L'après mort Bouddhisme et christianisme par T. Dhammaratana et Jean Virole |
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Or, par coïncidence, sont publiés au même moment plusieurs ouvrages de théologie chrétienne relatifs à ce même sujet (note). On assiste actuellement dans certains milieux chrétiens à une remise en question des notions d'âme et de jugement post mortem (cf. II). Un parallèle s'impose entre ces deux approches pour faciliter la compréhension de celle-ci (cf. III) I. Le Bouddhisme et l'après mort La doctrine philosophique relative à l' "après mort" découle du concept de "création des mondes" et de l'existence pour tout être d'un "en soi" (cf. A). Ce concept, en vigueur dans les anciennes pensées extrême-orientales est maintenant abandonné par la pensée moderne (cf. B). A : Comme le rappelle le Vénérable T. Dhammaratana dans la partie historique de sa thèse, le bouddhisme a hérité des anciennes religions brahmaniques exprimées dans les croyances populaires relatives au monde divin, ou révélées dans la pensée spéculative contenue dans les Upanishads. Ainsi le panthéon indien est riche, qu'il s'agisse des trente-trois dieux du Rig Veda* , lequel est la manifestation de l'existence d'un divin aux multiples fonctions, tels que Vishnou, Shiva, Brahma, Atman... Dans ces religions du divin, il était tout naturel que l'on se préoccupe de l'origine du monde et du destin de l'homme, et de l'esprit, l'en soi qui anime ce dernier. B : Mais ces croyances furent combattues par la nouvelle philosophie indienne énoncée dans des "discours" destinés à mieux approcher la Vérité indienne, celle des quatre grandes vérités dégagées par l'enseignement de Bouddha. Le Bouddha a rejeté dès le début de son enseignement l'intérêt que peuvent présenter les recherches sur l'origine du monde, et a montré l'inutilité du concept d'âme, d' "en soi". Cet enseignement est contenu dans le "Tipitaka". Cet enseignement est "anatta", c'est-à-dire qu'il nie la notion d' "en soi" et conteste l'utilité de croire en une résurrection de l'être après sa mort dans une forme identique. Ceci vaut d'ailleurs pour tous les êtres. En effet, les êtres s'inscrivent sur une trajectoire cyclique, le "samsara", qui assure leur destin par une réincarnation continue, qui comporte une amélioration ou une régression selon la valeur des mobiles qui les ont guidés dans leur vie : c'est leur "karma". Selon ce karma, la réincarnation se réalise dans des identités nouvelles qui peuplent le monde animal, végétal ou humain. Quand le corps physique de l'être n'est plus capable de fonctionner, qu'il s'éteint, les énergies qui l'habitent ne meurent pas ; elles émigrent dans une autre vie différente. Elles ont le pouvoir de prendre une nouvelle force jusqu'à leur complet épanouissement. Il n'y a pas de régression définitive. Mais il n'y a pas de substance interchangeable, c'est un mouvement incessant qui se modifie à chaque étape. Il n'y a pas de renaissance de l'être, et la différence entre la vie et la mort est le dernier instant d'une vie et le premier instant d'une autre vie. Ce cycle sans fin écarte toute inquiétude sur la mort. Il ne prend fin que si l'on a acquis, ce qui est rare, la connaissance profonde de la sagesse, lorsqu'on a atteint le stade de l' "éveil", c'est-à-dire de la prise de conscience des "quatre grandes vérités" à savoir la souffrance, le désir, le détachement, l'éthique juste. Pour atteindre ce stade, deux voies s'offrent, le "petit véhicule" et le "grand véhicule", processus doctrinaire à ce stade sans lien avec la question de l'après mort. Au terme du parcours, le bouddhiste est "éveillé", et il peut alors connaître les sept dernières réincarnations qu'il vivra avant d'atteindre le "nirvana". Le nirvana est quelque chose de radicalement différent du monde matériel que l'on découvre dans la méditation. Le devenir est aboli. Il n'y a plus d' "aller", plus de "venir", plus de "naissance", plus de "disparaître". C'est quelque chose qui n'a ni fondement, ni début, ni fin, de non-né (ajata), ni non-fait (akata), et non conditionné par les samskara, c'est-à-dire par les désirs karmiques. Il ne peut être que défini négativement, parce qu'il s'agit d'un état qui ne comporte pas des caractéristiques spécifiques que l'on puisse exprimer par le langage. Aussi le décrit-on par des images : c'est une grotte fraîche au milieu de la canicule de la vie quotidienne, une île paisible au milieu de la mer du samsara, un lieu où il n'y a plus de mort, un lieu qui ne peut être affecté par quoi que ce soit. L'image la plus appropriée du nirvana, c'est l'espace vide. Les concepts de temps ne peuvent pas s'appliquer au nirvana : il n'a pas été engendré, et il n'est pas possible de l'engendrer. Il n'est ni du domaine du passé, ni du futur, ni du présent. Le nirvana ne peut être saisi par les sens, mais il n'est cependant pas le néant. Toutefois, il est saisissable par l'esprit transfiguré de l’Eveillé, du “saint bouddhique”. De tout cela il ressort que le nirvana est un mystère. Il est le contraire radical du monde samsara, quelque chose qui n'appartient pas au monde, n'a aucune relation avec lui, et n'a aucune influence sur lui. Il est le "tout autre". On distingue le nirvana en ce monde, et un nirvana éternel appelé le parinirvana. Le nirvana en ce monde est l'état du saint bouddhique, chez lequel existent encore les éléments constitutifs de la personnalité (les dharmas), mais qui est libre par rapport à toutes les pulsions, qui ne produit plus de karma pouvant occasionner une renaissance, et qui n'attend que le moment de s'éteindre totalement dans la mort. La période qui s'écoule entre l'acquisition de ce nirvana et le parinirvana peut être assez longue. Le parinirvana, qui est atteint par le Grand véhicule permet au bouddhiste éveillé d'être un sauveur pouvant sans discontinuer agir en vue du salut de tous les êtres vivants, même s'il a quitté ce monde. C'est un état de sérénité intérieure et de grande activité extérieure. Il transcende tout ce qui est terrestre. On voit donc que dans cet accomplissement sans fin du cycle de la réincarnation, l'anéantissement de l'être, la notion d' "en soi" n'a pas sa place, et que l'après mort n'est pas une question pertinente pour un bouddhiste.
II Le christianisme et l'après mort La religion chrétienne se différencie de la philosophie bouddhique en ce que l'enseignement des vérités qui sont le fondement s'exprime en termes de vérités à croire ; c'est le dogme, formulé par le magistère à partir des textes bibliques et des déclarations des Pères de l'Église, ce qui forme le canon de l'Église. On a vu qu'il en va différemment dans la philosophie bouddhique qui enseigne une méthode, une sagesse et non un contenu dogmatique. Ainsi, dans le christianisme, l'après mort n'est pas une opinion mais un élément de foi. Selon celle-ci, l'homme s'inscrit sur une trajectoire linéaire, toute tendue depuis la création du monde vers la réalisation de son être dans une perspective eschatologique, la venue du Royaume. Cette perspective, qui est l'élément central de la Foi catholique, puisqu'elle est inséparable de la résurrection du Christ, a fait l'objet de définitions dogmatiques (note) dès le début de l'Église et de la fixation canonique de cette foi (A). Mais cette proclamation dogmatique fait à l'heure actuelle l’objet d'interpellations diverses de la part de théologiens qui s'interrogent sur la confrontation de l'enseignement du magistère avec la modernité (B). A - La vie de tout homme doit être orientée vers la quête du salut de son âme qui, distincte de son corps charnel, est cependant soudée à lui et en est inséparable. On naît corps et âme : mais seul le corps charnel meurt, tandis que l'âme, le "moi" subsiste dans l'attente du Jugement et de la Résurrection des corps, de la vie éternelle. La mort de ce corps charnel met fin à l'homme dans sa matérialité terrestre. Mais tout n'est pas définitif. Le temps devient caduc. L'éternité n'est pas une modalité du temps, mais la suppression de celui-ci. Le temps révèle la dimension de l'homme. Elle est le produit de son existence librement mûrie, grâce à la Révélation de la Parole qui dit dans toute la vie de l'homme ce que celui-ci est réellement. C'est, dans la conscience de la bonté de Dieu, la recherche de son pardon, le Jugement dernier. Le jugement de Dieu a un double aspect, individuel et collectif. 1°)- D'une part, chaque homme est unique. Il est l'objet d'un jugement particulier, immédiat. Comment a-t-il joué son rôle dans la réalisation du plan de Dieu ? Est-il mort dans la paix du Christ avec le regret de ses fautes ? Ce jugement ouvre trois possibilités : · Le rejet de toute vision béatifique : c'est l'enfer, résultant d'une décision irrévocable dans son principe. · L'accès à la vision béatifique immédiate, la contemplation, qui n'est pas la glorification à la fin des temps, mais qui conduit à la Communauté des saints. · Pour atteindre cette vision, il faut subir généralement un temps de purification : le Purgatoire, avec l'aide de cette Communauté des saints et des prières du peuple chrétien. La destinée individuelle de l'homme est ainsi scellée dans son jugement particulier. 2°)- D'autre part, l'homme n'est pas seul. Il est membre du Peuple de Dieu, et celui-ci doit être jugé en tant que tel : c'est le jugement universel, dernier, au moment de la résurrection finale à la fin des temps : comment les hommes ont-ils finalement participé à l'histoire totale de l'humanité ? Ce jugement universel conduit soit : - à la confirmation de l'enfer (mais celle-ci n'est pas clairement affirmée, absolue ; elle pourrait comporter des nuances). - à la glorification des élus du peuple de Dieu, qu'ils aient déjà la vision béatifique du Créateur, ou qu'ils y accèdent, ou y ont accédé par leur purification au Purgatoire. Il y a alors lieu à la résurrection glorieuse des corps et à leur réunification avec les âmes. C'est la Parousie, la Vie éternelle, le Royaume de Dieu. B - Cette doctrine officielle fait à l'heure actuelle l'objet de réflexions théologiques qui tendent à la nuancer plus ou moins fortement pour des raisons soit pastorales (comment l'expression actuelle de ce dogme peut guider l'agir chrétien ? (cf. 1°), soit fondamentales (son caractère dogmatique ne traduit pas la vérité théologique) : comment le Dieu Amour peut-il condamner à la damnation éternelle ? (cf.2°) 1° - Comme l'écrit Karl Rakner dans son Traité fondamental de la Foi (réf.), l'affirmation théologique d'un état intermédiaire (le Purgatoire) entre la mort et l'accomplissement du monde total est incontestable. Mais sa représentation traditionnelle présente dans la doctrine actuelle "paraît tellement passée de mode "(note) que le chrétien catholique est en droit, face au mode courant et traditionnel d'expression de celle-ci, d'apporter quelques réserves. De son côté, Mgr. Coudreau, dans son ouvrage La foi catholique (réf.) critique l'imagerie populaire du purgatoire. Il recommande l'abandon de certaines images trop matérialistes de ce qui sera révélé dans une ultime illumination spirituelle de notre vécu quotidien et de son écart avec notre vocation personnelle. Enfin, certains contestent qu'il y ait deux jugements séparés puisque la notion de temps n'existe plus. 2° - Ainsi que le relèvent B. Lauret et R. Refoulé (réf.), les développements relatifs à une eschatologie personnelle (mort, jugement particulier, purgatoire, ciel et enfer) et une eschatologie universelle (résurrection des morts, Parousie, jugement du monde et instauration définitive du Règne de Dieu) sont relativement tardifs. La première mention doctrinale de jugements séparés n'apparaît qu'au II° Concile de Lyon en 1274, alors que dans la Bible et chez les Pères, ils étaient étroitement liés. C'est sous le coup d'une temporalité qui accorde temps et linéarité chronologique qu'ont été distingués les deux aspects du jugement, qu'a été soulevée la question de l' "après mort" entre la fin de la vie et la résurrection finale, à la Parousie, et conçu l'accomplissement linéaire : jugement, enfer, purgatoire, ciel. Aussi, les affirmations dogmatiques précitées font-elles l'objet chez certains théologiens de réflexions tendant à réviser la doctrine eschatologique qui en découle, en conduisant à subordonner le jugement individuel au jugement universel, et à nier la notion de purgatoire ou d'éternité de l'enfer, voire l'existence de celui-ci. III Conclusion Ainsi, alors que le bouddhisme conçoit une amélioration de l'individu par une réincarnation ignorée de lui (sauf s'il a atteint le stade de l' "Eveil"), sans cesse renouvelée et sans fin, le Christianisme envisage une purification par une quête du salut. Tandis que la réincarnation a pour objet une amélioration de la vie antérieure dans le déroulement d'une autre vie inconnue, la quête du salut s'inscrit dans une espérance, celle de l'obtention du pardon divin et de la résurrection finale de son être tout entier, corps et âme. C'est son "soi" connu et vécu par lui qui est en jeu. La doctrine chrétienne a toujours rejeté, et rejette l'idée de réincarnation car celle-ci nie la connaissance de soi et l'Espérance, et est en contradiction avec la Promesse divine. Cependant, pour être complet, il convient de signaler deux réflexions à ce sujet. Tout d'abord, il faut citer Karl Rahner qui, dans son "Traité fondamental de la Foi" (Introduction au concept du christianisme) s'interroge sur le point de savoir si l'état intermédiaire entre mort et éternité ne constitue pas un point de rencontre avec la migration des âmes, la réincarnations, telle qu'elle vient d'être exposée. Mais encore faudrait-il que la réincarnation ne soit pas considérée comme un destin de l'homme, qui se poursuivrait toujours dans le temps. Car le destin de l'homme est précisément fini : c'est la rencontre avec le Seigneur et le Royaume éternel. Ensuite, il faut citer l'apport tout récent et plus circonstancié de Dennis Gira (réf.), professeur à l'Institut catholique de Paris, qui considère que la théorie de la réincarnation ne peut être rejetée d'emblée. En effet les arguments scientifiques et scripturaires et les affirmations du vécu ne peuvent vraiment emporter la conviction ; un dialogue entre ceux qui croient à la réincarnation et ceux qui croient à la Résurrection ne peut être que poursuivi. Ainsi, c'est d'une question de foi dont il s'agit pour le chrétien, alors qu'il s'agit d'une attitude philosophique pour le bouddhiste. Le chrétien croit en Dieu, et l'homme est crée par celui-ci à son image. Pour le bouddhiste tout cela n'a aucun sens. La confrontation des deux approches de l'après-mort est donc certes enrichissante en ce qu'elle oblige à un approfondissement, mais elle rencontre assez vite ses limites fondamentales. La Toussaint 2004 Jean Virole Les Bruyères-Saint-Augustin Source : http://www.a-nous-dieu-toccoli.com/publication/2007/yume_2007.pdf |