Réponse à Yasaburo

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 6, p. 255; SG* p. 834.
Gosho Zenshu p. 1449 - Yasaburo dono gohenji

Minobu, le 4e jour du 8e mois de 1277 à Saito Yasaburo

 

Je ne suis qu'un laïc ignorant [dites-vous dans votre lettre] mais parmi tout ce que j'ai appris de vous, un passage du deuxième volume du Sutra du Lotus me touche particulièrement. C'est celui qui dit  : "Maintenant, ce monde des trois plans [est tout entier mon domaine...] (note)."

Ce passage signifie que le Japon actuel est le domaine du Bouddha Shakyamuni. La divinité de la Lumière solaire, Tensho Daijin*, le grand bodhisattva Hachiman, l'empereur Jimmu et toutes les autres divinités aussi bien que le souverain du pays et les gens du peuple, tous habitent ce domaine. Par conséquent, nous, simples mortels, avons, à l'égard de ce Bouddha, trois grandes dettes de reconnaissance. La première, parce qu'il est notre souverain ; la deuxième, parce qu'il est notre maître ; et la troisième, parce qu'il est notre parent. Parmi tous les bouddhas des dix directions, seul le Bouddha Shakyamuni est doté de ces trois vertus. C'est pourquoi, même si tous les habitants du Japon servaient le Bouddha Shakyamuni avec autant de respect qu'ils en manifestent actuellement à l'égard du bouddha Amida, parce qu'ils le placeraient sur le même plan qu'un autre bouddha et le traiteraient de la même manière, ils commettraient encore une grave erreur. Par exemple, si quelqu'un, alors même que son propre dirigeant est un homme sage, se mettait au service du roi d'un autre pays, et si, bien que vivant au Japon, il rendait hommage au roi de Chine ou de Koguryo en négligeant le souverain du Japon, pourrait-on le considérer comme un bon sujet du grand roi de son pays ?

Et que dire alors des moines du Japon, qui, tous sans exception, ont reçu la tonsure en tant que disciples du Bouddha Shakyamuni  ! La robe qu'ils portent, ils ne l'ont pas revêtue en tant que disciples du bouddha Amida. Pourtant, on ne trouve pas une seule salle consacrée dans leurs temples au Bouddha Shakyamuni, pas une où la méditation du Sutra du Lotus soit pratiquée, où une image peinte ou sculptée de Shakyamuni soit enchâssée. Ils ne possèdent pas un seul exemplaire du Sutra du Lotus et négligent le Bouddha Shakyamuni pourtant doté des trois vertus. Mais dans tout le pays, dans chaque district, chaque village et chaque foyer, ils érigent plus de statues qu'il n'y a d'habitants, à l'image du bouddha Amida qui ne possède pourtant aucune de ces trois vertus ; et tous psalmodient le nom du bouddha Amida, à l'exclusion de tout autre, soixante mille ou quatre-vingt mille fois par jour. Cela peut paraître admirable, mais, quand on y réfléchit à la lumière du Sutra du Lotus, on réalise que ces personnes en apparence pieuses se rendent coupables de fautes plus graves que celles de malfaiteurs commettant chaque jour les dix mauvaises actions. Les personnes mauvaises ne croient en aucun bouddha, elle n'en trahissent donc aucun. Et, si elles devenaient vertueuses, peut-être se consacreraient-elles au Sutra du Lotus. Or, les habitants du Japon, de nos jours, semblent incapables d'accorder plus de respect au Bouddha Shakyamuni qu'au bouddha Amida, d'avoir plus de croyance dans le Sutra du Lotus que dans le Nembutsu. Ce sont donc des personnes mauvaises qui n'ont de la vertu que l'apparence. Et parmi les personnes mauvaises, ce sont les pires opposants au Dharma, les icchantika les plus effroyables de tout le Jambudvipa. Le Bouddha Shakyamuni prédit, dans le deuxième volume du Sutra du Lotus : "Après leur mort, ils tomberont dans l'enfer avici."

Les moines du Japon d'aujourd'hui sont donc tous des personnes très mauvaises, pires même que Devadatta ou Kokalika. Et, parce que les croyants laïcs les respectent et leur font des dons, ce pays se transforme sous nos yeux en enfer des souffrances incessantes. La famine et les épidémies frappent quantité de personnes en cette vie même, leur faisant subir des souffrances horribles, telles qu'on n'en a jamais connues par le passé et, de surcroît, leur pays sera attaqué par un pays étranger. Ceci est uniquement dû à Bonten, à Taishaku, aux divinités Nitten et Gatten, et aux autres divinités.

Au Japon, moi seul, Nichiren, ai compris la raison de tels événements. Tout d'abord, je me suis demandé si je devais la révéler ou non. Mais ne pas le faire, n'était-ce pas trahir l'enseignement du Bouddha, père et mère de tous les êtres vivants  ? Décidé à ne pas ménager ma vie, j'ai entrepris de parler, et depuis plus de vingt ans, j'ai été chassé du lieu où j'habitais, mes disciples ont été tués, j'ai été blessé, exilé par deux fois, et j'ai été bien près d'être décapité. Si j'ai parlé ainsi, c'est uniquement parce que je savais depuis longtemps que les habitants du Japon couraient à la rencontre de grandes souffrances et que j'éprouvais de la compassion à leur égard. Ceux qui réfléchissent devraient avoir conscience que c'est pour leur bien que j'ai subi ces épreuves. Ceux qui connaissent leur dette de reconnaissance ou qui possèdent simplement quelque bon sens, sur deux coups qui s'abattent sur moi devraient vouloir en recevoir un à ma place. Mais au lieu de cela, ils manifestent de la haine à mon égard, ce que j'ai bien du mal à comprendre. Et des laïcs, sans connaître les raisons de tout cela, me chassent des lieux que j'occupe ou éprouvent de la haine envers mes disciples. C'est bien regrettable. Car si, prenant par mégarde son père ou sa mère pour un ennemi, quelqu'un insultait, frappait et tuait l'un ou l'autre, échapperait-il pour autant aux punitions qu'entraînent ces fautes  ? Ceux qui m'agressent aujourd'hui, sans avoir conscience de leur propre violence, m'accusent moi, Nichiren, d'être violent. C'est comparable à une femme jalouse qui, tout en foudroyant du regard une courtisane, oublierait la fureur exprimée par son propre visage pour se plaindre du regard effrayant qu'on lui jette.

Tout cela résulte du seul fait que le souverain ne m'a jamais consulté [sur l'authenticité des enseignements bouddhiques]. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait  ? Parce que les gens de ce pays ont commis tant de fautes graves et ont accumulé un si mauvais karma qu'ils seront inévitablement attaqués par un pays étranger en cette existence présente et précipités dans l'enfer avici dans la suivante. [Voilà ce que vous devriez expliquer tout d'abord].

Vous pourrez déclarer ensuite [à votre contradicteur] : "Tout cela, je le crois, parce que c'est très clairement indiqué dans les sutras. Vous pouvez bien attaquer et menacer des personnes sans aucun pouvoir comme nous, ou nous chasser de nos maisons, mais les choses n'en resteront pas là. Puisque même Tensho Daijin* ou le bodhisattva Hachiman n'ont pas réussi à infléchir la décision de ce moine [Nichiren], comment de simples mortels pourraient-ils le faire  ! On rapporte que loin de le faire reculer, les persécutions qu'il rencontre, l'une après l'autre, ne font que renforcer sa détermination."

Si un moine émet encore quelque objection, demandez-lui : "Ce que ce je viens de dire est-il faux  ? " Demandez-lui s'il y a, dans le Sutra du Lotus, un passage établissant que le Bouddha Shakyamuni est notre parent, notre maître et notre souverain. S'il reconnaît qu'un tel passage existe, demandez-lui si le Sutra contient un seul autre passage indiquant que le bouddha Amida est parent, souverain et maître. Exigez qu'il vous réponde par oui ou par non. S'il prétend qu'un tel passage existe, demandez-lui s'il est possible d'avoir deux pères. Et s'il vous répond non, demandez-lui avec force pourquoi il a abandonné son père pour chérir un étranger. Soulignez bien ensuite qu'il y a une grande différence entre le Sutra du Lotus et les autres sutras en citant le passage  : "En plus de quarante ans, [je n'ai pas encore révélé la vérité]."(réf.) S'il cite le passage "[Après la mort] cette personne renaîtra sur la Terre pure de la béatitude parfaite", demandez-lui s'il évite ainsi de répondre aux questions précises que vous venez de lui poser. Et, dans ce cas, expliquez-lui encore le sens de ce passage.

Il vous faudra avoir une ferme détermination. Ne vous laissez pas arrêter par la peur de perdre votre domaine ; ni par la pensée de votre épouse ou de vos enfants. Ne mettez pas le Dharma en danger en comptant sur les autres. Il suffit que vous décidiez fermement vous-même. Voyez ce qui s'est passé dans le monde cette année comme votre propre image dans un miroir. Alors que beaucoup sont déjà morts, si vous avez survécu jusqu'à présent, c'est précisément pour faire face à cette situation. Le moment est venu de traverser la rivière Uji.Vous êtes sur la rive et Seta se trouve de l'autre côté. [C'est le moment décisif : ] ou vous faites honneur à votre nom ou vous le discréditez [dans ce débat]. On dit qu'il est rare de pouvoir naître sous forme humaine et qu'il est difficile de croire au Sutra du Lotus. Soyez convaincu que Shakyamuni, Taho et les bouddhas des dix directions se rassembleront tous et entreront dans votre corps pour vous aider. Si vous êtes convoqué par le gouverneur de la région, expliquez-lui en détail ce que je viens de dire dans cette lettre.

Avec mon profond respect,
Nichiren.

Le 4e jour du 8e mois de la 3e année de Kenji (1277), sous le signe cyclique hinoto-ushi.

ARRIERE-PLAN - Nichiren Daishonin écrivit cette lettre du Mont Minobu, le 4e jour du 8e mois de 1277. Yasaburo, le croyant à qui elle fut adressée, n'est pas Funamori Yasaburo qui abrita Nichiren Daishonin lors de son exil à Izu. Il s'agirait d'un certain Saito Yasaburo qui vivait à Numazu dans la province de Suruga. La formulation du dernier paragraphe laisse penser qu'il était peut-être samouraï.
Quoi qu'il en soit, à l'évidence le destinataire de ce gosho se préparait à un débat avec un moine de l'école de la Terre pure et avait demandé conseil à Nichiren Daishonin qui, dans cette lettre, lui répond.[...]
A l'époque de Nichiren Daishonin, avec l'influence croissante de l'école de la Terre pure, le peuple avait de plus en plus tendance à faire confiance au bouddha Amida du paradis de l'ouest, en espérant renaître sur sa Terre pure après la mort. Dans ces conditions, Nichiren Daishonin insista souvent sur l'importance de révérer Shakyamuni, le fondateur historique du bouddhisme, qui vécut effectivement en ce monde. (Commentaire ACEP)


En anglais : Reply to Yasaburo

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=827&m=1&q=Reply%20to%20Yasaburo
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_ReplyYasaburo.htm

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