Les Trois Obstacles et les Quatre Démons

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 2, p. 313; SG* p.640.
Gosho Zenshu p. 1090 - Hyoe no sakan dono Gosho (Sansho Shima no koto)


Minobu, le 20 novembre 1277 à Hyoe no Sakan Munenaga

 

Les deux hommes que vous avez envoyés m'ont remis plusieurs dons de votre part. Cela confirme ce que me disait dans son message le moine Nissho à propos de votre sincérité dans la foi.

Dans cette lettre, j'aimerais vous dire ce qui me semble le plus important pour vous.

Aux périodes du Dharma correct et du Dharma formel, si le monde n'a pas sombré dans le déclin, c'est parce que des sages et des personnes vertueuses sont souvent apparus et que les divinités ont protégé le peuple. Mais à l'époque des Derniers jours du Dharma, les gens sont devenus si avides que les disputes ne cessent d'éclater, entre souverain et sujet, parent et enfant, frères aîné et cadet, et plus encore entre personnes qui n'ont aucun lien. Par conséquent, les divinités abandonnent le pays et les trois calamités et les sept désastres se produisent l'un après l'autre, jusqu'à ce que, un, deux, trois, quatre, cinq, six ou sept soleils apparaissent dans le ciel (note). Les plantes se dessèchent et meurent et les rivières, grandes et petites, s'assèchent, la terre devient comme du charbon et la mer, comme de l'huile bouillante. Finalement, des flammes emplissent l'atmosphère, s'élevant de l'enfer avici jusqu'au Ciel de Brahma. Quand ces désastres se produiront le monde sera parvenu au terme du déclin.

Chacun, qu'il soit sage ou insensé, considère comme normal que les enfants obéissent à leurs parents, que les sujets soient loyaux envers leur souverain, et que les disciples suivent leur maître.

Pourtant, il devient fréquent de voir les gens de notre époque, enivrés par le vin de l'avidité, de l'arrogance et de l'ignorance, trahir leur souverain, mépriser leurs parents et se moquer de leurs maîtres. Relisez sans cesse ma lettre précédente (note) dans laquelle je citais les cas où il n'est pas bon d'obéir à ses parents, à son souverain et à son maître, et où leur faire des remontrances est une preuve de loyauté.

Récemment, votre frère aîné, Emon-no-tayu-sakan [Munenaka], a été de nouveau déshérité par votre père. J'avais dit à votre épouse, lorsqu'elle m'a rendu visite, qu'il était certain qu'il serait une fois encore déshérité et que, puisque votre foi était des plus fragiles, elle devait se préparer au pire. Cette fois, j'en suis sur, vous allez abandonner la pratique. Ne m'en imputez pas la responsbilité. Seulement, quand vous serez tombé en enfer, ne m'en faites pas reproche à moi, Nichiren. Le feu peut réduire en cendres en un instant une steppe entière, même si elle existe depuis mille ans, et le mérite accumulé en un siècle peut être annulé par un seul mot malheureux.

Votre père semble maintenant être devenu l'ennemi du Sutra du Lotus, alors que votre frère va devenir un véritable Pratiquant du Sutra du Lotus (note). Vous, qui ne vous préoccupez que de vos intérêts immédiats, obéirez à votre père, et les ignorants feront donc l'éloge de votre piété filiale. Munemori obéit aux ordres tyranniques de son père [Taira no Kiyomori] et fut finalement décapité à Shinohara. Shigemori désobéit à son père et le précéda dans la mort. Lequel des deux fit preuve de la plus grande piété filiale  ? Si vous obéissez à votre père, qui est un ennemi du Sutra du Lotus, et abandonnez votre frère, qui pratique l'enseignement du Véhicule suprême, peut-on dire que vous manifestez de la piété filiale  ? Finalement [je n'ai qu'un seul conseil à vous donner] décidez de vous engager totalement dans la voie du bouddhisme comme le fait votre frère. Votre père est comparable au roi Myoshogon et vous, les frères, êtes comme les princes Jozo et Jogen. L'époque est différente, mais le principe du Sutra du Lotus est immuable. Récemment, Hojo Yoshimasa, seigneur de la province de Musashi, abandonna son vaste territoire et ses nombreux sujets pour se retirer des affaires du monde. Si vous cherchez les faveurs de votre père par intérêt pour un petit domaine privé, si, par manque de foi, vous tombez dans les mauvaises voies, il ne faudra pas me le reprocher à moi, Nichiren. Pourtant, malgré cet avertissement, je sens que cette fois-ci vous allez être vaincu [et abandonner votre pratique.]

Jusqu'à présent vous êtes resté fidèle, et, maintenant, il serait regrettable que vous tombiez dans les mauvaises voies. Voici pourquoi je dis cela. Si, et il n'y a qu'une chance sur cent ou sur mille pour que cela se produise, vous décidez de suivre mes conseils, dites franchement à votre père : "Parce que vous êtes mon père, j'ai le devoir de vous obéir, mais, puisque vous êtes devenu un ennemi du Sutra du Lotus, je manquerais, en fait, de piété filiale en agissant ainsi. Je suis donc résolu à rompre avec vous et à suivre mon frère. Si vous le déshéritez, sachez que vous me déshéritez moi aussi." N'ayez pas la moindre peur. C'est [le manque de courage] qui empêche d'atteindre la bodhéité même lorsque l'on a pratiqué le Sutra du Lotus de nombreuses fois depuis le plus lointain passé.

Il y a indéniablement quelque chose d'extraordinaire dans le flux et le reflux des marées, dans le lever et le coucher de la lune, et dans la façon dont se succèdent l'été, l'automne, l'hiver et le printemps. Il en va de même lorsqu'une personne ordinaire atteint la bodhéité. A ce moment là, inévitablement les trois obstacles et les quatre démons apparaissent, et le sage se réjouit tandis que l'insensé s'enfuit. J'attendais l'occasion de vous dire cela, au besoin même par l'intermédiaire d'un messager. J'apprécie donc beaucoup que vous m'ayez envoyé ces messagers. Je suis certain que si vous étiez sur le point d'abandonner votre foi, vous ne les auriez pas envoyés. Pensant qu'il n'est peut-être pas encore trop tard, je vous écris cette lettre.

L'atteinte de la bodhéité est [en vérité difficile, ] plus difficile que l'exploit qui consiste à placer une aiguille au sommet du Mont Sumeru de ce monde et à lancer un fil du sommet du Mont Sumeru d'un autre monde directement dans le chas de cette aiguille. Exploit d'autant plus difficile qu'il doit être accompli face à un vent contraire. Il est dit dans le Sutra du Lotus : "Au cours d'innombrables millions de kalpa d'une durée inconcevable, ce Sutra du Lotus a rarement été entendu. Au cours d'innombrables millions de kalpa d'une durée inconcevable, les bouddhas, Honorés du monde, ont rarement enseigné ce Sutra. Par conséquent, ceux qui le pratiqueront après la disparition du Bouddha ne devront éprouver aucun doute en entendant un Sutra tel que celui-ci." Ce passage est tout a fait exceptionnel parmi les vingt-huit chapitres du Sutra du Lotus. Du chapitre Jo* (I) au chapitre Hosshi* (X) nombreux sont ceux qui apparaissent : les êtres humains, les divinités célestes, les quatre sortes de croyants et les huit sortes d'êtres non humains en dessous de l'étape de togaku, mais le seul Bouddha présent est Shakyamuni. Ainsi ces chapitres sont importants [plus importants que les enseignements précédant le Sutra du Lotus] mais peu importants [moins importants que les chapitres du Sutra du Lotus décrivant la Cérémonie dans les Airs]. Les douze chapitres [suivants], du chapitre Hoto* (XI) au chapitre Zokurui* (XXII) sont les plus importants de tous. Car devant le Bouddha Shakyamuni apparut une tour ornée de nombreux trésors. Ce fut comme si le soleil s'était levé devant la lune. Tous les bouddhas de l'univers étaient assis sous les arbres, et l'herbe et les arbres de tout l'univers brillaient, comme éclairés par un feu. C'est dans ces circonstances que ce passage du Sutra fut exposé.

Dans le Sutra du Nirvana il est dit : "Les êtres humains souffrent depuis d'innombrables kalpas. [Au cours de ses multiples vies] les os d'une personne, en un seul kalpa, s'accumulent aussi haut que le Mont Vipula, à Rajagriha, et elle tête autant de lait qu'il y a d'eau dans les quatre océans (note)." Le sang qu'une personne verse est plus abondant que toute l'eau des quatre océans ; plus abondantes aussi sont les larmes qu'elle répand à la mort de ses parents, de ses frères et soeurs, de son conjoint, de ses enfants et des autres membres de sa famille. Et même si l'on coupait tous les arbustes et les arbres de la terre en baguettes de quatre pouces pour les dénombrer, on ne pourrait compter tous les parents que nous avons eus dans nos existences passées." Telles sont les paroles que prononça le Bouddha, allongé dans le bosquet de shala, au dernier jour de sa vie. Ce sont des mots que vous devriez graver dans votre coeur. Ils signifient que des baguettes de quatre pouces taillées dans les arbustes et les arbres de tout l'univers ne suffiraient pas pour compter les parents qui vous ont donné naissance depuis d'innombrables kalpas. Vous avez donc eu un nombre incalculable de parents dans vos existences passées, sans avoir jamais encore rencontré le Sutra du Lotus. Si vous désobéissez maintenant aux paroles d'un père ou d'une mère, personnes que l'on rencontre aisément, pour suivre un ami du Sutra du Lotus, personne que l'on rencontre rarement, vous pourrez non seulement atteindre la bodhéité mais aussi conduire à l'Éveil le père ou la mère à qui vous avez désobéi. Ainsi le prince Siddhartha était le fils aîné du roi Shuddhodana. Désireux d'en faire son successeur à la tête du pays, son père lui céda le trône, mais le prince s'opposa à la volonté de son père et s'enfuit, une nuit, du château. Le roi lui tint grief de son manque de piété filiale, mais après avoir atteint la bodhéité, la première tâche de Siddhartha fut de convertir ses parents, le roi Shuddhodana et la reine Maya.

Aucun père, aucune mère n'exhorteront jamais [leur enfant] à renoncer au monde pour atteindre la bodhéité. Mais, dans votre situation, les moines et adeptes du Ritsu et du Nembutsu ont influencé votre père pour vous faire tomber, vous et votre frère [et vous faire abandonner votre foi]. On m'a rapporté que Ryoka-bo persuade les autres de réciter un million de nembutsu en s'efforçant de créer la discorde entre les gens et de détruire les graines du Sutra du Lotus. Hojo Shigetoki, qui fit construire le temple Gokuraku-ji pour Ryokan, semblait être une personne de mérite. Mais trompé par les croyants du Nembutsu, il m'a traité avec haine et cela entraîna non seulement sa propre perte mais celle de tout son clan. Seul Hojo Naritoki, seigneur de la province d'Echigo, a survécu. Vous pensez peut-être que ceux qui croient en Ryoka-bo sont prospères, mais voyez plutôt ce qu'il est advenu au clan Nagoe, qui finança la construction des temples Zenko-ji, Choraku-ji, et d'un temple destiné à abriter une immense statue du Bouddha  ! De plus, Hojo Tokimune est le souverain du Japon, [mais par sa conduite] il a fait apparaître un ennemi [les Mongols] aussi redoutable que [si le Japon avait contre lui] le monde entier.

Même si vous abandonnez votre frère pour prendre sa place dans les bonnes grâces de votre père, vous ne connaîtrez jamais aucune prospérité en dix millions d'années. Et il est impossible de dire ce qu'il adviendra de vous, même dans un avenir proche - il est possible que vous soyez conduit à votre propre perte en cette vie même. Par conséquent, vous devriez uniquement vous préoccuper de votre prochaine existence. [J'ai écrit tout cela] en pensant que cette lettre sera probablement inutile, mais je l'ai fait pour qu'elle vous serve de référence l'avenir.

Avec mon profond respect,
Nichiren.

Le vingtième jour du onzième mois.

ARRIERE-PLAN - Cette lettre fut envoyée à Hyoe no Sakan Munenaga, le plus jeune des frères Ikegami, le 20 novembre 1277, trois ans après que Nichiren Daishonin soit revenu de son exil sur l'île de Sado. Les deux frères Ikegami, Uemon no Sakan Munenaka et Hyoe no Sakan Munenaga, s'étaient convertis au bouddhisme du Daishonin environ à la même époque que Shijo Kingo. C'est l'aîné, Munenaka, qui adopta la foi en premier, probablement en 1256, et son frère cadet, Munenaga, le suivit de près. Tous deux étaient fonctionnaires du shogunat de Kamakura et leur père, Yasumitsu, détenait un poste important dans le service de construction du gouvernement.
Yasumitsu était un fervent disciple de Ryokan, le patriarche de l'école Ritsu, qui jouait un rôle très actif dans les affaires politiques. Munenaka et Munenaga virent leur père s'opposer farouchement à leur pratique bouddhique. En avril 1275, Yasumitsu déshérita son fils aîné, plus fort et plus assuré dans sa foi. En apprenant cette nouvelle, le Daishonin écrivit la "Lettre aux frères", pour les encourager, en déclarant que le fait d'être déshérité, pour Munenaka, constituait le type même d'obstacle qui ne manque jamais d'apparaître lorsque l'on recherche sincèrement l'illumination ; il leur assura aussi que, en surmontant un tel obstacle, les deux frères pourraient à la fois changer leur destin et parvenir au bonheur.
Aussi opposé qu'il ait pu être à la pratique religieuse de ses fils, Yasumitsu devait avoir quelque autre raison pour prendre une mesure si extrême. Le Daishonin suspectait l'intervention de Ryokan dans cette affaire. Depuis longtemps Ryokan avait renoncé à attaquer directement Nichiren Daishonin, mais il lui était facile de faire pression sur ses disciples. Il est prouvé que ce fut lui qui persuada le père, Yasumitsu, de prendre des sanctions contre ses fils. En déshéritant Munenaka, Yasumitsu provoquait en effet une dissension entre les deux frères, tentant de convaincre le cadet, Munenaga, également le plus faible dans sa croyance, d'abandonner sa foi en échange du droit d'hériter du domaine de son père. Cette tentative ayant échoué, Yasumitsu réhabilita Munenaka. Cependant, il le déshérita de nouveau en 1277, ce qui semble avoir fortement ébranlé la foi de son frère cadet, Munenaga. (Commentaire ACEP)

En anglais : The Three Obstacles and Four Devils

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=636&m=1&q=Three%20Obstacles
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_3Obstacles4Devils.htm

Retour
haut de la page