Ryusho Jeffus

3 - Prédictions

 

Abordons maintenant quelques prédictions de bodhéité future qui sont exposées dans le Sutra du Lotus. J’ai déjà dit que je n’avais pas reconnu d’emblée l’importance de ces prédictions et je pense que certaines personnes ressentiront la même chose à la lecture de ces textes. Après avoir lu une de ces prédictions, on peut facilement penser qu’on sait tout ce qu’il y a à savoir sur les prédictions en général.  

C’est seulement lors de ma formation d'aumônier, lorsque j’ai lu certains ouvrages sur l’espoir, que j’ai acquis un autre regard sur ces prédictions.  Aussi, c’est en découpant le Sutra du Lotus par thèmes pour chercher des idées dans différents chapitres afin d'obtenir un ensemble cohérent que je suis parvenu à une vision vraiment nouvelle. Lorsque j’ai juxtaposé les différentes prédictions, j’ai pu apprécier à leur valeur ces histoires apparemment ennuyeuses et répétitives. J’espère pouvoir transmette aux lecteurs une meilleure compréhension de ce qu’elles révèlent aux pratiquants de notre époque.

Maitreya – Chapitre I

On trouve la toute première prédiction au début du Sutra du Lotus, dans le texte d’ouverture, avant que le Bouddha commence son sermon. C’est Manjushri qui en fait part à Maitreya et à d’autres membres des quatre congrégations. Maitreya avait interrogé Manjushri sur les phénomènes étranges dont il était témoin : tremblement de terre, rayons lumineux partant de la tête du Bouddha etc. Manjushrirépond qu’il y très longtemps, au cours d’innombrables vies antérieures, il avait rencontré plusieurs bouddhas et avait déjà assisté à de semblables présages. Tous ces bouddhas avaient pour nom Chandra-suryapradipa (Luminaire-de-Soleil-et-de-Lune) et tous enseignaient par des moyens appopriés*, jusqu’à ce qu’il rencontre le dernier bouddha. Celui-ci avait huit fils qui portaient tous des noms différents indiquant une intention (mati).

Ici, je me permets une petite digression pour commenter cette particularité du nom qui indique l’intention. Je pense que c’est une indication sur les intentions que nous devons avoir quand nous abordons la pratique du Sutra du Lotus. Ces huit fils avaient renoncé au monde en apprenant que leur père avait atteint l’Anuttara-samyaksambodhi. Quittant l’état de princes pour suivre leur père, ils avaient abandonné leurs royaumes. C'est à moment-là que le dernier Chandra-suryapradipa exposa le Sutra des Sens infinis, tout comme notre Bouddha Shakyamuni vient de le faire.

Les noms de ces huit fils étaient : Muni-d'Itention, Bonne-Intention, Intention-Incommensurable, Intention-d’Accroissement-précieux, Intention-Attestante, Intention-Résonante, Intention-du- Dharma.

Je ne sais pas ce qu’il en est de votre mère mais moi, quand j'étais jeune et que la mienne voulait me gronder, elle m'appelait par tous mes noms auxquels elle ajoutait fréquemment, surtout si elle était vraiment en colère, le nom du chien et tous les noms de mon frère.

Je m’imagine la mère de ces huit fils appeler Muni-d'Intention-Bonne-Incommensurable-Accroissement-précieux-Attestante-Résonante-Intention-du-Dharma ! Si vous récitez ces noms comme ça, les uns derrière les autres, vous pouvez vous faire une idée du comportement que nous devrions avoir à l’égard du Dharma. Tout d’abord, nous devons formuler une intention, que nous soyons pratiquant ou que nous fassions autre chose – pourquoi pas le ménage ? Formuler une intention c’est déjà être prêt à se lever et se mettre au boulot. Bien évidemment, l’intention doit être bonne car, sinon, nous n’obtiendrons pas le résultat attendu. Même si, en réalité, le résultat ne colle pas tout à fait avec notre intention, cela n’y change rien. 

Il ne suffit pas de formuler une intention, qu’elle soit bonne n’est pas non plus suffisant, surtout si nous ne la menons pas jusqu'au bout. Si nous avions la bonne intention de nous rendre au travail mais que nous changeons d’avis en sortant de la maison, et que nous trainons toute la journée sans vraiment décider d’aller travailler, nous pouvons dire que nous avons complètement raté l'intention. Il faut bien comprendre que, dans notre pratique bouddhique, cela ne concerne pas uniquement cette vie-ci mais également un grand nombre de vies, c'est pourquoi nous devons nous approcher au plus près de notre intention de pratiquer et de notre intention de nous éveiller comme si c'était une intention sans fin. 

Au-delà de la bonne intention, ce qui nous pousse est sa finalité et la récompense escomptée ; pour nous, les bouddhistes, la récompense est l’amélioration de notre vie et la manifestation de l'Éveil aussi bien en nous que dans notre environnement. Il ne faudrait pas confondre «richesse» et « plein de fric ». D’où l’importance de comprendre ce que représente l’objectif et de veiller à accomplir cet objectif-là. Si, malencontreusement, nous pensons que notre objectif bouddhique est de nous enrichir, nous avons des chances d’être fortement déçus si la fortune ne nous tombe pas dessus, jusqu'à ce que nous comprenions que nos possessions ne nous apportent pas le bonheur.  Le but de la pratique bouddhique est l’Éveil et le Sutra du Lotus nous dit que cette bodhéité est la même que celle de tous les bouddhas. C’est dans ce sens que l’on peut le qualifier de trésor précieux. À mesure que nous nous développons et mûrissons, nous constatons que notre objectif aussi se développe et évolue. Ce n’est pas que le but change, c'est que nous commençons à entrevoir de plus en plus de possibilités ; dès que nous commençons à évoluer, nous devenons capables d'imaginer une évolution encore plus vaste. 

À mesure que nous nous développons nos possibilités aussi se développent. Au début de notre pratique nous ne sommes pas en mesure de comprendre à quel point notre vie peut prendre de l'ampleur. Mais quand notre pratique devient plus responsable et que nous accumulons des expériences spirituelles en surmontant les obstacles, quand nous transformons le noyau profond de notre vie, notre foi devient progressivement de plus en plus stable et nous cédons plus difficilement au découragement. J’ai dit plus difficilement à moins d’être complaisant à l’égard de nous-mêmes ; il est toujours possible de se laisser distraire et de perdre courage. Disons que si nous gardons confiance et si nous pratiquons pour réussir, nous finirons par y arriver. En réalité, les doutes s’atténuent avec le temps à mesure de nos divers succès dus à notre confiance dans la pratique. Notre intention est de créer une base solide de foi et de pratique à l’épreuve de tous les doutes. Dans le Sutra du Lotus, Shakyamuni nous encourage souvent à ne plus avoir de doutes et à consolider notre foi.

Il faut, bien sûr, préciser qu’il ne s’agit jamais d’une foi aveugle accordée aux paroles de quelqu’un. Il est vital que notre foi soit étayée par l’expérience et l’étude. La preuve de la véracité des enseignements du Lotus est essentielle pour supprimer les doutes. Et tout cela basé sur le Dharma comme l'enseigne Shakyamuni dans le Sutra du Lotus. Notre intention est d'adhérer complètement et d'expérimenter dans notre vie la véracité et la réalité des paroles de l’Ainsi-Venu.

Manjushri narre à Maitreya la vie antérieure d’un disciple nommé Cherche-Gloire (Yashaskama). Sa reconnaissance par le Sangha lui importait plus que la maîtrise de la pratique et l’étude du Dharma. Nous avons tous rencontré ce genre de personnes qui cherchent avant tout l’approbation et les louanges des autres au lieu faire le bien autour d’eux et d'être efficaces. Le Sutra dit : « bien qu'il récitât encore et encore les sutras, il ne les pénétrait pas avec acuité et nombreux étaient les passages qu'il oubliait. » Manjushri révèle ensuite qu'il était alors lui-même le bodhisattva Varaprabha (Lumière-Sublime) et que Maitreya était le bodhisattva Cherche-Gloire. Il ajoute que ce qui s’est passé à l’époque ne diffère en rien de ce qui est en train d’advenir. Maitreya en tire la conclusion que le Bouddha Shakyamuni était sur le point de prêcher le Sutra du Lotus.

La partie versifiée, tout en répétant les mêmes faits, donne plus de détails. C'est là qu’il est prédit que Maitreya serait le prochain Bouddha de ce monde. Cette prédiction est acceptée et enseignée par tous les bouddhistes sauf quelques exceptions dont certains groupes nichiréniens pour qui Nichiren est le Bouddha Originel (honbutsu) et qu’il n’y en aura pas d’autre. Les lignées nichiréniennes qui prétendent que Nichiren est le Vrai Bouddha et qui refusent la prédiction de Maitreya vont à l’encontre de ce que disait Nichiren lui-même et de ce qui est affirmé dans le Sutra du Lotus. Ce point est assez important pour mériter qu’on y prête toute notre attention. Ou bien on suit Nichiren et sa foi en le Sutra du Lotus, acceptant ainsi la mission qu’il nous confie, ou bien on ne le suit pas et dans ce cas on ne peut se proclamer ni disciple de Nichiren, ni croyant du Sutra du Lotus. Tenter de concilier les deux est un défi à toute logique.

Nous voyons donc que, même si certains pratiquent superficiellement et qu’ils le font pour leur gloire et leur bénéfice personnel, leur pratique crée finalement une cause importante pour leur Éveil futur. Il nous arrive de nous demander pourquoi, autour de nous, certains se conduisent ainsi. C’est particulièrement pénible lorsque nous travaillons aux côtés de quelqu’un qui se comporte constamment de la sorte. Cela peut être très décourageant et même frustrant.

Il est toutefois bon de garder à l’esprit que nous avons des liens profonds avec tous les êtres et toutes les circonstances que nous rencontrons dans notre vie. On peut donc y voir une bonne occasion de changer certaines choses en nous-mêmes. Peut-être devons-nous apprendre à moins critiquer et à moins juger. Peut-être devons-nous regarder avec plus d’acuité la vie de ceux qui nous entourent pour y discerner le potentiel de bodhéité même si ce potentiel ne se manifeste pas actuellement. Après tout, ce n’est que notre opinion personnelle de penser que l’autre ne correspond pas à nos normes.  Nous pouvons facilement être pris au piège d’un cycle de jugement et d'intolérance, et même causer des préjudices. Un truc facile à appliquer pour nous assurer que nous ne tombons pas dans ce travers est d'observer avec quelle facilité nous justifions notre propre attitude correcte et notre bon comportement et d'utiliser les mêmes critères envers les autres. C’est juste une idée comme ça.

Shariputra – Chapitre III

Le chapitre III commence par une de mes descriptions préférées de la façon dont je pense que nous devons aborder notre pratique et la vie en général. Quand nous pouvons aborder la vie avec une grande joie, comme si nous « exultions en liesse », c’est que nous avons réalisé la majeure partie des buts de notre pratique. Vers la fin du chapitre II, Shakyamuni dit, en parlant de ses disciples, qu’ « en entendant qu'ils obtiendront d'être bouddha, une grande joie les saisira tout entiers ». Et ensuite nous voyons Shariputra débordant de joie, tellement qu'il se sentait danser. 

Nous devrions toujours aborder notre pratique bouddhique avec joie. Si nous l’abordons comme un fardeau, c’est que nous avons perdu quelque chose du message du Bouddha. Bien sûr, il y aura des moments où il sera difficile de modifier votre vie comme vous le souhaitez, parfois, cela prendra beaucoup de temps. Mais le bouddhisme nous enseigne que nul autre que vous n’est capable d'accomplir cette transformation. Grâce à la promesse du Bouddha, nous pouvons faire face à nos difficultés sans perdre la joie car nous savons que, grâce à notre foi et à notre pratique, nous avons la capacité de réaliser les changements nécessaires pour devenir bouddhas. Possédant la joie née de la certitude d’atteindre l’Éveil, nous pouvons vivre libérés de la peur et des contrariétés. Débarrassés du fardeau de la peur et des soucis, nous pouvons ressentir la joie profonde des bouddhas au plus profond de de notre vie.

Dans le chapitre III, le Bouddha parle à Shariputra de son existence passée et de sa future bodhéité. Jadis, Shariputra avait pratiqué au cours des différentes existences antérieures de Shakyamuni. Cela signifie que le Bouddha Shakyamuni eut de nombreuses existences au cours desquelles il fut toujours le maître de Shariputra.

Cette relation continue du maitre et du disciple tout au long de nombreuses existences peut paraitre similaire au lien existant entre le Bouddha et les bodhisattvas Surgis-de-Terre. Il n’en est rien. La relation avec Shariputra, même si elle a duré très longtemps, n’est pas infinie comme c'est le cas pour les bodhisattvas. Il est difficile de réaliser et de ne pas oublier que le bouddhisme fait parfois allusion à un temps qui peut sembler infini mais qui ne l'est pas. Les existences antérieures de Shariputra, toujours disciple du Bouddha, avaient pour seul objectif de lui faire créer des causes afin de pouvoir être un auditeur-shravaka contemporain de Shakyamuni et de devenir un de ses plus grands disciples. Dans ses vies précédentes, Shariputra avait recherché l’Éveil insurpassable mais il n’en gardait pas le souvenir dans sa vie présente ; aussi, Shakyamuni a dû le ramener au point où il pourrait se rappeler ses aspirations antérieures.

Nous pouvons parfois envier les disciples contemporains de Shakyamuni parce qu’ils pouvaient pratiquer à côté de lui et profiter de ses encouragements et de son enseignement. Nous pourrions regretter que le Bouddha ait vécu il y a si longtemps et nous sentir désavantagés. Pourtant le Sutra du Lotus nous apprend que, pratiquants des Derniers jours du Dharma, nous avons un lien beaucoup plus fort avec le Bouddha.

Un jour, dans un lointain futur, Shariputra deviendra un Ainsi-Venu appelé Padmaprabha (Éclat-Fleuri) et son royaume aura nom Viraja (Libre-de-Défilements). En effet, ce sera un monde de bien où il y aura un nombre incroyable de bodhisattvas et, surtout, où les bodhisattvas seront considérés comme de grands trésors. Ces bodhisattvas seront impossibles à compter mais Padmaprabha (Éclat-Fleuri) connaitra leur nombre. Notons que si ces bodhisattvas voudront aller quelque part, « des lotus de diamant recevront leurs pas ». Ce sera, à mon avis, vraiment pas mal comme endroit.

Ces bodhisattvas seront « droits de caractère, sans duplicité, d'une volonté ferme et solide » et ils empliront tout le royaume.  Tout cela est assez séduisant, n’est-ce pas ? Cette première prédiction de bodhéité décrit des mondes et des réalisations remarquables des futurs bouddhas. La différence frappante c’est qu’ils vont tous connaitre l’Éveil dans un autre monde que notre monde Saha. Ne l’oublions pas. Notre monde est un monde où il est difficile de pratiquer le Sutra du Lotus et d'atteindre la bodhéité. Et pourtant, de tous les disciples de l’Ainsi-Venu, nous, les pratiquants de l’âge dégénéré des Derniers jours du Dharma, si longtemps après l'apparition de Shakyamuni, nous sommes les seuls à avoir reçu l'assurance que nous deviendrons bouddha dès cette existence-ci.

Mahakashyapa, Maudgalyayana, Subhuti et Katyayana – Chapitre VI

Mahakashyapa est le premier, dans ce chapitre, à recevoir la prédiction de bodhéité. Après avoir fait des offrandes à trois millions de myriades de bouddhas et propagé largement un nombre incalculable des grands enseignements des bouddhas de ces mondes, il connaitra enfin l’Éveil. J’aime bien tous ces nombres qu’on ne peut pas définir. Mahakashyapa aura pour nom Rashmiprabhasa (Lumière-Étincelante) et son royaume s’appellera Avabhasa (Lumineux-Mérite).

Son royaume sera « somptueusement orné, exempt de souillures et de maux, de tuiles et de gravier, de ronces et d'épines, d'excréments et d'impuretés ». Je me demande si cela ne serait pas un peu trop nickel pour moi.

Il est intéressant de noter que « les entreprises de Mara n'y existeront point ; quand bien même y existeront Mara lui-même et sa horde ». Dans ce royaume ils ne causeront aucun trouble à ceux qui aspirent à la bodhéité ; ils seront, au contraire des protecteurs du Dharma. Ne dirait-on pas que leurs caractères seront à l'opposé de ce qu'ils étaient ? Une fois de plus, nous avons la description d’un monde bien éloigné de celui où nous vivons, travaillons et nous divertissons ; ce n’est pas un bouddha de notre monde Saha.

Ensuite, c’est Subhuti qui reçoit la prédiction de bodhéité. Après avoir pratiqué avec un grand nombre de bouddhas il deviendra l'Ainsi-Venu Shashiketu (Marque-de-Gloire). Son royaume s’appellera Ratnasambhava (Né-de-Joyaux). Ce monde sera également exempt d’un grand nombre d'impuretés et resplendira d'arbres en matières précieuses. Les gens de cette terre résideront tous dans des pavillons d'une rare merveille. Outre le fait que son monde ne ressemblera en rien à notre monde Saha, Subhuti-Shashiketu (Marque-de-Gloire) « y demeurera en permanence dans l'espace, à prêcher le Dharma ».

Le suivant est Katyayana qui sera l’Ainsi-Venu Jambunadaprabha (Éclat-Doré-du-Fleuve-Jambu). À la différence des précédents, Katyayana devra ériger un stupa de sept matières précieuses auquel il fera des offrandes « de fleurs, pendentifs, onguents, poudres, encens, dais de soie, bannières ». Ensuite il fera les mêmes offrandes à « vingt mille myriades de bouddhas, de la même façon ». Voilà bien des offrandes extraordinaires ; lorsque nous les comparons à ce que nous sommes capables d’accomplir au cours de nos brèves existences avec nos ressources limitées, il y a de quoi nous sentir légèrement inférieurs.

Il ne faut jamais comparer notre pratique personnelle à celle des autres, ni celle de notre environnement, ni celle des mondes décrits dans le Sutra du Lotus. Shakyamuni y répète inlassablement que notre pratique, si courte soit-elle dans le monde Saha, à une époque si éloignée de la manifestation du Bouddha, a bien plus de valeur que toutes les pratiques ou offrandes des adeptes d’enseignements moins parfaits et qu’elle procure bien plus de mérites (kudokus).

Finalement, c’est Maudgalyayana qui reçoit la prédiction qu’il va devenir l’Ainsi-Venu Parfum-de-Tamala-et-Santal et qu’il régnera sur le monde Manobhirama (Délice-Mental). Tout comme Katyayana, il érigera des stupas ornés de sept joyaux et il leur fera des offrandes. Le sol de son royaume « sera de cristal, des arbres de matières précieuses l'orneront, il sera parsemé de fleurs de perles, la pureté y sera universelle ; qui le verra ne pourra que s'en réjouir ».

Le chapitre VI est judicieusement appelé Octroi de la prédiction puisqu’il est entièrement consacré à la révélation de la future bodhéité des grands disciples qui, je le souligne encore, malgré toute leur grandeur, ne peuvent pas devenir bouddha dans notre monde Saha. Ils ne peuvent pas pratiquer comme le Bouddha nous l'enseigne : recevoir et garder, lire, réciter, copier et enseigner le Sutra du Lotus. Malgré toute leur grandeur, ils n'ont pas les moyens de pratiquer le Sutra du Lotus dans ce monde, ils ne peuvent devenir bouddhas que dans des mondes bien différents.

Purna et la prédiction générale pour les arhats – Chapitre VIII

C’est la première fois qu’apparait Purna. Pour ceux à qui les sutras antérieurs ne sont pas familiers, il convient de dire quelques mots à son propos. Il est l’un des dix disciples majeurs de Shakyamuni, il s’est illustré par son habilité à enseigner le Dharma. Purna est né dans une famille aisée mais il a toujours pensé que la richesse était éphémère. Peu attaché aux biens matériels, il a choisi de suivre les enseignements du Bouddha. Il devint arhat et c’est pourquoi sa bodhéité est prédite dans ce chapitre consacré à l’Éveil des arhats en général.

Lorsque j’ai fondé le temple Myosho-ji – qui signifie "temple bouddhiste de la Voix Merveilleuse" – j’ai choisi Purna comme modèle, parmi d'autres, dont l'exemple nous guiderait dans notre mission. Notre voix, en transmettant le Dharma Merveilleux aux autres, est une des façons dont nous pouvons accomplir l’œuvre du Bouddha, l’autre façon étant nos actes. Dans les deux cas, nous pouvons nous inspirer de la vie de Purna. Il est particulièrement apprécié pour ses efforts de propagation du bouddhisme en Asie du Sud-Est. Il a voyagé en enseignant le bouddhisme partout où il passait, consacrant toute sa vie à l’explication du Dharma Merveilleux aux gens de tous niveaux de compréhension. L’iconographie représente Purna avec un egoro, un brûle-encens portable. Donc, chaque fois que vous voyez un egoro, vous pouvez penser à Purna et à son dévouement pour transmettre le bouddhisme aux autres. Lors de l’ouverture de notre temple, il y avait un moine-novice qui voulait fabriquer un étui de protection pour y garder une copie du Sutra du Lotus. Il m’a demandé quelle décoration je souhaitais qu’il peigne sur la boîte. Je lui ai dit que je voulais un egoro pour symboliser la mission de ce temple et ma mission personnelle d’enseigner le Dharma à autant de personnes que possible pour qu'il leur fût aisé de le comprendre et de l'apprécier.

Dans le Sutra du Lotus, Shakyamuni loue Purna pour son excellent enseignement du bouddhisme, et parce qu'il n’épargne aucun effort pour protéger et propager le Dharma du Bouddha. Il fait l’éloge des qualités d’enseignant de Purna à différents endroits et de diverses façons. Il dit même qu’en enseignant le bouddhisme, Purna fait œuvre de Bouddha.

Dans sa vie précédente, Purna a aussi « obtenu la première place parmi ceux qui prêchaient le Dharma auprès des sept bouddhas » et selon le Sutra du Lotus « il sera encore le premier parmi ceux qui prêcheront le Dharma auprès des bouddhas à venir. Il consacrera constamment son énergie à convertir les êtres par son enseignement. Il achèvera graduellement toute la voie de bodhisattva ». Nous pouvons en conclure que, même en tant qu’arhat, il aura une pratique de bodhisattva et atteindra un jour l’Éveil complet et parfait sans supérieur (Anuttara-samyak-sambodhi). Il deviendra l’Ainsi-Venu Dharmaprabhasa (Clarté-du-Dharma) et son royaume s’appellera Suvishuddha (Bonne-Pureté).

C'est sans doute le moment de parler des cinq pratiques d’un bodhisattva. Ce sont : la sainte pratique, la pratique brahmique, la pratique naturelle, la pratique enfantine et la pratique curative. La sainte pratique est la pratique de chaque jour à laquelle s’ajoute l’étude. Nous l’accomplissons lors des cérémonies quotidiennes et lorsque nous voulons améliorer notre compréhension des enseignements bouddhiques.

La pratique brahmique est celle du non-vouloir. Autrement dit, c’est avoir une vie simple et faire la distinction entre nos désirs et nos besoins. Ces deux premières pratiques consistent à renoncer aux honneurs et au profit aux dépens des autres.

La pratique naturelle, c’est être attentifs à la réalité des choses telles que la beauté et les merveilles de la nature. C’est l’état d’une pleine conscience (smriti*) parfaite dans lequel on ne fait qu’un avec la nature, la véritable réalité. Quand il n’y a pas de distinction entre soi et l’environnement. Comme nous le verrons en étudiant le chapitre XVI, c’est notre perception erronée de la réalité qui nous fait dire que ce monde est un monde de souffrances et qui nous empêche de comprendre que ce monde est la Terre pure du Bouddha.

La pratique enfantine, c’est pratiquer avec la curiosité et l’excitation d’un enfant qui explorele monde pour le comprendre. Lorsque l’enfant examine et apprend il est ouvert à toutes les possibilités et ne pose pas de préalables à la compréhension. Il aborde la vie avec un enthousiasme sans bornes et un questionnement continuel. En pratiquant le bouddhisme, surtout si nous le faisons depuis un certain temps, il nous arrive de perdre cette capacité de nous émerveiller comme des enfants.

La pratique curative sert à reconnaitre que nous sommes spirituellement malades d'une vie qui n’est pas fondamentalement basée sur l’enseignement lotusien. Je me permets d’insister sur le fait que ce n’est ni le péché ni le mal. Cette maladie est guérie par la pratique du bouddhisme en menant simplement une vie la plus juste possible, en créant le moins de causes négatives possible, s’assurant ainsi des effets positifs. La pratique enfantine et la pratique curative sont toutes deux des entrainements à l’humilité. Si nous voyons que nous ne connaissons pas toutes les réponses mais que nous sommes comme des chercheurs, si nous comprenons que c’est en prenant le bon remède du Dharma que nous avons vaincu notre maladie, nous ne pouvons qu’être très humbles en compagnie des autres. Notre pratique ne nous rend pas supérieurs ; c’est un cadeau que nous avons reçu, cadeau que nous avons hâte de partager pour que les autres éliminent leurs souffrances.

En parlant du futur royaume de Purna devenu Ainsi-Venu, le Sutra décrit ses pouvoirs transcendantaux et son éloquence sans entrave. Comme ces expressions reviennent assez souvent dans le texte, il serait sans doute bon que j’en dise quelques mots.

Il y a six pouvoirs transcendantaux (roku jinzu, abhijna) : 1) le pouvoir d'observer tous les phénomènes du monde, 2) le pouvoir de comprendre tous les sons du monde, 3) le pouvoir de lire les pensées des autres, 4) le pouvoir de se manifester partout selon sa volonté, 5) le pouvoir de connaitre sa vie passée et celles des autres, 6) le pouvoir d'éliminer les illusions. On considère comme particulièrement importants les pouvoirs 1, 5 et 6 : observer tous les phénomènes, connaitre les vies antérieures, dissiper les illusions.

Quand on me demande ce qu’est un Bouddha, ou bien quand on m’interroge sur des choses supranaturelles qui se trouvent dans les sutras, je commence par leur rappeler que je ne suis pas encore Bouddha ou Éveillé.

Mais ici, je vais quand même exprimer mon point de vue. Si nous regardons bien la réalité de la cause et de l’effet, si nous comprenons bien la vraie nature de la causalité, il est possible de discerner des tas de choses dans la vie. La science est basée sur le principe de causalité, même si on ne le répète pas à tout bout de champ. Sachant quelle cause entraîne quels effets, les scientifiques peuvent prévoir certains résultats. Ils font des tas de trucs qui me paraissent magiques alors que cela n’a rien de surnaturel. Eh oui, mon téléphone portable est magique, mon ordinateur est magique, surtout si on pense que c’est juste un assemblage de 1 et de 0.

J’ai suivi des cours d’électronique et d’informatique, et même de théorie des transistors, et je suis capable d’en comprendre quelques notions basiques. Je comprends grosso modo comment ça marche. Mais que je connaisse la théorie ou pas, le fait que mon téléphone puisse être utilisé pour appeler quelqu’un ou pour recevoir un appel de personnes qui sont hors de portée de voix n’a rien à voir avec mes connaissances théoriques, cela dépendant uniquement de ma capacité à bien utiliser certains boutons. Je pense que ceux qui se consacrent au véritable aspect de la réalité comprennent ce qui nous parait mystérieux.

Dans certains vieux films de Sherlock Holmes, le célèbre détective qui possédait un prodigieux pouvoir de déduction, en observant minutieusement le monde autour de lui – exactement le même monde que voyaient les autres – par simple déduction, était capable de parvenir à des conclusions comme s’il lisait dans la tête des gens. Nous avons tous ces capacités, les unes plus développées que d’autres. Pour ce qui est de la vie, des souffrances et du bonheur, je pense que le bouddhisme permet de saisir plus profondément l’aspect réel des phénomènes. Ce qui peut paraitre surnaturel est, en fait, tout à fait naturel si on développe le potentiel de bodhéité inhérent en chacun de nous.

Les quatre qualités d’une éloquence sans entrave sont : le Dharma, le sens, les mots et la joie. Si on possède les quatre, on peut enseigner le Dharma sans aucune difficulté. On pourrait dire que c’est une question de confiance dans sa capacité de transmettre l’enseignement du Bouddha. Connaitre le sens et les termes techniques du Dharma dépasse la compréhension intellectuelle et l’accumulation d’informations ou de connaissances. Ce qui compte, c’est l'aptitude à exprimer l’enseignement bouddhique de telle sorte que l’auditeur soit en mesure de le comprendre et de l'appliquer à sa vie. Et, ce qui donne la touche finale à la véritable éloquence, c'est la joie. Si nous arrivons à communiquer notre joie, si l’auditeur se réjouit de ce qu’il entend et comprend, nous pouvons dire que notre éloquence est sans entrave. Il ne s’agit pas de broder sur un thème ni de partager seulement des informations. C’est une communication de cœur à cœur, de personne à personne à partir de notre nature de bouddha. Cela transcende les mots.  

Avant de passer à la dernière prédiction dans ce chapitre, je vais parler des pratiques dissimulées sous des aspects trompeurs.  Shakyamuni dit que ses disciples ont des pratiques secrètes, que ces auditeurs intellectuels peuvent sembler être des auditeurs-shravakas.  Je pense que c’est important d’y réfléchir, tout particulièrement dans le cadre de notre vie actuelle. Nous pensons presque tous être des gens plutôt ordinaires, peu faits pour des exploits. Mais notre banalité en fait dissimule notre véritable « soi », nous sommes des bodhisattvas Surgis-de-Terre, disciples du Bouddha depuis un temps incommensurable, des êtres parfaitement dotés de bodhéité.

Nous nous croyons ordinaires mais chacun de nous, sous le masque de la banalité, possède l’identité d’un être Éveillé. Nous pouvons ne pas être conscients de notre nature de bouddha ; celle-ci peut être tellement masquée que nous en sommes dupes nous-mêmes.  Mais, à mesure que nous pratiquons, nous percevons de mieux en mieux notre vraie nature et notre lien avec le Bouddha Atemporel tel qu’il se décrit dans le Sutra du Lotus.  

Notre banalité est ce qui nous permet de perfectionner nos vies et ce qui rend possible de toucher et d'enseigner aux autres. Je reviendrai sur ces pratiques cachées à propos de Rahula dans le chapitre suivant.

Voyons donc la prédiction finale de ce chapitre VIII qui est octroyée à 1 200 arhats. Vous pourriez vous demander ici pourquoi le titre du chapitre parle de 500 disciples. Il s’agit des arhats qui se tiennent juste devant le Bouddha tandis que les autres sont dispersés dans l’Assemblée. Shakyamuni commence par octroyer la prédiction de la bodhéité aux 1 200, il choisit parmi eux le bhiksu Kaundinya et déclare qu’il deviendra l’Ainsi-Venu Samantaprabhasa (Clarté-Universelle). Ensuite, le Bouddha parle des 500 dont certains sont appelés par leur nom, il dit qu’eux aussi deviendront des ainsi-venus nommés Samantaprabhasa (Clarté-Universelle). Ainsi, dans des mondes différents et à des âges différents, on pourra voir de nombreux bouddhas portant le même nom mais ils seront tous des bouddhas différents ayant atteint l’Éveil grâce au Sutra du Lotus.  

Ce point important mérite qu’on s'en souvienne. Ces prédictions de bodhéité octroyées aux différentes personnes se réfèrent toutes à l’Éveil consécutif à leur pratique du Sutra du Lotus. Cette bodhéité ne résulte pas de leur pratique contemporaine de Shakyamuni ni d’une pratique antérieure. Shakyamuni leur dit en substance qu’ils sont tous parvenu jusque-là, à ce moment-là et avec ce degré de foi, grâce à différents moyens mais, qu’à partir de maintenant, leur chemin vers la bodhéité passe uniquement par la pratique que le Bouddha indique dans le Sutra du Lotus. Jusque-là, on pouvait emprunter différentes voies mais, dorénavant, il n’en existe plus qu’une.

Ananda et Rahula – Chapitre IX

Ananda et Rahula, qui représentent divers auditeurs-shravakas, se lèvent ensemble de leurs sièges et approchent du Bouddha pour l’interroger sur leur propre Éveil. Ils plaident leur cause devant le Bouddha en faisant valoir leur comportement sans défaut et leur renommée auprès des devas, des hommes et des asuras. Ensuite, quelques deux mille shravakas — apprentis et au-delà de l'étude — se lèvent aussi de leurs sièges et supplient le Bouddha de leur parler de leur future bodhéité. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais je trouve ces gens-là bien arrogants de croire qu’ils méritent l’Éveil dans le futur parce qu’ils se sont bien conduits dans le présent. Ce n’est pas à moi d’en juger trop sévèrement mais je note quand même un grand contraste avec l’attitude des bodhisattvas Surgis-de-Terre.

Ananda fait partie des dix grands disciples de Shakyamuni qu’il a suivi tout au long de sa prédication. Nous le connaissons parce que c’est lui qui récite les sutras lors du premier concile et qu’il commence toujours par la phrase « Ainsi l'ai-je entendu ».

Nous lisons au début du Sutra du Lotus :

 « Ainsi l'ai-je entendu. À ce moment-là, le Bouddha demeurait à Rajagriha, sur la montagne de Gridhrakuta accompagné d'une foule de douze mille bhiksus, tous arhats, sauvés de la corruption du mal, désormais exempts de toute faute, maîtres d'eux-mêmes, ayant mis fin aux entraves de l'existence, souverains de leur esprit. »

L’expression « Ainsi l'ai-je entendu » peut être interprétée de deux façons en fonction de ce à quoi elle se rapporte : soit à la forme (avec ces différentes traductions possibles), soit au fond (Myohorengekyo). S'il s'agit de la forme, c’est-à-dire du texte qui suit, Ananda rapporte juste les paroles de Shakyamuni qu’il a entendues et alors « Ainsi l'ai-je entendu » est comme une annonce ; Myohorengekyo étant considéré au plan de son expression (forme). Dans le deuxième cas, « Ainsi l'ai-je entendu » vise le fond c’est-à-dire le signifié du Sutra, ce qui suit n’est alors qu’une explication ou une interprétation de Myohorengekyo. Dans le premier cas, ce sont les mots du Sutra qui priment, dans le second c’est le titre. On pourrait rendre cela par deux constructions grammaticales différentes. Dans le premier cas ce serait : « Voici ce que j’ai entendu : ‘‘À ce moment-là, le Bouddha demeurait à Rajagriha, sur la montagne de Gridhrakuta, etc.’’ » et dans le second cas ce serait « Myohorengekyo, voici ce que j’ai entendu ».

La différence semble minime mais elle est importante. Dans le premier cas, Myohorengekyo est une annonce et ce qui suit n’est qu’une glose, une façon de comprendre Myohorengekyo. La seconde structure met en avant le sens global intrinsèque du Sutra, Myohorengekyo étant un condensé du contenu. 

Pour Nichiren, « Ainsi l'ai-je entendu » porte sur le fond, sur Myohorengekyo et non sur la forme. Il en conclut que la pratique ne comprenant que la récitation du titre est une pratique unique parfaitement appropriée et correcte, c'est le plus important. Tout ce qui est dit ensuite dans le Sutra est une exégèse de ce qui est essentiel et qui est Myohorengekyo. On peut aussi s’interroger sur ce qui est primordial. En estimant que « Ainsi l'ai-je entendu » porte sur Myohorengekyo, nous comprenons que Myohorengekyo préexiste au texte du Sutra et donc que Myohorengekyo est la Vérité fondamentale qui existe en dehors et indépendamment du texte qui suit. À l’inverse, certains voient le texte comme étant la Vérité fondamentale reprise ensuite dans le titre.

Le texte du Sutra du Lotus parle de différentes versions du même sutra pratiquées dans d’autres mondes. Par exemple, dans le chapitre XX, le bodhisattva Fukyo (Toujours-sans-Mépris) récite la phrase : "Je vous respecte profondément, je n'ai garde de vous mépriser. Pourquoi cela ? C'est que vous pratiquez tous la voie de bodhisattva et obtiendrez de devenir bouddha" ou plus simplement : "Je n'ai garde de vous mépriser ; vous deviendrez tous bouddha." Dans le monde et à l'époque où pratiquait Fukyo, c’était cette version du Sutra du Lotus qui était la plus appropriée. Et donc le texte du sutra (le contenant) peut varier selon le lieu, le temps et les destinataires. Mais indépendamment du vocabulaire du Sutra du Lotus, le Myohorengekyo ou Sutra du Dharma Merveilleux de la Fleur du Lotus ne change jamais.  C’est le Sutra du Lotus multiforme. J’espère que ce n’est pas trop difficile à comprendre. En tous cas, j’aimerais que mon explication vous permette de considérer différemment l’expression d’Ananda « Ainsi l’ai-je entendu ». 

Grâce à la mémoire prodigieuse d’Ananda, nous avons accès aux sermons du Bouddha. Dans ce chapitre il est dit qu’il deviendra l’Ainsi-Venu Sagaravaradhara buddhivikriditabhijna (Roi-de-Souverains-Pouvoirs-Sagesse-de-Monts-et-d'Océan), que son royaume s’appellera Anavanamitavaijayanta (Bannière-Victorieuse-Toujours-Dressée) et son époque aura pour nom Son-Sublime-Emplissant-Tout.

À la différence des autres prédictions, nous avons, pour Ananda, un récit de sa vie passée et de sa relation avec le Bouddha au cours d'innombrables vies antérieures. Dans une de ces vies antérieures, le Bouddha et Ananda ont pratiqué ensemble mais le Bouddha a choisi une certaine voie et Ananda a préféré écouter ses enseignements. Et cela se répète actuellement. Tout comme dans sa vie antérieure, Ananda est plus enclin à collecter les enseignements oraux plutôt que de les appliquer à sa vie ; dans cette vie, Shakyamuni a atteint l’Éveil complet et parfait sans supérieur (Anuttara-samyaksambodhi) tandis qu’Ananda l'accompagne et retient tout ce que dit le Bouddha et protège ces enseignements. 

Shravaka lui aussi, Rahula est un des dix grands disciples de Shakyamuni. C’est également son fils. Il reçoit la prédiction qu’il deviendra l’Ainsi-Venu Saptaratnapadmavikramin (Foulant-les-Lotus-des-Sept-Matières-Précieuses). Tout comme dans cette vie, Rahula continuera à renaître en tant que fils d’un bouddha jusqu’à ce qu’il atteigne l’Éveil Anuttara-samyaksambodhi. La grande pratique de Rahula est secrète. Imaginez-vous ce que cela pouvait être que de vivre dans l’ombre d’un père bouddha. Il n'est déjà pas facile d'être fils de pasteur, qu’est-ce que ça doit faire que d’être fils du Bouddha ! Fils de pasteur, vous êtes l’objet de toutes les attentes, pas seulement celles de vos parents mais aussi celles de toute la paroisse. Tout le monde a les yeux braqués sur vous et vous compare sans cesse à vos parents. La moindre chose que vous faites est examinée à la loupe et commentée. Il n’est pas rare que les enfants de pasteurs se rebellent ou se déclarent carrément en opposition. Dans le cas de Rahula, que pouvait-il faire pour se mesurer à la grandeur du Bouddha son père ? 

Et pourtant nous voyons Rahula – ou justement nous ne le voyons pas – être tout simplement là. Tranquillement et sans effets spéciaux, il atteint l’Éveil non pas par quelque pratique extraordinaire mais en assumant sa condition de fils du Bouddha. Je crois que, de tous les disciples de Shakyamuni, c’est Rahula que nous pouvons prendre pour modèle dans notre pratique. Dans la plupart des cas, nous sommes des êtres ordinaires menant une vie semblable à celle de nos voisins. Nous ne sommes pas particulièrement riches et en majorité pas célèbres et pourtant nous faisons continuellement des efforts pour pratiquer le Sutra du Lotus dans l'ombre.

Le secret de Rahula c’est justement la pratique ordinaire jour après jour, celle qui est aussi la nôtre. Pour atteindre l’Éveil, ce n’est pas la gloire qui compte ni la notoriété. La célébrité n’a jamais conduit les autres à adhérer au Sutra du Lotus. C’est notre mise en pratique du Sutra du Lotus dans la vie quotidienne qui ouvre largement aux autres la possibilité de croire à ce Sutra. Nous reprenons courage en voyant que Rahula devient Celui-qui-Foule-les-Lotus-des-Sept-Matières-Précieuses car, nous aussi, nous marchons sur les fleurs des Sept Trésors de Myohorengekyo.

Le chapitre s’achève par l’octroi de la prédiction aux 2 000 shravakas de l’Assemblée. Ils vont se disperser dans différents pays aux quatre coins de l’univers. Et partout, dans leurs royaumes, ils deviendront tous des Ainsi-Venus appelés tous Marque-de-Joyau.

Bhiksuni Mahaprajapati et bhiksuni Yashodhara – Chapitre XIII

La dernière prédiction dont je souhaite parler est celle qui est octroyée aux femmes.  Dans le Sutra, elles sont représentées par la tante et l’épouse de Shakyamuni. Afin que tout soit clair et bien compris, il faut préciser que le terme de bhiksuni s'applique aux adeptes femmes. Voici pourquoi j'introduis cette précision : un jour, une femme, après avoir lu tout le Sutra du Lotus, m’a demandé pourquoi on n'y parlait jamais des femmes. Elle n'avait simplement pas compris le terme bhiksuni.

Je n’ai pas parlé dans ce chapitre de la fille du Roi-Dragon parce que ce n’était pas une prédiction mais une réalisation factuelle de la bodhéité en temps réel, dans le contexte d’un prêche spécifique. La fille du Roi-Dragon illustre la possibilité de l’Éveil instantané grâce à la foi et à la pratique du Sutra du Lotus.

Le Sutra du Lotus proclame l’égalité de tous les êtres vivants mais la bodhéité des femmes reste néanmoins un sujet de polémique. Pour certains, le Sutra reflète la prédominance d’une mentalité machiste puisque, avant d’atteindre la bodhéité, les femmes doivent d’abord passer par l'état d'hommes. Pour d’autres, le fait même de mentionner des femmes est un signe énorme indiquant que les femmes étaient reconnues capables de parvenir à l’Éveil. Bref, les uns y voient une avancée et d’autres n’en retiennent que les lacunes.

Que vous penchiez d’un côté ou de l’autre, pour moi, les deux visions sont correctes dans un certain sens ; en tous cas, du point de vue de nos mentalités « éclairées » d’hommes du XXIème siècle. J’ironise un peu car notre prétention à être des esprits « éclairés » fera se tordre de rire ceux qui viendront dans une centaine d’années après nous. Tout change continuellement et les mentalités évoluent. C’est de cela qu’il faut tenir compte dans la polémique actuelle. Quelle est notre obsession et à quoi nous accrochons-nous à la recherche d’un accomplissement qui ne se réalisera jamais tant que nous y serons accrochés avec nos pauvre petits esprits limités ?

En fait, du temps de Shakyamuni, l’octroi de la prédiction aux femmes dans le Sutra du Lotus change totalement la donne. De nos jours, pour nous, ce n’est peut-être pas suffisant mais à l’époque c’est certainement l’événement le plus révolutionnaire de tous les enseignements du Bouddha. Je ne pense pas que les femmes de cette époque s’interrogeaient beaucoup sur ce qu’impliquait la renaissance en tant qu’homme avant de devenir bouddha. Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas qu’il existe des preuves irréfutables du contraire. 

Dans ce chapitre, les prédictions faites aux femmes nous parviennent comme des témoignages indirects. Shakyamuni remarque le regard de sa tante qui l'a élevé après la mort en couches de sa mère. J’imagine que c’était là le regard que seule une mère pouvait avoir, comme un reproche muet. C’était un regard qui disait probablement au Bouddha : « Tu es sûr que tu n’oublies rien ? »

Shakyamuni devine en tous cas ce que pense sa tante et lui demande comment elle peut croire qu’elle ne fait pas partie de tous ceux à qui la prédiction a été octroyée, qu’ils soient shravakas, pratyekabuddhas ou bodhisattvas. Il précise qu’en octroyant la prédiction aux shravakas, il l’avait incluse dans ce groupe. Même si, pour le Bouddha, il était évident que les femmes faisaient implicitement partie de la prédiction générale, il se rend sans doute compte à ce moment-là que les femmes avaient besoin que cela fût dit non seulement pour elles mais pour que les hommes de la congrégation l'entendissent. Shakyamuni lève toute ambiguïté en affirmant que les femmes peuvent atteindre le même Éveil que celui du Bouddha, mais je ne crois pas que la bodhéité dépend du genre. Dans le futur, la tante de Shakyamuni deviendra l’Ainsi-Venu Vision-de-Joie-pour-Tout-Être qui conduira de nombreuses femmes à la bodhéité.

La toute dernière prédiction concerne Yashodhara, l’épouse de Shakyamuni qui deviendra l’Ainsi-Venu Parfaitement-Muni-des-Dix-Millions-de-Marques-de-Lumière. Et là encore, à notre époque, nous pouvons avoir à y redire parce que ces femmes atteindront l’Éveil après plusieurs renaissances en hommes. De nos jours, nous pouvons critiquer cette distinction. Mais les sutras nous sont parvenus tels qu’ils étaient à l’époque et il faut faire avec. Cependant, on peut raisonnablement supposer que si ces prédictions étaient faites de nos jours, il n’y aurait aucune mention de renaissance en tant qu’homme, et il n’y aurait d’ailleurs aucune distinction hommes/femmes. En effet le simple fait d’inclure les femmes dans une prédiction commune était à cette époque totalement révolutionnaire.

Signification moderne de l’octroi de la prédiction de bodhéité

Dans un certain sens, tout ce que j’ai dit sur ce sujet n’était qu’un prétexte pour parler de ce qui me tient véritablement à cœur. Quand je suivais la formation d'aumônier, nous avons étudié l’espoir en tant que théorie. J’ai toujours essayé d’être quelqu’un plein d’espoir, mais j’étais curieux de savoir ce qu’est l’espoir, comment il arrive. En fait, j'espérais que cela me donnerait une sorte de vision personnelle et me donnerait certains outils afin d'aider au mieux les personnes que j’allais visiter.

Je ne vais pas m’étendre ici sur la théorie de l’espoir, je me limiterai à dire que, selon les chercheurs, on trouve deux éléments-clés chez ceux qui gardent l’espoir : la capacité de projeter dans le futur une toute nouvelle histoire et une communauté ou un réseau qui encouragent cet espoir ou cette future nouvelle histoire.

Par histoire future j’entends la capacité de réagir à des événements inattendus avec une nouvelle idée qui créera un futur différent. Aujourd’hui, à l’hôpital, j’ai entendu le récit d’un saut de l’extrême (base jumping). Pour faire court, ce sont des gens qui font du parachutisme en chute libre depuis toute sorte de structures – ponts, immeubles ou des hauteurs naturelles. Au lieu de sauter d’un avion, ces gens sautent directement de ces agencements. C’était l’histoire d’un homme qui, lors d'un saut, fut blessé à la colonne vertébrale et qui est resté paralysé des membres inférieurs. Il racontait sa réaction lorsque le médecin lui dit qu’il ne sauterait plus jamais et ce qu'il avait répondu disant que rien ne pourrait l’empêcher de sauter. Aujourd’hui, il a un fauteuil roulant spécial auquel il attache son parachute. Des amis l’aident à s’y installer et il saute avec son fauteuil. 

Voici un exemple d'une personne dont la vie fut bouleversée par la paralysie. À ce moment-là, il pouvait choisir entre plusieurs solutions, chacune d'elle allant vers une nouvelle histoire de son futur, évidemment différente de ce qu'il pouvait imaginer avant l'accident. Et voilà qu’il n’avait plus l’usage de ses jambes, c'était arrivé brutalement. À ce moment crucial, il décida de réécrire son futur, au lieu d'une histoire de personne en pleine possession de son corps, il créa une histoire qui tiendrait compte de ses limites physiques. Ne nous occupons pas de ses problèmes financiers ni des choix qui auraient coûté une fortune et penchons-nous seulement sur l’état d’esprit qui lui a permis de surmonter son handicap.

En tant que pratiquants du bouddhisme, en tant qu’êtres humains tout court, nous sommes constamment mis face à d’innombrables décisions qui engagent notre avenir. Parfois, ce sont des décisions minimes mais il arrive aussi que notre choix soit crucial. Souvent, nos options doivent être révisées lorsque le plan initial n’a pas pris la tournure que nous pensions.  Dans ces cas, soit nous baissons les bras en perdant tout espoir soit nous ravivons l'espoir devant les immenses possibilités nouvelles.   

Pour les bouddhistes, les prédictions de ce chapitre et d’autres qui apparaissent dans le Sutra du Lotus, tout particulièrement concernant les bodhisattvas Surgis-de-Terre, offrent un espoir illimité de bodhéité. C’est pour nous le terreau d’innombrables nouvelles histoires d’espoir. Nous possédons déjà, si nous acceptons de les voir, les fondations sur lesquelles nous pourrons construire nos histoires futures, nonobstant les problèmes qui nous affligent pour l’instant.

Si la promesse de l’Éveil ne nous avait pas été faite, la pratique du bouddhisme aurait été, au mieux, une vague théorie, au pire, un sombre futur. Sans cette promesse, vers quoi pourrions-nous orienter notre avenir ?

Il nous appartient donc de pratiquer avec confiance et de faire l’expérience de la vérité dans notre vie personnelle. Beaucoup d’entre nous sont venus au bouddhisme à cause d’une grande souffrance et parce que nous cherchions une solution pour éliminer cette souffrance. On dit parfois aux débutants de commencer à pratiquer le Sutra et d'observer si les choses changent graduellement dans leur vie. Au bout d'un moment, ils abandonnent le futur sans espoir et se créent une nouvelle histoire pleine d'espoir. 

Et voici le second élément de la théorie de l’espoir : la communauté. À quelques exceptions près, l’espoir est aussi une affaire de milieu ambiant, c’est-à-dire qu’il s’épanouit et se nourrit au sein d'une communauté. Comme vous avez pu le constater, toutes les prédictions dont nous avons parlé se réalisent au sein de pratiques communes et non pas isolées de tout contexte et indépendamment des autres dans ces royaumes ou sociétés où les futurs bouddhas apparaissent.  Il en est de même pour nous. Le bouddhisme reconnait Trois Trésors : Bouddha, Dharma, Sangha. L’importance des deux premiers est facile à admettre mais j’ai peur qu’il n’en soit pas de même pour le troisième alors qu’il est aussi capital que les deux autres. Sans la communauté de pratiquants, nous n’avons aucun support pour notre pratique.

Tout comme toutes ces prédictions incluent l’individu dans le contexte de son futur monde, elles englobent aussi les autres pratiquants. Aucune prédiction n’est effectuée dans l'isolement et notre éventuel Éveil n'arrivera pas non plus dans la solitude. 

Nous sommes très dépendants de nos compagnons de route pratiquants, de façon parfois difficilement imaginable. Comme ce base jumper qui, une fois paralysé, a besoin des autres pour l’installer dans son fauteuil et probablement pour l’aider dans les gestes de la vie quotidienne, nous avons également des amis de sangha. Nous avons eu besoin que quelqu’un nous introduise dans le bouddhisme et nous aide à avancer. Nous avons aussi besoin des autres à chaque étape de notre pratique et, par ailleurs, nous avons besoin d’aider les autres. 

Nous vivons d’espérance à bien des égards. C’est d’abord la promesse de notre Éveil. Notre espérance vient aussi de ceux sur qui nous savons pouvoir compter et il y a aussi ceux qui nous permettent de manifester notre compassion en leur enseignant le Sutra du Lotus.

Pour conclure, je voudrais dire que la psychologie moderne et la science confirment la vérité à laquelle le Bouddha fut intuitivement Éveillé. Bien avant que les théoriciens se penchent sur l’espoir, le Bouddha en avait compris tous les composants ainsi que le fonctionnement du psychisme humain. C’est pourquoi il octroya à tous ses disciples, contemporains et futurs, la promesse de la bodhéité. Il l’a fait en paroles et en actes en démontrant la nécessité du Sangha. 

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