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Rites et technologie
Controverses au sujet du Gohonzon
sur le Net

par Mark MacWilliams (note)
https://core.ac.uk/download/pdf/32579958.pdf

Online – Heidelberg Journal of Religions in the Internet 2.1 (2006)

 

https://heiup.uni-heidelberg.de/journals/index.php/religions/issue/view/151


Résumé :  La position de la Nichiren Shoshu et de la SGI accrédite l'analyse de James Beckford selon laquelle «les aspects les plus visibles et les plus controversés de la religion se signalent de nos jours par des tentatives pastorales pour ramener les forces de la science, de la technologie et de la bureaucratie sous le contrôle humain.»

Internet est en train de transformer la façon dont les gens pratiquent la religion. Cet essai explore l'utilisation techno-rituelle d'Internet par le American Nichiren Buddhist Independent Movement*. Ses membre sont principalement d'anciens membres de deux organisations dont l'origine remonte à Nichiren Daishonin (1222-1282), la Nichiren Shoshu (note) et la Soka Gakkai Internationale (SGI-USA) (note). Une troisième école importante de Nichiren est la Nichiren Shu principalement  parmi les Américains d'origine asiatique dans les États occidentaux en tant que Nichiren Buddhist church of America*.

Comme d'autres nouveaux mouvements religieux en Amérique datant des années 1960, la Nichiren Shoshu et la SGI-USA, tout en attirant de nombreux membres, ont également souffert d'un taux élevé d'abandons. Une partie de ces défections est à mettre sur le compte des membres temporaires qui ont juste voulu expérimenter le bouddhisme Nichiren avant de passer à autre chose. Mais d'autres ont choisi de quitter l’organisation du bouddhisme Nichiren afin de poursuivre leur pratique religieuse en privé. En effet, certaines études indiquent qu’en Amérique les bouddhistes Nichiren pratiquant de façon indépendante pourraient être plus nombreux que ceux des Écoles bouddhistes institutionnelles (note).

De nombreux pratiquants  ont en particulier, quitté les organisations bouddhistes Nichiren après la lamentable ''guerre des temples'' qui a conduit à la scission virulente entre la Nichiren Shoshu et la SGI en 1991. Le conflit a commencé à propos du Gohonzon, "objet de vénération fondamental" qui est à la base de la pratique bouddhiste Nichiren. Les Gohonzons sont des rouleaux calligraphiques (mandala) représentant symboliquement le monde du Bouddha Atemporel Shakyamuni dans lequel se revèle le Sutra du Lotus. Il est écrit en caractères chinois avec au centre Daimoku, le titre du Sutra du Lotus (Hokke-kyo). Nichiren en a personnellement inscrit plusieurs exemplaires de 1271 à 1282 pour aider dans leur pratique ses disciples les plus fidèles (réf.).

Cependant, pour la Nichiren Shoshu, un seul Gohonzon, celui inscrit le 12 octobre 1279, est considérée comme le seul «véritable objet de vénération». Appelé Dai Gohonzon, il est actuellement enchâssé dans leur temple principal au Taiseki-ji. Selon la doctrine de l'Ecole Fuji (Nichiren Shoshu), Nichiren, en tant que Bouddha vivant, a créé le Dai Gohonzon pour sauver l'humanité de la période obscure des Derniers jours du Dharma (Mappo). Comme le décrit un moine de la Nichiren Shoshu : « on devient bouddha par la pratique de ce Grand Dharma inscrit dans le Dai Gohonzon » (réf.).

Le différend sur le Gohonzon a commencé en février 1989, lorsque le 67e Grand-patriarche, Abe Nikken, a renforcé les droits pour vénérer le Dai Gohonzon et pour les copies officielles des autels individuels (butsudan). Cela a conduit à des protestations d’Ikeda Daisaku, le chef charismatique de la SGI, contre ce qu'il considérait comme la politique abusive du clergé. La crise a atteint son paroxysme le 5 mars 1991, lorsque Abe Nikken a officiellement démis Ikeda de ses fonctions et, le 29 novembre 1991, a excommunié tous les membres de la SGI. A la suite de quoi, les membres de la SGI ne pouvaient plus se rendre au Taiseki-ji pour vénérer le Dai Gohonzon, ni recevoir pour leurs autels domestiques les copies qui avaient officiellement reçu "la cérémonie d’ouverture des yeux" par les moines (note). Depuis le 7 septembre 1993, la SGI fait imprimer ses propres Gohonzons à partir d'une copie inscrite en 1720 par Nichikan, le 26e Grand-patriarche (réf.). Comme la guerre des temples se poursuivait, chaque camp accusant l’autre de dénaturer le bouddhisme de Nichiren, beaucoup d’adeptes ont quitté ces deux organisations pour devenir indépendants (note).

Qu'est-ce qui rend le Gohonzon si important ? Nichiren est une figure clé de l'histoire du bouddhisme japonais. Né fils de pêcheur appauvri, Nichiren est entré dans l'ordre bouddhiste Tendai, mais l'a abandonné en 1253, à l'âge de 32 ans, lorsqu'il découvrit une forme concise de la doctrine et de la pratique centrées sur le Sutra du Lotus. Nichiren se considérait comme un Maitre du Dharma qui pouvait libérer les gens à l'époque de la dégénérescence du Dharma (Mappo qui aurait commencé en 1051), une époque où les enseignements essentiels du Bouddha historique Shakyamuni n'étaient plus efficaces. Nichiren était très controversé. S'appyuant sur la foi mahayana que tous les êtres possèdent la nature de bouddha, il a prêché une foi exclusive dans le Sutra du Lotus, dont l'essence était l'Éveil suprême du Bouddha (réf).

Les clés du salut spirituel, d’après Nichiren, sont les Trois Grands Dharmas cachés (sandai hiho) qu'il a découverts dans ce Sutra (réf.). Le premier est la grande plateforme d’ordination (Kaidan) du vrai bouddhisme dont il a prophétisé qu'il serait construit pendant la période de Mappo. Le deuxième est le Daimoku ou "titre" du Sutra du Lotus, Namu myoho renge kyo. Le "Dharma Merveilleux" (myoho) fait référence à la loi universelle de cause à effet qui est la force créatrice dans la vie humaine. La "fleur de lotus" (renge) symbolise l’Éveil suprême qui est la pure unité sous-jacente à tout phénomène. Nichiren a propagé ce mantra simple que chacun devait réciter. Par cette psalmodie les pratiquants pouvaient s'unir à la loi universelle de cause à effet et ainsi changer leur karma de manière bénéfique (réf). Le troisième Dharma caché est le mandala ou Gohonzon que Nichiren a inscrit pour ses disciples dans son désir de les conduire à l’Éveil. Causton explique que le Gohonzon est important parce qu'il représente symboliquement l'Éveil suprême, l'état idéal (note). Ce n'est ni un dieu ni un talisman magique qui exauce les vœux « mais simplement un objet qui tire du plus profond de nous notre nature de bouddha » (réf.). Néanmoins, il est essentiel car il est comme un Éveillé n'ayant d'autre motivation que d'apporter le bonheur à tous; Nichiren a offert ce Gohonzon comme un moyen de salut universel. Le Gohonzon n'est donc pas seulement un symbole, mais il est imprégné de l'esprit Éveillé de Nichiren (note). Le Gohonzon est souvent comparé à un « clair miroir [...] qui reflète parfaitement l'état de bodhéité inhérent à la vie, et qui peut dès lors permettre à toutes les personnes, quelles que soient leurs circonstances ou leurs capacités, de faire surgir et manifester la nature de bouddha qui est en eux ». (réf.).

De ce fait réciter daimoku devant le Gohonzon prend un aspect mystique. Cette "pratique assidue" (gongyo) forme un pont de sons et de vibrations faisant fusionnant le sujet et l’objet et accordant la Loi de l’univers avec à la nature de bouddha inhérente au pratiquant (réf.).

Il n'est donc pas étonnant que le Gohonzon soit «l'objet le plus important» dans la pratique bouddhiste Nichiren (réf.). Le clergé de la Nichiren Shoshu et l'organisation SGI remettent des copies du Gohonzon aux nouveaux membres qui les installent dans un autel à leur domicile. La foi consiste à croire au Gohonzon comme véhicule de salut. La pratique consiste à réciter régulièrement daimoku devant l'autel familial pour obtenir les avantages concrets, la santé psychique et physique, ainsi que l'Éveil et la paix mondiale. Une pratiquante de la SGI m'a dit que, pour elle, « le Gohonzon est important car il permet de concentrer son énergie et sa détermination pour le changement et l'action. Le Gohonzon est une représentation d'un état de vie éclairé, avec toutes les fonctions de l'univers positionnées là où chacune crée le plus de valeur. Lorsqu’on récite daimoku devant le Gohonzon il y a une fusion entre lui et notre force vitale, notre énergie. C'est un sentiment très puissant que nous ressentons en fusionnant avec un objet sacré qui représente la vérité ultime de l'Éveil et la dévotion à Nichiren ».

Il y a deux ans, un ami de la SGI est venu à mon cours de religion japonaise. Il expliquait à mes étudiants qu'en tant qu'objet de culte sacré, le Gohonzon n'est jamais exposé publiquement (note), lorsqu'une de mes étudiantes l’a interrompu en disant qu'elle avait trouvé un Gohonzon sur Internet. Et elle a fait circuler une photocopie d'un "Prayer Gohonzon"  téléchargé depuis le site Web du Mouvement Indépendant Américain de Don Ross appelé ''Nichiren’s Coffeehouse'' (réf.). Mon ami de la SGI n'était pas très contentent de voir ce Gohonzon Internet. Il nous a dit que c'était un ''sacrilège'' parce que le Gohonzon est trop sacré pour être affiché avec tant de désinvolture. Pour moi, ce fut une indication précieuse de la capacité d'Internet à transformer la pratique religieuse de manière radicale, éventuellement controversée. J'ai rapidement découvert plusieurs autres sites Web indépendants qui affichent des Gohonzons sur leurs pages. Un exemple est Yahoo! Groupes GohonzonInfo, un site dont l’objectif est de « diffuser des informations sur Nichiren Daishonin d'une manière non sectaire ». Il parle de cent vingt-huit Gohonzons existants que Nichiren a personnellement inscrits pour ses disciples. Il diffuse des Gohonzons téléchargeables en images haute résolution (1200 dpi). Il suffit de trouver le Gohonzon « qui vous parle» (réf.). Un autre site Web indépendant offre un service similaire : Nichiren Daishonin’s Buddhism Practiced Independently de Gerald Aitken. Un élément intéressant de ce site est le "Projet de restauration des Gohonzons'', une collection de Gohonzons restaurés numériquement sur des fichiers zip disponibles en téléchargement dans un format d'impression de haute qualité (note). Les sites comme GohonzonInfo et Nichiren’s Coffeehouse  utilisent Internet pour contester l'autorité exclusive des Ecoles officielles Nichiren dans la diffusion des Gohonzons. En effet, les indépendants ne voient aucun besoin d’intermédiaires institutionnels entre le Gohonzon de Nichiren et le fidèle potentiel. Aitken, par exemple, affirme que son site « vous fournit tout ce dont vous avez besoin pour pratiquer le bouddhisme de Nichiren Daishonin par vous-même » (réf.). Vous pouvez obtenir non seulement un Gohonzon, mais les écrits de Nichiren (Gosho), une traduction du gongyo et une page de liens pour contacter d'autres bouddhistes Nichiren indépendants. Un autre indépendant, Greg Dilley, fait valoir sur GohonzonInfo que « puisque chaque organisation ou Ecole exige l'adhésion et la loyauté exclusive avant d'accorder son Gohonzon à quelqu'un, on peut très bien souhaiter avoir un Gohonzon ''accès libre'' sans avoir à se plier aux exigences de quelqu'un. » (réf.).

Ce genre de propos effrontés ont provoqué d'énormes controverses dans le monde bouddhiste nichérénien. Le texte débattu se trouve dans Yahoo! Groupes Gohonzon Forum home page et propose une discussion suivie sur « la théologie et la théorie, des informations sur la façon de recevoir différents Gohonzons et des expériences liées à la réception et aux transferts de Gohonzon ». Si les messages ne peuvent pas être « menés avec courtoisie et respect », on propose un lien vers un forum partenaire appelé ''GohonzonWars''. (réf.)

On peut se poser deux questions. D'abord, pourquoi la Nichiren Shoshu et la SGI trouvent-elles sacrilèges les Gohonzons sur Internet? Deuxièmement, pourquoi les indépendants américains font-ils autant d'efforts pour fournir des images haute résolution à ceux qui veulent les télécharger pour leurs autels familiaux ? Que veut dire Greg Dilley en parlant de ''libre accès'' à propos de la présentation numérique du Gohonzon ? Il est important de répondre à ces questions pour comprendre la guerre actuelle des Gohonzon sur Internet. Ma thèse est que ce qui sépare les indépendants des nichiréniens institutionnels est une compréhension différente de la façon dont la technologie peut être utilisée rituellement. Les bouddhistes institutionnels pensent que les "rites d'institution" officiellement administrés sont essentiels pour transmettre le ''vrai'' Gohonzon au lieu d'une ''contrefaçon''. Les indépendants américains, en revanche, voient Internet comme le nouveau moyen techno-ritualiste de remplir la directive de Nichiren « pratiquer pour les autres » (kosen-rufu). En distribuant des images du Gohonzon par voie électronique, ils utilisent le cyberespace comme un hoben (moyen opportun) pour atteindre le but bienveillant de Nichiren, le salut universel. Le téléchargement numérique, à la place de la transcription personnelle, de l'impression sur bois ou de la photocopie, devient la dernière technologie pour diffuser l'Éveil à toute l'humanité.

La reproduction numérique comme perte de « l'aura »

Les Gohonzons numériques préoccupent  tant la Nichiren Shoshu que la SGI. Comme le note Lorne Dawson : « La perte relative de contrôle sur les documents religieux est un sujet d’inquiétude pour les organisations religieuses [...] Ce matériel est tout simplement trop flou et disséminé pour permettre un contrôle complet, par le biais d’instances officielles ou autrement [...] Cela ouvre grand la porte pour la divulgation de secrets bien gardés ainsi qu’à la création de courants syncrétiques concurrents » (réf.). La démocratisation et la possibilité de comparer dues à l’information par ordinateur inquiète particulièrement les religions dotées d'une autorité centralisée forte (réf.). Que peuvent faire la Nichiren Shoshu et la SGI pour empêcher les indépendants de reproduire des images sur Internet ? Selon Brenda Basher, le pouvoir d'Internet pour faire circuler des images  « rend accessible la diversité religieuse en même temps qu’elle menace d’éroder la valeur des personnes, des lieux et des objets originaux et uniques associés aux religions » (réf.)

La SGI aussi bien que la Nichiren Shoshu condamnent l'affichage virtuel du Gohonzon en ligne. Par exemple, un site non officiel de la Nichiren Shoshu publie une conférence du révérend Shoshin Kawabe (moine à Myogyo-ji, Chicago Ouest) sur Les soins et enchâssement du Gohonzon. Dans son discours, le révérend Kawabe note qu'en tant qu'objet de culte sacré, le Gohonzon mérite des soins particuliers :

«Nous ne devons pas ménager nos efforts pour maintenir le Gohonzon en bon état. Ainsi, nous devons faire attention à ne pas projeter dessus de la cire ou de l'eau. Écrire ou peindre sur le Gohonzon est absolument interdit. Nous devons également prendre des précautions pour éviter tout accident causé par des enfants ou des animaux domestiques. Le Gohonzon ne doit pas être exposé à la lumière directe du soleil. Sauf pendant le gongyo et le daimoku ou en nettoyant l'autel, les portes de l'autel doivent être fermées pour protéger le Gohonzon. En outre, la conduite suivante est formellement interdite : dessiner ou peindre et reproduire des images du Gohonzon, photographier le Gohonzon, filmer le Gohonzon et photocopier le Gohonzon » (réf.).

On trouve pratiquement les mêmes recommandations sur les sites officiels de la SGI. Soka Spirit, un site dont le but est « d'éduquer les hommes par les enseignements de Nichiren Daishonin », publie un "article vedette du mois" de Dave Baldschun (SGI-USA Study Dept) intitulé :  Tous les Gohonzons sont-ils les mêmes? ». Dans cet article, Baldschun fait valoir qu'

« A une époque où des copies du Gohonzon, dont certains inscrits de la main de Nichiren Daishonin, sont disponibles en boutique ou sur Internet, nous estimons que ces exemples offrent une leçon précieuse. Même si un Gohonzon est un Gohonzon, la source est importante. Nous devons être conscients que ceux qui proposent des Gohonzons et des enseignements sous le couvert du bouddhisme de Nichiren propagent en fait des opinions qui déforment les enseignements du Daishonin. Dans sa Lettre au nyudo d’Ichinosawa, Daishonin déclare : « Si la source est souillée, le courant ne peut être pur » (réf.).

La SGI précise sa position dans une note du 30 avril 2001 intitulée Distribution de Gohonzons. Ce texte estime l'acquisition sur Internet comme préjudiciable au véritable esprit des enseignements de Nichiren tels qu'ils sont propagés par la SGI. Recevoir un tel Gohonzon « ne fait que créer la confusion et la discorde au sein de la communauté des croyants de la SGI et peut donc détruire sa propre foi et celle des autres ». La SGI affirme la politique de « l’octroi du Gohonzon uniquement comme cela est fait au sein de la SGI, la rectitude des croyants renforçant l’enseignement du Daishonin. Nous ne soutenons ni ne tolérons la distribution, la réception ou la reproduction d'aucun Gohonzon de toute autre manière » (réf.).

Fidèles à leur discours, la SGI-USA et la Nichiren Shoshu ne proposent pas de Gohonzon sur leur site officiel. Dans le cas de la SGI, la rubrique pour les nouveaux membres affiche un autel virtuel à titre informatif uniquement. La page montre une image flash d'un dessin colorisé stylisé d'un autel avec ses portes fermées. Lorsque l'on clique sur les portes, elles s'ouvrent mais on ne voit qu'un rouleau vide et non pas une reproduction de l'objet de culte sacré (réf.). Même dans la ''section bibliothèque'' du même site, le Gohonzon n'est pas affiché. Il n’existe qu’un diagramme schématique du Gohonzon inscrit par Nichikan (le Gohonzon particulier de la SGI), présenté comme la ''carte au trésor de la vie''. Cependant, ce diagramme n'est qu'un schéma sans la calligraphie de Nichiren. Il s'agit d'un ensemble de cases vides avec une clé donnant une traduction en anglais et des équivalents romanisés du contenu du parchemin (réf.).

L'iconoclasme Internet de la SGI gagne également les ''responsables'' et les cyber membres. Selon mon enquête auprès d'une section de la SGI à Ottawa, au Canada, plus de 73,5% des personnes consultées ont une opinion négative sur l'affichage du Gohonzon sur Internet (note). Plusieurs membres interviewés pensaient que le Gohonzon en ligne était « une honte », un « sacrilège » ou « irrespectueux ». Par exemple, une personne m’a fait remarquer : « Le Gohonzon n'est pas un objet à admirer mais à vénérer respectueusement. » Une autre renchérit : « Le Gohonzon n’est simplement pas à sa place en ligne. Il est censé être enchâssé à l'intérieur d'un butsudan et il doit y rester. Il n'y a aucun doute là-dessus et j'aimerais savoir qui sont ces gens qui commettent de tels actes imbéciles, selon leur gré. »

Encore plus intéressantes sont les raisons que donnent les membres de la Nichiren Shoshu et de la SGI pour expliquer pourquoi un Gohonzon Internet est inapproprié. Certains y voient une dévalorisation ou une corruption du Gohonzon. Ils craignent que, si le Gohonzon est reproduit sur le Net, il se banalisera, perdra sa valeur religieuse en se détachant de sa ''source''. Cette crainte transparait  dans un récent article sur e-Sangha, un portail majeur du bouddhisme qui héberge un forum de discussion sur le bouddhisme Nichiren. Mark, membre laïc de la Nichiren Shoshu, y déclare : « Je désapprouve totalement les Gohonzons numériques. C'est aussi exécrable que les magasins au Japon qui vendent des Gohonzons. C'est juste une commercialisation au rabais de ce qui est le véritable objet de culte. Faire cela sur les mêmes réseaux que les hotels.com ou la pornographie en ligne abaisse son niveau de pureté puisque le Gohonzon est ''la source d'inspiration et d'orientation spirituelle la plus profonde''(réf.)». Ou bien, comme l'a résumé l'un de mes interlocuteurs : « Le faire flasher sur un écran comme juste une image ordinaire sur laquelle vous pouvez cliquer est pour le moins désinvolte.»

Une autre raison souvent invoquée est que ces médias accessibles à tous ne sont ni contrôlés  ni vérifiés et donc ouverts à de fausses informations. Selon la SGI, traiter le Gohonzon avec irrespect pourrait avoir un effet karmique négatif sur l’internaute ignorant. Par conséquent, permettre à n'importe qui de regarder le Gohonzon sans les conseils appropriés est spirituellement dangereux. Ce n'est qu'avec une bonne pratique, apprise en devenant membre de la SGI, que l'adepte peut réaliser le potentiel karmique bénéfique de la pratique du daimoku. Comme l'a conclu un participant à mon sondage : « Le Gohonzon a été inscrit pour permettre à chaque personne de devenir heureuse et épanouie. Représentant l'essence de la vie, il mérite d'être traité avec respect. Avilir le Gohonzon, c'est rabaisser la vie même. Les conséquence pour quelqu'un en seraient des plus regrettables.»

Une troisième raison est qu'Internet n'est pas le ''lieu" approprié pour exposer un Gohonzon. Internet est un espace fictif qui met l'accent sur la virtualité spatiale. Or les membres de la SGI ''localisent'' le Gohonzon en ce qu’il a son propre lieu sacré qui est intimement lié à la maison, à la famille et à une communauté SGI particulière. Il ne doit donc jamais être inscrit dans le non-lieu du cyberespace où il peut être consulté par n'importe qui à tout moment et dans n'importe quelles conditions. Ce n'est pas bénéfique car « la place de votre Gohonzon dans votre maison devient sacrée ». Un membre répondant à mon enquête note que, bien que le Gohonzon soit un ''objet'' d'adoration et non une personne, le Gohonzon virtuel le chosifie à outrance :  «Je pense que sa présence matérielle dans notre maison est profondément significative. Il semble avoir une ''vie'' chaleureuse et belle dans notre maison. C'est notre objet de culte familial. » Un autre renchérit : « C’est comme si au lieu de parler à un ami face à face on lui envoyait un e-mail. Si vous voulez partager des informations personnelles importantes, il vaut mieux se parler. Donc, je pense qu'il est préférable de faire daimoku  devant le Gohonzon. »  En d'autres termes, l'aura sacrée du Gohonzon, sa ''vie'' pour l'adepte, est liée à sa présence physique au sein du foyer et de la famille qui le vénère ; pour ces membres de la SGI, Internet est un espace public froid, impersonnel qui fait du Gohonzon un objet dissocié du pratiquant, sans  aucun lien personnel et n'offrant aucune possibilié de fusion car il ne vit pas dans le butsudan familial.

Cela nous mène à une dernière raison pour laquelle les nichiréniens institutionnalisés estiment inapproprié  le Gohonzon en ligne. Celui-ci se trouve en dehors de la lignée de transmission légitime du groupe. Faire partie d'une ''lignée'' correcte signifie que le membre a reçu le Gohonzon de l'autorité religieuse désignée, dans le cas de Nichiren Shoshu, le prêtre de son temple ou, dans le cas de la SGI-USA, de la direction laïque. Un participant à l'enquête observe : « Recevoir un Gohonzon de l'organisation fait partie de la pratique, c'est comme un rite de passage. L’affichage sur Internet fait l’impasse sur ce rite et sur d'autres aspects importants de la pratique. » Cette argumentation contre l’exposition publique du Gohonzon souligne le rôle central de la tradition - intégration institutionnelle, rituelle et sociale du Gohonzon - pour légitimer le pouvoir et l'autorité sacrés dans la vie des pratiquants. Cela met en évidence un point commun entre la Nichiren Shoshu et la SGI qui est souvent ignoré en raison du conflit âpre entre les deux organisations. L'antipathie des deux groupes envers les Gohonzons Internet reflète les idées que Walter Benjamin développe dans son essai devenu un classique : L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (1955).

Benjamin estime que la reproduction mécanisée contemporaine d'images par lithographie, photographie et film « modifie la réception des œuvres d'art ». Ces médias sont puissants car ils créent comme par magie une ressemblance détachée de l'objet, de sa position d'origine dans l'espace et le temps où il a sa propre existence unique. La technologie le  fait circuler librement afin que chacun puisse l'apprécier. Une photographie du Dai Gohonzon, par exemple, le délocalise de son sanctuaire au Taiseki-ji où seuls les prêtres et les pèlerins peuvent le voir. L'image peut ensuite voyager via Internet jusqu'en Amérique où les élèves d'un cours de religion japonaise peuvent la voir sur leurs écrans d'ordinateur. Le professeur peut la reproduire à volonté, en téléchargeant une image pour l’utiliser dans le cadre d'une question d'examen, par exemple. (réf.)

Alors que la technologie internet libère les images pour les rendre plus proches du consommateur, il manquera toujours à la reproduction une qualité essentielle de l'original, sa qualité de présence, son hic et nunc : « L'authenticite d'une chose intègre tout ce qu'elle comporte de transmissible de par son origine, sa durée materielle comme son temoignage historique.» (réf). Benjamin estime que la demande du consommateur de rapprocher les objets « détache la chose reproduite du domaine de la tradition », le séparant de sa présence unique dans des lieux particuliers et des contextes historiques, culturels et religieux spécifiques qui lui ont donné un sens et une valeur particuliers. La conséquence de la reproduction mécanisée est donc une « liquidation de la valeur traditionnelle de l‘héritage culturel » - la perte de ce que Benjamin appelle ''l'aura'' de l'objet.

Dans le cas du Dai Gohonzon, l’abolition de la tradition se produit, par exemple, si un étudiant décide de le télécharger et de mettre cette copie sur le mur de son dortoir parce qu'il pense que « ça a l'air cool » ou bien s'il apporte une copie dans sa  classe pour la montrer et en parler. C'est exactement ce que craignent les nichiréniens institutionnels. Cela reflète ce que Lorne Dawson a théorisé comme « le passage du monde hors ligne au monde en ligne » entrainant « deux conséquences sociales très importantes : une crise d'autorité et une crise d'authenticité. » (réf.)

Encadrement rituel de "l'aura'' - Rites  institutionnels  pour les Gohonzons

Le rejet du Gohonzon Internet par le bouddhisme Nichiren institutionnel est basé sur la prémisse théologique que le rituel de la vie réelle est essentiel pour insuffler l’aura au Gohonzon. C'est également Walter Benjamin qui a noté le pouvoir du rituel pour créer l'aura car, souvent, une œuvre d'art ancienne est également un objet sacré : « Les œuvres d'art les plus anciennes s'élaborèrent au service d'un rituel d'abord magique, puis religieux. Or, il est de la plus haute signification que le mode d'existence de I'œuvre d'art déterminé par l'aura ne se sépare jamais absolument de sa fonction rituelle. En d'autres termes : La. valeur unique de l’œuvre d'art "authentique" a sa base dans le rituel» (réf). Malgré leurs différences, la Nichiren Shoshu et la SGI s’accordent toutes deux pour que le Gohonzon ne soit jamais affiché publiquement comme objet d’art. Toutes deux conviennent également que l'aura des Gohonzons provient, en partie, des conditions institutionnelles de sa production et de sa réception. À cet égard, la Nichiren Shoshu et la SGI sont convaincues que les "rites comme actes d'institution", selon la définition de Pierre Bourdieu, peuvent générer cette aura ; leurs pratiques rituelles symboliquement puissantes agiraient sur la réalité en agissant sur sa représentation (réf.). Ces rites ont une ''magie sociale'' essentielle qui trace des frontières sociales sans ambiguïté au niveau le plus élémentaire entre ceux qui sont reconnus comme membres du groupe et ceux qui ne le sont pas. Des rites institutionnels consacrent cette différence et lui attribuent des propriétés à caractère social. À titre d'exemple, Pierre Bourdieu voit la circoncision comme un exemple typique d'un "rite comme acte d'institution". L'acte divise à l’évidence l’avant et l’après - l'enfant circoncis de l'enfant non circoncis - mais, simultanément, il marque également des divisions cachées, comme entre ceux qui sont soumis à la circoncision (garçons et hommes) et ceux qui ne le sont pas (filles et femmes). C'est le rite qui consacre et institue cette différence. (réf.)

Nichiren Shoshu et SGI utilisent toutes deux les rites institutionnels du Gohonzon pour tracer des frontières explicites entre ceux qui suivent les ''vrais enseignements'' et ceux qui ne les suivent pas. Comme nous l'avons vu, c'est un différend au sujet de l'attribution des Gohonzons qui a conduit au schisme en 1991. Après avoir perdu le soutien administratif de la Nichiren Shoshu, la SGI a été contrainte de créer de nouveaux rites d'institution confiés aux laïcs pour l'octroi du Gohonzon, l'autel d’enchâssement, l'entretien et les procédures spécifiques pour le gongyo. Dans tous les cas, les rites de la Nichiren Shoshu et de la SGI restreignent l'accès au Gohonzon, protégeant ainsi son ''aura'' tout en identifiant qui est membre.

Dans la Nichiren Shoshu, ce sont les moines qui exécutent les rites institutionels. Leur autorité sacerdotale est basée sur "la transmission sanguine" (kechimyaku) depuis le Grand-patriarche qui fait remonter sa filiation directement à Nikko Shonin, l'un des premiers disciples de Nichiren. C'est le Grand-patriarche qui contrôle directement le saint des saints, le Dai Gohonzon du Taiseki-ji. Seul le Grand-patriarche ou ses mandataires officiellement désignés peuvent remettre des copies officielles aux fidèles lors de gojukai, la cérémonie de remise du Gohonzon. Ce n'est qu'après avoir effectué une "cérémonie d'ouverture des yeux" spéciale que les copies acquièrent une force spirituelle provenant de l'énergie du Dai-Gohonzon, passant du Véritable objet de culte aux Gohonzons des fidèles (réf.).

Dans la Nichiren Shoshu, cette forme de transmission rituelle exclusivement sacerdotale est essentielle pour l'aura du Gohonzon et l'authenticité de la pratique religieuse laïque. Le Révérend Shoshin Kawabe le dit clairement dans sa conférence sur La transmission du Gohonzon. « Kechimyaku, note-t-il, s'écrit avec deux caractères : ''sang'' et ''veine''. Tout comme le sang, circule dans le corps apportant la vie, le pouvoir bénéfique du Dai Gohonzon circule parmi les fidèles. Ce Dai Gohonzon, légué au Grand-patriarche et enchâssé dans le Grand Sanctuaire, est le cœur qui pulse ce sang vital à travers ses vaisseaux (les moines) vers les capillaires (les croyants laïcs) qui reçoivent son pouvoir spirituel dans leurs copies du Gohonzon. » Kawabe estime que ceux qui nient cette lignée de transmission sacerdotale, qui disent  : ''Je connais mieux le bouddhisme que le Grand-patriarche [...] Mes idées sont celles du Gohonzon. Je ne suivrai pas ces enseignements sur le Gohonzon. Cependant le Gohonzon doit répondre à mes prières", ne peuvent pas être considérés comme des fidèles. Pour eux, il n’y a aucun bénéfice car ils se ''coupent'' du ''sang de la vie'' de la foi (réf.).» Le salut n'est possible que par l'intermédiaire d'un moine ou d'un Gohonzon directement lié au Grand-patriarche du Taiseki-ji, « dont  la vie vénérable [...] est une avec le Dai Gohonzon du Grand Sanctuaire du Vrai bouddhisme» (réf.).

La Nichiren Shoshu voit donc les Gohonzons acquis de toute autre source comme des ''contrefaçons blasphématoires'' parce que le Dai Gohonzon du Taiseki-ji est l'unique vera icona incarnant l'esprit de Nichiren et la réalité de l'Éveil complet (réf.). Cette conviction se trouve renforcée par l’expérience spirituelle intense que vivent les pèlerins laïcs devant l'aura du Dai Gohonzon au Taiseki-ji (note). C’est par l'octroi sacerdotal et en raison de leur lien direct avec le Dai Gohonzon que les copies du Gohonzon sont authentiques. C'est l'aura du Dai Gohonzon que les moines ''drainent'' vers les fidèles, transmettant le sang de la vie par le rite de gojukai. Comme le dirait Bourdieu, ce rite d'institution est essentiel car il établit les frontières entre les membres de la Nichiren Shoshu et les non-membres qui peuvent avoir des Gohonzon ''contrefaits''. Cela inclut non seulement la SGI, mais aussi des indépendants qui utilisent des Gohonzons Internet.

Après sa rupture avec la Nichiren Shoshu, la SGI a dû développer de nouveaux rites institutionnels  pour marquer ses frontières distinctives en tant que nouveau mouvement religieux (NRM) (note). Coupée des moines, la SGI a commencé à produire ses propres Gohonzons en 1993. Le Gohonzon de base est appelé "Gohonzon Nichikan" et fut inscrit par le 26e Grand-patriarche Nichikan en 1720 puis octroyé à la SGI par des prêtres réformistes du temple Joen-ji. Si la SGI n'a pas de hiérarchie ecclésiastique, elle a toujours à la tête Ikeda Daisaku en tant que modèle et Maitre pour les membres à ''hiérarchie quasi cléricale'' en charge de la distribution des Gohonzons. Depuis la scission, la SGI a activement tenté de discréditer les rites sacerdotaux de la Nichiren Shoshu en faisant valoir qu'ils ne se trouvent pas dans les Écrits de Nichiren. Par exemple, un texte de la SGI : A Historical Perspective on the Transcription of the Gohonzon dit :

«Les moines affirment actuellement que l'autorité concernant le Gohonzon appartient uniquement au Grand-patriarche. Il prétend que lui seul peut reproduire le Gohonzon pour les croyants, car lui seul peut effectuer la "cérémonie d'ouverture des yeux'' et ainsi incorporer dans le Gohonzon ''l'essence vivante'' de la vie Éveillée du Daishonin, que lui seul possède. Cependant, non seulement il n'y a pas de passage dans les goshos pour soutenir de tels rituels ésotériques,  le fait que les supérieurs des temples de cette École aient transcrit le Gohonzon contredit complètement ce raisonnement.» (réf.)

On peut trouver dans les goshos seulement que le « Daishonin a accordé le Gohonzon à chaque croyant sincère. Il n’en a jamais restreint la possession à quelques-uns. Nikko Shonin a également inscrit des Gohonzons pour les croyants jusqu'à la fin de sa vie - jusqu'à ce qu'il soit trop faible pour tenir son pinceau. Le but des transcriptions est donc ''de s'harmoniser avec le déroulement de kosen rufu, répandant le salut dans toute l'humanité''» (réf.). De ce point de vue, les rites sacerdotaux et les méthodes traditionnelles de reproduction et d’octroi de Gohonzons sont à comprendre comme des hoben (moyens opportuns) inventés comme l'a indiqué Nikko Shonin pour :

«Maintenir l'équilibre délicat entre maximiser la disponibilité du Gohonzon pour ceux qui ont une foi forte et l’esprit de recherche et minimiser le danger de confusion et d'irrespect envers ce précieux objet de culte. La reproduction et l’octroi du Gohonzon doivent être strictement gérés par le corps des croyants qui se consacrent à kosen-rufu, sur la base des enseignements de Nichiren Daishonin et de Nikko Shonin (réf.)

Cette citation montre que le principe le plus important dans l'enseignement de Nichiren concernant le Gohonzon est kosen-rufu. La SGI le détaille en quatre points. Premièrement, l'autorité sacerdotale sur la production et la diffusion des Gohonzons n'est qu'un ''moyen opportun'', une stratégie pour la propagation de la foi de Nichiren auprès de croyants sincères et pour veiller à ce que l’octroi soit fait de manière appropriée et respectueuse. Selon le Temple Handbook  de la SGI, puisque la Nichiren Shoshu refuse d'accorder le Gohonzon à des membres de la SGI rigoureusement fidèles, elle va à l'encontre de l'objectif de Nichiren de sauver toute l'humanité car elle utilise le Gohonzon «comme un objet pour manipuler et intimider les croyants.» (réf.)

Deuxièmement : « Nichiren n'a fait aucune distinction de capacité ou de foi entre les moines et les laïcs et son intention fondamentale était d'encourager toutes les personnes qui cherchent sincèrement à suivre son enseignement.» (réf.) Comme l'explique un dirigeant de la SGI :

«L'existence du Gohonzon a pour but de servir les hommes - et non l'inverse. Nichiren a enseigné l'égalité fondamentale de toutes les personnes et, en outre, que le Bouddha est une personne ordinaire. Dans son gosho Le véritable aspect de tous les phénomènes , il déclare sans équivoque : ''Il ne faut pas faire de discrimination entre ceux qui propagent les cinq caractères de Myoho Renge Kyo, qu'ils soient hommes ou femmes dans la période des Derniers jours du Dharma.'' L'affirmation des moines de la Nichiren Shoshu de leur supériorité sur les croyants laïcs dément cette déclaration, et leur utilisation du Gohonzon comme instrument d'autorité est l'expression de cette distorsion, cause sous-jacente essentielle de la scission avec la Soka Gakkai (réf.)

Pour comprendre la position de la SGI, il importe de saisir son interprétation universaliste du kechimyaku. Le sens de l'héritage ou ''élément vital'' de la foi ne se fonde pas sur l’exclusivité de la transmission des enseignements par les moines (et il convient de noter que la formulation de cette ''transmission'' a été modifiée à travers les siècles par des incohérences, des lacunes majeures et de graves erreurs doctrinales). La force vitale est basée sur la communauté des croyants qui soutiennent l'enseignement correct dans un esprit de ''un seul cœur dans différents corps'' (itai dosshin). Citons encore le gosho de  Nichiren : L'héritage du Dharma ultime de la vie  :

« Tous les disciples de Nichiren et ceux qui croient en son enseignement devraient réciter Namu Myoho Renge Kyo d'un même coeur (itai doshin) en transcendant toutes leurs différences, jusqu'à devenir aussi inséparables que les poissons et l'eau dans laquelle ils nagent ; ce lien spirituel est la base de la transmission universelle du Dharma ultime qui régit vie et mort. C'est là le véritable but de l'enseignement que propage Nichiren. »

Ceci est capital  car ce sont les disciples unis avec un même esprit pour réaliser le vœu du Bouddha qui rendent l'héritage valide et lui donnent vie, et le Gohonzon devient ainsi la ''bannière de propagation'' (réf.), symbole de leur unité. (réf.) Par conséquent, il n'y a rien d’intrinsèquement condamnable si la SGI produit ses propres copies du Gohonzon de Nichikan, car il s'agit d'une communauté de croyants unis dans la dévotion aux enseignements de Nichiren. L’octroi des Gohonzons fait partie de ses « efforts mondiaux pour informer les gens sur la foi et promouvoir le respect mutuel et la compréhension entre les individus et les communautés» (réf.).

Troisièmement, le fait est que les rites sacerdotaux et les procédures de diffusion du Gohonzon ont changé avec les exigences du kosen-rufu. Bien que la transcription manuelle du Gohonzon pour quelques disciples ait pu être appropriée au temps de Nikko Shonin, les temps ont changé : « la méthode de reproduction du Gohonzon a changé en fonction des conditions sociétales, telles que les progrès des technologies du transport, de la communication et de l'impression  et, plus important encore, les conditions et les progrès du mouvement kosen-rufu » (réf.). La forme d'octroi propre à la SGI sous la forme d'okatagi (littéralement bloc de bois, mais signifiant plus généralement des copies imprimées) est également un moyen rapide d'atteindre le plus grand nombre de fidèles pour leur salut. Ces copies ont le même pouvoir que l'original en raison de la sincérité et de la foi de ceux qui récitent daimoku. La SGI soutient que sa distribution des Gohonzons est un acte de compassion qui répond « à l'esprit de recherche des gens ordinaires des Derniers jours du Dharma » (réf.)

Quatrièmement, Nichiren lui-même a inscrit le Gohonzon pour que chacun « rende le Gohonzon accessible à tous ceux qui cherchent sincèrement à pratiquer ses enseignements, leur permettant ainsi d'établir un bonheur indestructible par leur foi et leur pratique.» (réf.). La SGI, par conséquent, est particulièrement critique de ce qu'elle appelle la ''doctrine insulaire du patrimoine sacerdotal''*. En exerçant un contrôle clérical sur les fidèles laïcs, les moines vont à l'encontre de l'injonction de Nichiren de travailler avec compassion pour le bonheur de l'humanité car ils empêchant les fidèles laïcs de partager librement leur foi (kosen rufu). La SGI considère que son propre effort de prosélytisme mondial remplace ce qu’ils considèrent comme les rites institutionnels exclusifs de la Nichiren Shoshu ; ''exclusifs'' parce qu’ils empêchent les croyants de recevoir le Gohonzon.

Pourtant, la SGI insiste toujours sur le fait que « la reproduction et l'octroi des Gohonzons doivent être strictement gérés par le corps des croyants ». Cette communauté bouddhiste ou sangha est établie par le biais des rites institutionnels distinctifs de la SGI, rites conçus pour conférer l'aura du Gohonzon Nichikan à ceux des nouveaux membres. L'attribution ne se produit qu'après un processus d'initiation complexe en neuf étapes : avoir dix-huit ans et remplir les conditions d'adhésion et d'installation du Gohonzon ; avoir un parrain ''bon ami'' (zenchishiki) qui cosigne votre demande ; assister à une réunion par mois ; s’abonner au World Tribune ; participer à un séminaire pour les nouveaux membres et rencontrer les responsables de section et de chapitre qui examinent la demande pour l’approbation finale. Un postulant ne reçoit finalement le Gohonzon qu'après une cérémonie de remise spéciale au cours de laquelle il s'engage à « respecter les directives de la SGI en ce qui concerne la pratique de la foi. » Cela signifie que le nouveau membre reconnaît que la SGI suit fidèlement le bouddhisme du Daishonin. (réf.) Le fait que la cérémonie d’octroi a lieu au sein de la communauté de la SGI garantit le ''délicat équilibre'' entre la mise à disposition du Gohonzon pour le salut et le maintien du respect pour l’objet sacré. Ce processus d'attribution détaillé établit également des frontières nettes entre les membres de la SGI et ceux qui ne le sont pas.

Pour la SGI, un ''vrai'' Gohonzon est celui qui est au centre de la pratique. Des copies du Gohonzon « devant lesquelles nous pratiquons tous les jours chez nous ou dans nos centres communautaires SGI sont dotées exactement du même pouvoir de la Loi inhérente au Dai Gohonzon (note). Ils sont identiques à l'original parce que l'aura d'un Gohonzon dépend de la spiritualité interne du pratiquant. La position de la SGI suit les paroles de Nichiren: « Ne cherchez jamais le Gohonzon en dehors de vous-même. » Agir autrement, selon Daisaku Ikeda, c'est chosifier le Gohonzon comme au Taiseki-ji, plutôt que de comprendre sa vraie nature de miroir reflétant l'Éveil suprême dans le cœur de chaque adepte. Beaucoup de membres SGI participant à mes sondage décrivent le Gohonzon comme le miroir que les gens utilisent chaque matin pour se préparer pour la journée ; le Gohonzon est un miroir spirituel. L'utiliser dans la pratique quotidienne permet aux membres de la SGI de rendre leur vie belle en voyant la vraie nature de bouddha cachée en eux. Le Gohonzon est considéré du point de vue du sujet ; c'est une partie intensément personnelle et intime de sa vie (réf.). Comme l'a fait remarquer un de mes correspondants :

« C'est une projection matérialisée de ma vie. La manière de traiter avec respect la zone qui l'entoure (c'est-à-dire la zone de l'autel) est une manière de respecter le Gohonzon et donc ma vie. Pour moi, ce qui compte, c’est qu'il soit réel et qu'il soit chez moi. C'est comme parler réellement à un ami plutôt que par téléphone ou par e-mail. Il y a beaucoup plus de profondeur dans ce contact réel.»

Ce type d'attitude évite la réification, un piège spirituel aux conséquences karmiques très négatives. Voir le Gohonzon comme un ''totalement autre'' conduit à penser qu'il est un objet sacré extérieur qui a besoin de moines pour servir d'intermédiaires spirituels (réf.).

Le pratiquant  finit par agir avec servitude envers le Gohonzon, comme s'il était un être transcendant ou une force extérieure. Selon la SGI, une telle pratique est erronée et ne mène pas à l'Éveil.

En somme, la SGI établit une frontière avec la Nichiren Shoshu en faisant appel à la plus haute autorité, celle des écrits de Nichiren ainsi qu'à la croyance que ce qui confère une aura à un Gohonzon est la réalité spirituelle interieure du fidèle réalisée par une pratique personnelle chez soi ou au centre communautaire. Pour  la SGI, c'est le rituel laïque quotidien de l'adepte, le gongyo, fait avec une foi profonde qui crée une frontière entre les membres de la SGI et les autres. Comment faire le gongyo efficacement est défini par des séminaires SGI, des réunions de chapitres et diverses publications qui décrivent en détail les procédures rituelles appropriées. De plus, l'aura des Gohonzon est également une réalité communautaire, créée par la ''communauté des croyants'', unis dans leur dévotion commune à Nichiren. Selon Tony Meers, directeur général de la SGI Canada, cette aura générée au sein de la communauté SGI est ce qui rend la SGI différente des indépendants : µ

Cette communauté de croyants est absente du modèle des ''indépendants'', ce qui rend leur affirmation d'une approche ''à ne compter que sur soi'' (“do-it-yourself”) en contradiction fondamentale avec les enseignements de Nichiren, qui préconise la pratique pour soi et les autres comme essentielle pour atteindre l'Éveil. Citons à nouveau La véritable réalité de la vie :

« Exercez-vous dans les deux voies de la pratique et de l'étude. Sans pratique ni étude, il ne peut y avoir de bouddhisme. Vous ne devez pas seulement persévérer vous-même ; vous devez aussi enseigner aux autres. Pratique et étude proviennent toutes deux de la foi. Enseignez aux autres au mieux de vos capacités, ne serait-ce qu’une phrase. Namu-myoho-renge-kyo, Namu-myoho-renge-kyo

Dans cette optique, le vœu du Bouddha de permettre à tous les êtres vivants d'atteindre la bodhéité ne peut se manifester que par les efforts collectifs de ses disciples, unis dans ce but et transcendant leurs différences. Le Gohonzon matériel est moins important que le Gohonzon ''intérieur'' ; cependant, le Gohonzon matériel utilisé par ce collectif de disciples les représente ainsi que leurs efforts unis, comme la ''bannière de la propagation''. Le traitement respectueux du Gohonzon et de son octroi par cette communauté, afin d’accueillir le nouveau croyant, est l’expression de la pratique bouddhiste de Nichiren pour soi et pour les autres. C'est finalement en respectant les gens que l'on respecte le Gohonzon. L'utilisation d'images Internet du Gohonzon fait totalement l’impasse sur ce principe essentiel (réf.).

Nous venons de préciser comment se différecient la Nichiren Shoshu et la SGI dans leur rites dans leur octroi du Gohonzon. Cependant, alors qu’elles se critiquent mutuellement sur la légitimité des ces rites, toutes deux s’accordent sur la question des Gohonzons numériques. Les deux refusent de les accepter comme objet de culte, les traitant de "contrefaçons sacrilèges". Elles le font parce qu'elles partagent une croyance commune selon laquelle ''l'aura'' d'un Gohonzon est transférée par le ''rituel de la vie réelle''. En tant que traditionalistes, elles considèrent les technologies de reproduction numérique comme non réglementées et, par conséquent, en dehors de l'autorité et de l'authenticité de leurs traditions. On pourrait résumer leur croyance en énumérant ce qu'elles considèrent comme les différentes caractéristiques du Gohonzon original et d'une copie Internet :

Image numérique sur Internet
Original du Gohonzon (autel personnel)

Inauthentique 
Pas de rituel / culte
Pas de lignée
Plusieurs
Proche
Profane
Aucune aura
Pas de tradition

Authentique    
Rituel / Culte
Lignée (Prêtres / Goshos de Nichiren)
Un seul : Dai Gohonzon / Copie Nichikan
Distant (Taisekiji / SGI exclusif)
Sacré
Aura
Intégré dans la tradition

Cette liste montre clairement le jugement négatif du Gohonzon Internet par les bouddhismes nichiréniens institutionnels. Puisqu'ils ne sont pas consacrés ou légitimés par des rites d'institution, les Gohonzon Internet sont des faux. Tout comme le média dans lequel ils apparaissent, les Gohonzon Internet sont publics et non  personnels, dé-ritualisés et  non-ritualisés, indépendants et non institutionnalisés, et finalement sacrilèges et non des objets de culte sacrés (note). La position commune de la Nichiren Shoshu et de la SGI conforte l'évaluation de James Beckford selon laquelle « les aspects les plus visibles et les plus controversés de la religion se signalent de nos jours par des tentatives pour ramener sous contrôle humain les points forts de la science, de la technologie et de la bureaucratie » (réf.). 

Comme la scientologie et d'autres ''religions initiatiques'', les bouddhismes institutionnels Nichiren favorisent leurs propres rites dont ils sont les seuls détenteurs et qu’ils ont ratifiés pour garantir le salut. Comme l'observe William Bainbridge, Internet menace ces groupes sur le plan organisationnel car « un système initiatique s'effondrerait si tout le monde avait libre accès à toutes les parties sacrées.» (réf.)

Le Gohonzon Internet menace l’aura de l’objet de culte de la Nichiren Shoshu et de la SGI et, par extension, la viabilité de l’organisation cultuelle et ecclésiastique qui en fait des institutions religieuses.

Les indépendants américains et Internet - L'aura du Gohonzon numérique américain

Les indépendants américains ont une vision  du Gohonzon Internet radicalement différente des bouddhistes institutionnels. Ils rejettent leur formulation qui condamne le Gohonzon Internet en tant qu’un faux. Pour les indépendants, les Gohonzons Internet sont authentiques et sacrés. Don Ross est un porte-parole représentatif des indépendants ;  il est webmaster du site indépendant le plus important du Net, Nichiren’s Coffeehouse.

Selon sa page d'accueil, Nichiren’s Coffeehouse est « un site Web INDÉPENDANT fournissant des informations et des ressources sur les divers mouvements basés sur le Sutra du Lotus ainsi que l'étude des enseignements du Bouddha de nombreuses traditions » (réf.). C'est un énorme site contenant des archives d'articles et d’écrits sur le bouddhisme Nichiren par d'autres indépendants, des liens vers les principales branches du bouddhisme Nichiren, notamment la SGI, la Nichiren Shoshu, la Nichiren Shu, Reiyukai, etc., des sanghas des prisons, des publicités communautaires indépendantes, des explications sur le bouddhisme Nichiren écrit en termes accessibles (tels qu' Un programme en douze étapes pour les bouddhistes Nichiren de Ross), des économiseurs d'écran daimoku, etc. En tant qu'associé d'Amazon.com, il a enregistré 1 430 580 visites depuis 1997 et le Ross Webring Lotus Sutra Net, créé le 6 juin 2001 pour « tout site Web qui honore le Dharma sous ses nombreuses formes », compte 148 sites actifs avec 46 356 pages vues (réf.). Avec son répertoire mondial de groupes indépendants, il fonctionne comme un centre virtuel pour la communauté indépendante. Il est également important par l’offre de sa ''galerie virtuelle'' la plus complète de Gohonzons téléchargeables sur Internet. De ce fait « il n'y a aucun moyen de savoir, combien de personnes ont imprimé une image du Gohonzon depuis le site Web de Ross, et cela inquiète ses détracteurs » chez les bouddhistes institutionnels nichiréniens (réf.).

Le parcours spirituel de Ross explique pourquoi il a créé son site. Il permet également d'entrevoir ce qui motive de nombreux indépendants à consulter son site. L'histoire de Ross reflète de nombreuses façons la recherche incessante de la génération du baby-boom d'une force ou d'une énergie personnelle pour donner un sens et une direction à leur vie. Wade Clark Roof pense que pour les baby-boomers comme Ross, le thème de la quête spirituelle est au cœur de leurs récits personnels (réf.). Se méfiant des institutions traditionnelles, beaucoup de jeunes de cette génération les ont délaissées pour chercher de nouveaux ''marchés spirituels'', comme Internet, et pour de nouveaux fournisseurs de biens répondant à leurs besoins individuels. Quand ils parlent de religion, ils la définissent comme leur voyage personnel de découverte d'une force ou d'une énergie sacrée qui, à terme, les transformera positivement (réf.). Sur son site, Ross publie deux textes autobiographiques de sa quête spirituelle. Dans ses Adventures in Consciousness, from Baptist to Buddhist and the Beeyond ou bien Tales of a Spiritual Deviant* ,  Ross parle de son enfance en tant que baptiste du Sud, puis luthérien et, à 17 ans, un jeune homme « que la liberté démange » et qui aimait « tout essayer au moins une fois pour voir si cela fait du bien ».

En sortant du placard en tant que gay, il est tombé dans l'excès de drogues et d'alcool, abusant de la méthamphétamine et ayant des rapports sexuels non protégés qui l'ont conduit à la séropositivité en 1981-1982, puis à la dépression. Au cours des années suivantes, vivotant sans domicile « dans le nulle-part», Ross a expérimenté diverses pratiques du new age, faisant pendant un certain temps figure de médium, jusqu'à ce qu'il découvre sa « lampe dans l'obscurité » : le bouddhisme Nichiren.

La seconde moitié de son histoire, s'intitule Mon chant de la révolution humaine, en référence au président de la SGI, Daisaku Ikeda, pour qui la révolution humaine d’un seul individu « permettra le changement dans le destin de l'humanité tout entière ». Sa conversion à la  SGI a commencé par un miracle personnel de guérison. Après une crise d'épilepsie qui a laissé Ross dans le coma, son médecin, frustré parce qu'il ne pouvait rien pour l'aider médicalement, a récité Nam Myoho Renge Kyo à côté de lui. Miraculeusement, Ross s'est bien réveillé le lendemain et, en 1984, a finalement rejoint la SGI avec son nouveau partenaire Wes Goetzel. Bien que le bouddhisme Nichiren ait été au centre de sa vie, Ross a rapidement ressenti une ambivalence quant à sa place au sein de la SGI. Ces sentiments se sont intensifiés en 1986 lorsque Ross et son partenaire ont tous deux été déclarés atteint du sida. À cette époque, le sida était mal compris et une stigmatisation sociale considérable était attachée à ses victimes. Les dirigeants de la SGI l'ont encouragé à faire daimoku sept heures par jour jusqu'à ce qu'il atteigne 2,5 millions en 1992. Il attribue à cette pratique la possibilité de surmonter toute maladie, en particulier la rémission de son infection par le VIH. Cependant, Ross a également été victime de la discrimination de la part des dirigeants de San Francisco qui l'ont banni des réunions ''pour protéger les membres''. Alors que la guerre des temples faisait rage en 1991, Ross n’a pas ménagé ses efforts pour soutenir la position de la Gakkaï. Mais il s'est rendu compte que plus il s’investissait dans la SGI, plus son système immunitaire se détériorait. Il a commencé à voir un lien entre la détérioration de sa santé et la santé des institutions auxquelles il était associé :

« Les tendances à opprimer et à diviser sont présentes dans les religions et les politiques du monde depuis longtemps. C'est la nature humaine. À bien des égards, je vois le VIH comme similaire : insidieux, c'est le virus dans le corps du lion qui provoque une dysharmonie et, finalement, un affaiblissement du noyau. Ma détermination est de vaincre le VIH en surmontant ces influences, à la fois en moi et dans mon environnement » (réf.).

En juin 1999, il a eu le "grand privilège" d'être le premier membre de la SGI à recevoir une grande copie d'un authentique mandala appelé Prayer Gohonzon (ou Medicine Gohonzon) inscrit par Nichiren en 1277 pour son premier disciple, Nissho. Sur ce Gohonzon se trouvent des mots suivants inscrits  par Nichiren : « Ce Sutra est vraiment un médicament merveilleux pour les maladies des gens de Jambudvipa. Une personne malade qui entend cela sera immédiatement guérie de sa maladie. Elle ne vieillira pas ni ne mourra avant son temps » (réf.). Ross en a reçu une copie de Bruce Maltz, un indépendant qui, d'après Ross «a joué un rôle déterminant dans la diffusion sur Internet de la vérité sur le bouddhisme Nichiren au début des années 90 afin de lutter contre la désinformation diffusée par la Soka Gakkai et la Nichiren Shoshu » (note). Quand Ross l'a vu pour la première fois, "son cœur a bondi", et il a supplié Maltz d'en avoir une copie. Un prêtre japonais a finalementqui accepté de copier le mandala pour Maltz « parce que ce Gohonzon particulier comprenait des passages du Sutra pour guérir la maladie karmique et parce que j'ai le VIH / sida. C'est donc uniquement cet étrange caprice des circonstances qui a fait passer son esprit du ''non'' (parce que j'étais membre de la SGI) au ''oui'', à cause de sa grande compassion pour moi et pour tous ceux qui souffrent de maladie » (réf.). En 1999, Ross décide d'imprimer et de distribuer ses propres exemplaires pour ceux « qui le souhaitaient sincèrement », faisant du Prayer Gohonzon la ''bannière'' sous laquelle le Mouvement indépendant se libérere du bouddhisme institutuionnel. Plus de 1 000 exemplaires ont été distribués à des particuliers et à des temples bouddhistes du monde entier, ce qui en fait « le premier mandala de Nichiren à franchir véritablement toutes les limites sectaires, rencontrant divers degrés d'acceptation et de rejet» (réf.). Ross a également créé Nichiren’s Coffeehouse « le plus grand centre de ressources d'étude interconfessionnelle pour le bouddhisme Nichiren et Tendai dans le monde (qui restera en ligne même si je meurs) » (réf.). La controverse qui a éclaté à propos de son site a conduit Ross à démissionner de la SGI le 29 novembre 2001, le neuvième anniversaire de sa rupture avec la Nichiren Shoshu (réf.). Pourtant, c'est cet acte même de mise à l’écart qui l'a également libéré :

« Je trouve inénarrable que l'inversion de mon système immunitaire coïncide exactement avec le moment où j'ai cessé de combattre la Nichiren Shoshu au nom de la SGI et que je me suis concentré, via Internet, sur l'arrêt de la guerre des temples en moi et dans mon environnement, pour instaurer le dialogue inter-écoles et fournir des Gohonzon Nichiren à ceux qui le désirent » (réf.).

Un élément vedette de Nichiren’s Coffeehouse est le Prayer Gohonzon téléchargeable, le ''Gohonzon du Mouvement indépendant'', ainsi que la quasi-totalité (130) des Gohonzons existants. Les ''Gohonzon Galleries'' de Nichiren's Coffeehouse montrent des images téléchargeables du Gohonzon Shu, un livre de Rissho Ankokukai publié pour la première fois en 1947 avec des photographies des 125 Gohonzons de Nichiren inscrits de 1271 à 1282, dont l'unique photo jamais publiée du Dai Gohonzon consacré dans le Hoando au Taiseki-ji. Ross indique également des liens vers d'autres sites, tels que Gohonzon Restoration Project s et Gohonzon Info, où l'on peut obtenir des Gohonzons téléchargeableles ; la compagnie Kaiundo Co où l'on peut acheter un Gohonzon sur un rouleau de soie japonais, ou encore vers un virtuel autel : CampRoss-ji Ever-Chanting Cyber Temple, avec des bougies scintillantes et la récitation de daimoku Nam Myoho Renge Kyo (Je me consacre à la Loi Merveilleuse du Sutra du Lotus) clignotant syllabe par syllabe pour aider l'internaute à psalmodier. Dans sa section ''Comment acquérir un Gohonzon en dehors du bouddhisme institutionnel'', Ross note que : « La technologie moderne est arrivée à un point où de nombreux foyers peuvent désormais imprimer leur propre Gohonzon. Tout ce dont on a besoin, c'est d'une imprimante de qualité photo et du papier photo [...] Profitez de votre sentiment de liberté ! Et Bonne fortune (fuku'un) à vous dans votre cheminement ! » (note).

Comment l'utilisation du Gohonzon Internet est-elle pour Ross et d'autres indépendants une manière cultuelle (religieuse) de pratiquer le bouddhisme Nichiren ? On peut noter cinq points importants.

Premièrement, ils voient le cyberespace comme un outil d'information. Leurs sites sont des ''religions en ligne'' typiques offrant des informations de base pour donner une formation aux gens sur ce qu'est le Gohonzon, de la même manière que SGI-USA.org. Cependant, la différence entre Nichiren’s Coffeehouse et d’autres sites indépendants réside dans ce que les uns et les autres entendent par ''religion en ligne''. Ainsi, Ross utilise Internet comme moyen  pour accomplir la ''révolution humaine''. Son Nichiren’s Coffeehouse offre un espace public virtuel qui va au delà du conflit sectaire et des divisions dans le monde non-virtuel. Tous les Gohonzons des différentes Ecoles du bouddhisme Nichiren apparaissent sur son site disposés de manière égalitaire et harmonieuse. Sa galerie virtuelle est une théologie visuelle qui révèle, comme l'indique Lisa Jones, qu'un « Gohonzon inscrit de la main de Nichiren, quel que soit celui qui le met à disposition, est aussi valable que n'importe quel autre Gohonzon » (réf.). L'actuel Nichiren Gohonzon offre une vision d'un bouddhisme universel de Nichiren, qui contrecarre l'énergie karmique négative de la guerre des temples.

Deuxièmement, Ross et d'autres indépendants dépassent même les arguments de la SGI sur les technologies de reproduction. Pour les indépendants, Internet est le plus récent ''moyen opportun'' (hoben) pour diffuser le salut nichirenien auprès du plus grand nombre. Un indépendant fait écho à cette idée dans son commentaire selon lequel « On peut utiliser tout comme véhicule, je pense [...] pourquoi pas? » (réf.). Rjm12212, le webmaster de Yahoo! Groupes GohonzonInfo voit Internet comme la clé de sa « mission […] de libérer les Gohonzon du contrôle des sectes. Je voulais mettre les Gohonzons de qualité à la disposition de ceux qui souhaitent pratiquer de manière indépendante. [...] Je veux simplement en offrirr la possibilité pour ceux qui souhaitent en bénéficier» (réf.). Robby, un autre indépendant, ajoute :

« Il est amusant de voir que les ''orthodocteurs'' considèrent le mandala Gohonzon qui n’a pas eu la cérémonie d'ouverture des yeux comme un simple papier et qu’ensuite ils parlent de la gravité d'en télécharger une image et de l'imprimer. Guerriers sectaires ! Ouah! D’accord ! nous sommes tous des bébés sur le plan bouddhique. En fait, copier le mandala est une façon de gagner du mérite. Autrefois, on s'arrangeait pour le faire faire quand on était nul. Avec les impressions modernes, ça se discute. Les grandes sectes les ont toujours faits chez un imprimeur. J'en ai plusieurs que j'utilise, certains que j'ai faits, d'autres qui m'ont été donnés. Croyez-moi, ils fonctionnent tout aussi bien que ceux émis par les sectes. » (réf.)

Bref, tout comme les technologies telles que la calligraphie, la gravure sur bois et l'impression ont contribué à apporter le salut nichirenien à ceux qui en avaient besoin, Internet a désormais le pouvoir de faire avancer la ''révolution humaine''. Internet peut remplir la mission de Nichiren en libérant le Gohonzon des institutions qui empêchent sa distribution par le biais de leurs rites archaïques. Internet offre le Gohonzon à tous ceux qui souhaitent sincèrement accéder aux moyens de salut de Nichiren. L'utilisation d'Internet corrobore l'observation de Roof selon laquelle le nouveau "marché spirituel" met l'accent sur ''l'accessibilité'' et une relation directe entre le pratiquant consommateur et les biens spirituels d’un monde religieusement déréglementé et démonopolisé » (réf.).

Troisièmement, selon les indépendants, le caractère virtuel du Gohonzon Internet souligne un enseignement clé de Nichiren. Dans le Véritable aspect du Gohonzon, Nichiren écrit :

« Ne cherchez jamais ce Gohonzon en dehors de vous-même. Il n'existe que dans notre chair, en nous, êtres ordinaires, qui gardons le Sutra du Lotus et récitons Namu Myoho Renge Kyo » (note).

Comme nous l'avons vu, cela fait écho à la SGI qui demande de ne pas réifier le Gohonzon, ne pas le considérer comme une force extérieure ou un dieu transcendant, mais de le voir comme un miroir reflétant « la nature de Bouddha que nous possédons intrinsèquement » (réf.). Les miroirs sont des moyens opportuns (hoben) pour voir qui nous sommes vraiment, de même, comme le conclait Engyo lors d’un forum bouddhiste interconfessionnel en ligne : « L'Objet de Vénération est un moyen opportun (hoben) ; [...] un panneau indicateur qui me dirige vers le Bouddha Atemporel. Je ne le considère plus comme une manifestation physique réelle de ce Bouddha lui-même » (réf.). Un autre participant, Dharmajim (bien connu des bouddhistes Nichiren sur Internet), acquiesce : « Le Web est une réalité et à bien des égards, je pense que les Gohonzons en ligne sont tout aussi valables que n'importe quel autre. Cela dépend de la façon dont ils sont utilisés ; ce qui fait la différence, c’est l'intention du pratiquant, la relation qu'une personne établit avec lui » (réf.). En tant qu'objet de méditation, le pouvoir spécial d’un Gohonzon Internet, comme celui de tous les Gohonzons, est de révéler la réalité spirituelle intérieure la plus profonde et universelle.

Quatrièmement, les indépendants pensent que le Gohonzon Internet rend le bouddhisme Nichiren plus dynamique en incitant à une activité autoréflexive. Cela implique un processus actif de création de sens et de choix personnel qui mixe les symboles, les pratiques et les technologies avec la quête d’une identité spirituelle authentique, profondément personnelle (réf.). Comme le note Roof, dans un nouveau marché de la spiritualité, la religion subit une refonte générale pour répondre aux besoins des individus (réf.). Le Nichiren’s Coffeehouse, par exemple, l’illustre avec ses nombreuses photos d’autels familiaux des indépendants. On voit sur la page personnelle de Ross du CampRoss-ji, San Diego, Ca, une photo de son autel tel qu'il est installé après sa déclaration d'indépendance en 1999. Le titre de la page indique le sentiment de liberté personnelle de Ross en tant qu'indépendant. C’est son domicile qui est son temple de pratique : "ji", un endroit qu'il peut concevoir à sa guise sans censure sectaire. Un autre exemple de ce nouveau type de religion personnalisée basée sur Internet est le Native American Buddhist altar somewhere in Florida, un autel avec le Gohonzon et une  kyrielle d’objets héteroclites tels qu'un ancien bouddha thaï en argile, une perle de sagesse, un goupillon de sauge blanche, des herbes douces, un ours chaman guérisseur, une bougie cygne en argent SGI et un juzu (chaplet) (note). Autremeent dit, Nichiren’s Coffeehouse, comme d’autres sites indépendants, souligne l’importance des préférences personnelles. Void, un internaute sur e-Sangha parle du pouvoir libérateur de la techno-attribution du Gohonzon. Il demande : « J'ai fait une copie laser d'un Gohonzon pour mon autel et j'ai une copie de la cérémonie d'ouverture des yeux, alors maintenant je peux la faire moi-même. Est-ce que ça va? ». Le modérateur du chat répond : « Ce qui compte, c'est que vous vous sentiez bien. Puisque vous êtes un indépendant, vous seul pouvez décider quelle est la bonne façon de procéder ». La liberté techno-rituelle est donc la nouvelle façon concise d'être bouddhiste Nichiren dans le monde Internet.

Cinquièmement, les indépendants voient le cyberespace comme un outil cultuel pour kosen rufu ou la « pratiquer pour les autres ». Là encore, ils ne font que développer ce que dit la SGI. Causton, par exemple, explique que littéralement kosen rufu signifie « proclamer et répandre largement »; en d'autres termes, propager ce bouddhisme à travers le monde. Cette pratique est « basée sur la profonde compassion (jihi), le désir d'aider les autres à surmonter leurs souffrances et à gagner un bonheur durable par la pratique » (réf.). Les indépendants voient dans Internet un excellent moyen d’étendre cette compassion via le ''pouvoir exotérique'' d’Internet pour transmettre le Dharma à toute personne possédant un modem et une aspiration à suivre les enseignements de Nichiren. Internet n'est pas simplement une source d’information, un moyen d'enseigner aux autres le bouddhisme Nichiren, c'est un moyen techno-rituel d'encouragement à la pratique religieuse. Comme nous l'avons vu, les indépendants croient que des images téléchargeables à haute résolution du Gohonzon sont un hoben (moyen opportun) ; l'idée récurrente dans le Sutra du Lotus est que les bouddhas peuvent utiliser n'importe quel "dispositif" pour sauver les êtres de la souffrance. Internet, par définition, est ouvert à tous, et c’est donc un moyen idéal pour les indépendants comme Don Ross qui souhaitent diffuser les "vrais enseignements" de Nichiren de manière non sectaire. En fournissant des Gohonzons spirituellement chargés, Internet sert également de nouveau lien spirituel (kechimyaku). La magie électronique d'Internet élimine tous les intermédiaires, détruit toutes les barrières entre maître et disciple, celles entre le Bouddha Éveillé et l’être souffrant, celles entre Nichiren comme sauveur et l’internaute malheureux ayant besoin d’aide. Internet est donc un outil sacré dans le rituel de transformation spirituelle à l'échelle individuelle et mondiale. C’est certainement la raison d’être de Ross, qui rend notamment son Prayer Gohonzon disponible au téléchargement. Il est évident que Ross, victime lui-même du VIH, et qui a travaillé pendant des années comme ''sida-éducateur'' et dont le partenaire est décédé de cette maladie en récitant daimoku jusqu’au dernier souffle, trouve la diffusion du Prayer Gohonzon sur Internet comme une façon de réaliser la vision de Nichiren du salut universel à une époque de dégénérescence du Dharma. Le fait que le Gohonzon se propage de cette manière est une « cause de jubilation plutôt que d'alarme. Les partisans des indépendants estiment que pour ceux qui peuvent télécharger et imprimer l'image sans comprendre son importance, une certaine relation avec le Gohonzon vaut mieux que pas de relation du tout. » (réf.) Le Gohonzon Internet, par conséquent, représente une manière techno-libératrice d’accumuler des mérites et de diffuser le salut qui est au cœur de la pratique rituelle Nichiren pour les autres et le but de la "révolution humaine".

Pour conclure, il est clair que le point de vue des indépendants sur le Gohonzon Internet contredit la thèse de Benjamin sur "l'œuvre d'art à l'ère de la reproduction mécanique". La numérisation ne "liquide pas la tradition". Elle liquide les traditions bouddhistes institutionnelles, mais, en même temps, elle restaure ce qu'ils considèrent comme l'idéal de Nichiren pour kosen rufu. Le détachement et la mobilité de l'image sont, pour les bouddhistes indépendants, des pratiques essentielles pour sauver les autres. De plus, les indépendants ne voient pas le Gohonzon reproduit mécaniquement comme manquant d'aura. La technologie garde un pouvoir cultuel car elle reproduit le Gohonzon, qui est lui-même un "moyen opportun" de transformation spirituelle. La réalité virtuelle "objective" du Gohonzon Internet est un moyen opportun pour refléter une réalité spirituelle intersubjective cachée de l'Éveil suprême. Les Gohonzon Internet ne sont pas des signifiants hyperréels et flottants. Ils sont aussi réels et authentiques que les originaux ; en tant que miroirs, ils reflètent la véritable bodhéité qui jaillit du cœur du pratiquant. Internet offre donc une pratique rituelle pour aider à atteindre l'Eveil. C'est une technologie sacrée lbératrice multidirectionnelle dont pouvoir aura à l'avenir de profondes répercussions sur le bouddhisme Nichiren.

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BIOGRAPHICAL NOTE

MARK W. MACWILLIAMS studied East Asian Religions and the History of Religions at the Dvivinity School/ University of Chicago. His most recent publications related to religion and the Internet are “Digital Waco – Branch Davidian Virtual Communities after the Waco Tragedy.” In Margit Warburg & Morten Højsgaard (Ed.), Religion and Digital Networks, Routledge (2005); “Symbolic Resistance to the Waco Tragedy on the Internet.” In: Nova Religio. 8 (March 2004); and “Virtual Pilgrimage to Ireland’s Croagh Patrick.” In Lorne L. Dawson & Douglas E. Cowan (Ed.), Religion Online: Finding Faith on the Internet (New York: Routledge, 2004).