Sens innombrables du Sutra du Lotus Paul L. Swanson |
|
|
|||
- Permanent Fellow and Director, Nanzan Institute for Religion and Culture |
|||
Permettez-moi de l’illustrer. Dans le chapitre I, Introduction, Shakyamuni entre dans « le recueillement-samadhi* de Demeure-dans-les-Sens-Infinis, immobile en corps et en pensée ». Faisant pâlir de honte les lasers électroniques et les pyrotechnies d’un Disneyland, une pluie de fleurs tombe du ciel et le Bouddha émet un rayon lumineux qui éclaire des univers innombrables. Puis, le bouddha Manjushri annonce que le Bouddha est sur le point de prêcher le Sutra du Lotus. Cependant le Bouddha ne le prêche concrètement à aucun moment. Nous assistons à une sorte de show extravagant qui prépare un sermon qui n’est jamais explicité à proprement parler. Qu'est donc ce « Sutra du Lotus » qui n’est jamais exposé ? A partir du chapitre II le contenu n’est pas tant le Sutra du Lotus que ses différentes louanges et les instructions à son sujet. La raison est qu’au sens large, tout le Dharma est le Sutra du Lotus prêché par le Bouddha depuis un passé sans commencement. Et si, conformément au Ta chih tu lun (Traité sur le Sutra de la prajna-paramita, Daichido Ron*, Mahaprajnaparamita-shastra attribué à Nagarjuna) le Dharma du Bouddha n’est pas limité à des mots et des sutras, mais comporte toutes ses bonnes et belles paroles, on peut le dire aussi du Sutra du Lotus. Le Sutra du Lotus a des sens innombrables car il est l’équivalent du Dharma. Sous cet angle, le Sutra du Lotus ne se limite pas au texte existant en 28 chapitres traduit si magnifiquement en chinois par Kumarajiva (344 - 413), ni aux autres versions du texte que nous connaissons comme étant le Sutra du Lotus. Tout le Dharma du Bouddha est le Sutra du Lotuset c’est la raison de son infini potentiel. Ce que nous possédons est un texte (le Sutra du Lotus traduit par Kumarajiva), qui témoigne de l’existence d’un Sutra du Lotus plus universel, fait de sens innombrables, un texte qui renvoie et agit au sein de ce potentiel. Et de fait, tout au long de l'histoire, depuis la philosophie profonde et complexe du Grand-maître Zhiyi (538-97) du Tiantai jusqu’aux diverses expériences religieuses des adeptes du Sutra du Lotus, jusqu’à ses différentes expressions et influences dans l’art et la littérature, le Sutra du Lotus a donné naissance à une moisson incommensurable de significations dans un vaste éventail de domaines. Mais cela ne signifie nullement que le Sutra du Lotus signifie tout ce qu’on veut ou que nous pouvons l’interpréter arbitrairement à notre convenance. « Incommensurable » ne signifie pas toute chose ou n’importe quoi. Il est important de savoir ce que le Sutra de Lotus ‒ au sens limité, textuel ‒ dit (et ne dit pas), ce qu'il signifiait (ou pas) pour les personnes dans le passé, comment il a inspiré (ou pas inspiré) les hommes et à quelles sortes d’expériences religieuses ou autres il a conduit. Sur cette base, nous pouvons conclure, avec plus de précision et de sens critique, ce que signifie le Sutra du Lotus pour notre monde moderne. Il incombe à tous les religieux ‒ qu’ils soient bouddhistes, chrétiens ou musulmans ‒ de découvrir le sens de leur foi dans leur contexte social, historique et culturel. Pour les adeptes du Sutra du Lotus, cela implique l'obligation de rechercher son contenu vivant et créatif pour aujourd'hui. C’est justement parce que le Sutra du Lotus a des significations incommesurables, qu’il a le potentiel pour fournir un sens à notre époque. Prenons un exemple concret. Le chapitre XX relate l’histoire de Sadaparibhuta (Fukyo), le bodhisattva «Jamais Méprisant ». Il fut ainsi nommé parce qu'il s'inclinait devant chaque personne qu’il rencontrait ou apercevait, honorant ainsi l'état de bouddha inhérent à cette personne. Il ne portait de jugement sur personne. N'est-ce pas là un modèle qui a une grande signification de nos jours ? Si nous gardions cette attitude envers toutes les personnes, même face à toute forme de vie, nous cesserions d'être égocentriques, uniquement préoccupés de notre bien-être ou de celui de notre famille, ou uniquement de ceux de notre société, de notre culture ou de notre pays. En apprenant un accident ou une catastrophe, nous serions inquiets non seulement pour les Japonais ou les Américains qui y seraient impliqués, mais aussi pour chaque individu en tant que personne. Prendre conscience de l’état de bouddha potentiel ‒ ou, dans un sens plus général, de la bonté et de la valeur potentielles de tout ce qui nous entoure – c’est respecter tout ce qui nous entoure. Une telle attitude donne la clé face aux problèmes environnementaux, de plus en plus graves de nos jours. En la développant, nous ne pourrons pas rester indifférents à l'écologie de lieux lointains. Si nous parvenons à un niveau où nous comprenons que nous devons respecter et prendre soin non seulement de nous mais également de l'environnement, des personnes et des lieux éloignés, ainsi nous cesserons spontanément, par exemple, d'acheter des articles en ivoire d’éléphants et autres espèces en voie de disparition, nous essayerons d'éviter les gaspillages et l’utilisation de produits qui exigent la destruction des forêts tropicales, nous bannirons les produits qui utilisent des carbonates fluorés destructeurs et nous tenterons de mener un mode de vie qui minimise les déchets et la consommation. Qui aurait pensé que le Sutra du Lotus a quelque chose à voir avec les questions environnementales modernes ? Pourtant ce n'est qu'un exemple des « sens incommensurables » latents de ce Sutra. |
|||