Un bouddhisme pour notre temps Une interprétation moderne du Triple Sutra du Lotus par |
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Voir : SUTRA DU LOTUS - CHAPITRE V |
La Parabole des simples Dans le chapitre précédent, les quatre grands shravakas expriment leur admiration pour l'immense compassion du Bouddha et pour sa maitrise des moyens appropriés* lorsqu'il a raconté la parabole du fils pauvre. Plus loin, ils disent au Bouddha que bien qu'il eût prêché ses enseignements de diverses manières suivant la capacité des êtres vivants et le degré de leur Éveil, ils comprenaient que ses sermons avaient toujours été fondés sur le Véhicule Unique et qu'ils y adhéraient entièrement. Après qu'ils ont exprimé leur foi et leur capacité de discernement, le Bhagavat parle ainsi :
La parbole des simples Après ce préambule, le Bouddha expose la parabole des herbes médicinales :
Racines, troncs, branches et feuilles désignent la foi, les préceptes, la méditation et la sagesse. Les racines forment la partie des plantes la plus importante. Sans racines, elles ne peuvent pas développer de tronc, de branches ou de feuilles. Donc, le mot "racines" signifie foi. On ne peut pas observer les préceptes sans la foi. Grâce à l'observation des préceptes, on peut entrer en état de méditation et obtenir la sagesse. Réciproquement, aussi fortes que les racines puissent être, elles meurent si les branches et les feuilles se dessèchent ou si le tronc est coupé. De même, si un homme ne possède pas la sagesse, sa foi se dégradera. En un mot, sur le chemin spirituel, l'homme commence par la foi et atteint la sagesse par les préceptes et par la méditation. Cependant, les quatre éléments de sa pratique religieuse sont toujours intimement liés et concomitants. Lorsqu'un des éléments manque, la pratique ne peut être parfaite et ne pourra donc pas s'élever au niveau suivant. Tout comme un arbre peut être grand ou petit, "selon qu'il est de haute, moyenne ou basse taille", des hommes différents ont l'esprit large ou étroit, sont sages ou ignorants. Il est bien évident qu'un grand arbre n'est pas supérieur à un petit, ni une petite plante inférieure à une grande. Le cèdre et le buis ont chacun leur rôle. La petite violette est très belle et les hautes herbes des pampas ont leur propre beauté. De même, bien que les gens soient différents par leur apparence, leur intelligence, leurs capacités, leur caractère et leur force vitale, toutes les caractéristiques d'une personne deviennent belles et honorables lorsqu'elles s'accordent à la nature et aux capacités particulières de cette personne. C'est dans ce sens que le Bouddha affirme l'égalité. Cependant, il en va tout autrement pour ce qui est de la réception du Dharma. Dans le chapitre précédent, nous avons appris à nous défaire de l'idée misérabiliste que notre accession à l'enseignement du Bouddha était forcément limitée. Nous devons abandonner ces futiles discriminations et nous consacrer à l'écoute et à la réception du Dharma. La parabole des simples montre que tout effort de notre part sera indubitablement récompensé. En effet, toutes les herbes et tous les arbres naissent sur le même sol et reçoivent la même pluie, mais chacun se développe selon sa nature. De même, bien que les enseignements du Bouddha ne fassent qu'un, ils sont compris différemment suivant la nature, l'esprit, l'environnement, etc. de chacun des auditeurs. Même si nous n'avons qu'une faible compréhension des enseignements du Bouddha ou que nous ne pratiquons qu'une partie d'entre eux, ce n'est jamais en vain. Chaque effort sera récompensé grâce au Dharma. Seulement nous ne devons pas nous satisfaire de ces récompenses. Nous devons toujours désirer de mieux comprendre et tâcher d'approfondir cette compréhension pour nous élever plus encore. Nous pouvons donc utiliser une foi et un discernement peu profonds comme première marche vers un niveau plus élevé de foi et de discernement. En progressant pas à pas, nous atteindrons sans faute un état d'esprit supérieur. Nous devons en tenir compte lorsque nous lisons la dernière partie de ce chapitre. Il y est dit que l'enseignement du Bouddha est un, mais que le niveau de la foi et du discernement sont différents selon les capacités des personnes. Toutefois nous ne devons pas voir dans ces différences quelque chose de fixe et de définitivement conditionné. Un arbre peut recevoir trop de pluie alors qu'un autre n'en reçoit pas assez. Un arbre peut pousser en un an, mais il faudra à un autre de nombreuses années pour arriver à maturité. Un arbre peut avoir des fruits en un an, et un autre ne portera des fruits qu'après sept ou huit ans. Supposez que le premier arbre voyant le second pense : ‘‘Je ne vaux rien parce que je ne porte pas de fruits aussi rapidement.’’ Ce serait absurde qu'un arbre pense de cette manière, n'est-ce pas ? Et supposez qu'un arbre se contente de dire : ‘‘En un an cet arbre a produit des fruits, tandis que j'ai réussi à faire grandir mes branches et mes feuilles. Mais je suis très bien comme je suis, parce que tous les arbres sont arrosés par la même pluie. Je fais tout ce que je peux.’’ Ce serait tout aussi absurde de sa part de se contenter d'être satisfait de soi. Un arbre qui a besoin de sept ou huit ans pour porter des fruits doit travailler fort et pratiquer sans impatience, sans se décourager et sans amertume envers les autres. Le temps viendra où il portera sûrement ses fleurs et ses fruits. Le fruit produit en un an peut être bon, mais le fruit produit en huit ans peut l'être tout autant. Ils obtiennent tous les deux la même chose : la bodhéité. Plus loin, le Bhagavat détailla pour Kashyapa la relation entre cet enseignement et l'Éveil des êtres vivants. La raison pour laquelle il prêcha la parabole des simples est que le Bouddha est comme le grand nuage qui dispense la pluie à tous de façon identique. Il conduit tout ce qui vit, y compris les êtres humains, vers son enseignement universel, tout comme le grand nuage couvre la terre entière. Les dix épithètes du Bouddha Le Bouddha se définit alors par les dix épithètes suivantes :
Ce sont les dix épithètes du Bouddha, chacune d'elles représente un aspect de la vertu et de la puissance du Bouddha. - L’Ainsi-Venu (Tathagata, Nyorai) signifie "celui qui est venu du monde de la vérité", Grâce à ces vertus et pouvoirs parfaits, le Bouddha permet de ne plus être influencés par les changements de circonstances. Ceux qui n'ont pas encore compris d'où viennent leurs illusions et comment les éliminer, il le leur fait comprendre. Ceux qui n'ont pas encore été réconfortés après l'extinction de leurs illusions, il les réconforte. Et ceux qui n'ont pas encore obtenu le véritable Éveil, il le leur fait obtenir. Le Bouddha connaît aussi le présent, le passé et le monde à venir tel qu'ils sont réellement. Il est celui qui connaît tout parfaitement (issai-chisha, l'Omniscient), celui qui distingue le véritable état de toutes choses (issaikensha, l'Omnivoyant), celui qui connaît la véritable Voie (chido-sha, Celui qui connaît la Voie), celui qui fait comprendre la Voie à tous les êtres vivants et les guide vers celle-ci (kaido-sha, Celui qui ouvre la Voie) et celui qui leur prêche la Voie (setsudo-sha, Celui qui expose la Voie). Le Bouddha connaît aussi le présent, le passé et le monde à venir tels qu'ils sont réellement. Il est celui qui connaît tout parfaitement (issai-chisha, l'Omniscient), celui qui distingue le véritable état de toutes choses (issaikensha, l'Omnivoyant), celui qui connaît la véritable Voie (chido-sha, Celui qui connaît la Voie), celui qui fait comprendre la Voie à tous les êtres vivants et les guide vers celle-ci (kaido-sha, Celui qui ouvre la Voie) et Celui qui leur prêche la Voie (setsudo-sha, Celui qui expose la Voie). Connaître la Voie, l'ouvrir et l'exposer sont des pratiques indispensables pour tout croyant dans le Sutra du Lotus. On connaît la Voie par son esprit, on l'ouvre par son corps et on la prêche avec sa bouche. On appelle cela les trois actions du corps, de la bouche et de l'esprit ; ce sont les règles de la conduite quotidienne pour ceux qui pratiquent le Sutra du Lotus en suivant l'exemple du Bouddh Le Bouddha, qui possède des vertus et des pouvoirs parfaits s'adresse à toutes les créatures, les exhortant à venir vers lui pour écouter le Dharma. À ce moment-là, un nombre incalculable d'êtres se rassemble autour de lui pour l'écouter. Alors le Bouddha, observant les capacités de tous ces êtres, vifs ou lents, zélés ou nonchalants, suivant leurs diverses dispositions, leur prêche le Dharma de différentes manières, leur procurant à tous de la joie et leur permettant ainsi d'obtenir beaucoup de mérites. Il proclame que tous les êtres qui ont bien compris ce Dharma, qui y ont cru et qui l'ont pratiqué seront réconfortés dans cette vie, ils renaîtront dans un monde-état bénéfique où ils se réjouiront de la vérité et pourront entendre le Dharma. Réconfort dans la vie présente Être réconforté dans la vie présente signifie mener une vie paisible dans ce monde. Jadis, les gens interprétaient ceci comme une prompte guérison ou la fin de leurs soucis matériels. Plus récemment, l'opinion générale se transforma : "être réconforté" ne concerne plus maintenant que les problèmes spirituels : l'esprit n’est plus jamais perturbé par les souffrances. Cette interprétation s'est développée parce que les gens estimaient que la recherche du bonheur matériel dans la vie présente était un but indigne de gens religieux ou bien parce qu'ils craignaient d'être ridicules s'ils ne considéraient pas l'esprit et le corps comme des entités séparées, une tendance encouragée par la compréhension superficielle de la science moderne. Ces idées sont pourtant erronées. Les recherches en médecine psychosomatique ont mis en évidence que beaucoup de désordres physiques disparaissent quand l'état mental et émotionnel d'une personne s'améliore. Lorsque l'esprit est libre, la qualité de vie s'améliore tout naturellement. Il n'est donc pas surprenant que l'on puisse mener réellement une vie relativement équilibrée. La croyance en une religion pour recevoir des faveurs divines ici-bas est généralement mal vue. Cette attitude rend la liberté de l'esprit impossible. On en vient donc à considérer que l'expression "être réconforté" concerne l'aspect purement spirituel et émotionnel. Toutefois, considérer le fait que la liberté d'esprit ne conduit pas également à la liberté matérielle ne correspond pas vraiment à l'enseignement du Bouddha ; c'est non seulement réducteur mais c'est aussi négliger le pouvoir du Bouddha. La proclamation que tous les êtres qui ont bien compris ce Dharma, qui y ont cru et qui l'ont pratiqué seront réconfortés dans cette vie, renaîtront dans un monde-état bénéfique où ils se réjouiront de la vérité et pourront entendre le Dharma, est capitale. Nos vies se sont succédé depuis le temps où la terre n'était qu'une boule de feu — et même depuis plus longtemps — et elles continueront dans un futur infini. Donc, même si nos corps meurent, si nous atteignons un état d'esprit tel que nous ne sommes plus influencés par les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, cet état d'esprit renaîtra dans se sont succédées des "mondes-états bénéfiques" et nous aurons des vies paisibles dans le monde à venir où nous nous réjouirons de la vérité, car grâce à cela nous pourrons orienter nos vies dans la bonne direction. Autrefois, cet enseignement était compris comme s'il ne concernait que la renaissance dans la Terre Pure après la mort ; par réaction, les hommes de notre époque ont une forte tendance à limiter son interprétation aux problèmes spirituels de la vie présente. Mais l'enseignement du Bouddha n'est pas aussi étroit ni aussi limité. Nous ne devons pas oublier qu'il nous enseigne la manière idéale de vivre, et que ceci s'étend du passé infini au futur infini. S'ils comprennent correctement cela, tous les êtres vivants peuvent s'affranchir progressivement des obstacles et des perturbations mentales et, parmi tous les enseignements du Bouddha, choisir celui qui est adapté à leurs capacités et dont les moyens appropriés* leur permettent d'entrer dans la Voie du Bouddha. C'est comme le grand nuage de pluie qui se répand sur toutes les herbes et les nourrit de sorte que chaque plante se développe parfaitement en accord avec sa nature. Le Bouddha déclare alors :
Cela signifie que ces enseignements, bien qu'identiques dans leur essence, peuvent être divisés en trois parties : la délivrance (gedatsu-so), l'abandon (ri-so) et l'extinction (metsu-so). "Délivrance" est l'état d'esprit d'un être qui n'est plus influencé par les changements des circonstances ou des choses. À ce niveau, on peut tout considérer avec équanimité sans être déstabilisé par les événements. Mais, par ailleurs, ceux qui ne se sentent pas capables de tout considérer avec équanimité choisissent parfois de s'élever au-dessus du monde des phénomènes, ils perdent ainsi le sentiment de parenté avec les hommes qui souffrent et qui sont dans la détresse. Il est important de ne pas tomber dans cette autosuffisance et de nous efforcer de libérer les autres de leurs souffrances. Cette attitude est appelée "abandon". Unité de soi et des autres "Extinction" signifie éradiquer les distinctions illusoires entre soi et l'autre. C'est ressentir l'unité avec toutes les créatures dans l'univers. Nous ne pouvons pas avoir cet état d'esprit si nous pensons seulement qu'il est de notre devoir de sauver les personnes qui souffrent. Il faut encore tendre spontanément la main dans un élan d'empathie. C'est par ce sentiment que l'on parvient à l'unité de soi avec autrui. Nous ne trouvons pas que la salive est sale lorsqu'elle est dans notre bouche parce que la salive est une partie de notre organisme. Mais si nous crachons, nous ressentons qu'elle est sale parce qu'elle ne fait plus partie de nous. Une personne ayant une véritable affection ressent un fort sentiment d'unité avec l'autre. Il y a des cas historiques d'affection idéale qui montrent l'absence de distinction entre soi et autrui. Par exemple cet homme qui mit sa bouche contre celle de sa femme atteinte de tuberculose, et trop faible pour cracher, puis aspira la masse qui bloquait la gorge de son épouse. L'impératrice japonaise Komyo aspira le pus qui suintait des plaies du dos d'un lépreux. Nous ne pouvons pas atteindre cet état d'un seul coup mais s'il nous arrive de ressentir spontanément que la souffrance d'un autre est notre propre souffrance, que nous devons essayer d'aider celui qui souffre ou s'il nous arrive de ressentir pleinement la joie d'un autre, ce monde deviendra radieux et paisible. C'est dans cet ordre que les enseignements du Bouddha nous conduisent progressivement vers un état d'esprit supérieur : délivrance, abandon, extinction et, finalement, réalisation de la connaissance parfaite. La faculté de voir à la fois l'égalité entre toutes choses (la non-substantialité, ku) et les différences entre celles-ci (l'existence, ke) est la réalisation de la connaissance parfaite, la prajna. Ensuite, le sermon du Bouddha continue ainsi :
Par ces paroles, le Bouddha affirme que les bienfaits (kudokus) pour l'homme dans la vie présente sont irréfutables. Il dit aussi que les hommes ne les comprennent pas et que seul le Bouddha les connaît. Lorsqu'un homme croit dans le Dharma et le pratique, divers éléments se modifient en lui. Vivant dans le monde Saha, ces changements peuvent lui être désagréables. Mais d'un point de vue plus large, ils indiquent que sa vie s'est orientée dans la bonne direction. S'il accepte immédiatement ces modifications internes, bien qu'elles puissent sembler désagréables à ce moment-là, ces changements le guideront certainement vers le bonheur. Une fable d'Esope nous raconte qu'un corbeau se noya parce qu'il n'aimait pas sa couleur noire et qu'il essaya de l'effacer en se lavant. Si un hérisson n'est pas content des piquants qui poussent sur tout son corps et qu'il les arrache, il sera très vite mangé par un chat sauvage ou par un autre animal. Le proverbe dit : «Toute chose est telle qu'on la voit » ; la véritable délivrance se trouve dans notre disposition à accepter spontanément ce que nous sommes et de recevoir avec déférence ce qui nous est donné. Le Bouddha dit que le Dharma qu'il prêche n'a qu'un unique aspect, qu'une unique saveur, que son essence ne change pas même s'il l'expose de façons différentes. Pierre est différent de Paul mais, en tant qu'êtres humains, ils ont la même origine. En termes scientifiques, une fleur rouge est composée de particules subatomiques : électrons, protons, neutrons. La feuille verte d'un saule est, elle aussi, composée de ces mêmes particules. Dans leur essence, les deux sont identiques. Le Bouddha dit aussi que son Dharma unique et essentiel aboutit à la vacuité (non- substantialité). Dans ce cas, vacuité signifie égalité et donc, qu'en dernière analyse, toutes choses sont par essence égales. Mais, en tant que phénomènes, elles se manifestent en fleur rouge, en feuille verte, en Pierre habile de ses mains ou en Paul à l'esprit vif. L'action subtile de la force vitale universelle est marquée par des distinctions à partir d'une égalité d’essence. Si nous savons développer davantage le potentiel naturel de notre vie suivant les enseignements du Bouddha, cela vivifie la vie des autres et nous pouvons comprendre la nature unique de soi/non-soi, l’essence unique des différents êtres vivants. Dans la dernière partie de ce chapitre, le Bhagavat énonce que tout son enseignement n'a qu'un seul but : que tous les êtres vivants se sentent égaux dans la capacité d'atteindre la bodhéité mais sans le leur dire d'emblée car il tient compte des différences dans leurs dispositions. Il conclut son sermon en disant que la capacité de Kashyapa de comprendre cette vérité est la plus rare et la plus grande des facultés. Alors le Bhagavat, désirant proclamer son enseignement une fois de plus, le répète en vers. Dans les dernières strophes il encourage vivement les disciples shravakas en disant :
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