Méditation bouddhiste et contemplation chrétienne : |
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La méditation sous différentes formes est maintenant pratiquée par de nombreuses personnes dans le monde entier, avec des motivations qui peuvent être très différentes. La méditation est reconnue pour ses effets bénéfiques sur la santé physique, mentale et émotionnelle, avec réduction du stress, baisse de la pression artérielle, lutte contre l'insomnie et ainsi de suite. Elle est également recommandée pour faire face aux conflits et aux difficultés de la vie, au chagrin ou à l'échec, pour atteindre le bonheur profond et le bien-être. Une recherche sur Internet montre l'ampleur de cette pratique en pointant pas moins de 15 millions de sites qui se réfèrent à la «méditation». La méditation bouddhiste : développer la sagesse et la compassion Lorsque les disciples du Bouddha lui demandaient comment ils pouvaient parvenir au même Éveil, sa réponse prenait la forme d'énoncés courts et concis se rapportant à la situation particulière de ses locuteurs. D’après de nombreux textes de la tradition bouddhiste, le Bouddha a exhorté ses disciples qui cherchaient l’Éveil à observer la conduite juste (sari), c'est-à-dire à vivre de manière responsable, à ne pas faire de mal et à faire tout ce qui est bon. Il leur a enseigné la pratique de la méditation : arrêt de l'activité discursive de l'esprit, permettant de parvenir à la sérénité de l'esprit (samadhi*). C'est un état d'esprit qui permet à une personne de se libérer de l'illusion et de voir les choses telles qu'elles sont réellement, atteignant ainsi la sagesse (panna, prajna) qui apporte la délivrance (nibbana, nirvana). Il convient de resituer cela dans le contexte de l'enseignement fondamental du Bouddha, celui de l’Octuple noble chemin qui conduit à la délivrance où le samadhi*, état d’immobilité mentale, est placé au sommet de la Voie d’Éveil qui, à son tour, renforce la première étape sur cet Octuple chemin (la vue juste), formant ainsi une boucle complète. La vue juste consiste à voir les choses telles qu'elles sont (yathabhutam), c'est-à-dire comme impermanentes, insatisfaisantes et non-substantielles, une manière de voir basée sur l'interconnexion de toutes les choses dans l'univers. La pratique de la méditation est la porte d'entrée qui nous ouvre à cette façon de voir, introduisant un certain état d'esprit que l’on appelle «le lieu de la paix» (santam padam). Cette manière d'être fondée sur la vision de l'interconnexion incarne les «quatre vertus infinies» : l’amour-empathie (metta, maitri), de la compassion (karuna), la joie partagée (muditha) et de l'équanimité (upekkha).
(note) Contemplation chrétienne : s’immerger dans l'Amour divin Dans la culture occidentale où le christianisme a pris racine, a été nourri et a fleuri pendant ces deux derniers millénaires, le mot « méditation » est davantage associé à la pensée discursive sur divers aspects de notre existence humaine. (A cet égard, deux exemples bien connus viennent à l'esprit : Pensées pour moi-même de Marc Aurèle, empereur romain de 161 à 180, un volume qui contient les méditations de l'auteur imprégnées de philosophie stoïcienne, écrit comme un livre de ressources pour son propre auto-perfectionnement et l'orientation dans ses affaires personnelles et publiques ; le second est Méditations sur la philosophie première, dans lesquelles sont démontrées l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme de René Descartes [1596-1650], philosophe français considéré comme le « père de la philosophie moderne ») Le terme qui correspondrait le mieux à ce que les bouddhistes désignent par « méditation » (tel que décrit brièvement ci-dessus) serait la « contemplation » de la tradition chrétienne, du latin contemplatio, qui à son tour dérive du grec theoria, déverbal de theôrô : je regarde, je contemple), application de l'esprit à voir et observer certaines réalités. Les exercices spirituels de Saint Ignace suivent quatre phases («semaines») d’un cheminement intérieur, correspondant aux étapes de la vie spirituelle notées par beaucoup d'autres écrivains à travers les traditions religieuses. Sans entrer dans les détails, ce qui est remarquable ici, c'est que le terme de « méditation » est utilisé dans la première étape, où les pratiquants sont invités à regarder leur état de vie présent et à examiner sous différents angles le besoin de purification de leur état de pécheurs. Cela implique un engagement sans réserve de leurs facultés mentales discursives dont la mémoire, la compréhension et la volonté. Après qu'un impétrant a subi la première étape, avec des instructions très détaillées pour méditer (examen-vipassana) sur divers aspects liés à la condition humaine de pécheur, Saint Ignace le guide dans des pratiques contemplatives correctes dans les deuxième, troisième et quatrième phases des Exercices Spirituels. La pratique consiste alors à contempler les paroles ou les actions de Jésus présentées dans les Évangiles et dans d'autres passages scripturaires, «en les voyant» comme points d'entrée où la présence divine est révélée de manière concrète et palpable. Le point culminant des Exercices Spirituels est un exercice contemplatif qui s'ouvre à l’expérience de l'Amour inconditionnel qui imprègne et remplit tout dans l'univers. L’immersion heureuse dans l'Amour divin permet non seulement de trouver la base d'une vraie paix intérieure et d'une joie indicible, mais conduit aussi à offrir sa vie entière, avec une profonde gratitude, au service du monde, offrir le même Amour inconditionnel que l'on vit comme venant d'une source divine. La contemplation des Exercices spirituels a finalement pour résultat une expérience transformatrice qui bouleverse la vie d'une personne, depuis celle qui se préoccupe de son propre intérêt et de son bien-être jusqu’à celle dévouée au service du bien-être des autres, soutenue et rendue possible par l'Amour divin. (réf.) Une autre forme de pratique méditative / contemplative expérimentée par un nombre croissant de chrétiens de différentes obédiences est la « prière recentrante » (centering prayer) telle qu’elle est exposée dans les écrits du Père Thomas Keating, moine trappiste qui a dirigé des retraites contemplatives dans de nombreux endroits (note). Réunissant en douze «pas» la pratique chrétienne contemplative mise en place au monastère de Saint Benoît à Snowmass, Colorado, par le P. Keating, les participants ont rédigé une déclaration commune décrivant les points clés de leur pratique sur la base de leur expérience collective : «Par une immersion en Dieu que nous appelons prière contemplative, s’opère un changement de conscience. Cette participation active à la nature divine forme chaque personne et ouvre à l'esprit et à la vie même du Christ, l’incitant à devenir un instrument de l'amour et l'énergie de Dieu dans le monde. » (réf.) Réflexions finales : la sagesse comme source de l'amour altruiste Le maître zen vietnamien Thich Nhat Hanh, largement connu pour avoir inspiré partout dans le monde un nombre incalculable de personnes à s'engager dans la méditation bouddhiste et une vie de pleine conscience, écrit : «La méditation consiste à vivre profondément chaque moment». (réf.). Vivre profondément, c'est réaliser l’"inter-être" (ce terme a été inventé par Thich Nhat Hanh et apparait dans ses nombreux écrits) avec tous et donc ouvrir son cœur dans l'amour-empathie et la compassion, se consacrer au service du bien-être de tous. La vie de Thich Nhat Hanh est un témoignage puissant et une incarnation de ce message. Thomas Merton décrit la contemplation de la manière suivante : «C'est une merveille de la spiritualité. C'est une attention spontanée pour le caractère sacré de la vie, de l'être. C'est la gratitude pour la vie, pour la conscience et pour l’être. » (réf.) Ayant à son actif dix-sept ans de vie contemplative en tant que moine trappiste, Thomas Merton partit en mission dans le Kentucky à Louisville, et là, à un coin de rue au milieu d'un quartier commerçant observant les gens passer, il a vécu un événement intérieur très puissant qui marqua un autre tournant décisif dans sa vie. Il écrit : «J'ai été soudain submergé par la prise de conscience que j'aimais tous ces gens, qu'ils étaient moi et moi j’étais eux, que nous ne pouvions pas être étrangers l'un à l'autre, même si nous étions totalement distincts» (Ce passage sur sa fameuse « épiphanie » au coin des rues Fourth et Walnut, est noté dans son journal du 18 mars 1958, ainsi que dans Conjectures of a Guilty Bystander. (réf.) Les nombreuses œuvres de Thomas Merton, en particulier celles qui ont été écrites après cet événement de 1958, exposent clairement et à maintes reprises que la pratique contemplative, qui ouvre un individu à une vie plongée dans l'Amour inconditionnel, se déploie également dans le service dédié au bien-être de tous. En un mot, quelqu’un qui s'engage sans réserve dans une forme de méditation bouddhiste ou de contemplation chrétienne, nourri par le contexte de la tradition religieuse où il est historiquement situé, est lancé dans un sentier sinueux d'éveil et de transformation, avec des surprises à chaque détour. Il évolue dans une vie d'amour altruiste et de service à tous, au-delà des distinctions entre soi et les autres, goûtant les fruits d'une joie indicible, d'une profonde paix intérieure et d’une vaste gratitude. (note) |