Un bouddhisme pour notre temps Une interprétation moderne du Triple Sutra du Lotus par |
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Prédiction conférée aux apprentis et à ceux qui n’ont plus à apprendre Dans ce chapitre, nous lisons la prédiction du Bouddha concernant l'Éveil parfait complet et sans supérieur de deux grands disciples : Ananda* et Rahula*, ainsi que celui d'autres disciples. Ananda, un cousin de Shakyamuni, était un frère cadet de Devadatta, Ce dernier fut d'abord disciple du Bouddha mais, par la suite, il l'avait quitté et avait même tenté de le tuer. À la différence de Devadatta, Ananda était un homme chaleureux et disciple du Bouddha depuis l’enfance. On l'a appelé "Ananda, Serviteur suivant toujours le Bouddha", parce que, disciple favori, il avait accompagné, servi et soigné Shakyamuni jusqu'à sa mort. Rahula était le fils de Shakyamuni, né avant le renoncement de ce dernier au monde. Le Bouddha, pensant que Rahula avait les qualités requises, l'avait fait venir du palais à l’âge de quinze ans et l'avait intégré au groupe de ses disciples. Pour que Rahula ne puisse penser qu'il avait un statut spécial, Shakyamuni l'avait confié aux soins de Shariputra, l'un de ses dix grands disciples. Le mot "apprentis" (gaku) dans le titre de ce chapitre s’applique aux personnes qui doivent s'adonner à des exercices religieux, tandis que "ceux qui n’ont plus à apprendre" (mugaku) désigne ceux qui sont dispensés de ces exercices. Ayant assisté à la prédiction d’Éveil faite à de nombreux arhats, Ananda et Rahula, qui étaient les deux seuls disciples directs n'ayant pas reçu de prédiction, se sentirent oubliés et tristes.
En voyant cela, le Bouddha, qui avait déjà décidé de prédire pour chacun de ces deux grands disciples leur destinée, dit à Ananda qu'il rendrait hommage à soixante-deux kotis de bouddhas, qu'il protégerait et qu'il garderait le trésor du Dharma et qu'il atteindrait finalement l'Éveil parfait. Le Bouddha lui donna le titre d'Ainsi-Venu Sagaravaradhara-buddhi-vikridita-bhijna (Roi des Souverains Pouvoirs Sagesse de Monts et d'Océan), et nomma son royaume Anavanamitavai jayanta (Bannière Victorieuse Toujours Dressée). Avant l'avènement du bouddhisme, c’est le brahmanisme qui était répandu en Inde. Il y en avait plus de soixante écoles, et toutes se contestaient et se critiquaient les unes les autres. La coutume voulait que l’on dressât une bannière à l'entrée d'un temple dont un moine brahmaniste avait vaincu son adversaire en une disputation religieuse. La "Bannière Victorieuse Toujours Dressée" représente donc la preuve que l'enseignement prêché par ce futur Ainsi-Venu est le meilleur de tous. Le Bouddha poursuit :
Ensuite, parce que le Bouddha disait au shravaka Ananda des paroles plus affables que celles qui avaient été adressées aux bodhisattvas-mahasattvas qui avaient reçu la prédiction de l'Éveil, huit-mille bodhisattvas dans l'assemblée qui avaient nouvellement déployé leur intention commencèrent à avoir des doutes. Le Bhagavat, sachant ce qu'ils étaient en train de penser, s'adressa à eux :
Ananda se voit octroyer la prédiction en tant que shravaka car il prend toujours autant de plaisir à l’enseignement. La différence que le Bouddha fait remarquer entre sa manière de pratiquer et celle d'Ananda a son importance. Shakyamuni enseigne que pour réaliser l'Éveil Parfait, on doit pratiquer en prenant comme exemple le Bouddha. Il montre ici que le but le plus élevé est la pratique pour les autres. Le terme "vœu originel" (hongan) dont il est question ici demande une explication d’autant plus détaillée que le mot "vœu" (gan) est fréquemment utilisé dans la terminologie bouddhique. Le vœu originel À notre époque le mot gan (vœu) est devenu banal, mais son sens véritable est beaucoup plus signifiant. Émettre le vœu de faire quelque chose, c'est se fixer un idéal et se consacrer à sa réalisation. Inutile de dire que, en bouddhisme, notre idéal est le bien de tous. Le désir d'atteindre l'état de bouddha ne devient un vœu que si nous le concevons avec le but de sauver les autres de leurs souffrances. On appelle vœu bouddhique originel (hongan) celui d'œuvrer au bonheur des autres. Vœu général Dans le bouddhisme, on distingue deux sortes de vœux : "vœu général" (sogan) et "vœu spécifique" (betsugan). Le "vœu général" est celui qui est commun à beaucoup de monde. Le désir commun de tous les bouddhistes est d'étudier les enseignements du Bouddha et de supprimer les illusions. Leur désir est aussi de faire du bien à de nombreuses autres personnes en atteignant l'Éveil. Ce désir est appelé "vœu général". Il se divise en quatre parties appelées "les quatre grands vœux du bodhisattva" (shigu seigan). Ils seront expliqués plus loin. Vœu spécifique Le vœu spécifique, à la différence du précédent, est fonction du caractère individuel d'une personne, à sa capacité et à sa vocation. Par exemple : puisque je suis un peintre talentueux, je rendrai ce monde aussi beau que possible en peignant de merveilleux tableaux ; parce que je suis doué pour la musique, je vais utiliser la musique pour apporter aux gens la paix du cœur ; parce que je suis fermier, je rendrai service à la société en cultivant les meilleurs produits possibles ; parce que je suis marchand, je serai utile à mes clients en leur fournissant des objets aussi bon marché et d'aussi bonne qualité que possible. Voilà quelques exemples de vœux spécifiques. Hormis le vœu général de sauver tous les êtres vivants, chaque bouddha a son propre vœu spécifique, tel que, par exemple, les quarante-huit vœux d'Amida et les cinq-cents grands vœux de Shakyamuni. En plus du vœu général, le même pour nous tous en tant qu’êtres appartenant à ce monde, nous devrons formuler notre propre vœu spécifique ou plusieurs vœux tout au long de notre vie. En essayons de réaliser ce vœu, nous découvrons la valeur de la vie humaine et nous enrichissons notre existence quotidienne. Le bouddhisme n'enseigne pas seulement un grand idéal éternel mais aussi l'idéal de la vie de tous les jours. C'est à la fois un enseignement très vaste et très intime. Bien sûr, formuler des vœux n'est pas suffisant si on ne les fait pas suivre d’efforts adéquats. Et une détermination tiède a peu de chances d’aboutir. Une fois les vœux prononcés, nous devons être assidus et persévérants jusqu'à leur réalisation, quoi qu'il en coûte. Les gens estiment souvent que les choses ne peuvent jamais être comme ils le souhaitent. Mais c'est faux. Si notre esprit est concentré sur nos vœux pendant une longue période, nos vœux finiront invariablement par se concrétiser. Et s'ils ne sont pas réalisés dans ce monde, ils le seront dans l’existence à venir. Un désir authentique engendre une grande énergie. Si nous nous exhortons à concentrer inlassablement notre esprit sur un vœu — même s’il parait irréalisable — cet engagement rend possible même ce qui semble impossible. Le vœu authentique d'une personne sera sans le moindre doute accompli si elle possède une croyance inébranlable et si elle fait de constants efforts pour le réaliser. Après avoir prédit à Ananda l'Éveil Parfait, le Bhagavat fit la même prédiction à Rahula. Il lui donna le nom d'Ainsi-Venu Sapta-ratna-padma-vikramin (Foulant les Lotus des Sept Matières Précieuses). Il dit de Rahula qu'il rendrait hommage aux ‘‘ainsi-venus en nombre égal aux grains de poussière de dix mondes’’ et que, tout comme maintenant, il sera toujours le fils premier-né de ces bouddhas. Il lui prédit aussi la splendeur du domaine de l'Ainsi-Venu Sapta-ratna-padma-vikra (Foulant les Lotus des Sept MatièresPrécieuses) et que la durée de sa vie serait la même que celle de l'Ainsi-Venu Sagaravaradhara-buddhi-vikridita-bhijna (Roi des Souverains Pouvoirs Sagesse de Monts et d'Océan).
La pratique cachée Ces vers émouvants révèlent l'affection du Bouddha comme Maître du Dharma et comme père. Comme Rahula a dû être heureux d'entendre les paroles : «La pratique cachée de Rahula, / moi seul suis capable de la connaître» ! La pratique cachée signifie que lorsqu'on a réalisé quelque chose, on ne le révèle pas aux autres par son regard ou par son attitude mais on rejoint les autres comme une personne ordinaire et on les guide naturellement dans une meilleure direction. C'est la même chose que le principe du demi-pas de Purna. Bien que Rahula eût atteint un niveau spirituel très élevé, il n'en avait pas donné le moindre signe mais avait discrètement guidé les hommes en restant discret. Seul Shakyamuni, qui était son maître et son père, connaissait la vérité au sujet de Rahula pour qui être reconnu par le Bouddha fut certainement une double joie. Pourquoi Shakyamuni octroya-t-il la prédiction de l'Éveil Parfait à des disciples aussi importants qu'Ananda et Rahula après l'avoir conférée aux autres disciples ? Nous pouvons imaginer le raisonnement suivant : Ananda a toujours été le serviteur du Bouddha et Rahula était son fils. Tous deux étaient donc les disciples les plus proches du Bouddha venu dans ce monde pour le bien des êtres non éveillés. Compte tenu de la place toute particulière de ces deux disciples, place qui était plus susceptible d'entraver que d'aider leur pratique, Shakyamuni avait intentionnellement différé la prédiction de leur Éveil Parfait. Mais ce n'est pas par considération pour les sentiments éventuels de sa communauté que le Bouddha hésita à octroyer la prédiction à ses deux disciples les plus proches. Il n'avait certainement pas un esprit aussi étroit. Lorsque, comme Ananda, on a accompagné le Bouddha et pris soin de sa personne, il peut arriver qu'on ne fasse plus la différence entre la grandeur de son maître en tant que Bouddha, le caractère sacré de ses enseignements d'une part et le Bouddha en tant qu'homme d'autre part, en conséquence de quoi on pourrait avoir quelques difficultés à révérer le Bouddha avec le même esprit pur que celui des autres disciples. On peut dire la même chose de la relation entre père et fils. Quelle que soit la grandeur du père, le fils éprouve des difficultés à le traiter avec le respect que manifestent des étrangers. Le Bouddha avait dit que pour une personne qui suit un grand homme et le sert personnellement, cela fait obstacle à sa pratique, à moins qu'il ne sépare clairement dans son esprit les affaires publiques des affaires privées. Même si Ananda et Rahula occupaient une position délicate, ils n'ont jamais cessé d'être respectueux, et leur attitude porte le témoignage de la grandeur de leur vertu. Il est très difficile de guider vers le Dharma ceux qui nous sont les plus proches - épouse, mari, fils, filles, parents. Si nous nous contentons de paroles nous n'y réussirons jamais tout à fait. Nous n'avons d'autre choix que de les faire réfléchir par notre comportement dans la vie quotidienne. Si notre conduite est vile et égoïste la plupart du temps et généreuse seulement en de rares occasions, notre influence sera nulle. Si nous ne sommes pas un bon exemple pour notre famille, elle ne pourra pas nous suivre. C'est cela que nous enseigne Shakyamuni.
La réponse d'Ananda sous-entend : ‘‘Oui, ils sont excellents’’ car la question du Bouddha est en réalité : ‘‘Comment les trouves-tu ?’’ On appelle cela "entente tacite dans les questions-réponses entre le Bouddha et un disciple". Pour finir, le Bouddha confère la prédiction à ces deux-mille disciples.
Ce sont des vers très connus. Ils sont tellement pleins d'un sentiment profond de gratitude et de vénération envers le Bouddha qu'il faudrait les lire et les réciter tous les jours.
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