KAJI-KITO

 

Le développement du Kaji Kito dans le bouddhisme Nichiren Shu

CHAPITRE ONZE

Les déités importantes

La vénération de Nichiren pour Amaterasu et Hachiman et leur incorporation dans le mandala montrent que Nichiren les considérait comme les défenseurs du Sutra du Lotus et du Japon. Il est intéressant de noter que des divinités importantes du kaji kito nichirénien sont également présentes dans son mandala, mais que la majorité d'entre elles, sinon toutes, sont d'origine indienne. Nichiren lui-même a mentionné et vénéré la majorité de ces divinités comme l'indique leur inclusion dans ses mandalas, mais son point de vue sur leur relation avec la pratique du mikkyo ou du kaji kito reste obscur. Leur incorporation dans le kaji kito est probablement intervenue plusieurs années après sa mort.  

Hariti (Kishimojin/Kishibojin)  

Le nom Hariti signifie "vert", une couleur associée en Orient à la croissance. Le terme japonais pour son nom "Kishimojin" possède une connotation différente. "Kishimo" signifie "Mère des enfants fantômes" car la légende veut qu'elle aurait été fécondée par son mari, Pancika, considéré comme un fantôme, et qu'au total, elle aurait donné naissance à 500 enfants (réf.). En tous cas, les caractères chinois de son nom comportent les termes "mère" et "oni" (démon). La légende raconte que Hariti enlevait et mangeait des enfants. De nombreux parents angoissés ont rendu visite au Bouddha Shakyamuni et lui ont demandé son aide pour l'empêcher d'en prendre d'autres et de causer tant de douleur. Le Bouddha décida de cacher l'un des 500 enfants de Hariti, nommé Priyankara. Il recouvrit de son bol à aumônes Priyankara qui devint invisible, tout en pouvant voir les autres. Hariti fut extrêmement bouleversée et le chercha en larmes dans le monde entier pendant sept jours, mais ne put retrouver l'enfant. Elle rendit visite à Vaisravana (Bishamonten) pour lui dire combien elle était désespérée de ne pas trouver son enfant. Vaisravana lui conseilla d’aller voir le Bouddha. Sans savoir que c’est lui qui avait caché Priyankara Hariti demanda au Bouddha de l'aider à retrouver l'enfant. Alors le Bouddha lui dit que si elle ressentait une telle tristesse et une telle douleur en perdant un seul de ses 500 enfants, comment pensait-elle que se sentaient les parents des enfants qu'elle avait kidnappés. Elle a promis au Bouddha d'adopter ses enseignements, de ne plus jamais kidnapper d'enfants, et de les protéger tous du mal. C’est pourquoi Hariti est vénérée par beaucoup lors d'accouchement et pour le bien-être des enfants (réf.).  

Comme en témoignent les nombreuses effigies trouvées dans la région, Hariti et Pancika* étaient tous deux considérées comme des divinités locales du Gandhara en Inde, Nombreux étaient ceux qui les vénéraient dans l'espoir d'être bénis par la naissance d'un enfant et d'accoucher en toute sécurité. Bien que Hariti ne soit pas incluse dans le statut divin des dieux et déesses hindous, elle était vénérée dans plusieurs monastères. Il y avait sa représentation  en tissu à Turfan, une ville du Nord de la route de la soie, montrant ainsi la manière dont Hariti a été initialement introduite en Chine. Le Keiso Saijiki, écrit pendant la dynastie Liang (502-587), dit que Hariti était vénérée le "huitième jour du quatrième mois" dans le temple Chosha-ji (réf.).  

Dans la littérature japonaise, Hariti est mentionnée pour la première fois dans le sutra Konko myo kyo, qui mentionne sa visite aux Quatre Rois Célestes avec Pancika et ses 500 enfants. De plus, pour Saicho Hariti était “le salut du Japon”, notion que Nichiren a fait sienne. En 1154, des documents indiquent l'émergence de mandalas contenant le nom de Hariti ainsi que des méthodes pour la vénérer. Pour créer des statues de Hariti ces textes donnent des explications sur les caractéristiques physiques et les gestes des mains. Un exemple en particulier comprend le positionnement de la main gauche, qui symbolise l'exaucement des souhaits :  la paume est tournée vers le haut, tandis que les doigts pointent vers le bas (réf.).  

D’après les explications sur ses rituels dans Asabasho et Kakuzensho les écoles Shingon aussi bien que Tendai ont toutes deux vénéré Hariti tout au long de la période Kamakura. Bien que Hariti ait été principalement vénérée pour un accouchement sans danger, d'autres raisons ont également été intégrées, notamment le bien-être des enfants et la guérison des maladies. Un document datant de 1247 indique que des statues de Hariti et de quinze de ses enfants ont été installées dans un lieu réserve à l'accouchement  pour témoigner de la reconnaissance envers elle.  

On dit que Nichiren lui-même avait sculpté Hariti, dont une statue se trouve au temple Kakuzo-ji, dans l'actuelle Tokyo. La légende veut que Nichiren l’aie faite le "huitième jour du huitième mois" de l'année 1253, pour le protéger pendant ses pérégrinations et pour promouvoir le Sutra du Lotus. En 1271, alors que Nichiren était mené pour son exécution, une vieille femme lui a offert des gâteaux de sésame et, en retour, Nichiren lui a donné la statue de Hariti. Celle-ci a été conservée comme un trésor familial, jusqu'à ce qu'en 1733, puis confiée au moine Nichiyo qui l'a installée dans le temple Kakuzo-ji (réf.).  

De nombreuses autres sources indiquent le culte populaire de Hariti pendant la période Edo (réf.), en particulier  dans un sanctuaire de l’actuelle Tokyo où se trouve une statue en bois apportée par un moine du nom de Nissho-bo en 1578. Son effigie gagna en popularité et devint connue comme la divinité qui exauçait les souhaits de tous, faisant du sanctuaire l'un des principaux sites touristiques d'Edo. Le sanctuaire comporte un temple de l'école Nichiren, qui continue aujourd'hui encore à célébrer des rituels liés à Hariti.  µ

Lorsque l'on tente de caractériser le kaji kito nichirenshu, Hariti est rapidement considérée comme la divinité la plus importante de cette pratique. Cependant, ce n'est pas le cas. Depuis Nichiren, beaucoup de ses disciples ont maintenu leur foi dans les dix raksasis, mais cette dévotion s'est transformée en foi dans les "go banjin", les cinq divinités qui apparaissent dans le chapitre XXVI (Dharani) du Sutra du Lotus et qui offrent chacune des sortilèges qui composent l'ensemble des dharanis (réf.). Ces cinq divinités comprennent le bodhisattva Roi-des-Remèdes (Bhaishajyaraja,Yakuo Bosatsu), le bodhisattva Don-Héroïque (Ksemadatta, Yuze Bosatsu), Vaisravana (Bishamonten), Dhrtarastra (Jikokuten) et les dix raksasis. Selon les documents, Hariti est souvent associée aux dix raksasis, mais le chapitre XXVI est le seul mentionnant à la fois Hariti et les dix raksasis. Cependant, Hariti, qui n’offre pas directement de dharani, devient la divinité la plus importante dans le kaji kito nichirénien. En effet, lorsque celui-ci est devenu populaire au cours de la période Edo, lire les noms des cinq divinités et les noms individuels des dix raksasis est devenu trop difficile et les gens ont raccourci cette pratique en adorant uniquement Hariti (réf.). Les raisons spécifiques du choix de Hariti ne sont pas claires, bien qu’il me semble possible que ce soit lié à la dévotion de Nichiren envers sa propre mère. J’y reviendrai dans la prochaine sous-section.  

Dans ses écrits, Nichiren n'a mentionné Hariti que six fois (réf.) et semble garder une foi plus forte dans les dix raksasis. Il vénère les dix raksasis parce que parmi les cinq divinités qui apparaissent dans le chapitre Dharani, elles seules promettent de protéger ceux qui défendent le Sutra du Lotus. Elles déclarent au Bhagavat : "Vénéré du monde, nous aussi désirons protéger ceux qui lisent et récitent, reçoivent et gardent le Sutra du Lotus du Dharma, et les débarrasser de la décrépitude et du chagrin. S'il s'en trouve pour chercher à les prendre en défaut, nous les empêcherons d'en trouver l'occasion." Ainsi, Nichiren croyait que ceux qui maintenaient leur foi dans le Sutra du Lotus seraient protégés par les dix raksasis ainsi que par les autres divinités mentionnées dans le chapitre Dharani. Le Rév.Miyazaki affirme que la foi dans les dix raksasis n'était pas aussi importante au sein de la société que le culte de Hariti, car leur rôle concernait principalement la foi dans le Sutra du Lotus (réf.). Pourtant, les sanctuaires shingon, dont le Juryasetsunoyo-do et le Jurasetsunyo-no-Miya, tous deux dans l'actuelle Tokyo, sont dédiés uniquement aux dix raksasis (réf.). Des recherches supplémentaires devraient être menées afin de comprendre l'importance des dix raksasis dans la tradition shingon. Comme nous l'avons déjà noté, Asabasho (enseignements et de rituels mikkyo tendai) ainsi que Kakuzensho (enseignements et de rituels mikkyo shingon) étaient disponibles à l'époque de Nichiren. L'Asabasho mentionne les dix raksasis et nous voyons là un parallèle avec l'opinion de Nichiren sur l'importance des dix raksasis. Quant au Kakuzensho, les dix raksasis en sont absentes, bien qu'il  inclue les rituels du Sutra du Lotus

C'est dans le Nichinyo honpon kuyo, que nous voyons la première mention de Hariti en tant que mère des dix raksasis, alors que cette relation n'est pas mentionnée dans le Sutra du Lotus. Cette adaptation a probablement été faite parce que le nom de Hariti écrit en caractères chinois suggère qu'elle est la mère des démons (réf.). La question de savoir si c’est les dix raksasis ou si c’est Hariti qui devaient avoir un statut plus élevé a été débattue avant et pendant l'époque de Nichiren, même si le rôle de Hariti en tant que mère des dix raksasis avait déjà été établi.  


fig. 9. Une sculpture de Hariti (en japonais. Kishimojin) de la période Kamakura au temple Onjo-ji dans la préfecture de Shiga. Elle tient dans la main droite une grenade et Priyankara* dans la main gauche. La photo est reproduite avec l'aimable autorisation de The Hidden Buddha of Japan (2002), Corona Books.

Les effigies de Hariti au Japon montrent deux visions distinctes de Hariti (figure 9). Selon le Kankimoho* , Hariti est une lourde jeune fille livide, couverte de bijoux, tenant une grenade dans sa main droite et Priyankara dans l'autre (réf.). L'autre forme, la représentation la plus courante, est une Hariti au visage d'un "oni" (démon). Cela est probablement dû au fait que pendant la période Tokugawa, on se concentrait davantage sur le caractère chinois de "oni" de son nom (réf.), en particulier dans la pratique du kaji kito, où l'un des principaux objectifs est de chasser les mauvais esprits. Avoir une Hariti au visage doux ne servirait pas à effrayer les mauvais esprits. Cela peut être assimilé au rôle d'Acala dans la tradition shingon, qui, tout en ayant un visage en colère, garde un certain calme. Cependant, une corrélation directe entre les deux n'a été notée dans aucune source et nécessiterait une analyse plus approfondie. Certains documents mentionnent que quelques statues de Hariti dans les temples nichirenshu tiennent une grenade dans une main et entourent  un enfant de l'autre (réf.). Les effigies de Hariti à visage de jeune fille livide étaient souvent vénérées pour la sécurité de l'accouchement et le bien-être de l'enfant, tandis que les Hariti à visage de démon étaient associées à l'expulsion chasse des mauvais esprits. Presque toutes les effigies de Hariti de la Nichiren Shu ont maintenant le visage du démon et sont adorées pour toutes les raisons qui autrefois se distinguaient selon le visage de Hariti.  


fig. 10. Une sculpture moderne de Hariti au visage de démon. La photo vient d'un magasin japonais vendant des sculptures et des objets nécessaires aux autels bouddhistes (www.butsudanya.co.jp)

Dix raksasis (Juryasetsunyo)  

Dans le chapitre Dharani du Sutra du Lotus les dix raksasis sont mentionnées comme les filles de Hariti. Les ouvrages tels que Asabasho qui mentionnent Hariti n'incluent pas les dix raksasis. C'est donc dans le contexte du Sutra du Lotus et en tant que protectrices de ceux qui croient au Sutra du Lotus que Nichiren a probablement vu leur importance.  

Bien que Nichiren lui-même ne mentionne pas Hariti autant que les dix raksasis, nous voyons que dans le gohonzon, Hariti a reçu une position plus élevée (sur le côté droit du daimoku) par rapport aux dix raksasis, sur le côté gauche. Bien que Nichiren ait donné la priorité à Hariti (réf.), il n'y a pas de preuve claire quant à la raison de ce choix. Parmi les possibilités, on peut citer la foi de Nichiren dans les dix raksasis et la popularité de Hariti par rapport aux dix raksasis à cette époque.  

Cependant, une analyse plus approfondie me fait penser que cela pourrait correspondre à la vision de Nichiren de la piété filiale. Tout au long de sa vie, même en exil, Nichiren a pris soin de ses parents. Plus important encore, l'un de ses kaji kitos les plus célèbres était celui de faire revenir à la vie sa mère. Dans plusieurs de ses écrits, Nichiren note que sans les parents, il n'y aurait pas d'enfant et que, par conséquent, il est du devoir des enfants de prendre soin de leurs parents (réf.). Dans son Myoichi Amagozen Gohenji, Nichiren fait spécifiquement référence au lien important établi entre la mère et l'enfant : "une mère n'abandonnerait jamais son enfant et un enfant refuserait de quitter sa mère". Il fait également référence aux épreuves auxquelles les mères sont confrontées avant et après la naissance de l'enfant dans son Jûô Sandan Sho, soulignant que les enfants sont à jamais redevables à leur mère. Nichiren était également d'avis que la mère, plus que le père, jouait un rôle plus important dans le foyer.  Nichiren a probablement placé Hariti au-dessus des dix raksasis pour cette raison - sans Hariti qui a élevé et donné naissance à ces dix raksasis, la dernière section du chapitre Dharani n'aurait pas été complète et il n'y aurait pas de protecteurs des individus qui croient au Sutra du Lotus.

Plus intéressant encore, une lecture attentive du chapitre Dharani montre que le Bodhisattva Don-Héroïque  a également dit au Bouddha qu'il "protégerait ceux qui lisent, récitent, reçoivent et gardent le Sutra du Lotus" (réf.). Certains pensent que Nichiren a choisi les dix raksasis parce qu'elles ont juré de protéger les adeptes du Sutra du Lotus. Mais son choix va au-delà de la seule notion de protection des croyants du Sutra du Lotus. Certains estiment que Nichiren a choisi Hariti parce que psalmodier tous les noms des cinq déités, dont les dix raksasis, aurait été trop long. On peut objecter à cela que si la simplicité était la seule raison pour laquelle Nichiren a choisi Hariti, alors il aurait pu choisir le Bodhisattva Don Héroïque  

Dans le même ordre d'idées, la dévotion de Nichiren envers ses parents, et plus particulièrement envers sa mère, pourrait avoir influencé sa croyance que les femmes pouvaient également atteindre l'Eveil. Les dix raksasis sont également les seules femmes mentionnées dans le chapitre Dharani, mais une analyse plus approfondie est nécessaire. Je propose l’hypothèse que pour Nichiren les filles deviennent des mères qui donnent naissance à des filles qui deviennent à leur tour des mères. Par conséquent, il est possible qu'en choisissant les filles de Hariti, il faisait également référence au cycle sans fin de la maternité. Comme l'instinct maternel pousse à mettre sa vie en danger pour protéger l'enfant, il y a aussi la notion de protection "maternelle" des adeptes du Sutra du Lotus que seules les divinités féminines peuvent assurer. En ce sens, les dix raksasis qui, en tant que "mères", protègent leurs "enfants", qui sont les adeptes du Sutra du Lotus.  

Mahakala (Daikokuten)  

Une divinité moins connue mais importante du kaji kito est Mahakala, principalement comprise dans le bouddhisme japonais comme la divinité qui apporte chance et bonheur. Au sein de la tradition japonaise, cette divinité fait partie des shichifukujin, "sept divinités de la fortune". Comme nous l'avons déjà mentionné, le culte de Mahakala est l'un des principaux sujets étudiés en aragyo.  

Saicho vénérait Mahakala et nous voyons la mention du nom de la divinité dans l'Asabasho (réf.). Mahakala a été introduite dans le bouddhisme au début de l’ésotérisme, lorsque plusieurs dieux hindous ont été incorporés au panthéon bouddhiste (réf.). Ainsi, beaucoup estiment que Mahakala est la forme bouddhiste de Shiva, le destructeur du mal, ou de sa monture Nandi* . Bien que l'on ne sache pas exactement quand Mahakala est arrivé au Japon, Saicho y est le premier à lui être associé. Il est donc possible que Saicho ait lui-même introduit Mahakala au Japon après son retour de Chine. La légende veut que Saicho ait vu Mahakala pour la première fois à Sakamoto, une ville au pied du Mont Hiei et qu’il demanda à la divinité de s'identifier. Mahakala s'est présenté déclarant qu'il apporterait le bonheur non seulement aux pauvres villageois de Sakamoto, mais aussi à toute personne qui le rechercherait. L'histoire de la rencontre de Saicho avec Mahakala apparaît pour la première fois dans Sanrin daimyoji enri *; elle n'est donc pas mentionnée dans Asabasho ni dans aucune des œuvres de Saicho. On ignore également si Nichiren connaissait cette histoire. Dans Dengyo Daishiden, la biographie de Saicho écrite par Kakujin (1021 - 1081), il est dit qu'à son retour au Japon, Saicho pria dans l'espoir de trouver une divinité ou un protecteur pour l'école Tendai. Un jour, Mahakala se présenta devant Saicho qui était en train de prier. Il tenait une canne faite à partir de l’arbre cryptomeria* et promit à Saicho qu'il continuerait à le protéger ainsi que les trois mille moines qui vivaient sur le Mont Hiei. Depuis ce jour, une effigie de Mahakala est établie sur le Mont Hiei et il est considéré comme le protecteur de la tradition tendai (réf.).  

Bien que les raisons pour lesquelles Nichiren a incorporé Mahakala soient encore inconnues, il est fort probable qu'il s'agisse de l'importance qu'il accordait à Mahakala pendant son séjour au Mont Hiei, avant de fonder sa propre école. On ne sait toujours pas quelles sont les caractéristiques de Mahakala qui l'ont intéressé, étant donné qu'il n'est pas mentionné dans le Sutra du Lotus. Il est possible que Nichiren connaissait son rôle dans l'apport du bonheur à tous les êtres humains, ce qui est l'un des principaux objectifs de la diffusion du Sutra du Lotus et de l'intégration éventuelle du mikkyo dans ses enseignements. Nichiren a laissé sept écrits relatifs à l'importance de Mahakala, dont le Daikokutenjin kuyou sojoji*, qui désigne Mahakala comme le Bouddha Shakyamuni éternel. Ainsi, ceux qui croient en lui seront en paix dans l'autre monde et continueront à être heureux également dans l'autre vie; ce qu'on appelle "genze annon gosho zensho" (réf.). De même, certains estiment que c’est Nichiren qui a écrit comment on devait offrir à Mahakala cent haricots noirs (réf.) un jour précis, appelé kinoene. Cependant, Miyazaki fait remarquer qu’on ne peut pas affirmer que Nichiren a vraiment inclus Mahakala dans son enseignement, en raison des questions qui subsistent sur la paternité de ces goshos (réf.). De même, à condition que Nichiren ait réellement considéré Mahakala comme une divinité importante, il est étrange qu’il ne l'ait pas incluse dans son Gohonzon. Ce n'est qu'au milieu de la période Muromachi (1337-1573) que Mahakala apparaît sur un mandala de la lignée de Nichiren. Le plus ancien mandala contenant Mahakala a été inscrit par Nitten, le 18e successeur du temple Myokaku-ji en 1578, et il se réfère à Mahakala comme étant Daikokutenjin" (réf.).  

Les premières effigies de Mahakala auraient eu comme modèle sa représentation sur le Mandala de la Matrice comme divinité de la guerre. Dans ce mandala, Mahakala a trois visages, tous bleu-noir. D'une main il tient une épée et de l’autre saisit les cheveux d'un homme nu. Chaque visage a trois yeux, deux crocs et une chevelure ardente (réf.).

 
Figure 11. Une peinture de Mahakala (en japonais. Daikokuten) provenant du Tibet (15ème siècle). Il s'agirait de l'une des premières peintures connues de Mahakala. L'image de cette peinture a été gracieusement fournie par le site Himalayan Art Resources.

Mais presque toutes les représentation de Mahakala dans la lignée de Nichiren montrent un Mahakala souriant ou même hilare avec un bonnet rouge rond, tenant dans sa main droite un marteau et portant sur son épaule un sac plein de riz. Ce Mahakala souriant est également l'interprétation courante de la divinité chez les Japonais d'aujourd'hui, et il est censé apporter paix et bonheur.  

fig. 12 Une sculpture moderne du Mahakala souriant. La photo est une courtoisie d'un magasin japonais vendant des sculptures et des objets nécessaires aux autels bouddhistes (www.butsudanya.co.jp).

Bien que l'on ne sache pas non plus quand cette version de Mahakala a été ajouté à la tradition Nichiren (réf.), nous pouvons seulement être certains que Mahakala a été incorporé aux enseignements de l'école Tendai, ce qui a probablement influencé le culte de Mahakala dans les lignées de Nichiren.  

On ne sait pas non plus pourquoi Mahakala a été incorporé dans la pratique de l'aragyo nichirenshu. J’émets la l'hypothèse que Hariti et Mahakala se complètent l'un l'autre de la même manière que j'ai suggéré précédemment pour le bokken et le juzu. Le bokken chasse les mauvais esprits, tandis que le juzu fait entrer les bons. Cette hypothèse repose sur le fait que Hariti symbolise l'éloignement des mauvais esprits et que Mahakala symbolise l'appel du bonheur et donc des bons esprits. Cette hypothèse peut être justifiée par le fait que seules les effigies de Hariti à visage démoniaque et celles de  Mahakala souriant sont observées dans la tradition nichirenshu. De plus, l'incorporation par Nichiren de Mahakala comme divinité de la bonne fortune plutôt que comme dieu de la guerre peut montrer que Nichiren vénérait déjà Hachiman en tant que dieu de la guerre et qu'il n'y avait donc pas besoin d'une autre divinité ayant la même fonction. Cependant, l'année où nous voyons pour la première fois des preuves du culte de Mahakala dans l'école de Nichiren (milieu de la période Muromachi) précède l'année où le juzu et le bokken ont été utilisés ensemble pour la première fois (période Meiji). Par conséquent, nous pouvons également supposer que l'incorporation de Mahakala dans l'école Nichiren avait favorisé l'utilisation du juzu en combinaison avec le bokken, bien que des sources doivent encore être trouvées pour soutenir une telle analyse.

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