8 - Transcendance du karma et de la renaissance Ryuei Michael McCormick |
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Un jour, Asibandhakaputta, chef de communauté (gamani) et adepte jaïn interrogea le Bouddha à ce sujet. Le Bhagavat a comparé la futilité de ces prières à celles de personnes qui essaieraient de faire remonter une grosse pierre à la surface d’un étang profond simplement en le lui demandant poliment.
A l'inverse, celui qui accomplit les dix actions de bien crée des causes pour renaître dans un monde céleste, indépendamment des prières ou d'autres rituels qui chercheraient méchamment à envoyer cette personne en enfer. Le Bouddha compare cela avec un récipient d’huile cassé au fond d’un étang. L’huile remonterait à la surface, même si les gens étaient assez fous pour prier afon que cela ne se fasse pas. De même, celui qui a accompli des actions de bien renaîtra dans le monde céleste. Bien évidement, tout cela est à moduler en fonction de la complexité exposée plus haut ainsi qu’en fonction du décalage possible dans le temps et de conditions spécifiques. Ce que le Bouddha souligne ici, c’est que les mauvaises causes auront de mauvais effets et les bonnes causes, de bons effets indépendamment des prières et des vœux pieux. Nous avons déjà mentionné le cas du transfert des mérites. Ce n’est pas à proprement parler une exception, car il dépend d’un acte de bien réel : un geste généreux et la pensée généreuse qui le sous-tend. Lors d’une autre conversation le Bouddha interrogea Asibandhakaputta sur les enseignements jaïns et celui-ci répondit que
Le Bouddha répond que s’il était exact que l’on soit mené à un état de renaissance par les actes que l’on réalise habituellement, alors personne ne renaitrait dans un état de privation car les actes négatifs ne sont pas aussi fréquents que les actes non-négatifs. Alors que si on s'accroche à la vue erronée comme quoi on est destiné à l’enfer et que rien ne peut l’empêcher, on s’enchaîne à cette opinion et on se destine de fait à enfer. Le Bouddha dit :
Les prières et les rituels ne changent pas magiquement le karma, mais le karma n’est pas non plus une force immuable qui ne pourrait être atténuée, voire transcendée. Le Bouddha explique comment un disciple qui suit ses enseignements peut dépasser les actes négatifs et ses effets négatifs :
Le disciple fait la même réflexion au sujet des autres actes négatifs et décide de ne plus prendre ce qui n’est pas donné, de ne plus avoir de rapports sexuels illicites, de ne plus parler faussement, de ne plus parler pour diviser, de ne plus parler avec méchanceté, de ne plus bavarder oisivement, de ne plus être cupide, plein de mauvaise volonté, plein d’idées erronées. Il décide de développer les quatre vertus infinies : l’amour-empathie, la compassion, la joie partagé, l’équanimité.
Un disciple du Bouddha commence donc par reconnaître ce qui est positif et ce qui est négatif sur le plan des actions, des paroles et des pensées. Pour les actions négatives il admet que ce qui est fait est fait, mais qu’il peut cesser d’agir de la sorte dans le présent et dans l’avenir. Ensuite ce disciple commence à développer des actes positifs basés sur l’amour-empathie, la compassion, la joie partagée et l’équanimité. Alors les forces nées du renoncement au mal et de l'engagement au service du bien commencent à modifier l’équilibre karmique, comme la dilution des cristaux de sel dans la parabole. Le karma négatif est contrebalancé par le karma positif. Il ne disparaît pas complètement mais ses effets sont atténués. Un karma qui aurait dû aboutir à une renaissance dans un des mondes-états inférieurs se transforme en un défaut ou un manque de chance dans un monde-état supérieur, ou bien une grande malchance devient une malchance moindre. Les Jaïns croyaient également qu’il était possible d’expier les fautes karmiques du passé par des sévères pratiques ascétiques ; ils cherchaient également à se prémunir d’un karma futur en s’abstenant de nouvelles actions. Mais le Bouddha considérait cela comme futile et inefficace. Le karma ne peut pas être modifié par de telles austérités basées sur la croyance en un soi. Le Bouddha dit aux Jaïns (communément appelés Nigantas en référence à leur maître Nigrantha Jnatiputra) :
A la place de pratiques ascétiques douloureuses et inutiles ou de la passivité totale recommandée par les Jaïns, qui ne peuvent rien changer au karma passé, le Bouddha pour faire cesser la souffrance propose l’élimination des désirs dévorants (klesha) sous-jacents aux actes. Au lieu de miser sur une souffrance que l’on s’impose délibérément pour expier le karma passé, il est préférable de changer d'attitude et de faire face aux choses comme elles viennent, avec sérénité. On peut ainsi profiter des bienfaits d’une conduite juste et de méditations paisibles en se débarrassant des attachements et en éliminant l'avidité, la haine et l'illusion, les véritables causes de la souffrance.
Le Bouddha cite ensuite le cas d’un homme passionnément épris d’une femme et souffrant de jalousie dès qu’il la voit avec un autre homme. S’il abandonnait cet engouement il ne verrait plus d’objection à ce qu’elle soit en compagnie d’un autre homme ; la souffrance disparaitrait en même temps que l’attachement. Puis le Bouddha décrit ses disciples s’adonnant aux pratiques monastiques, développant la sérénité et la vision méditative, arrivant à réaliser par eux-mêmes les trois types de connaissance, particulièrement le troisième lorsqu’on sait que les infections qui mènent à la renaissance ont été éliminées.
En résumé, le moyen de surmonter l'enchevêtrement karmique et de mettre fin au processus de renaissances dans les six voies, est la prise de refuge dans le Bouddha, le Dharma et le Sangha. C’est se détourner de la conduite négative et cultiver la conduite positive, développant la sérénité et la perspicacité, c’est atteindre la délivrance en voyant les choses comme elles sont. En suivant la voie proposée par le Bouddha on parvient aux quatre vies "saintes". Celles-ci sont soumises aux effets des causes passées mais les causes négatives sont diluées, au point d’éviter la renaissance dans les quatre voies mauvaises (enfer, esprits faméliques, animaux, asuras). - La première vie sainte est celle des srotaapannas, ceux qui sont entrés dans le courant. Ils ont une confiance si forte dans les Trois trésors et une intégrité si inébranlable grâce à la compréhension du fonctionnement du karma, qu’ils ne commettent plus d’actes négatifs de façon délibérée. On dit qu’au bout de sept vies dans les mondes-états humain et céleste, ils seraient définitivement libérés de toute renaissance. Même les arhats peuvent avoir à subir les effets d’actes négatifs passés mais la souffrance induite par ces causes est contrebalancée par les causes positives et ils n’éprouvent plus de souffrance, car ils n’ont plus ni attachements ni aversions et sont capables d’accepter tout ce qui arrive avec compassion et équanimité. Tout karma qui ne serait pas parvenu à maturité lors de la vie d’un arhat est résolu au moment de la mort et du parinirvana de l’arhat, car il ne renaîtra plus dans un monde-état où ce karma pourrait mûrir. Le tueur en série, Angulimala, nous fournit de cela un bon exemple. Avant sa rencontre avec le Bouddha il avait assassiné 999 personnes, mais il se repentit, devint bhiksu puis arhat. Le meurtre de 999 personnes et les vues erronées qui l’avaient poussé aux crimes auraient dû avoir pour conséquence son propre assassinat - ou tout au moins une exécution capitale - suivi d’une renaissance en enfer. Mais devenu arhat, il n’était plus soumis à l’assassinat, à l’exécution, à la renaissance en enfer. Cependant son karma a pu parvenir à maturité durant le temps qui lui restait à vivre. Angulimala a été sévèrement molesté par la foule. Jamais son karma très lourd n’aurait pu arriver à maturation s’il n’avait pas renoncé à ses actes négatifs ni rejeté ses attachements à l’idée d’un self. Angulimala comprit que sa recherche du self avait été une erreur qui lui avait fait commettre tous ces actes négatifs. Il prit la décision de ne plus fuir la souffrance, de ne pas chercher à pérenniser le plaisir, de ne pas chercher la continuation d’un moi à travers vies et morts. Ainsi, pour lui, la nécessité d’une renaissance pour mener à terme son karma - bon ou mauvais - n’avait plus cours. Les arhats peuvent continuer à agir dans le monde mais leurs actions sont ce que le Bouddha appelle
Ces actions sont conformes à l' Octuple noble chemin que les autres qualifient d’actions positives. Ces actions ne sont motivées ni par l’attachement ni par l’aversion, ni par le besoin de gagner quelque chose pour soi - à court ou à long terme. Elles découlent de l’amour-empathie, de la compassion, de la joie partagée et de l’équanimité. Ces arhats font ce qui doit être fait pour le bien de tous et, à tout moment, en veillant aux répercussions à long terme. Ils agissent non pour le simple gain temporel ou pour la sécurité du moment mais pour la délivrance de tous les êtres. Ces actions ne sont ni sombres ni lumineuses car elles ne lient les arhats ni aux punitions des mondes-états inférieurs ni aux récompenses des mondes-états supérieurs. Dans un sens, chaque action est pour l’arhat sa propre récompense et ne laisse pas d’empreintes dans l’ego. C’est là une activité purifiée, non karmique, elle transcende les six voies samsariques et reflète la liberté du nirvana. Fin |