Un bouddhisme pour notre temps

Une interprétation moderne du Triple Sutra du Lotus par
Niwano Nikkyo
traduit de A Buddhism for today (Kosei Publishing Co - 2006)

Voir : SUTRA DU LOTUS - CHAPITRE XIV

Une vie heureuse

Dans le chapitre XIII, tous les bodhisattvas ont fait le grand vœu de propager l'enseignement du Sutra du Lotus malgré les persécutions dont ils auront à souffrir. Approuvant leur vœu et profondément ému, le bodhisattva Manjushri demande au Bouddha :

« Bhagavat, comment les bodhisattvas-mahasattvas, seront-ils capables, dans les mauvais âges à venir, de protéger, de garder et d'exposer ce Sutra? »

Le chapitre XIV, Une vie heureuse, montre comment, en répondant à cette question de Manjushri, le Bouddha instruit avec un soin particulier les disciples du Sutra du Lotus.

Avoir une "vie heureuse" signifie garder en toutes circonstances un esprit paisible et heureux et pratiquer bénévolement les disciplines spirituelles. Celui qui subit des persécutions religieuses en protestant dans son cœur n'a pas l'attitude mentale d'un véritable disciple du Sutra du Lotus ; quelles que soient les difficultés, il doit garder et transmettre le Dharma avec un esprit serein et comblé et pratiquer les disciplines spirituelles avec une totale liberté intérieure.

La force mentale de l'homme est vraiment surprenante. Par exemple, dans un film, un homme, inondé de sueur, escalade une montagne avec un sac de 40 kilos sur le dos. Les spectateurs ressentent à quel point cette montée est difficile. Parfois, il lui faut jusqu’à trois heures pour n'avancer que de vingt ou trente mètres. De plus, l'alpiniste risque sa vie à chaque pas. Si la nuit tombe, il s'arrime à la paroi pour dormir par une température qui est parfois inférieure à zéro. Si un homme était obligé de subir une épreuve pareille sous les ordres d’un patron, il serait en droit de se plaindre pour traitement inhumain. Et pourtant, un alpiniste s'impose tout cela volontairement. Bien qu'il ressente certainement la douleur, son esprit est en paix et sa douleur contribue même à son plaisir et à sa joie.

En pratiquant l'enseignement du Sutra du Lotus, tant qu'un homme se fait violence pour endurer les persécutions et les calomnies et qu'il en ressent de la colère et du ressentiment, il n'est qu'un débutant dans les disciplines bouddhiques. Une personne qui a atteint la Voie sait garder un esprit paisible, même en souffrant, et peut ressentir de la joie grâce à la pratique. Avant d'atteindre un tel état d'esprit, il faut veiller scrupuleusement à ne pas être agité par les diverses déconvenues et tentations de la vie quotidienne.

Le chapitre Une vie heureuse nous enseigne tout cela. Dans le chapitre XIII, les bodhisattvas déclarent avec ardeur leur résolution de supporter les pressions de l'extérieur, tandis que, dans ce chapitre, le Bouddha, comme un père, exhorte avec bienveillance les bodhisattvas à ne pas céder à des tentations intérieures. Ces deux chapitres juxtaposent le père bienveillant qui connaît le monde et le jeune fils à l'esprit primesautier.

Avant d'aborder le thème central de ce chapitre, nous devons nous prémunir contre la mésinterprétation de l'expression récurrente "ne pas fréquenter telle ou telle personne". Ces mots ne signifient pas ne pas s'approcher ou ne pas s'associer avec quelqu'un. Le Bouddha, qui avait fait le grand vœu de sauver tous les êtres vivants n'a pu dire une chose pareille. "Ne pas fréquenter" signifie que nous ne devons pas nous aligner sur ces personnes ou nous engager dans des relations d'excessive familiarité, ou pour d'autres motifs. Si nous devons être en rapport avec un roi ou un ministre, nous ne devons attacher aucune importance à leur statut afin d'obtenir une faveur, parce que la vérité est la même pour tout le monde et qu'elle s'applique aux rois de la même manière qu'aux citoyens ordinaires. D'autre part, si nous sommes trop familiers avec les autres, nous risquons d’oublier de tracer une ligne de démarcation entre la vie publique et la vie privée. Le Bouddha nous avertit de ce danger.

Le Bouddha nous conseille aussi de ne pas être trop proches des gens dont la profession est de tuer des êtres vivants, (chasseurs, pêcheurs) ou bien des prostituées. Mais cet avertissement provient de son affection bienveillante et veut dire que tout en instruisant ces personnes, nous ne devons pas être influencés par leur mode de vie. Si nous lisons ce chapitre sans ces quelques notions préliminaires, nous risquons de concevoir des doutes sur l'attitude du Bouddha.

Les quatre pratiques agréables

Le Bouddha répond à la question de Manjushri en disant que si un bodhisattva désire prêcher ce Sutra dans le mauvais âge à venir, il devra être persévérant dans les "quatre pratiques agréables" (shi anraku-gyo) :
- la pratique agréable du corps (shin anraku-gyo),
- la pratique agréable de la bouche (ku anrak gyo),
- la pratique agréable de l'esprit (i anraku-gyo),
- la pratique agréable du vœu (seigan anraku-gyo).

Le Bouddha nous enseigne comment nous conduire, comment parler, quelle attitude mentale maintenir et comment parvenir à réaliser notre idéal.

Le Bouddha divise la pratique agréable du corps en deux parties : la sphère d'activités du bodhisattva et la sphère d'intimité. La première est celle de son attitude fondamentale dans sa conduite personnelle. Un bodhisattva est patient, doux et agréable. Il n'est ni pressé, ni arrogant ; son esprit reste imperturbable et, à la différence de gens ordinaires, il n'est pas vaniteux ni ne s'enorgueillit de ses propres réalisations mais voit toutes les choses dans leur réalité. Il n'est pas partial car il agit envers tous avec une égale compassion et dans la plus grande discrétion.

Ensuite, le Bouddha enseigne la sphère d'intimité d'un bodhisattva en la divisant en dix parties :
- Premièrement, un bodhisattva n'est pas intime avec des personnes ayant une position élevée et influente pour en gagner quelque profit, et ne compromet pas sa prédication du Dharma par trop de familiarité avec eux.
- Deuxièmement, il n'est pas intime avec les non-bouddhistes, ni avec les auteurs ou les poètes mondains, ni avec les Lokayatas, ni les anti-Lokayatas. Il n'est donc pas affecté par leur environnement impur et ne compromet pas le Dharma.
- Troisièmement, il ne pratique pas de sport violent, tels que la boxe et la lutte, et ne prend part aux diverses performances des jongleurs, des nartakas* et autres.
- Quatrièmement, il ne se lie pas avec ceux qui tuent les créatures pour subsister, tels que les bouchers, les pécheurs et les chasseurs, et n'est pas complaisant avec ceux qui ont une conduite cruelle.
- Cinquièmement, il ne se lie pas avec les bhikshus et les bhikshunis qui s'attachent à l'enseignement du petit Véhicule et sont satisfaits d'être coupés de l'existence terrestre. Il ne se laisse pas contaminer par leurs idées égocentriques et ne développe pas une tendance à se laisser troubler en écoutant leurs enseignements. S'ils viennent à lui pour écouter le Dharma, il profite de cette occasion pour le prêcher mais n'attend rien en retour.
- Sixièmement, lorsqu'il prêche le Dharma aux femmes, il ne cherche pas à faire naître des pensées passionnées. Il ne se complaît pas à regarder les femmes.
- Septièmement, il ne se lie pas d'amitié avec les hermaphrodites. Il doit observer une attitude très prudente lorsqu'il enseigne à ce genre de personnes.
- Huitièmement, il n'entre pas seul dans la maison des autres. Si pour une raison quelconque il doit le faire, il pense alors qu'il est accompagné du Bouddha. Cette exhortation à aller partout en sa compagnie est celle que le Bouddha fait souvent aux bodhisattvas.
- Neuvièmement, s'il prêche le Dharma aux femmes, il ne cherche pas à les séduire par la blancheur de ses dents et n'exhibe pas sa poitrine.
- Dixièmement, il ne prend pas plaisir à garder de jeunes élèves et des enfants auprès de lui.

Hormis ces dix points principaux, le Bouddha exhorte les bodhisattvas à préférer toujours la méditation et à cultiver et contrôler leur esprit.

Les sujets mentionnés ci-dessus sont la sphère d'intimité d'un bodhisattva. S'il sait observer les sphères d'action et d'intimité, la conduite du bodhisattva est parfaite et il peut prêcher le Dharma, son esprit en paix. Telle est la pratique agréable du corps.

La pratique agréable de la bouche

Suivent les exhortations du Bouddha concernant la façon de parler.

- Premièrement, un bodhisattva ne prend pas plaisir à raconter les erreurs des autres ou à dire du mal des sutras.
- Deuxièmement, il ne méprise pas les autres prêcheurs.
- Troisièmement, il ne parle ni en bien ni en mal des autres, ni de leurs mérites ni de leurs démérites ; il n’attire pas l’attention sur un shravaka en l’appelant par son nom et ne dénonce pas ses erreurs et ses mauvaises actions.
- Quatrièmement, de la même manière, il ne loue pas leurs vertus et ne provoque pas la jalousie.

S'il maintient ainsi un esprit joyeux et ouvert, ceux qui entendent l'enseignement ne s'opposeront pas à lui. À ceux qui posent des questions difficiles, il ne répond pas par les enseignements du Hinayana mais seulement pas ceux du Mahayana, et il leur explique le Dharma afin qu'ils puissent obtenir la connaissance parfaite.

La pratique agréable de l'esprit

Viennent ensuite les huit exhortations du Bouddha quant à l'attitude mentale du bodhisattva.

- Premièrement, il n'entretient pas un esprit envieux ou trompeur.
- Deuxièmement, il n'invective ni n'insulte ceux qui recherchent la voie du Bouddha même s'ils sont balbutiants, et ne tente pas de découvrir leurs excès et leurs manques.
- Troisièmement, s'il y a des gens qui recherchent la voie de bodhisattva, il ne les décourage pas par des doutes ou des regrets.
- Quatrièmement, il ne se complaît pas à discuter les enseignements ou à polémiquer mais se consacre à exposer la pratique salvifique.
- Cinquièmement, par son immense compassion il pense à sauver de leurs souffrances tous les êtres vivants.
- Sixièmement, il pense aux bouddhas comme à des pères bienveillants.
- Septièmement, il pense aux bodhisattvas comme à de grands maîtres.
- Huitièmement, il prêche le Dharma à tous avec équanimité.

La pratique agréable du vœu

Dans les derniers âges à venir, lorsque le Dharma sera sur le point de périr, le bodhisattva qui garde ce Sutra devra développer l'amour-empathie (maitri) à la fois envers les laïcs et les moines, et une grande compassion (karuna) envers ceux qui ne sont pas encore sur le point de devenir des bodhisattvas, qui sont satisfaits de leurs idées égoïstes et qui recherchent leur seul salut. Pour les personnes qui ne connaissent pas encore le Sutra, il prendra l'engagement de les y guider grâce à ses pouvoirs transcendants et sa sagesse, lorsque lui-même aura atteint l'Éveil parfait sans supérieur. La pratique agréable du vœu consiste à avoir une immense compassion qui guide tous les hommes vers le Sutra du Lotus.

Le bodhisattva qui peut parfaitement accomplir la pratique agréable du vœu ne commettra pas d'erreur lorsqu'il prêchera le Dharma. Il sera toujours admiré par tous. Les dieux en prendront soin constamment et le protégeront jour et nuit pour le bien du Dharma, afin qu'il soit capable de rendre heureux tous ses auditeurs.

La parabole du joyau dans l'ushnisha

Ayant prêché ces quatre pratiques agréables, le Bhagavat souligna l'excellence de l'enseignement du Sutra du Lotus par la parabole du joyau dans l'ushnisha (protubérance au sommet du crâne), la sixième des sept paraboles du Sutra du Lotus.

« Manjushri*, il en est comme par exemple d'un saint roi qui fait tourner la roue du Dharma, de grande puissance, qui désire soumettre les royaumes à son autorité : les rois mandalins* n'obéissent pas à son ordre; le roi qui fait tourner la roue du Dharma lève alors toutes sortes d'armées et s'en va les mater. Le roi considère ses armées: il se réjouit grandement de ceux qui ont montré de la bravoure au combat et les récompense selon leurs mérites, soit par des dons de champs et de domaines, de villages ou de villes, soit par des dons de vêtements ou de parures corporelles, soit par des dons de diverses sortes de matières rares et précieuses d'or, d'argent, de béryl, de nacre, d'agate*, de corail* et d'ambre*, ou avec des éléphants, des chevaux, des chars, des esclaves, des populations. Mais seul le joyau limpide qui est dans sa coiffure, il ne le leur donnera point. Pourquoi cela? Ce n'est que sur le chef d'un roi que se trouve ce joyau unique ; s'il le donnait, toute sa suite en serait à coup sûr grandement étonnée et intriguée. (note)

Il en est de même pour le Sutra du Lotus qui n’a pas été prêché dès le début.

« Manjushri*, il en va de même pour l'Ainsi-Venu : il a gagné, grâce à la force de sa concentration (samadhi) et de sa prajna, un royaume du Dharma et règne sur les trois mondes. Or les rois-mara démoniaques ne consentent pas à se soumettre; les sages et les saints, qui sont les généraux de l'Ainsi-Venu, engagent le combat avec eux. De ceux qui ont bien mérité, il est fort content en son coeur : au milieu des quatre congrégations, il leur prêche les sutras et leur met le coeur en allégresse; il leur fait don de concentrations (dhyana), de délivrances, de racines et de forces sans infections, de la richesse des diverses méthodes. En outre, il leur fait don de la cité du nirvana et leur dit qu'ils obtiendront de passer en parinirvana ; il guide ainsi leurs pensées à tous vers une grande allégresse, et cependant, il ne leur prêche pas ce Sutra du Lotus du Dharma.

« Manjushri*, de même que le roi qui fait tourner la roue du Dharma, voyant parmi ses armées ceux qui sont de grand mérite, se réjouit en son coeur et que de ce joyau inconcevable, posé de longue date dans sa coiffure, qu'il ne donne pas inconsidérément, il fait à présent don, ainsi en est-il pour l'Ainsi-Venu. Il est le grand roi du Dharma dans les trois mondes, il enseigne et convertit par son Dharma l'ensemble des êtres. Voyant l'armée des sages et des saints combattre contre les démons-mara des cinq agrégats, contre les démons-mara des passions, contre les démons-mara de la mort* et s'y distinguer par de grands mérites, détruire les trois poisons, sortir des trois mondes-états*, briser les filets de Mara, l'Ainsi-Venu à ce moment se réjouit grandement lui aussi: ce Sutra du Lotus du Dharma, capable de faire accéder l'ensemble des êtres à l'omniscience, qui a de nombreux ennemis dans l'ensemble des mondes, qui est difficilement croyable, qu'il n'avait jamais exposé auparavant, il le leur prêche à présent.

« Manjushri*, ce Sutra du Lotus du Dharma est la prédication suprême des Ainsi-Venus; c'est la plus profonde des diverses prédications et il est donc donné en dernier lieu, comme ce souverain puissant qui a longtemps gardé son joyau limpide et en fait don à présent. Manjushri, ce Sutra du Lotus du Dharma est le réceptacle des secrets des bouddhas Ainsi-Venus, le plus haut des sutras; au cours de la longue nuit des siècles, ils l'ont sauvegardé sans l'exposer inconsidérément. Aujourd'hui enfin il vous est dévoilé.

« Alors le Vénéré du monde*, voulant réitérer cette idée, s'exprima en stances :
[...]
Celui qui lira ce Sutra
n'aura plus jamais affres ni chagrin,
et ne connaîtra plus les maladies;
Il aura le teint clair et frais;
il ne naîtra point misérable,
sans volonté ou d'apparence repoussante.
Les êtres voudront le rencontrer
avec la ferveur due à des sages ou des saints.
Les enfants des devas*
seront à son service.
Sabres et bâtons ne pourront rien contre lui,
le poison sera incapable de lui porter atteinte.
Si des gens l'insultent,
leur bouche se fermera aussitôt.
Il sera sans crainte dans ses pérégrinations,
à l'instar du roi des lions.
Sa sagesse resplendira dans le monde
à l'instar de l'éclat du soleil. »

Le Bouddha va immédiatement à l'essentiel en comparant la sagesse de l'homme aux rayons du soleil. L'obscurité n’existe pas en soi : ce n'est qu'une absence de lumière. Si le soleil se met à briller dans le noir, le noir disparaît. Si une personne prend conscience de la sagesse du Bouddha, l'obscurité disparaîtra instantanément de son esprit. Nous devons bien comprendre que la sagesse du Bouddha est totale et que c'est un enseignement qui, s'opposant aux ténèbres, les disperse.

Pour finir, ce chapitre proclame qu'une personne qui réalise parfaitement les quatre pratiques paisibles et prêche le Sutra du Lotus fera divers rêves agréables. Nous ne devons pas négliger cette déclaration sous prétexte qu'elle concerne les rêves. La psychologie moderne reconnaît parfaitement leur grande importance. Pour faire court, on peut dire que le rêve est "la mémoire de la journée". Nos expériences durant les heures de veille s'accumulent dans notre inconscient et réapparaissent dans le rêve lorsque nous dormons. Lorsqu'une personne rêve qu'elle voit l'image sacrée du Bouddha, c'est une preuve qu'elle est devenue pure dans les profondeurs de son esprit, qu'elle est devenue compatissante et qu'elle invoque toujours le nom du Bouddha.

Même une personne très respectable peut délirer à cause d'une fièvre ou d'un cauchemar. C'est une preuve que son inconscient n'est pas encore purifié. Nous devons aspirer à un esprit si pur que, dans nos rêves, nous verrons les bouddhas aux corps d'or et, nous retrouvant parmi eux, nous joindrons les mains pour louer le Bouddha.

Suite

Chapitre XIV du Sutra du Lotus

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