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La maison en feu et les Trois chariots Béatrice, 17 mai 2015 |
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Pour répondre à la 1èreè question - rejeter le provisoire pour embrasser l'essentiel - je citerais tout d'abord deux passages que nous connaissons tous bien puisqu'ils figurent dans notre livre de pratique, deux passages dans lesquels Nichiren affirme avec force sa "conviction absolue" en la suprématie du Sutra du Lotus. Le premier :
le second :
Ces extraits, et il y en aurait bien d'autres, montrent donc très clairement à quel point Nichiren considérait le Sutra du Lotus comme l'enseignement essentiel de Shakyamuni. (note) À ses yeux en effet le Sutra du Lotus possède non seulement le pouvoir indubitable de conduire toute personne à l'Éveil mais également de l'y conduire avec cœur. Sachant aussi que de 1233, date de son entrée au temple, à 1253, date de la proclamation publique de Namu Myoho Renge Kyo, il a pendant 20 ans (note) étudié les quelque 80000 corbeilles d'enseignements donnés par Shakyamuni, avant d'en déduire que Namu Myoho Renge Kyo constitue précisément la quintessence du bouddhisme, nous, ses disciples, devrions en toute logique faire absolument confiance en sa démarche au risque de ne pas dénigrer la nôtre, et vérifier, pour nous en assurer, à quel point elle nous permet de transformer tout ce qui nous entrave, dans la mesure où la preuve actuelle (réf.) fait partie intégrante de cette démarche. De façon similaire, la parabole des Trois chariots nous encourage elle aussi à rejeter le provisoire et à embrasser l'essentiel en montant à bord du Véhicule unique, le seul capable, nous dit lui-même Shakyamuni, de nous mener tous, sans distinction et sans hésitation, jusqu'à la rive de la bodhéité. Pour répondre à la 2ème question et savoir comment la parabole nous invite à vivre pleinement notre vie et ce, quel que soit notre karma, je dirais que pleinement conscient de la supériorité du Lotus, Nichiren vécut toute sa vie (note) en accord avec ce sutra du fait qu'à partir de la fondation de son école, il ne subit qu'attaques et persécutions qui iront jusqu'à sa condamnation à mort commuée en bannissement. Ses lettres adressées à ses disciples évoquent à maintes reprises les difficultés qu'il dut affronter, leur expliquant et les rassurant qu'il avait dans ses vies antérieures certainement dû mépriser et ses compatriotes et le Sutra du Lotus pour être tout autant méprisé que persécuté. Son karma est donc une réalité à laquelle il est pleinement éveillé et qu'il prend à bras le corps et à bras le cœur, puisqu'il sait que ce n'est que de cette façon qu'il EST dans sa vie, qu'il VIT sa vie. Dans sa lettre Sur le Comportement du Bouddha, il dit même, tant sa confiance dans le Lotus est grande :
Faire face avec sang-froid et passion à toutes les difficultés qu'il a rencontrées s'avère par conséquent pour nous, ses disciples, un modèle d'encouragement et d'inspiration pour ne pas reculer d'un pas face à nos propres tourments. Pour reprendre l'image de la maison en feu mise en scène dans la parabole (une parabole étant justement l'expression littéraire d'une comparaison avec la réalité), rappelons-nous que cette maison représente la réalité de notre monde, autrement dit la réalité de notre environnement et, intrinsèquement ou conséquemment, celle de notre karma. Grâce à sa conscience du danger et à son amour pour les personnes aux prises avec les flammes, le maitre de cette maison trouve alors le moyen de les inciter à la quitter en leur promettant "leurs jouets favoris, rares et difficiles à trouver" et leur offrir finalement "un unique grand char", le char du Véhicule unique qui les mènera toutes à la bodhéité. Cette parabole nous enseigne, en somme, que cette maison ne serait pas la proie des flammes, ses occupants ne s'éveilleraient pas au désir de changer, voire ne rechercheraient pas la bodhéité, restant dans l'ignorance des causes de leurs tourments, restant aux prises avec leur karma, incapables de le transformer et de progresser vers plus d'humanité, explique aussi Shakyamuni dans le Sutra du Lotus :
Autrement dit, selon la pensée bouddhique, être homme est un événement rare et vivre sa vie d'homme équivaut à s'y éveiller par le pouvoir de l'enseignement du Lotus, et à s'en émerveiller par le pouvoir de Myoho, la pratique proposée par Nichiren. Pour répondre à la 3è question - être éveillé signifie-t-il être parfait-, rappelons de nouveau que ladite parabole met en scène un maitre de maison reconnu comme étant non seulement le propriétaire de cette maison mais aussi le père de tous ses occupants, personne qui est en définitive le Bouddha lui-même. La partie en vers qui suit le récit de la parabole se poursuit en effet en ces termes :
Un Bouddha est donc un être de chair et de sang, qui vieillit, ressent, s'inquiète, va mourir, etc., tous ces aspects faisant partie de son humanité. Cependant, explique un érudit bouddhiste :
Je dirais alors qu'en vertu de la théorie de l'implication réciproque des dix états, un tel Bouddha se réfère à toute personne qui pratique l'enseignement du Lotus, celui de Nichiren en cherchant à le faire sien, quel que soit son degré d'éveil. A l'instar d'un bouddha, une telle personne n'est donc pas un être parfait au sens où elle possède un karma, qu'il soit celui dont elle est l'héritière ou celui qu'elle crée au cours de son existence terrestre. Etre éveillé correspondrait alors, selon moi, plutôt à ce que formule ainsi Ryusho dans Lire le Sutra du Lotus :
en rendant "ces vérités manifestes" dans leur quotidien. A l'instar du Bouddha, être éveillé signifie, selon moi, être parfait dans le sens : être conscient d'être responsable d'un karma, du sien, et par ricochet du karma de tout ce qui existe, idée que le Dalaï-Lama a ainsi résumée :
ou encore de la façon suivante :
En cela, la parabole de la Maison en feu illustre parfaitement l'attitude que devrait cultiver tout bouddhiste soucieux de ses semblables. Pour conclure et répondre à la dernière question, c'est-à-dire en quoi la parabole nous invite non seulement à agir mais à "être" ce que nous sommes, il convient de rappeler le sens du mot Gongyo, littéralement "pratique assidue", lecture pendant laquelle, en récitant le Sutra, nous sommes en quelque sorte "obligés" - si nous sommes conscients de ce que nous sommes en train de faire - d'harmoniser parole, pensée et action, autrement dit, lecture pendant laquelle nous avons la possibilité de transformer notre karma. En d'autres termes, Gongyo est la Cérémonie d'ouverture de la Tour aux Trésors qui nous permet non seulement de retrouver notre identité originelle en nous plongeant dans la réalité de notre bodhéité et de bodhisattva sorti-de-terre, mais également une pratique qui nous "contraint" en quelque sorte à modifier assidument notre karma. Et cela ne s'arrête pas là : après avoir effectué cette pratique et retrouvé le monde des Trois plans de la maison en feu, nous pouvons encore être en phase avec notre bodhéité, puisée dans la pratique, en gardant à l'esprit ce que Nichiren dit dans sa Réponse à un croyant :
Pour utiliser une langue contemporaine, nos activités professionnelles ou familiales ne sont donc, en réalité, en aucun cas isolées de notre pratique bouddhique mais parties prenantes de celle-ci. Pour clore ces réflexions, rappelons également la méthode qu'utilisent les bouddhas, énoncée au chapitre II du Sutra du Lotus, qui permet à chacun d'atteindre le même Éveil qu'eux :. "Les bouddhas, Vénérés du monde, veulent ouvrir les êtres au savoir et à la vision de la bodhéité et leur faire acquérir l'éveil. C'est parce qu'ils veulent montrer aux êtres le savoir et la vision de bouddha qu'ils apparaissent au monde. C'est parce qu'ils veulent faire comprendre aux êtres le savoir et la vision de bouddha qu'ils apparaissent au monde. C'est parce qu'ils veulent faire pénétrer les êtres dans le savoir et la vision de bouddha qu'ils apparaissent au monde." En nous ouvrant à l'Éveil, en nous le montrant, en nous accompagnant sur son chemin et en nous laissant l'expérimenter* par nous-mêmes, la parabole des Trois chariots et de la maison en feu nous invite ainsi à saisir l'opportunité de manifester notre bodhéité et d'être, en empruntant le grand char tiré par un boeuf blanc dont elle parle, un Bouddha comme ceux-là. |
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