Un bouddhisme pour notre temps

Une interprétation moderne du Triple Sutra du Lotus par
Niwano Nikkyo
traduit de A Buddhism for today (Kosei Publishing Co - 2006)

Voir : SUTRA DU LOTUS - CHAPITRE XXVIII

Exhortation du bodhisattva Fugen

Le bodhisattva Manjushri représente la sagesse du Bouddha tandis que le bodhisattva Samantabhadra (Sage Universel) symbolise la pratique bouddhique. Ces deux bodhisattvas sont considérés complémentaires : la sagesse de Manjushri est la conscience de la Vérité et la pratique de Samantabhadra est la Vérité.

Nous avons déjà parlé (chapitre 14) de la prise de conscience de la Vérité dans la partie shakumon du Sutra du Lotus. Le bodhisattva Manjushri était alors le porte-parole des disciples du Bouddha. Nous avons parlé de l'essence de la Vérité dans la partie honmon d' "un chapitre et deux moitiés" (ippon-nihan). C'est alors Maitreya qui représentait les disciples. Nous avons appris la mise en pratique de la Vérité par l'exemple des divers bodhisattvas dans la deuxième moitié du chapitre XVII et dans les chapitres suivants, qui sont considérés comme la partie finale de l'enseignement honmon. Le fait que le bodhisattva Samantabhadra apparaisse dans le dernier chapitre du Sutra du Lotus est significatif.

Les quatre pratiques du bodhisattva Samantabhadra

Le bodhisattva Samantabhadra excelle dans les quatre pratiques suivantes :
1. Il pratique les enseignements du Sutra du Lotus.
2. Il protège le Dharma de toutes persécutions.
3. Il porte témoignage des mérites obtenus par celui qui pratique le Dharma ainsi que des rétributions dont souffre une personne qui diffame le Dharma ou qui persécute ses disciples.
4. Il prouve que même ceux qui violent les enseignements peuvent être délivrés de leurs fautes s'ils se repentent sincèrement.

Le bodhisattva Samantabhadra encourage ceux qui commencent une nouvelle vie en faisant le vœu d'accomplir ces quatre pratiques, en conclusion de toutes celles du Sutra du Lotus, et en leur recommandant d'être assidus mais sans anxiété.

Examinons maintenant le contenu du chapitre XXVIII.

« A ce moment*, le bodhisattva Samantabhadra*, muni de souveraineté, de pouvoirs supranaturels, de majesté, de renom, survint de l'orient* avec de grands bodhisattvas, innombrables, sans limites, qu'on ne saurait énumérer. Partout dans les royaumes qu'ils franchirent se produisirent des tremblements de terre, il plut des fleurs de lotus précieuses, il se fit d'innombrables milliers de millions, des myriades de sortes de musiques. Il était, de plus, entouré d'une vaste multitude, incalculable, de devas*, nagas*, yakshas*, gandharvas*, asuras*, garudas*, kimnaras*, mahoragas*, humains et non-humains, chacun manifestant sa majesté et la force de ses pouvoirs supranaturels. Il arriva dans le monde Saha*, au Pic du Vautour. »

Les êtres non-humains comme les dieux, les nagas* et les yakshas*, ont souvent été mentionnés. Ils ont maintes fois écouté prêcher le Bouddha depuis leur première apparition dans le Sutra des Sens Infinis. Cependant, leur description dans ce chapitre XXVIII diverge de celles des chapitres précédents. La différence se trouve dans l'expression "chacun manifestant sa majesté et la force de ses pouvoirs surnaturels". Avoir écouté le Bouddha prêcher le Sutra du Lotus leur a permis d'atteindre et de manifester des pouvoirs surnaturels majestueux.

« Il [Samantabhadra] inclina la tête en salut au Bouddha Shakyamuni, fit autour de lui sept circumambulations sur la droite et lui adressa ces paroles : "Bhagavat, dans le royaume du bouddha Ratnatejobhyudgataraja (Roi Supérieur en Majesté Précieuse), j'ai entendu de loin que l'on exposait le Sutra du Lotus du Dharma dans ce monde Saha et je suis venu en compagnie d'une multitude d'innombrables et infinis milliers de millions, de myriades de bodhisattvas pour l'écouter. Veuille seulement le Bhagavat nous l'exposer ! Que ce soient des fils de foi sincère* ou des filles de foi sincère, après le parinirvana de l'Ainsi-Venu, comment pourront-ils obtenir ce Sutra du Lotus du Dharma? "

« L'Éveillé déclara au bodhisattva Samantabhadra* : "Que ce soit un fils de foi sincère ou une fille de foi sincère, si l'on réalise quatre éléments, on obtiendra ce Sutra du Lotus du Dharma après le parinirvana de l'Ainsi-Venu. Le premier est d'être protégé par l'attention des bouddhas. Le second est de planter la multitude des racines de mérites. Le troisième est d'entrer dans le groupe correctement déterminé. Le quatrième est de déployer la pensée de salut pour l'ensemble des êtres (note). Si un fils de foi sincère, ou une fille de foi sincère, réalise ces quatre éléments, il obtiendra forcément ce Sutra après le parinirvana de l'Ainsi-Venu." »

Les quatre conditions requises

La phrase ‘‘on obtiendra ce Sutra du Lotus du Dharma Merveilleux’’ signifie non seulement qu'une personne sera en contact avec l'enseignement mais que celui qui l'a rencontré le comprendra suffisamment pour l'appliquer. Comprendre le Sutra c'est obtenir ses véritables bienfaits. Le Bouddha nous enseigne quatre conditions pour "obtenir" ce Sutra, ce qui est essentiel pour notre foi.

La première condition est "d'être protégé par l'attention des bouddhas". C'est avoir une confiance totale et inébranlable dans la protection des bouddhas. C'est l'enracinement de la foi. Si profondément que l'on puisse comprendre le Sutra du Lotus d'un point de vue doctrinal, sans une confiance totale il est impossible de vivre le Dharma au quotidien.

La deuxième condition est de "planter la multitude des racines de mérites". C'est faire de bonnes actions dans la vie quotidienne. Les mots "racines de mérites" indiquent une mentalité généreuse ; c'est la base nécessaire pour atteindre l'Éveil. "Planter la multitude des racines de mérites" signifie non seulement semer les graines de la générosité mais aussi les nourrir en les arrosant et en les fertilisant.

De quoi se nourrit l'esprit ? Faire de bonnes actions est la première condition. Cette pratique est engendrée par un cœur juste en même temps que les bonnes actions nourrissent ce cœur droit. Ces deux choses, les bonnes actions et un cœur droit, jalonnent la vie humaine, se renforcent l'une l'autre et se perfectionnent constamment. Comme dans l'histoire de la poule et de l'œuf, on ne peut pas savoir qui vient en premier et qui est la cause de l'autre. Les deux sont inséparables. Ils sont contingents l'un à l'autre. En faisant le bien autour de soi, même de façon formelle, on ressent comme un renouveau. La mentalité positive s'accroît. L'intention ne doit pas forcément précéder l'action. Par exemple, si on se force à sourire en se regardant dans un miroir, on finit par se sentir plus léger. Et inversement, si on a du mal à retenir des larmes en se regardant, on ne fait qu'augmenter la tristesse. Mais revenons à notre sujet qui est d'enraciner les enseignements du Sutra du Lotus dans notre quotidien.

La troisième condition est d'entrer dans une communauté correcte. Cela présuppose l'adhésion à un groupe dont le but est de faire le bien. Le bouddhisme distingue trois types d'hommes : ceux qui forment un groupe correct, ceux qui forment un groupe incorrect et les indécis. Le premier groupe est formé par ceux qui ont décidé de faire le bien, comme les groupes qui pratiquent une religion correcte. Le deuxième groupe est formé de ceux qui ont décidé de faire le mal, comme une bande de pickpockets ou de voyous. Le troisième groupe est formé de ceux qui oscillent entre le bien et le mal. La plupart des associations de gens ordinaires appartiennent à ce troisième groupe mais elles sont si instables qu'elles peuvent se tourner vers le mal à n'importe quel moment.

Puisque nous sommes croyants, nous devons rejoindre le groupe correct. Inutile de dire qu'il est plus facile et plus efficace d'appartenir à un groupe de personnes ayant la même foi que de chercher le Dharma tout seul. Lorsque nous sommes dans un groupe correct, nous pouvons nous encourager les uns les autres à ne pas quitter l'état spirituel que nous avons atteint par de grands efforts. Même si nous ne prononçons pas des paroles d'encouragement, nous sommes liés mentalement aux autres en discutant simplement et en écoutant ensemble le Dharma. Nous pouvons expérimenter le pouvoir de la foi avec plus de force que si nous étions seuls.

La quatrième condition est de "déployer la pensée de salut pour l'ensemble des êtres". Cette condition devrait pouvoir se passer de tout commentaire. La véritable accession à l'état de bouddha ne signifie pas l'Éveil uniquement pour soi ou la délivrance de ses propres souffrances. L'esprit fondamental du bouddhisme mahayana se trouve dans le salut des autres aussi bien que dans le sien et dans l'établissement d'un royaume idéal en ce monde. Si nous agissons contrairement à cet esprit fondamental, aucun effort ne portera de fruit et ne nous mènera à la réalisation des véritables mérites du Dharma, quelles que soit notre assiduité et la discipline religieuse.

Les quatre conditions requises peuvent donc être paraphrasées ainsi :
1) Se dire constamment que nous vivons grâce au Bouddha.
2) S'efforcer toujours de pratiquer le bien.
3) Faire partie d'un groupe de véritables croyants.
4) Être toujours au service des autres.

Ces conditions doivent être considérées comme les enseignements sacrés du Bouddha et leur aboutissement. Elles explicitent par des mots simples que malgré certains enseignements difficiles du Bouddha, l'essentiel est de se consacrer aux quatre conditions requises. Lorsque ceux qui hésitent à pénétrer dans l'enseignement profond et difficile du Sutra du Lotus entendent cette simple explication des quatre conditions, ils se sentent encouragés.

Quand le bodhisattva Samantabhadra, qui symbolise la mise en pratique du Sutra du Lotus, s'est demandé comment guider les êtres vivants dans les derniers âges du Dharma, ce sont ces quatre conditions que le Bouddha lui a enseignées

« Alors le bodhisattva Samantabhadra* s'adressa à l'Éveillé: "Bhagavat, dans l'âge mauvais et impur des derniers cinq cents ans, s'il s'en trouve pour recevoir et garder ce Sutra, je les protégerai, les débarrasserai de la décrépitude et du chagrin pour les mener à la sérénité et j'empêcherai ceux qui chercheront à s'emparer d'eux d'en trouver l'occasion, que ce soit Mara, les fils de Mara, les filles de Mara, les troupes de Mara, ou ceux qui sont possédés de Mara, que ce soient des yakshas*, des rakshasa*, des kumbhandakas, des pishachis, krityas, putanas, ou vetadas, aucun de ceux qui les tourmentent n'en trouvera l'occasion. Si ces gens lisent et récitent ce Sutra, soit en marchant soit en restant sur place, je me rendrai alors auprès d'eux monté sur un royal éléphant blanc à six défenses*, accompagné d'une vaste multitude de bodhisattvas et je leur apparaîtrai en personne. Je leur ferai offrande, les protégerai et consolerai leur coeur; cela afin de faire aussi offrande au Sutra du Lotus du Dharma. »

Ne nous trompons pas sur la signification de : "je les protégerai, les débarrasserai de la décrépitude et du chagrin". Certains croient qu'ils seront protégés par le Bouddha simplement parce qu'ils sont disciples du Sutra du Lotus. . Aucune protection ni mérite ne seront octroyés aux croyants superficiels du Sutra qui ne pratiquent pas réellement ses enseignements. La protection est soumise à condition : "cela afin de faire aussi offrande au Sutra du Lotus du Dharma".

L'expression : "je me rendrai alors auprès d'eux monté sur un royal éléphant blanc à six défenses" met en parallèle le bodhisattva Samantabhadra et le bodhisattva Manjushri qui monte un lion. Le lion est le symbole de la concrétisation de la Vérité. Le lion, appelé le roi des animaux, domine les autres animaux et provoque en eux la terreur. Ainsi, il peut rôder librement dans la plaine. Comme le lion, la Vérité gouverne toutes les choses dans l'univers et n'est elle-même sous aucun contrôle. La Vérité règne sur l'univers et se manifeste librement dans tous les phénomènes. Quant à l'éléphant, il représente un grand pouvoir d'exécution. Quel que soit l'endroit où se meut cet animal au corps gigantesque, rien ne peut l'arrêter. Si un grand arbre se dresse sur son chemin, il l'abat. Lorsqu'il trouve une grosse pierre, il la fait rouler sur le côté. Lorsqu'il passe un marécage ou une rivière, il marche d'un pas ferme sur son lit. C'est pourquoi l'éléphant est le symbole de la pratique sérieuse.

Les six défenses de l'éléphant roi blanc symbolisent les six paramitas (perfections). Cette doctrine nous enseigne le partage des mérites-bienfaits entre soi et les autres. Le bodhisattva Samantabhadra qui, en qualité de messager du Bouddha, monte l'éléphant roi blanc à six défenses, représente le grand homme qui a éliminé tous les obstacles et qui pratique le Dharma avec détermination.

Le bodhisattva Samantabhadra continue :

« Si ces gens réfléchissent à ce Sutra tandis qu'ils sont assis, j'apparaîtrai alors encore devant eux monté sur un royal éléphant blanc. Qu'ils viennent à oublier une phrase ou une stance du Sutra du Lotus du Dharma et je la leur apprendrai, la lirai et la réciterai avec eux, la leur faisant pénétrer avec plus d'acuité encore. »

Réfléchir à ce Sutra c'est la pratique de la méditation, l'une des six paramitas. Quel que soit l'endroit où une personne médite, le bodhisattva Samantabhadra monte l'éléphant et se montre au méditant ; en d'autres termes, le bodhisattva se manifeste dans l'esprit de celui qui fait appel à lui.

Les mots "qu'ils viennent à oublier une phrase ou une stance du Sutra du Lotus du Dharma Merveilleux et je la leur apprendrai" veulent dire que si une personne n'arrive pas à saisir la véritable signification de l'enseignement alors qu'elle a beaucoup réfléchi et médité, elle doit d'abord se consacrer à la pratique. Elle pourra alors certainement saisir la véritable signification de l'enseignement.

Les paroles de Samantabhadra viennent alors tout naturellement :

« Ceux qui, en ce temps-là, recevront, garderont, liront, réciteront le Sutra du Lotus du Dharma pourront me voir en mon corps, en fort grande allégresse, ils redoubleront de zèle. Parce qu'ils m'auront vu, ils obtiendront samadhis* et dharanis, celles appelées dharanis des Permutations*, dharanis des milliers de millions de myriades de Permutations* et dharanis des Expédients du Son du Dharma*. Telles seront les dharanis qu'ils obtiendront.

« Bhagavat, si au dernier âge, dans l'âge mauvais et impur des derniers cinq cents ans, des bhiksus* ou des bhiksunis*, des upasakas* ou upasikas*, se mettent en quête de ce Sutra du Lotus du Dharma, le reçoivent et le gardent, le lisent et le récitent, le copient, s'ils veulent le mettre en pratique, ils devront de tout coeur s'y appliquer avec zèle trois fois sept jours durant. Au terme de trois fois sept jours révolus, j'apparaîtrai à ces gens en mon corps dont la vue réjouit tous les êtres, monté sur un éléphant blanc à six défenses et entouré d'innombrables bodhisattvas, je leur exposerai le Dharma, le leur révélerai, le leur enseignerai, les en ferai profiter et s'en réjouir. »

Se forger de bonnes habitudes spirituelles

Le nombre de trois fois sept jours n'est pas à prendre à la lettre mais il est bon, de temps en temps, de se consacrer à une discipline spirituelle pendant une période déterminée. Dans le monde affairé actuel, il est difficile pour les pratiquants laïcs de s'enfermer dans un temple dans la montagne et de suivre une discipline religieuse pendant une période prolongée. Toutefois, pendant un jour — disons le dimanche — ou pendant trois jours consécutifs, nous pourrions trouver le temps d'oublier toutes les affaires temporelles pour nous consacrer d'une manière exclusive à l'étude de l'enseignement ou à la méditation, la récitation ou  la copie du Sutra. Pourquoi est-ce nécessaire ? La répétition d'un comportement devient une habitude et ainsi nous créons de bonnes habitudes spirituelles ; se consacrer à une réflexion approfondie et s'accorder de longues plages de méditation deviendront ainsi des habitudes mentales.

Prenons, par exemple, un reportage : ‘‘Des étudiants portant des banderoles et des pancartes marchent dans les rues lors d'une démonstration’’. Certains désapprouveront immédiatement : ‘‘Ah, ces étudiants qui manifestent une fois de plus !’’ même s'ils ne connaissent pas la raison de la manifestation. D'autres pourront être contents : ‘‘Très bien ! Il faut bien que quelqu'un proteste.’’ Un enseignant pourrait s'inquiéter pour l'éducation des jeunes. Un courtier penserait immédiatement à l'influence potentielle de la démonstration sur les actions. Toutes ces attitudes reflètent des mentalités forgées par l'habitude.

Lorsque nous essayons d'oublier les affaires de ce monde pendant une période déterminée et que nous nous concentrons sur un seul objet, cette pratique devient une habitude spirituelle. Supposons que pendant trois semaines une personne pense constamment : ‘‘moi-même et les autres sommes tous appelés à la vie par le Bouddha.’’ Il formera l'habitude de penser lors de chaque nouvel événement : ‘‘Attention, l'autre, ainsi que moi-même, sommes appelés à la vie par le Bouddha’’. La force et la persistance d'une telle habitude diffèrent selon le sérieux de notre pratique, le temps que nous lui consacrons et la manière dont nous persévérons. Si, pendant une heure de pratique, nous pensons continuellement à des tas de choses en laissant vagabonder notre attention, notre concentration ne deviendra jamais une habitude. Si nous arrivons à réfléchir sérieusement à une seule chose durant toute une journée nous apprendrons à garder la même orientation mentale près d'une semaine. Du point de vue de la formation des habitudes religieuses, celle des chrétiens qui vont à l'église tous les dimanches est une belle réussite.

L'intérêt exclusif porté à un seul objet pendant trois semaines permet d'établir une excellente habitude spirituelle. Bien qu'une personne exceptionnelle puisse recevoir de façon soudaine une grande révélation de Dieu ou du Bouddha, c'est plutôt rare. Ceux qui sont trop occupés devraient essayer de se consacrer aux profonds enseignements du Bouddha durant une heure par jour aussi souvent que possible. C'est une façon d'acquérir une bonne habitude mentale. L'esprit purifié et l'exaltation spirituelle que nous ressentons après nous être consacrés aux activités religieuses peuvent être comparés au sentiment né de la vision de Samantabhadra monté sur l'éléphant blanc.

Le bodhisattva continue :

«Je leur donnerai de surcroît cette dharani, et parce qu'ils auront obtenu cette dharani, aucun non-humain ne sera capable de les détruire, non plus qu'ils ne seront égarés ou troublés par les femmes. Je les protégerai aussi constamment de mon corps. Veuille seulement Bhagavat écouter la dharani que je prononce. »

"Aucun non-humain" peut s'appliquer à l'argent ou aux objets matériels. Si ces choses sont recherchées et utilisées avec une intention juste, elles ne deviennent jamais un obstacle à la foi, mais un désir excessif peut être nocif. L'expression "ils ne seront égarés ou troublés par les femmes" reflète le point de vue masculin, mais que les femmes ne soient pas troublées par les hommes et tout aussi vrai. L'expression indique simplement le sexe opposé. L'amour conjugal (ai) entre mari et femme est, bien sûr, un facteur important dans la formation de la famille et de la société. Malheureusement les gens ont tendance à s'attacher à cet amour et à se renfermer sur le couple au point d'ignorer l'amour bien plus vaste pour tous les êtres humains. D'autres se dispersent dans les plaisirs sexuels et deviennent malhonnêtes. S'il a toujours présent à l'esprit la pratique de Samantabhadra, l'esprit faible qui se laisse facilement distraire par le désir sexuel peut revenir à plus d'amour généreux et pur.

Ensuite, en présence du Bouddha, le bodhisattva Samantabhadra prononça la dharanis suivante :

« Adande dandapati dandâvartani dandakusale dandasudhâri sudhâri sudhârapati buddhapasyane dharanî âvartani samvartani samghaparîkshite samghanirghâtani dharmaparîkshite sarvasattvarutakausalyânugate simhavikrldite [anuvarte vartani vartâli svâhâ]. »

[N.d.T. J.N. Robert donne dans sa traduction du Sutra du Lotus une translitération différente conforme à la prononciation japonaise :

Atandai tandahachi tandabatei tandakusharei tandashudarei shudarei shudarahachi bodahasennei sarubadaraniabatani sarubashaabatani shuabatani sôgyababishani sôgyanekyadani asôgi sôgyahagyachi teireiadasôgyatorya arateiharatei sarubasôgyasamachikyaranchi sarubadarumashuharisettei sarubasatarodakyôsharyaatogyachi shin abikirichitei.

« Bhagavat, s'il est un bodhisattva qui obtienne d'entendre cette formule détentrice, il connaîtra la force des pouvoirs supranaturels de Samantabhadra. Si le Sutra du Lotus du Dharma circule dans le Jambudvipa et qu'il s'en trouve pour le recevoir et le garder, ils devront se faire cette réflexion : "tout cela est dû à la force miraculeuse et majestueuse de Samantabhadra." S'il s'en trouve pour le recevoir et le garder, le lire et le réciter, le mémoriser correctement, en comprendre le sens, s'y exercer selon ce qui y est exposé, il faut savoir que ces gens se livrent à la pratique de Samantabhadra. Ils plantent profondément des racines de bien auprès d'infiniment innombrables bouddhas et auront la tête caressée de la main des Ainsi-Venus. Celui qui ne fera même que le recopier renaîtra, quand sa vie sera venue à terme, chez les trente-trois devas* et quatre-vingt-quatre mille filles célestes viendront à sa rencontre en jouant des musiques variées. Il coiffera alors une couronne faite des sept matières précieuses, s'ébattra et se divertira au milieu de ses suivantes. Qu'en sera-t-il alors de ceux qui le recevront et le garderont, le liront et le réciteront, le mémoriseront correctement, en comprendront le sens, s'y exerceront selon ce qui y est exposé. S'il se trouve quelqu'un qui le reçoit et le garde, le lise et le récite, en comprenne le sens, celui-là aura, à la fin de sa vie, mille bouddhas pour lui tendre la main, l'empêcher d'avoir peur et de tomber dans les mauvaises destinées; il ira au Ciel Tushita auprès du bodhisattva Maitreya. Le bodhisattva Maitreya, muni des trente-deux marques, sera entouré d'une vaste multitude de bodhisattvas, il aura une suite de milliers de millions de myriades de filles célestes: c'est en leur sein qu'il renaîtra, car tels seront les bénéfices de ses mérites.»

L'expression "la tête caressée de la main des ainsi-venus" signifie — nous l’avons déjà vu — que le croyant sera loué par les bouddhas et qu'ils lui feront confiance. Cela implique une immense joie, une vie pleine d'exaltation spirituelle. La phrase suivante "Celui qui ne fera même que le recopier renaîtra, quand sa vie sera venue à terme, chez les trente-trois devas" signifie qu'il n'atteindra pas l'état d'exaltation religieuse mais qu'il mènera une vie paisible et heureuse, toute souffrance étant éliminée.

La phrase "il ira au Ciel Tushita auprès du bodhisattva Maitreya" signifie que les croyants seront aussi compatissants que Maitreya et qu'ils deviendront assidus dans leurs pratiques quotidiennes de bodhisattva. Nous avons étudié dans le chapitre 16 les trois bodhisattvas qui représentent trois catégories importantes de l'enseignement du Sutra du Lotus : le bodhisattva Manjushri (la sagesse du Bouddha), le bodhisattva Maitreya (son amour-empathie), et le bodhisattva Samantabhadra (sa pratique). Le bodhisattva Maitreya, qui représente l’amour-empathie du Bouddha, est censé être le futur successeur de l'Ainsi-Venu Shakyamuni. En japonais, il est appelé fusho no bosatsu, "le bodhisattva qui succédera à la position du Bouddha". On dit que Maitreya réside dans le Ciel Tushita, attendant le moment où il descendra dans ce monde Saha pour devenir un bouddha. Dans un sens, on peut dire qu'il est le plus élevé des bodhisattvas et, pour cette raison, il possède les trente-deux marques de bouddha. Aller directement auprès de Maitreya signifie aussi que quiconque continuera la pratique de la compassion dans le monde Saha sentira la valeur et l'immense joie que procure la vie.

Samantabhadra continue :

« Le bodhisattva Maitreya, muni des trente-deux marques, sera entouré d'une vaste multitude de bodhisattvas, il aura une suite de milliers de millions de myriades de filles célestes: c'est en leur sein qu'il renaîtra, car tels seront les bénéfices de ses mérites. C'est pourquoi le sage se devra de le copier lui-même de tout coeur, ou de le faire copier, de le recevoir et le garder, de le lire et le réciter, de le mémoriser correctement, de s'y exercer comme il l'est exposé. Bhagavat, je protège à présent ce Sutra de par la force de mes pouvoirs supranaturels; après le parinirvana de l'Ainsi-Venu, je le ferai propager amplement dans le continent Jambu et empêcherai son interruption. »

Le plus haut sommet de l'exaltation spirituelle

« Alors le Bouddha Shakyamuni dit cet éloge :

« C'est bien, c'est fort bien, Samantabhadra, tu es capable de protéger ce texte et d'en faire abondamment profiter les êtres pour leur bien. Tu as déjà mené à accomplissement d'inconcevables mérites, une profonde et vaste compassion. Tu as de très longue date déployé l'intention de l'Éveil complet et parfait sans supérieur* et tu es ainsi capable de faire le voeu de protéger ce texte de tes pouvoirs supranaturels. Et moi, de par la force de mes pouvoirs supranaturels, je protégerai ceux qui auront pu retenir le nom du bodhisattva Samantabhadra.

« Samantabhadra, s'il s'en trouve pour recevoir et garder, lire et réciter, mémoriser correctement, mettre en pratique, copier et recopier ce Sutra du Lotus du Dharma, sache que cela reviendra pour eux à voir le Bouddha Shakyamuni, que ce sera comme entendre ce Sutra de la bouche du Bouddha. Sache que ces gens font offrande au Bouddha Shakyamuni. Sache qu'ils seront loués et approuvés par le Bouddha. Sache qu'ils auront la tête caressée par la main du Bouddha Shakyamuni. Sache qu'ils seront couverts du vêtement du Bouddha Shakyamuni. »

L'expression "ils seront couverts du vêtement du Bouddha Shakyamuni" indique l'état dans lequel se trouve une personne fermement tenue dans les bras du Bouddha. C'est le sommet le plus élevé de l'exaltation spirituelle et de la paix intérieure. Aucun obstacle ne peut empêcher la foi ou la pratique d'une personne qui a atteint cet état.

Le Bouddha continue :

« De telles personnes ne convoiteront plus les plaisirs du monde, elles n'apprécieront plus les textes et les écrits hétérodoxes* et ne se réjouiront plus de fréquenter personnellement de telles gens, ni des méchants comme les bouchers, les éleveurs de porcs, de moutons, de poulets, de chiens, comme les chasseurs ou comme ceux qui font commerce de la beauté des femmes. Ces personnes seront droites en pensée et intention, elles seront de mémoire exacte, munies de la force des mérites. »

Notons tout particulièrement le passage "de telles personnes ne convoiteront plus les plaisirs du monde". Cela ne signifie pas qu'il est mauvais de mener une vie joyeuse et agréable mais qu'il est mauvais d'être attaché au bonheur et au plaisir et de les désirer ardemment. Il n'est pas mauvais non plus d'étudier les écrits hétérodoxes et cela peut même être utile pour élargir notre vision et devenir plus à même de distinguer la Vérité de l'erreur. Dans le texte sanskrit, les écrits hétérodoxes désignent la poésie mais ici il s'agit de la littérature profane en général. Cela ne veut pas dire que la littérature soit mauvaise mais qu'il n'est pas bon d'être absorbé par une littérature de bas niveau afin que notre esprit ne se couvre de nuages et ne devienne incapable de distinguer la Vérité.

Nous devons faire également attention à ne pas mal interpréter la mise en garde contre l'intimité avec tout une catégorie de personnes. Ce n'est pas une interdiction de fréquenter mais une incitation à nous méfier de l'atmosphère qu'elles provoquent. Si nous, qui désirons propager largement les enseignements dans ce monde, devions exclure ceux qui sont engagés dans ces métiers, nous violerions grossièrement la véritable intention du Bouddha de sauver tous les êtres vivants. Nous ne pourrions pas obtenir le bonheur spirituel décrit par les mots ’’Ces personnes seront droites en pensée et intention, elles seront de mémoire exacte, munies de la force des mérites’’.

La phrase suivante dit :

« Elles ne seront pas tourmentées par les trois poisons, elles ne seront pas non plus tourmentées par l'envie, la vanité, la présomption, l'arrogance. »

Les trois poisons sont l'avidité, la colère et l'ignorance, ils sont à la base de toutes les souillures du cœur. La vanité est un signe d'égoïsme, d'autosatisfaction. La présomption traduit le mépris des autres, la conviction d'être le seul à avoir raison malgré ses mauvaises actions. L'arrogance est l'orgueil et la morgue dus à l'illusion d'avoir complètement compris ce qu'on a à peine entrevu. L'envie est engendrée par un sentiment d'infériorité, tandis que la présomption et l'arrogance naissent d'un sentiment de supériorité. Ceux qui ont réellement compris les enseignements du Bouddha et qui ont été capables d'obtenir une vue correcte des choses ne succomberont jamais à de telles pensées.

Le Bouddha déclare ensuite :

« Ces personnes auront peu de désirs, sauront se contenter de peu et seront capables de s'exercer à la pratique de Samantabhadra»

"Peu de désirs" s'applique aux choses de ce monde. Ici, c'est non seulement le désir d'argent et de biens matériels mais aussi l'ambition d'acquérir un statut élevé et la célébrité. C'est également le désir d'être aimé et servi par les autres. Une personne qui a atteint une foi profonde a très peu de désirs personnels et reste équanime en ce qui les concerne. Mais, alors que cette personne est indifférente aux désirs terrestres, elle a un grand désir de connaître la Vérité, elle est avide de Vérité. Être indifférent à la Vérité n'est que de la paresse. "Se contenter de peu" c'est être satisfait de peu de gains matériels, c'est-à-dire, ne pas être mécontent de son sort et être affranchi des soucis de ce monde. Bien entendu, il ne s'agit ni d'autosatisfaction ni de renoncement à améliorer sa vie. C’est faire le maximum pour se perfectionner. Une personne qui a cette attitude ne sera jamais abandonnée par son entourage et, mais même si elle l'était, elle resterait heureuse parce que sa vie est magnifique au plan spirituel.

Le Bouddha continue :

« Samantabhadra*, après le parinirvana de l'Ainsi-Venu, dans les cinq cents dernières années, si l'on voit quelqu'un recevoir et garder, lire et réciter le Sutra du Lotus du Dharma, on devra se faire cette réflexion : cet homme, avant longtemps, se rendra au lieu de la Voie, défera les hordes de Mara et obtiendra l'Éveil complet et parfait sans supérieur* ; il mettra en branle la roue du Dharma, fera résonner le tambour du Dharma*, soufflera dans la conque du Dharma, fera tomber la pluie du Dharma; il s'assiéra au trône léonin du Dharma, au milieu d'une vaste foule de devas* et d'hommes. »

On peut voir ce passage comme une description de l'atteinte de la bodhéité par Shakyamuni sous l'arbre bodhi et son œuvre pour répandre le Dharma. C'est également l'assurance donnée par le Bouddha que quiconque reçoit et garde, lit et récite le Sutra du Lotus atteindra sûrement l'Éveil.

Le Bouddha déclare ensuite :

« Samantabhadra, celui qui, dans les derniers âges, recevra, gardera, lira et récitera ce Sutra ne convoitera plus vêtements, literie, boissons, nourriture, les objets nécessaires à la vie; ses souhaits ne seront pas vains. Il obtiendra aussi dès la présente existence la rétribution de ses mérites. »

Les objets nécessaires à la vie sont uniquement les objets de première nécessité et le pratiquant les aura sans avoir à en exprimer le besoin. Les souhaits exaucés seront ceux de voir tous les autres parfaitement heureux. C'est pourquoi "obtiendra aussi dès la présente existence la rétribution de ses mérites". Ne pas être attaché avidement à la vie matérielle traduit un esprit généreux. Le désir de voir le bonheur des autres provient de la compassion et d'un esprit désintéressé. Celui qui possède un esprit généreux obtiendra certainement une récompense dans la vie présente parce que sa propre vie se remplira de joie, de paix et d'espoir.

La faute de mépriser et de calomnier les croyants

Le Bouddha continue :

« S'il se trouve quelqu'un pour le dénigrer en lui disant: "Fou que tu es ! C'est en vain que tu te livres à ces pratiques; en fin de compte, tu n'en tireras rien", en rétribution d'un tel crime, il sera privé d'yeux d'existence en existence. S'il se trouve quelqu'un pour lui faire offrande et le louer, il obtiendra dès cette existence une manifeste rétribution de son fruit. »

L'expression "Il sera privé d'yeux d'existence en existence" est une façon de souligner la gravité de la faute. Pourquoi est-ce donc tellement grave de mépriser et de calomnier les croyants du Sutra du Lotus ? Parce que ces paroles et ce comportement empêchent la Roue du Dharma de tourner. Prenons un voleur ou un escroc, il ne fait aucun doute que ses actions violent les cinq préceptes du bouddhisme parce qu'elles nuisent à autrui. Mais, comme les mauvaises actions entraînent une rétribution inévitable, le voleur ou l'escroc paiera finalement ses mauvaises actions. Les autres peuvent aussi se dire : "Les mauvaises actions seront découvertes tôt ou tard, nous ne devons jamais faire des choses pareilles."

Les mauvaises actions ont une influence dans un domaine relativement étroit. Mais, bien que la parole et la conduite qui font obstacle à la propagation du Dharma Merveilleux ne soient pas punies par la loi, elles exercent une grande influence sur l'environnement de l'homme. Si le Dharma est largement propagé, d'innombrables personnes obtiendront des mérites et abandonneront leur vie négative grâce à lui. Lorsqu'une personne empêche les autres de répandre le Dharma, elle commet une faute grave. Cette faute est invisible mais ses répercussions sont tellement grandes que les bouddhistes appellent cela "détruire la graine du Dharma", une image qui exprime bien la gravité de l'action de calomnier le Dharma.

La terrible rétribution reçue pour avoir dénigré le Dharma est décrite ainsi :

« Celui qui, par ailleurs, en voyant quelqu'un recevoir et garder ce Sutra, met l'accent sur ses erreurs et ses défauts, qu'ils soient réels ou non, contractera la lèpre blanche dès la présente existence. Celui qui se sera montré moqueur ou méprisant à son égard aura d'existence en existence les dents défectueuses, les lèvres repoussantes, le nez plat, les bras et les jambes tordus, les yeux louches, le corps malodorant, des bubons sanglants et purulents, le ventre gonflé d'eau, le souffle court, de graves maladies.

« C'est pourquoi, Samantabhadra, si l'on voit quelqu'un qui reçoit et garde ce Sutra, on se lèvera de loin pour aller à sa rencontre, comme pour rendre hommage à un bouddha. »

C'est ainsi que Shakyamuni clôt le Sutra du Lotus, exposé en Deux endroits et Trois assemblées. Il déclare que ceux qui croient et mettent en pratique ses enseignements doivent être vénérés de la même manière qu’un bouddha parce que le corps entier de l'Ainsi-Venu est compris dans ce Sutra. C'est avec une grande gratitude que nous devons entendre ces paroles.

Le chapitre XXVIII se termine par les mots suivants :

« Tandis que ce chapitre de l'Exhortation de Samantabhadra était exposé, une infinité de bodhisattvas, aussi innombrables que les sables du Gange, obtinrent la dharani des mille millions de myriades de Permutations*, autant de bodhisattvas que les particules d'un monde tricosmique menèrent à totale complétion la voie de Samantabhadra.

« Quand le Bouddha eut prêché ce Sutra, Samantabhadra et les autres bodhisattvas, Shariputra* et les autres shravakas*, ainsi que les devas*, les nagas*, les humains et non-humains l'ensemble de la Grande assemblée - furent tous en grande liesse. Ils reçurent et gardèrent la parole du Bouddha, saluèrent et partirent (note). »

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Chapitre XXVIII du Sutra du Lotus

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