L’exclusivisme de Nichiren dans une perspective historique


2 - Premiers compromis
et critiques conséquentes

Jacqueline I. STONE*


Le courage de Nichiren pour défier les autorités du bakufu et pour endurer les persécutions qui s’ensuivirent lui gagna des admirateurs, en particulier parmi les samouraïs de rang moyen qui constituèrent l’essentiel de ses disciples. L’accent mis sur la dévotion exclusive au Sutra du Lotus facilita également le développement de sa communauté en tant que courant séparé, indépendant du Tendai. Cependant, son purisme inflexible rendait difficile son ancrage dans la société. Quelques années après sa mort, ses successeurs se trouvèrent tiraillés entre le désir de rester loyaux envers l’exclusivisme rigoureux de Nichiren et la nécessité d’assurer la prospérité de leurs communautés religieuses. Ainsi naquit au sein de la tradition nichirénienne une tension entre exclusivisme et flexibilité, laquelle perdure encore aujourd’hui.

Pour illustrer la dynamique de cette tension, examinons les circonstances entourant deux événements des débuts où les successeurs de Nichiren se trouvèrent dans la nécessité de transiger sur le principe interdisant de célébrer un service rituel pour un gouvernant qui n’adhérait pas au Sutra du Lotus.

Après que le typhon eût brisé la seconde tentative mongole d’envahir le Japon en l’été 1281, le bakufu, pour prévenir une troisième attaque, donna l’ordre à tous les temples et sanctuaires de Kamakura d’offrir des prières pour la sécurité de la nation. A ce moment-là, les communautés nichiréniennes de Kamakura, dirigées par deux disciples immédiats de Nichiren : Ben no Ajari Nissho (1221 - 1323) et Daikoku Ajari Nichiro (1245 - 1320), refusèrent d’obéir à cet ordre. Le bakufu menaça alors de raser leurs temples et de bannir leur clergé. Comme leurs protestations se montraient inefficaces, les deux prêtres, répugnant d’assister à la destruction de leurs nouvelles communautés, acceptèrent finalement d’accomplir les rites requis. (réf.)

Le deuxième cas est celui du disciple de Nichiro, Daikoku Ajari Nichizo (1269 - 1342) qui fut le premier à prêcher les enseignements de Nichiren à Kyoto. Nichizo arriva dans la capitale impériale en 1294 et lutta pendant des années contre l’opposition des autres écoles. Par trois fois, il fut banni de la cité. Mais il soutint habilement Go-Daigo et s’engagea à prier pour le retour au pouvoir de l’empereur exilé. Après la restauration de Kenmu, Go-Daigo accorda des terres au temple de Nichizo, le Myoken-ji, et en 1334 en fit un ‘‘chokugan-ji’’,  ‘‘temple du vœu impérial’’. Cette reconnaissance ouvrit la voie aux divers courants nichiréniens qui vinrent s’établir dans la capitale, permit aux prêtres d’accéder à de hautes fonctions ecclésiastiques et encouragea les nobles et les guerriers influents à entrer dans le sérail nichirénien. (réf.)

Ces deux exemples montrent comment les menaces proférées contre des communautés nichiréniennes ou les occasions de servir les intérêts de leur école, ont pu modifier l’attitude exclusiviste et conflictuelle et créer ainsi des précédents pour une conduite plus conciliante. En soi, ceci n’est pas surprenant, mais il est important de noter que ce genre d’accommodements n’allait pas sans contestation. Les deux exemples mentionnés attirèrent de violentes critiques de la part des moines appartenant à la lignée de Byakuren Ajari (alias Nikko, l246 – 1333), disciple direct de Nichiren, dont la rupture avec un autre disciple majeur (Niko)] conduisit au premier schisme parmi les adeptes de Nichiren et à la création d’une branche indépendante connue sous le nom d’école Fuji.

Nikko accusa Nissho et Nichiro d’avoir trahi le nom de Nichiren, de se cacher derrière l’appellation protectrice de ‘‘moines tendai’’ et d’offrir des prières pour le bakufu à seule fin d’échapper aux persécutions.(réf.) Des critiques de cet ordre sont fréquentes dans les documents de l’école Fuji. De même, lorsque les efforts de Nichizo aboutirent à l’attribution au Myoken-ji, de l’appellation de ‘‘chokugan-ji’’ (temple du vœu impérial), un disciple de Nikko, Sanmi Ajari (alias Nichijun, 1294 - 1356), écrivit que les prières de Nichizo revenaient à diffamer le Dharma et ne feraient qu’attirer des désastres. (réf.)

On pourrait penser que les critiques de l’école Fuji, installée dans la province de Suruga, loin des principaux centres politiques, traduisaient simplement son incapacité de se mettre à la place des communautés établies à Kamakura et Kyoto. Cela ne serait pas tout à fait exact. En 1284, Nikko exprima sa sympathie aux dirigeants de Kamakura (réf.) alors qu’il les avait accusés de trahir Nichiren en 1298, peu de temps après le schisme. En fait, nous voyons apparaître un fonctionnement interne propre à cette tradition, où individus et groupes cherchent à établir leur propre orthodoxie au sein de courants nichiréniens rivaux, en se réappropriant les positions exclusivistes de leur fondateur

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