QUESTION : Pour moi, la souffrance ne conduit pas à la foi. Pas toujours. C’est possible seulement si les gens sont déjà ouverts à la spiritualité. La plupart du temps, les souffrances mènent à la révolte. Voyez ce qui se passe en ce moment dans le monde. Au lieu de chercher la spiritualité les gens deviennent fous, se précipitent dans le consumérisme, des préoccupations infantiles et extravagantes (négationnisme, complotisme, etc.)
Vous dites que la foi mène à la joie. Je ne crois pas que quelqu’un puisse être vraiment éveillé et serein dans ce monde (sokushin jobutsu / issho jobutsu). Je transmets avec joie le Dharma dès que j’en ai l’opportunité. Je sais d’expérience que c’est bon pour tout le monde. Mais je ne peux pas croire à la boddhéité dès ce monde (sokushin jobutsu). Pourquoi promettre quelque chose qui n’est pas vrai ? La souffrance est quelque chose d’horrible et ne mène pas à la sérénité.
RÉPONSE : Merci beaucoup de me faire part de votre question. Je dois dire que je ne prétends pas avoir « La réponse », je suis encore assez jeune et honnêtement, j'ai mené une vie plutôt facile jusqu’à présent. Je ne peux donc que partager ma perspective limitée et ce que j'ai reçu du Dharma du Bouddha.
Le lien entre « foi » et « souffrance » est complexe. Dans le discours d'où proviennent les douze étapes transcendantes de l'origine dépendante, le Bouddha dit simplement : « La foi aussi a une cause immédiate ; elle ne manque pas de cause immédiate. Et quelle est la cause immédiate de la foi ? Il faut le dire : la souffrance. » Aucune autre explication du Bouddha n'est donnée ! J'en déduis que lorsqu'on réalise que la vie liée aux six premiers mondes-états n'est que souffrance, alors on cesse d'essayer de trouver un bonheur inconditionnel dans ces six mondes-états et on développe notre foi dans les Trois Trésors du Bouddha, du Dharma et du Sangha afin de réaliser l’inconditionné (qui est le nirvana).
Dans le bouddhisme Hinayana, c'est assez simple : c'est le monde Saha, le monde de l'endurance, où l'on ne trouve rien d'autre que la souffrance. Il n'y a pas de réel espoir de bonheur dans ce monde : les gens créent des causes en pensées, en paroles et en actes qui mènent aux mondes-états qui ne sont que souffrance ; on cesse alors d'essayer de trouver un bonheur inconditionnel dans ces six mondes-états d’enfer et d’esprits affamés. Nous pouvons voir cela d’une manière métaphorique : c'est dans ce monde que les gens agissent comme des démons, sont réduits à des esprits affamés et à des habitants de l'enfer se massacrant les uns les autres comme des animaux. Le bouddhisme Hinayana enseigne que si nous voulons nous libérer de l'ignorance et de la soif de bonheurs illusoires, nous devons abandonner complètement les illusions mondaines, ses fausses promesses, et rechercher le nirvana qui est totalement distinct du monde Saha. Ainsi, lorsque nous prenons réellement conscience de la souffrance, nous abandonnons ce monde et, si l'occasion nous en est donnée et que nous sommes suffisamment intelligents, nous accordons plutôt notre confiance aux Trois Trésors.
Dans le bouddhisme Mahayana provisoire, nous sommes confrontés à un défi : par compassion, nous réalisons que nous ne devrions pas laisser tous les autres êtres souffrir, et par sagesse, nous réalisons que le soi et l'autre n'existent pas indépendamment. Même si nous le voulions, il nous est donc impossible de nous séparer complètement des autres. Les bodhisattvas restent délibérément dans les six mondes-états où tout n'est que souffrance, et cessent ainsi d’y rechercher un bonheur inconditionnel afin d'accumuler du mérite et de la sagesse par leur pratique de la générosité, de la moralité, de la patience, etc. La notion de patience (en fait, le mot sanskrit kshanti peut également signifier « acceptation ») est particulièrement intéressante. Il s'agit d'être patient face à des événements douloureux, face à la malveillance et, finalement, d'être patient face à la vacuité de tous les phénomènes. Dans cette perspective du bouddhisme Mahayana provisoire, nous devrions nous efforcer d'être des bodhisattvas qui, par leur détermination compatissante à sauver tous les êtres, endurent patiemment ce monde affreux, hideux et corrompu par notre détermination compatissante à sauver tous les êtres, et ce malgré le fait que nous sommes tous shunya (vides) et qu'il n'y a en réalité aucun être à sauver.
Dans l'enseignement parfait, on nous présente quelque chose de stupéfiant et comme le dit le Sutra du Lotus, quelque chose de difficile à comprendre et à croire. Il est dit que lorsque le Bouddha a atteint la boddhéité, il n'est pas entré dans un autre monde de félicité éternelle mais il est resté dans celui-ci, agissant constamment comme un bodhisattva ou se manifestant pour atteindre la boddhéité et entrer dans le nirvana pour le bien de tous les êtres, des êtres qui (selon le chapitre XVI) n'apparaissent ni ne disparaissent parce qu'ils sont shunya (vides). Le Sutra du Lotus insiste sur le fait que ce monde que nous percevons comme une souffrance sans espoir est en fait le lieu où le Bouddha atemporel met en scène sa boddhéité pure, bienheureuse, éternelle et authentique. Nous en avons également un aperçu dans le Sutra de Vimalakirti : alors que le sage et riche laïc Vimalakirti est allongé sur son lit de mort, tout le monde se demande pourquoi une personne possédant tant de sagesse et de mérite* pourrait être malade. En tant que bodhisattva, leur répond-il, je suis malade parce que le monde est malade. La sérénité transcendante des bodhisattvas avancés et des bouddhas semble provenir du fait qu’ils agissent en tant que bodhisattvas et atteignent la bodhéité pour les autres, ce qui se produit dès que les êtres dans l’erreur en ont besoin.
Encore une fois, il s’agit d’un enseignement difficile à comprendre et à croire ! D'une certaine manière, le pays pur de la lumière tranquille est ce monde d'endurance (Saha) et les bouddhas réalisent la boddhéité en s’incarnant parmi nous.
Voici pour ma part les façons dont j’appréhende ma vie :
Je peux adopter une vision matérialiste et croire qu'il n'y a pas de but ou de sens à tout cela : la vie est affreuse et dénuée de sens, et le mieux que l'on puisse faire est de prendre soin de soi et peut-être des personnes que l'on aime et de profiter de ce que l'on peut avant de mourir.
Je peux adopter un point de vue monothéiste occidental, celui du judaïsme, du christianisme et de l'islam, et croire que Dieu a créé tout cela exprès pour nous mettre à l'épreuve, comme voulant nous poser une question surprise à la fin de notre vie actuelle. Si nous nous trompons de réponse (du fait que nous ne sommes pas une bonne personne et/ou que nous n’avons pas une vue ou une croyance correcte des choses), nous irons en enfer pour l'éternité. Une telle philosophie me parait malade et manquant de toute humanité à tel point que nombre de juifs, chrétiens et musulmans ne l’acceptent d’ailleurs pas tout-à-fait.
Je peux également adopter le point de vue Hinayana ou Mahayana provisoire selon lequel essayer de devenir un bouddha est trop difficile et essayer alors de quitter ce monde de la manière la plus expéditive en faisant tout mon possible pour accomplir l’Octuple noble chemin, voire éventuellement en psalmodiant le nom d'un bouddha afin de renaitre dans une Terre pure.
Je pourrais aussi adopter un point de vue Mahayana provisoire selon lequel il serait préférable d'accepter volontairement toute cette souffrance pour le bien de tous les êtres jusqu'à ce que nous puissions tous ensemble échapper aux six mondes-états dans lesquels tout n'est que souffrance de façon à ne plus rechercher un bonheur inconditionnel dans ces six mondes-états inférieurs.
Ou je peux avoir foi dans le Sutra du Lotus et essayer de croire que, d'une manière ou d'une autre, la boddhéité est en train de surmonter nos faux espoirs et attentes et de réaliser que notre présence désintéressée et compatissante, ici et maintenant avec les autres, est la façon dont la boddhéité s'exprime. C'est encore une fois vraiment difficile à comprendre et à croire ! Cela signifie qu'il faut complètement renverser notre attente d’un bouddhisme qui consiste à trouver le bonheur ici-bas d'une manière conventionnelle, à s’échapper de ce monde ou à en changer les circonstances du monde jusqu'à ce qu'elles nous conviennent. Il s'agit plutôt de considérer notre propre souffrance ainsi que celle des autres d'une façon qui voit au-delà de nos yeux humains (vue subjective, sentimentale et limitée), au-delà des yeux célestes (vision qui peut alors être plus objective et scientifique), au-delà des yeux de la sagesse provisoire (qui réduit tout à un vide unilatéral) et au-delà des yeux du Dharma provisoire (vision des bodhisattvas qui voient la vie en termes de méthodes pour y échapper). Au contraire, il s'agit plutôt de voir la vie avec les yeux des bouddhas qui voient tout s'accomplir, ici et maintenant, d'une manière ouverte pour inclure tout l'espace, toutes les époques et toutes les possibilités.
Je pense que cette réponse est très insuffisante. […]. Ce que j'ai écrit ci-dessus est ce que j'ai appris du Bouddha, du Tiantai et de Nichiren. J'essaie de faire mienne cette sagesse. En fait, alors que je termine ce courriel, j'aimerais savoir en quoi vous trouvez la pratique de daimoku et l'enseignement du Sutra du Lotus significatifs face à tout ce que vous avez vu et affronté dans votre vie. Qu'est-ce qui vous assure que cela vaut la peine d'être partagé ?
Namu Myoho Renge Kyo,
Ryuei
QUESTION : Vous m’écrivez : « Je me dis que les femmes qui sont mères ne peuvent en aucune façon parvenir à l’illumination. Personnellement, je suis trop attachée à mes enfants. Si l’on me demandait de choisir entre la bodhéité et la santé de mon fils, je choisirais mon fils sans hésiter une seconde ».
C’est certainement une attitude que Nichiren apprécierait beaucoup. Rappelons-nous que son Traité qui ouvre les yeux évoque l’histoire d’une mère et son enfant extraite du Sutra du Nirvana dont il donne le commentaire de Guanding suivant :
[…] Le Sutra du Nirvana dit par exemple ceci: « Cela rappelle l'histoire d'une femme pauvre. Elle est sans logis et n'a personne pour l'aider ou la protéger ; de plus, elle souffre de maladie, de faim et de soif. Elle se décide donc à prendre la route en mendiant. Dans une auberge, elle accouche d'un enfant, mais l'aubergiste la chasse. A peine relevée de ses couches, le nouveau-né dans ses bras, elle s'en va, espérant gagner un autre pays. Mais en route, elle affronte des vents mauvais et des pluies violentes, elle est meurtrie par le froid et piquée par des moustiques, des taons, des frelons et des insectes venimeux. Elle atteint finalement le Gange, serre son enfant dans ses bras et tente la traversée. Emportée par de violents courants, elle ne veut pas lâcher son enfant, et finalement tous deux se noient. Son amour maternel lui vaut le bienfait de renaître, après sa mort, dans le Ciel de Brahma. »
Le Grand-maître Guanding interprète ce récit du Sutra du Nirvana [dans ses annotations] en fonction du principe des trois obstacles des désirs, du karma et de la rétribution. Voici de quelle manière : que cette femme soit appelée « pauvre » indique qu'elle n'a pas ne possède pas encore le trésor du Dharma. Et comme il s’agit ici d’une « femme », c’est parce que [contrairement à l’homme] elle est au moins dotée d’un petit peu d’amour bienveillant. Qu'elle « séjourne dans une auberge » indique qu'elle se trouve sur une Terre impure. « L'enfant » qu'elle porte représente la foi dans le Sutra du Lotus, l'une des trois potentialités menant à l'Éveil. « L'expulsion de l'auberge » symbolise le bannissement. Le fait qu'elle vienne « à peine d'accoucher » signifie que la foi de cette personne est encore très récente. Les vents violents que cette femme doit affronter correspondent au décret [impérial] condamnant un individu à être banni d’un lieu. Les moustiques et autres insectes sont « les injures et les calomnies des ignorants ». Le fait que mère et enfant se noient ensemble indique que, même si elle doit être décapitée, cette personne n'abandonne jamais sa foi dans le Sutra du Lotus. Renaître dans le Ciel de Brahma signifie renaître dans l'état de bouddha. »
Le principe [de la rétribution karmique] s'exerce dans les dix mondes-états, y compris dans l'état de bouddha. Même si quelqu'un tue quantité de personnes, au Japon, en Chine et dans tous les pays, s'il ne commet aucun des cinq forfaits et ne s'oppose pas au Dharma, il ne tombera pas dans l'enfer Avici. Mais il renaîtra dans les mauvaises voies et en restera prisonnier pendant d'innombrables années. Même si l'on observe de nombreux préceptes et si l'on accomplit quantité de bonnes actions, si l'on agit ainsi avec un esprit qui n'est pas totalement dirigé vers le bien, on ne peut pas renaître au Ciel, dans le monde de la forme [où les êtres sont libérés des désirs].
En plus d’avoir cultivé l’amour-empathie et la compassion, nous devons pour renaître roi dans le Ciel de Brahma passer par la pratique de la méditation contemplative et ce qui en découle [à savoir les causes qui entraînent la récompense karmique de renaître dans le monde des trois plans]. La pauvre femme, citée dans le Sutra, renaquit dans le Ciel de Brahma grâce à son amour pour son enfant, mais non pour avoir suivi les règles habituelles de la pratique bouddhique. Guanding interprète cela de deux différentes façons, mais finalement [en arrive à la conclusion que] c'est seulement l'amour de cette femme pour son enfant qui est déterminant. Ce type d’amour inconditionnel qu’une mère peut éprouver pour son enfant ressemble totalement à la pratique méditative qui vise à cultiver la compassion et l’amour-empathie [dirigée vers le bien]. Elle ne pense qu'à son enfant, ce qui ressemble à la profonde bienveillance du Bouddha. C'est sans doute la raison pour laquelle elle renaît dans le Ciel de Brahma sans avoir créé d'autres causes.
Je pense qu’il est important de se rappeler que l’amour d’une mère pour son enfant enseigne la façon dont arriver à nous recueillir sur l’amour-empathie qui mène (au moins) à renaître dans le Ciel de Brahma. Le seul point litigieux concernant l’amour maternel est son exclusivité comme ce fut le cas pour la mère du grand bodhisattva Maudgalyayana, laquelle oubliait d’éprouver de la compassion envers tous les autres êtres. Bien que ce ne soit pas du tout votre cas, éprouver amour et compassion envers soi-même et sa famille correspond au fondement le plus naturel, le plus ferme et solide à partir duquel nous pouvons développer et étendre à tous cet amour-empathie.
Vous écrivez : « J’éprouve également des difficultés lors du Gongyo du matin. Je suis en effet incapable de me concentrer lorsque je commence à réciter Daimoku car je suis le plus souvent aux prises avec des douleurs rhumatismales. Si bien que c’est avec appréhension que je m’approche du Gohonzon car je sais qu’en m’agenouillant, j’aurai mal. Je pense avoir développé une grande autodiscipline. Ayant des enfants malades, je n’ai de toute façon pas le choix. »
Il est fort louable que vous continuiez de faire Gongyo et vous agenouilliez devant le Gohonzon, deux attitudes traduisant votre grande discipline et votre sincérité. J’aimerais néanmoins vous mettre en garde et rappeler que le bouddhisme correspond à la Voie du Milieu. La Voie du Milieu, ce n’est pas de réaliser des pratiques ascétiques inutilement, d’autant plus si elles vous meurtrissent et vous font mal. Faire Gongyo en étant assis sur une chaise n’est en aucun cas une attitude fautive. J’ai moi-même assisté à des services de la Nichiren Shu conduits par des moines assis à la chinoise sur des chaises. Notre état d’esprit est le point fondamental. Nous ne devrions pas faire du mal ou nuire à notre corps, mais devrions adopter une position stable, équilibrée et nous tenir droit de sorte que notre esprit puisse lui-même être stable et droit. Le corps peut être stable et droit aussi bien assis sur une chaise qu’allongé dans un lit (si vous vous sentez véritablement malade), ou qu’agenouillé à la japonaise.
Rappelons-nous aussi que la pratique essentielle est celle de Daimoku ! Faire Gongyo est louable, mais il s’agit d’une pratique auxiliaire nous aidant à focaliser notre attention quand nous récitons Daimoku, à renforcer notre enthousiasme en le récitant, à nous aider à cultiver sa véritable signification. Si quelqu’un est trop malade pour faire Gongyo mais qu’il peut au moins réciter Daimoku, surtout ne jamais croire être dans l’erreur ou commettre une faute ! Réciter seulement Daimoku dans son for intérieur peut suffire si l’on n’est pas en mesure de pouvoir parler ni de le prononcer à haute voix. Si vous pouvez parler, il est bien sûr préférable de le réciter à haute voix, notre intention exprimant notre nature de bouddha, et nos paroles et nos gestes devant pouvoir suivre notre intention de la meilleure façon possible.
L’une des entraves ou chaînes qui nous empêchent de parvenir à l’Eveil est de croire que des rites ou des rituels, des règles nous aideront à parvenir à la bodhéité. C’est l’une des raisons pour lesquelles Nichiren critiqua l’Ecole des Préceptes, l’école japonaise Ritsu-Shu. Réciter Daimoku, c’est exprimer un instant unique, un instant particulier empli de foi et de joie. Je suis de plus en plus convaincu que c’est là le cœur existentiel de notre pratique. Tout le reste a pour objet de nous aider à le ressentir et à l’exprimer du mieux possible. Mais attention à ne pas confondre les feuilles et les branches avec le tronc ou les racines ! Les racines représentent ce moment de foi et de joie unique dont parle le Sutra du Lotus ; le tronc est l’expression verbale du Daimoku, tout le reste étant branches et feuilles.
Vous écrivez : « Les fausses promesses, une dévotion exagérée, les cérémoniaux me gênent actuellement un peu dans la pratique du bouddhisme de Nichiren, des aspects qu’observaient les Brahmanes et que Shakyamuni condamnait également. En lisant le Maka Shikan de Zhiyi, je me prends à rire en constatant à quel point rechercher le cœur du bouddhisme, comme s’y est exercé Nichiren, ressemble plus au miaulement d’un chat qu’au rugissement d’un lion. »
Je ressens moi aussi parfois la même chose. Je pense que bien trop souvent le bouddhisme de Nichiren s’est déguisé en Terre pure avec le Daimoku représentant le Nembutsu et le Bouddha atemporel Shakyamuni - le Bouddha Amida. Il me semble que sans connaitre les enseignements du Tiantai et de Zhanlan, il est impossible de comprendre ce sur quoi s’appuyait la pensée de Nichiren.
Je ne condamne toutefois pas une attitude dévotionnelle et cérémonielle. Nombreux sont ceux qui en ont besoin. Ce type d’attitude représente une partie importante des moyens habiles, attitude qui ne pose problème que si on la confond avec l’essentiel : ressentir au plus profond de son cœur foi (à savoir une confiance authentique et véritable) et joie dans l’enseignement du Sutra du Lotus qui dit que nous pouvons tous devenir bouddha et que la bodhéité est atemporelle.
Carl Jung évoque le fait qu’il existe quatre fonctions [psychologiques] : la pensée, le sentiment, la sensation et l’intuition ainsi que nos tendances à pencher vers l'introversion ou l'extraversion. Nous possédons tous différentes fonctions spécialisées auxquelles nous répondons du mieux que nous pouvons, ou encore y répondons-nous dans notre vie spirituelle de façon à renforcer encore plus la fonction dont nous avons besoin. Il s’agit de :
- La pensée : certaines personnes répondront mieux à la philosophie de l’école Tiantai et à la philosophie bouddhique que d’autres.
- Le sentiment : certains répondront mieux à ce qui a de la valeur à leurs yeux, et auront ainsi besoin de célébrations.
- La sensation : certains se sentent très concernés par les bâtons d’encens, les juzus, les statues, les robes des moines, les mandalas, etc.
- L’intuition : certains sont fascinés par l’approfondissement du sens caché des choses, à ce qui échappe aux mots.
- Introversion : certains voudront plus de solitude et d’expériences contemplatives.
- Extraversion : certains voudront plutôt se concentrer sur la construction de la communauté.
Notre pratique du bouddhisme nichirénien devrait pouvoir être suffisamment large d’esprit et accueillir toutes ces fonctions ; cette école devrait [de plus] être à même de les engager toutes et les aider toutes à pouvoir être cultivées dans la direction qui leur correspondra le mieux. Bien que nous partagions tous ensemble la pratique de Daimoku, nous devons [aussi] réaliser que derrière notre apparente ressemblance, notre approche et notre manière d’être sont bien différentes. Il n’existe pas une pratique ni même un enseignement dont la taille soit unique.
QUESTION : « Pourquoi garder espoir en une solution de la bodhéité dès ce corps (sokushin jobutsu) ? »
Le Bouddhisme considère que notre corps, ou le corps qui est le nôtre, est le corps de l’univers tout entier. Tant que nous penserons que « ce corps » fait référence à une modeste collection de chairs et de boyaux par nature impermanents, nous serons constamment en proie au désappointement, à la frustration et l’errance dans le samsara. Mais dès que nous réalisons que « ce corps » est le corps qui a toujours été et qui sera toujours, que ce corps n’est pas qu’un jeu d’organes confinés dans une enveloppe de chair mais inclut le soleil, la lune et les étoiles et qu’il est tout cela ; quand nous réalisons que ce corps est le résultat de toutes les causes et conditions qui viennent du passé le plus lointain pour converger en cet instant espace-temps si particulier, et que cet instant espace-temps si particulier rayonne telle une cause et condition pour tout ce qui est ou sera, alors nous réaliserons que « ce corps » est le « corps du Dharma », celui du Bouddha atemporel.
QUESTION : « Pourquoi continuer de maintenir sa foi dans la prière kaji-kito1 ? »
Je n’accorde pas une grande attention à la prière kaji-kito bien que j’apprécie l’observer. En ce qui me concerne, toutes ces sortes de « croyances curatives » correspondent à des rituels placebos, à la façon des cachets placebos dont se servent parfois les médecins. Mais ici est le point intéressant : dans de nombreux cas les placebos marchent vraiment. Ils peuvent faire en sorte qu’une personne dont l’état d’esprit et l’aspect physique ne vont pas bien se sente plus à l’aise, moins tendue, moins anxieuse, moins craintive, aidant à éveiller les capacités de régénération intérieure dont son esprit et son corps sont toujours pourvus. Et n’est-ce pas ce dont nous ne cessons de parler, nous les bouddhistes ? Que notre esprit et notre corps doivent se synchroniser et possèdent intérieurement les vertus curatives de la nature de bouddha ? Si donc un rituel peut nous aider à en prendre conscience et encourager notre corps et des processus mentaux inconscients à mieux fonctionner d’un commun accord, ce rituel est une aide. Cela ne constitue bien évidemment pas une garantie. Mais même de vrais médicaments, sans effet placebo, ne marchent pas toujours. Même Vimalakirti tomba malade pour le bien de tous. Sur ce point cependant nous pouvons et devrions soulager la souffrance et tâcher de surmonter la maladie mentale et physique en prenant des médicaments, en suivant une psychothérapie, en ayant une bonne alimentation, en faisant de l’exercice, en prenant des placebos et même en adoptant une foi curative.
QUESTION : « Pourquoi ne parle-t-on pas de ce qu’il se passe réellement au sein de la Nichiren Shu au Japon et aux Etats-Unis ? »
Je ne sais pas qui dit quelque chose ou non sur ce qu’il se passe ou pas. Personnellement je ne parle pas beaucoup de ce qu’il se passe ailleurs dans la Nichiren Shu, aux Etats-Unis ou au Japon, parce je m’en soucie extrêmement peu. Je pense qu’en grande partie, ce n’est pas mon affaire. Je me soucie de mon Sangha. Je coopérerai avec quiconque voudra coopérer avec moi. Je travaillerai avec les autres moines qui voudront travailler avec moi. En fait, je travaille de temps en temps avec la Révérende Myokei et d’autres moines. Mais hormis cela, eux aussi ont besoin de développer leur sangha et moi, j’ai besoin de me concentrer sur mon sangha et sur mon travail. Tant que d’autres personnes aux USA ou au Japon n’interfèrent pas avec moi, je prends soin de mes propres affaires. Tant que des choses en cours ne méritent pas d’être dénoncées parce qu’elles auraient vraiment fait du mal à certains, je m’occuperai de mes propres affaires. Cela ne veut pas dire que je n’éprouve pas d’amour ou de compassion envers ces personnes, mais l’une des meilleures façons de montrer amour et respect envers autrui est de laisser faire ce que l’autre a à faire et selon ce qu’il pense devoir faire. Comme le Bouddha l’exprima aux personnes venues lui rendre visite pour recevoir un enseignement, lesquelles durent ensuite s’excuser de devoir partir : « Maintenant est venu le temps d’agir comme il vous convient d’agir. »
S’il y a des choses « en cours » que je devrais connaitre, j’aimerais les connaitre. Mais la plupart du temps, je ne pense pas que quoi que ce soit en vaille la peine, et le reste n’est qu’absurdes commérages.
QUESTION : « En un mot, pourquoi prend-on les pratiquants pour des enfants qui ne veulent pas entendre la vérité ? »
Je n’ai jamais réfléchi ainsi et ai peu de patience avec ceux qui pensent de cette façon. Heureusement d’ailleurs, je n’ai pas eu affaire avec ce type d’attitude quand j’étais au Temple de San José ou au sein de mon propre sangha.
QUESTION : « Je ne demande pas de conseils pour plus de discipline, mais seulement pour plus de vérité. Je suis d’accord pour le symbolisme, mais pas pour l’ésotérisme. »
Je pense que le Bouddha acquiescerait à cette question : il enseignait sans cacher quoi que ce soit, sans garder quoi que ce soit dans son dos. Seuls les mots « secret » ou « ésotérisme » me semblent corrects lorsqu’il s’agit de ne pas divulguer l’intrigue d’un film ou d’un show télévisé que vous n’avez pas encore eu la chance de voir, ou des situations similaires dont vous ne voulez pas parler pour gâcher l’effet de surprise. Mais pour ce qui est du Dharma bouddhique, je n’ai jamais ressenti le besoin de faire des secrets, d’être ésotérique ou de pratiquer l’ésotérisme.
D’un autre côté, les enseignements de l’école Tiantai disent que le Bouddha utilisait des méthodes imprécises, peu définies et secrètes pour enseigner. Je pense toutefois qu’il s’agissait plutôt de laisser plus de temps à certaines personnes afin qu’elles assimilent des enseignements plus simples et rudimentaires avant de leur en délivrer de plus complexes. Les personnes acquièrent une maturité à différents degrés de leur progression, et le Bouddha savait très bien déceler le bon moment et la place qui convenait à chaque enseignement. Autrement dit, je pense qu’il s’agissait juste du fait d’être un bon enseignant, non de cacher quoi que ce soit au public.
J’apprécie grandement vos questions et que vous continuiez de nous accorder confiance et soutien, à Mark et à moi.
Namu Myoho Renge Kyo,
Ryuei
1Il s’agit d’un rituel comprenant une série de prières que Nichiren a repris d’enseignements plus anciens ; voir https://repository.wellesley.edu/object/ir331 et https://sacramentonichirenchurch.org/home/about-nichiren-shu/nichiren-shu-brochures/kito/