Vous m'avez envoyé
un sachet d'algues séchées et je l'ai bien reçu,
ainsi que celui que m'a fait parvenir O-ama Gozen.
[...] Parlons d'autre chose.
O-ama m'a demandé
d'inscrire pour elle un Gohonzon
et j'ai beaucoup de mal à répondre à sa requête.
En voici la raison : ce Gohonzon
ne fut jamais mentionné dans les sutras, les préceptes et
les traités apportés par les nombreux maîtres bouddhistes
qui allèrent d'Inde en Chine, non plus que par les moines qui firent
le voyage de Chine en Inde. Tous les objets de vénération
sans exception enchâssés dans les temples de toutes les provinces
de l'Inde sont mentionnés et décrits dans le
Daito Saiiki Ki, le Jion
Den et le Dento Roku.
Je ne l'ai pas trouvé mentionné non plus dans les écrits
des sages venus de Chine au Japon, ni dans ceux des personnes méritoires
qui se rendirent du Japon en Chine. Tous les registres des premiers temples
construits au Japon, tels que le Gango-ji,
le Shitenno-ji et d'autres,
aussi bien que de nombreux récits, à commencer par le Nihon
Shoki, énumèrent les honzon de chaque temple sans
en oublier un seul [et les objets de vénération enchâssés
dans ces temples sont donc bien connus], mais dans aucun de ces écrits
il n'est fait mention de ce Gohonzon.
[...] O-ama Gozen
est peu sincère et manque de sérieux. Elle est également
indécise dans sa croyance, y restant fidèle à certains
moments et la trahissant à d'autres. Lorsque Nichiren a encouru
la disgrâce des autorités, elle a immédiatement
abandonné le Sutra du Lotus. Pourtant, depuis longtemps,
à chaque fois que nous nous sommes vus, je lui ai enseigné
que le Sutra du Lotus est] "difficile à croire,
difficile à comprendre". Si je lui
donne ce Gohonzon parce que
j'ai une dette à son égard, les dix
Filles-démones penseront que je suis un moine bien partial.
Si je ne lui donne pas ce Gohonzon parce qu'elle manque de foi, je n'aurai rien à me reprocher mais
O-ama Gozen m'en gardera peut-être rancune, parce qu'elle ignore
sa faute. J'ai expliqué longuement les raisons de mon refus dans
une lettre à Suke no Ajari. Faites-vous confier cette lettre et, s'il vous plaît, faites en
sorte qu'elle la lise. Vous êtes
de la famille d'O-ama Gozen, mais vous avez clairement démontré
la pureté de votre foi. Jusque sur l'île de Sado et ici dans cette province de Minobu vous n'avez cessé de me donner des preuves de votre sincérité,
et, parce que votre résolution ne semble pas faiblir, j'ai inscrit
pour vous un Gohonzon. Mais
je m'inquiète encore pour l'avenir ne sachant pas si vous conserverez
jusqu'au bout votre croyance, comme une personne avançant sur
de la glace fine ou confrontée à la menace d'un sabre.
Je vous écrirai à nouveau plus tard de manière
plus détaillée. Lorsque
j'ai encouru la disgrâce du gouvernement, 999 personnes sur 1
000, à Kamakura, ont
abandonné leur foi. Mais puisque le jugement du monde à
mon égard s'est maintenant adouci, certaines d'entre elles semblent
avoir des regrets. O-ama Gozen n'en fait pas partie. Je le déplore
vivement pour elle, mais il est tout aussi impossible de donner le Gohonzon à quelqu'un qui trahit le Sutra du Lotus que de changer
un os en viande. S'il vous plaît, expliquez-lui bien pourquoi
je ne peux accéder à sa requête.
Shofu-bo, Noto-bo et Nagoe-no-ama ont été
mes disciples à un moment donné (note). Intéressés, lâches et ignorants, ils se faisaient
quand même passer pour des personnes de sagesse. Quand j'ai subi
des persécutions, ils en ont profité pour convaincre beaucoup
de gens d'abandonner la foi. Si, vous aussi, vous vous laissez abuser,
tous ceux qui, dans la province de Suruga, semblent croire au Sutra
du Lotus ou qui sont sur le point d'y croire abandonneront le Sutra,
sans exception. Quelques personnes, dans cette province de Kai, ont
manifesté le désir d'adopter la foi. Pourtant, je ne leur
ai pas permis de se joindre à nous si elles ne faisaient pas
preuve d'une résolution très forte. Certains, tout en
n'ayant qu'une compréhension superficielle, prétendent
avoir une foi solide et parlent avec mépris d'autres croyants.
Ainsi, il arrive souvent qu'ils perturbent la foi des autres. Ne leur
prêtez pas la moindre attention. Grâce à la protection
de Bonten et de Taishaku,
le temps viendra où la population du Japon tout entière
se mettra à croire [dans le Sutra du Lotus]. A ce moment-là,
beaucoup prétendront qu'ils ont cru, eux aussi, depuis le début.
La protection
de Bonten et de Taishaku (Minobu,
15 mai 1277 à Nanjo Tokimitsu) |