L’exclusivisme de Nichiren dans une perspective historique 5 - “ Radicalisme Institutionnel ” Jacqueline I. STONE* |
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La seule voix discordante venait de Bussho-in Nichio (1565 - 1630), administrateur principal du temple Myokaku-ji. Isolé d’abord par son refus de participer, Nichio fut contraint à quitter son temple et à partir de Kyoto. Des années plus tard, en réponse à la critique selon laquelle Hideyoshi aurait détruit les temples Hokke Shu si l’école avait refusé de se plier, Nichio répliqua que l’essence de l’école ne reposait pas sur ses institutions, mais sur le principe de dévotion exclusive au Lotus :
et
Avec le temps, par son attitude Nichio gagna des soutiens et l’école Hokke Shu fut profondément divisée entre les partisans de fuju fuse et les partisans de ju fuse (recevoir mais non offrir), une fraction conciliante soutenant qu’il était permis d’accepter des offrandes d’un gouvernant non converti encore au Sutra du Lotus. La controverse eut lieu alors que le nouveau gouvernement Tokugawa déployait ses efforts pour consolider son hégémonie. Soit par crainte pour la survie de l’école, s’inquiétant de perdre des adeptes au profit du fuju fuse, soit par désir de gagner de l’influence pour eux-mêmes, la faction ju fuse en appelait fréquemment au bakufu pour supprimer le mouvement fuju fuse, ce qui coïncidait tout aussi bien aux intérêts des Tokugawa. Comme les opposants à Nichio cherchèrent à le faire punir, Tokugawa Ieyasu convoqua les deux partis pour débattre en sa présence, déclara Nichio perdant et, en 1600, l’exila à Tsushima. En 1609, porte-parole du fuju fuse, Jorakuin Nikkyo et cinq de ses disciples furent arrêtés, offerts en parade à travers les rues de Kyoto, eurent le nez et les oreilles coupés et furent envoyés en exil. Lors de l’installation de la nouvelle capitale du shogun à Edo*, la controverse se déplaça vers la région du Kanto*. En 1630, à l’instigation de la faction ju fuse, le bakufu organisa un débat entre les moines Hokke des temples du Mont Minobu, représentant la faction conciliante, et ceux d’Ikegami, représentant la position fuju fuse. Le bakufu prit fait et cause en faveur de Minobu, les dirigeants fuju fuse furent exilés et leurs temples confiés à leurs opposants. De nombreuses lignées signèrent des accords en faveur de la position conciliante. (réf.) Le mouvement fuju fuse fut proscrit en même temps que le christianisme et, en 1665, un édit fut spécialement promulgué pour l’éliminer complètement. Les moines et les laïcs qui refusaient de se soumettre furent emprisonnés, exilés ou exécutés, tandis que d’autres se suicidèrent en protestation. (réf.) Les arrestations et les châtiments sporadiques se perpétuèrent aux XVIIIe et XIXe siècles, notamment à Kazusa et Shimosa, où le mouvement fuju fuse avait été particulièrement actif. Quelques petites communautés fuju fuse parvinrent néanmoins à survivre en marge, refaisant surface et regagnant une reconnaissance légale en 1876. Si l’exclusivisme du Lotus entraîna souvent des persécutions, on ne peut nier qu’il insuffla le courage de les endurer. Jeffrey Hunter qualifia fort à propos fuju fuse de ‘‘radicalisme institutionnel’’ parce qu’il :
Pour les partisans du fuju fuse, comme pour Nichiren des siècles plus tôt, l’idée du Sutra du Lotus transcendant toute autre proclamation fournit face à l’autorité du gouvernant une base de résistance qui, à l’époque, était impossible par le biais de la politique. Le potentiel subversif de l’exclusivisme du Lotus transparait dans les virulentes polémiques anti-Nichiren entreprises par Shincho (1596 – 1659), moine qui fut un temps nichirénien mais se convertit à l’école Tendai. Il note :
La proclamation du Sutra du Lotus comme source suprême de l’autorité créait ainsi un espace moral au-dessus de celui du gouvernement et de l’ordre établi, et dans lequel on pouvait critiquer cet ordre. Les shoguns Nobunaga, Hideyoshi, Ieyasu, et plus tard Tokugawa, qui cherchaient à soumettre à leur autorité le pays tout entier, ne tardèrent pas à percevoir la menace et adoptèrent divers châtiments pour briser l’autonomie de l’école Nichiren. Cela ne signifie nullement que l’exclusivisme nichirénien soit intrinsèquement subversif envers l’autorité. Comme contre-exemple on peut citer les quatre années de la règle Hokke monto à Kyoto, quand la vérité exclusiviste fut utilisée pour imposer l’autorité du monto*. A la même époque, alors que les disciples de Nichiren se trouvaient aux marges des structures du pouvoir, l’exclusivisme du Lotus fournit souvent une base morale pour défier ces structures. Avec la suppression du mouvement fuju fuse, cette base morale fut totalement occultée. Les temples nichiréniens, comme ceux des autres écoles bouddhistes, furent soumis au contrôle du bakufu. Les débats entre écoles furent interdits et le shakubuku de confrontation lui-même fut marginalisé. Les séminaires nichiréniens mirent l’accent sur les enseignements tendai et seule la poignée d’étudiants atteignant le rang le plus élevé d’érudition fut autorisée à étudier certains écrits de Nichiren - probablement pour brider l’enthousiasme débordant des jeunes prêtres à suivre la passion de Nichiren pour shakubuku. (réf.) |
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