DICTIONNAIRE des TERMES BOUDDHIQUES

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Tantrisme et bouddhisme tibétain


Les débuts historiques
C'est sous le règne du trente-troisième souverain, Songtsen Gampo (569-650), que le bouddhisme est officiellement introduit au Tibet. Le Tibet est alors en passe de devenir une grande puissance politique et militaire. Pour asseoir son pouvoir, le souverain tibétain fait des mariages utiles avec des princesses bouddhistes des pays voisins (Chine, Népal, etc.). Il fait édifier, à Lhassa, les premiers temples bouddhistes. Il favorise ainsi la propagation de la nouvelle religion tout au long de sa vie, sans pour autant être hostile au bön, le culte indigène. Après sa mort, le bouddhisme décline rapidement jusqu'au VIIIe siècle lorsque le roi Trisong Detsen établit officiellement et définitivement le bouddhisme au Tibet et fait venir trois grands enseignants d'Inde, dont le plus célèbre est Padmasambhava, connu sous le nom familier de Guru Rimpoche ("le précieux Guru") et considéré jusqu'à aujourd'hui comme le grand introducteur de l'enseignement bouddhiste au Tibet.

Comment désigner le bouddhisme tibétain ? A une époque déjà ancienne, on qualifiait le bouddhisme tibétain de "lamaïsme", par référence aux lamas, maîtres et enseignants de cette tradition. Cette dénomination était accompagnée de l'idée, chez les spécialistes classiques du bouddhisme, qu'il s'agissait d'un bouddhisme dégénéré, parasité par un ensemble de croyances antérieures. Sans méconnaître les croisements entre le bouddhisme tibétain et les formes culturelles et religieuses antérieures, il convient de chercher ses sources dans des directions plus scripturaires.

En fait, le bouddhisme tibétain participe de ce grand mouvement de propagation que représenta, à partir du 1er siècle de notre ère, la diffusion du Mahayana (Grand Véhicule), marqué par l'insistance mise sur l'esprit de compassion. Ce mouvement porta le bouddhisme, le long de la route de la soie, jusqu'en Asie centrale et en Chine. Un prolongement régional du Mahayana, la voie des Tantra, se développa, d'autre part, au Cachemire et au Bengale, propagée par de grands yogis, le mot tantra désignant une série de livres et de méthodes concernant les pratiques yogiques spéciales utilisées pour parvenir rapidement à la bodhéité.

Le bouddhisme indien avait ainsi connu un processus de diversification lorsque, au XIIème siècle, la conquête musulmane lui porta un coup fatal. Sans doute était-il moins bien enraciné dans les milieux populaires que l'hindouisme qui, lui, subsista. Dans ces conditions, le Tibet devint le dépositaire de lignées indiennes perdues et de multiples enseignements, et il hérita notamment de l'enseignement de la voie des tantra.

La voie des tantra
C'est cette dernière voie qui est souvent associée au bouddhisme tibétain. La voie de la transformation des Tantra préconise en effet, l'emploi d'une multitude de méthodes yogiques et méditatives. Tandis que les "voies des sutras" suivies par les écoles du Theravada prônent le renoncement aux désirs et aux passions, considérés comme des obstacles à la libération de l'esprit, les tantra préconisent, au contraire, pour ceux qui en ont la capacité, l'utilisation de tout le potentiel des passions. Par là, cet enseignement se rapproche - mais selon des méthodes très différentes - du bouddhisme de Nichiren, pour qui "les passions s'identifient à l'Éveil ", ou, en d'autres termes, selon lequel l'énergie formidable contenue dans les désirs peut être mise au service de l'Éveil.

Comme l'écrit Philippe Cornu, "si l'on reconnaît qu'en leur nature profonde les agrégats du "moi", les passions et les émotions sont des qualités de la nature de bouddha, il est possible de les purifier ou de les transformer en sagesse par divers "moyens habiles". Cette voie est donc celle "qui transforme les poisons en remèdes ou catalyseurs".

On reconnaîtra, au passage, les expressions familières du bouddhisme de Nichiren : les moyens (hoben) habiles, "changer le poison en élixir" ( hendoku iyaku). On trouve là la trace de l'appartenance commune des deux écoles bouddhiques au Mahayana.

Dans le bouddhisme tibétain, c'est le vajra, objet rituel appelé sceptre-diamant, qui symbolise le principe de la transformation : les cinq branches du bas représentent les cinq émotions négatives, et celles du haut les cinq sagesses résultant de la transformation des précédentes. Il est toujours associé à la cloche, qui représente la connaissance, la vacuité (ku, shunyata, l'absence d'existence propre).

Pour atteindre l'Éveil (le sans-souffrance, nirvana), il n'est plus nécessaire de rejeter le samsara (la vie dans les existences conditionnées, le monde apparent). Selon une conception qui n'est pas, non plus, très éloignée de l'enseignement du bouddhisme de Nichiren, "samsara et nirvana sont des modes de perception opposés d'une même réalité selon que l'on est dominé par l'ignorance ou que l'on est éveillé". "Le samsarâ n'est jamais que notre perception karmique impure, elle-même le fruit de nos conditionnements et de notre ignorance. Il y a, en fait, indivisibilité du samsara et du nirvana" (Ph. Cornu). Nichiren, lui, parle de shoji soku nehan (vies et morts s'identifient au nirvana)

Pour le pratiquant la différence fondamentale avec le bouddhisme de Nichiren réside dans les méthodes. Les "moyens habiles" utilisés dans cette voie, que l'on appelle dès lors Vajrayana (le Véhicule du Vajra), ou Tantrayana, reposent sur un certain nombre de récitations de mantra et de visualisations de déités (yidam, sortes d'archétypes des passions humaines). La visualisation de l'un des yidam, qui n'est fondamentalement qu'un aspect de notre esprit et non une entité extérieure, et qui est choisi comme tel par le maître pour son disciple, permet un travail approfondi sur soi, à travers lequel les émotions ordinaires sont transmutées en sagesse. Quand le pratiquant comprend que sa vraie nature n'est pas différente de celle de la déité, il est réputé atteindre l'Éveil.

C'est pour des raisons culturelles que beaucoup de figures de ces "déités" du bouddhisme tibétain rappellent l'hindouisme ou l'ancienne religion du Tibet. L'implantation du bouddhisme s'est faite en utilisant les formes locales connues des fidèles, d'où l'impression de syncrétisme que ces représentations peuvent laisser aux observateurs. Il reste qu'en bonne doctrine toutes ces figures, paisibles ou courroucées, masculines ou féminines, ne sont que des figures de l'esprit humain et non des personnes extérieures. Il s'agit, en fait, d'une pédagogie destinée à rendre concrets aux yeux des simples fidèles des concepts philosophiques, difficiles à expliquer, sur le fonctionnement de l'esprit. Cette mise en scène de figures attirantes ou effrayantes est peu différente des statues et peintures utilisées dans les églises du Moyen Age en Europe. Statues et peintures de déités peuplent ainsi les temples et les lieux sacrés tibétains, notamment les thangka, peintures sur tissus, devenues aujourd'hui "objets d'art". Cette voie tibétaine, complexe et exigeante, est finalement réservée à une élite de moines et de pratiquants disponibles et motivés, même si des formes plus simples et plus populaires restent à la disposition des fidèles ordinaires. On devra quand même nuancer l'identification, faite couramment, et en partie justifiée, entre le bouddhisme tibétain et le bouddhisme tantrique. Le rôle que jouent les tantra dans la tradition tibétaine varie beaucoup d'une école à l'autre. Certains lamas ne deviennent jamais des adeptes tantriques. D'autres, au contraire, y sont initiés très tôt. "Il est cependant vrai de dire que tous les lamas tibétains, ainsi que la plupart des laïcs, suivent effectivement un certain degré de pratique tantrique, même si cela ne dépasse pas la visualisation attachée au mantra Om Mani Padme Hum" (John Blofeld). Ce mantra célèbre est associé au bodhisattva de la Compassion, Avalokiteshvara, appelé en tibétain Chenrezi, devenu la déité principale du bouddhisme populaire tibétain.

Les principales écoles tibétaines représentées en Occident reculent souvent le moment de la pratique d'un yidam, considérant que l'acquisition des fondamentaux et le recours à des méthodes de pacification de l'esprit (comme la méditation assise silencieuse) est un préalable indispensable. Viennent alors, conformément à la tradition tibétaine, les "pratiques préliminaires", au nombre de cinq, faites de récitations, prières, visualisations et exercices physiques, répétées 100 000 fois chacune, et qui constituent une véritable mise à l'épreuve de la volonté du postulant. Dans tous les cas, il est impossible de s'engager dans la voie sans être accepté et guidé par un Maître, simple enseignant ou personnalité de haut niveau, avec lequel un contact physique a été établi et répété, et dont les instructions sont cruciales. Ainsi le bouddhisme tibétain se présente-t-il comme une voie initiatique et hiérarchisée à plusieurs niveaux, même si l'Éveil n'est pas, pour autant, présenté comme le résultat d'un parcours "académique" nécessaire.

Le secret qui entoure une partie de ces pratiques tantriques, sans parler du symbolisme sexuel employé dans les textes et l'iconographie tantriques (bouddhistes ou, surtout, hindouistes) a conduit à des malentendus sur la nature exacte de cette voie, parfois considérée comme une sorte de magie occulte. "Le secret empêche le mauvais usage de forces mentales puissantes qu'il serait dangereux d'employer sans être expertement guidé", écrit John Blofeld. Ainsi, le bouddhisme tibétain se présente-t-il enfin comme une discipline visant à la maîtrise et à la manipulation d'un certain nombre de forces mentales, dont la connaissance est précisément transmise par des lignées d'enseignants autorisés.

Par ses représentations spectaculaires et ses pratiques cachées ou réservées, par son usage, unique dans le bouddhisme, de la théorie des tulku (personnes reconnues par l'institution religieuse comme des incarnations d'êtres spirituellement "réalisés" de générations antérieures), par son recours à des exercices psycho-physiques purificateurs qui sont réputés déboucher sur des pouvoirs supra-normaux (même si la recherche de ceux-ci est loin d'être recommandée), le bouddhisme tibétain est entouré d'une aura de "merveilleux" et de "magie" qui ne nuit pas à son prestige, parfois exotique, en Occident.

Du point de vue de la doctrine, la théorie des tulku est en contradiction avec la position de Nichiren qui affirme la supériorité absolue du Sutra du Lotus sur tous les autres enseignements. Dans ce sutra Shakyamuni dévoile son origine sans origine. La notion espace-temps n'est qu'une vue de l'esprit et par conséquent parler d'une succession de vies c'est se situer en dehors de l'éternité. Rappelons que Shakyamuni, à qui on a souvent posé la question sur la réincarnation, a toujours refusé d'y répondre et que dans le XVI chapitre du Sutra du Lotus il parle de la difficulté pour un non-éveillé de comprendre cette notion. (Lire ce passage)

Les principales écoles actuelles

Les quatre écoles principales,  par ordre de leur création, sont :

- Les Nyingmapa  (Bonnets rouges) sont plus axés sur la méditation et prétendent se situer au-delà des sutras et des tantras. C’est la plus ancienne des traditions et la plus orientée vers le tantrisme avec des pratiques parfois inspirées du shamanisme et l'ésotérisme. Le maître actuel est reconnu par le dalaï-lama.

- Les Kagyüpa (Bonnets rouges) sont plus axés sur  la transmission orale. Le maître officiel Orgyèn Trodul Trinlè est reconnu par le dalaï-lama. La tradition kagyu fut la première à transmettre l’enseignement du mahamudra. Très nombreuses branches  (Phaktru, Karma, Tsalpa, Barom)

- Les Sakyapa  (Bonnets rouges) sont plus axés sur l'ascétisme. Le courant sakya a conservé le principe de la transmission héréditaire  : Sakya Trizin (trizi  : titulaire du trône), hiérarque principal du courant, est toujours un descendant du clan Khön. Bien que l’école se soit rapidement dirigée vers la tradition monastique, les chefs de lignée sont typiquement des yogis mariés et pères de famille. Trois branches principales.

- Les Gelugpa (Bonnets jaunes). Dalaï Lama. Sont plus axés sur  l'érudition et subordonnent les pratiques tantriques à la formation textuelle de base (sutras et philosophie). Ils prônent un célibat strict, à savoir le monachisme.

- Une cinquième école, Jonang, fût rétablie récemment par le Dalaï Lama.

 

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