitre XVI), le futur se rejoignent. En fait, toutes les dimensions temporelles fusionnent formant comme une synthèse entre l’écoulement temporel et l’éternité. Nous sommes au-delà du temps, nous sommes dans chaque moment et dans chaque possibilité de temps. Nous sommes ces Seigneurs du Temps de la série « Docteur Who ». Lorsque nous nous tenons devant un objet de vénération aussi immense pour notre pratique quotidienne, notre vie fusionne avec le présent, le passé et le futur et s’échappe de l’instant que nous percevons par nos sens. Lorsque nous sommes dans cet état, comment les troubles et les tribulations temporelles pourraient-ils ne pas nous paraitre insignifiants alors que, simultanément, notre vie prend une signification aussi vaste que possible ? 

Ensuite, nous arrivons à l’intégration d’innombrables mondes qui rejoignent et entrent dans notre monde actuel. Nous avons là une foule de bouddhas émanés, tous réunis dans un seul monde qui est magnifique au-delà de toute description. Les mondes que nous voyons alentours nous semblent peut-être petits, pleins de souffrances et de conflits, mais le tableau de la cérémonie dans les Airs est immense et d’une grande beauté. De même que les deux Bouddhas assis côte à côte représentent le temps illimité, les mondes réunis représentent l’espace illimité. Ainsi, nous sommes en présence de l’espace-temps illimité, d’un espace hors de l’espace et d’un temps hors du temps.

Lorsque nous sommes devant le Gohonzon, reproduisant ainsi les évènements décrits dans ces chapitres, nous nous plaçons en dehors de l’espace et du temps présents. Et nous pouvons voir, une fois de plus, que notre condition actuelle, dans cette vie-ci, est vraiment un grand bienfait. Combien de gens participent chaque jour à ce grand spectacle ?

Il n’est pas facile de voir tout cela en vivant notre vie et tandis que nous devons nous débrouiller avec nos problèmes quotidiens. Mais c’est pourtant ce que nous propose le Bouddha, comprendre que nous ne sommes pas des individus isolés qui récitons daimoku et mettons en pratique le Sutra du Lotus mais des participants à une mise en scène grandiose de tout ce que peut contenir l’espace et le temps.

Nous faisons partie de la Grande-assemblée de toutes les émanations du Bouddha Shakyamuni. Dans un certain sens, tous ces bouddhas émanés sont en même temps réels et sans importance pour notre vie dans le monde Saha. Leur réalité n’a aucune valeur en dehors du contexte du Sutra du Lotus. En effet, toutes ces émanations de Shakyamuni en nombre incalculable viennent dans notre monde pour entendre exposer le Dharma et témoigner du fait que le Bouddha Shakyamuni du monde Saha est assis aux côtés du Bouddha Maint-Trésors qui est venu dans le monde Saha. Ces bouddhas émanés sont là pour démontrer que Shakyamuni n’est pas seulement le Bouddha de ce monde mais qu'il est, en même temps, le Bouddha Universel que les bouddhas émanés représentent à travers le « Multivers », l'ensemble de tous les univers possibles.

Encore quelques mots sur la vérité et le Dharma vivant. L’apparition de la Tour-aux-Trésors sert, en quelque sorte, de prétexte pour rassembler les bouddhas et les mondes. C’est aussi le témoignage de la vérité du Dharma Merveilleux du Sutra du Lotus.   

Maints-Trésors est là pour montrer que la vérité qui sous-tend l’enseignement lotusien ne change pas. Alors que les mots et les tournures du Sutra peuvent prendre des formes multiples, la Vérité qui est derrière ces mots reste inchangée. Les deux Bouddhas côte à côte sont la démonstration que le Maître du Dharma est tout aussi digne de vénération que la Vérité qu’il enseigne. En vénérant le Maitre, nous vénérons en réalité la vérité qu’il enseigne ; c’est cela qui fait que nous vénérons le Bouddha Shakyamuni.  

Dans le chapitre X on trouve une autre transition : le passage du corps du Bouddha à l’importance de l’enseignement du Bouddha. Shakyamuni dit à ses disciples que ce ne sont pas ses reliques physiques qu’il faut vénérer mais que c’est l’enseignement du Dharma Merveilleux de la Fleur du Lotus qui devra être enchâssé dans le stupa que nous vénérons. Nous devons retenir de ce grand spectacle que c’est parce que l’enseignement est vrai que l’enseignant est grand. Nous nous consacrons au Sutra du Lotus et à l’auteur de ce sutra et par notre dévotion nous les gardons en vie.

Rappelez-vous, c’est votre vécu qui détermine la réalité du Sutra du Lotus. C’est votre pratique et vos preuves concrètes qui font que ce sutra n’est pas un simple document historique contenant l’enseignement de Shakyamuni mais la Vérité universelle du Dharma Merveilleux. En donnant vie à ce sutra nous apprenons comment transmettre cet enseignement incomparable aux autres et comment en assurer la protection et la pérennité.

C’est ainsi que je termine cet exposé sur le Grand Spectacle, qui est grand non par l’extravagance de l’histoire mais par les possibilités d’ouvrir largement notre vie.

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