L'exil d'Izu

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol.2, p.59; SG*, p.35.
Gosho Zenshu p. 1445 - Funamori Zasaburo moto Gosho
Showa Teihon p. 230-231. (répertorié dans le Rokuge)

juin 1261 à Funamori Yasaburo

 

J'ai bien reçu les chimaki, le saké, le riz séché, les poivrons, le papier, et tout ce que vous avez pris la peine de me faire parvenir par votre messager. Il m'a aussi transmis votre message demandant que tous ces dons soient tenus secrets. Je ferai comme vous le désirez.

Condamné à l'exil, je suis arrivé le douzième jour du cinquième mois sur une côte dont je n'avais jamais entendu parler auparavant. Alors que je débarquai, souffrant encore du mal de mer, vous avez eu la bonté de me prendre sous votre protection. Quel destin nous a donc réunis  ? Peut-être avez-vous été un pratiquant du Sutra du Lotus dans des existences passées. Aujourd'hui, à l'époque des Derniers jours du Dharma, vous êtes né pour devenir un batelier (funamori) (note) du nom de Yasaburo et prendre pitié de moi. Vous êtes un homme, et peut-être avez-vous trouvé naturel d'agir ainsi, mais votre femme aurait pu être moins désireuse de me venir en aide. Pourtant, elle m'a donné à manger, elle m'a apporté de l'eau pour me laver les mains et les pieds, et m'a traité avec beaucoup de sollicitude. N'est-ce pas véritablement merveilleux ?

Quelle cause vous a conduit à croire dans le Sutra du Lotus et à me servir pendant les trente et quelques jours de mon séjour en cet endroit  ? Le seigneur (jito) et les habitants de la région me haïssaient et me méprisaient plus encore que les gens de Kamakura. Le visage de ceux qui m'apercevaient se fermait et les autres, à la seule écoute de mon nom, se sentaient remplis de fureur. Et, bien que nous nous trouvions dans le cinquième mois, époque où le riz est rare, vous m'avez nourri en secret. C'est comme si mes parents étaient réapparus à Kawana, près d'Ito, dans la province d'Izu.

On peut lire dans le quatrième volume du Sutra du Lotus : "J'enverrai des hommes et des femmes à l'esprit pur pour faire des offrandes à celui qui enseigne le Dharma." Les divinités du Ciel et les divinités bienveillantes prendront la forme d'hommes et de femmes et feront des dons pour soutenir celui qui pratique le Sutra du Lotus. Sans aucun doute, vous et votre femme êtes bien nés comme étant "un homme et une femme à l'esprit pur" et vous faites maintenant des dons à celui qui enseigne le Dharma, Nichiren.

Comme je vous ai déjà envoyé une lettre détaillée (note), dans celle-ci, je resterai bref. Mais j'aimerais tout de même vous préciser un point. Quand le seigneur de cette région m'a demandé de prier pour sa guérison, je me suis interrogé sur l'opportunité de le faire mais puisqu'il semblait avoir une certaine foi en moi, j'ai décidé d'invoquer le Sutra du Lotus. Si je le faisais, il me semblerait impossible que les dix Filles-démones ne viennent joindre leurs forces aux miennes. C'est pourquoi j'ai fait appel au Sutra du Lotus, à Shakyamuni, à Taho et à tous les bouddhas de l'univers, ainsi qu'à la déesse du Soleil, à Hachiman et aux autres divinités majeures ou mineures. J'étais certain que ma requête serait entendue et que le résultat apparaîtrait. J'étais convaincu qu'ils ne resteraient jamais sourds aux prières de Nichiren, et les exauceraient aussi naturellement que l'on soigne une plaie ou que l'on soulage une démangeaison. Et en effet, le seigneur retrouva la santé. Par gratitude, il m'offrit une statue du Bouddha qu'on avait trouvée dans la mer en pêchant du poisson. Il le fit parce que sa maladie était enfin guérie, et que cette guérison était due aux Jurasetsu. Les bienfaits de son offrande rejailliront sur vous et sur votre femme.

Nous, simples mortels, résidons tous dans l'océan des souffrances de la vie et de la mort depuis le temps sans commencement. Mais maintenant que nous sommes devenus pratiquants du Sutra du Lotus, nous ne manquerons pas de devenir des bouddhas éveillés à la réalité corps-esprit qui existe depuis le passé sans commencement. Nous révélerons la nature immuable inhérente en nous-mêmes, ainsi que la sagesse mystérieuse nous permettant de prendre conscience du Dharma Merveilleux. Nous goûterons un état de vie aussi indestructible que le diamant. Comment pourrions-nous alors être, si peu que ce soit, différents du Bouddha [sorti des flots]  ? Le Vénéré Shakyamuni qui déclara : "Moi seul peux les sauver", à une époque encore plus ancienne que gohyaku-jintengo, est semblable à chacun d'entre nous. Tel est l'enseignement d'ichinen sanzen exposé dans le Sutra du Lotus. Notre comportement est une illustration des mots "Je suis toujours ici enseignant le Dharma."(réf.) Ainsi, nous sommes tous des entités concrétisant l'enseignement suprême du Sutra du Lotus et la noble vie du Bouddha Shakyamuni, même si les simples mortels n'en ont pas conscience. C'est ce que signifie le passage du chapitre Juryo* (XVI) qui dit  : "Les hommes dans l'illusion ne me voient pas, même lorsque je suis tout proche." La différence entre illusion et Éveil est comparable aux quatre visions différentes du bosquet d'arbres shala. Le bouddha d'ichinen sanzen est indéniablement celui qui, dans chacun des dix mondes-états, manifeste la nature de bouddha inhérente à sa vie.

Le démon qui apparut devant Sessen Doji était une métamorphose de Taishaku. La colombe qui implora la protection du roi Shibi était le dieu Visvakarman (Bishukatsuma). Le roi Shudama (Fumyo), emprisonné dans le château du roi Hanzoku, était le Vénéré Shakyamuni lui-même. Les yeux des hommes ne leur permettent pas de percevoir leur véritable identité, mais les yeux du Bouddha y parviennent. Comme le dit un sutra, [même si nous ne pouvons pas les voir], il existe des repères dans le ciel pour les oiseaux et dans la mer pour les poissons. Une statue de bois représentant le Bouddha peut être prise pour une statue d'or, et une statue d'or pour une statue de bois. L'or d'Aniruddha lui apparut d'abord sous la forme d'un lièvre puis sous celle d'un cadavre. Le sable que Mahanama tenait dans le creux de la main se changea en or. Ces phénomènes dépassent l'entendement humain. Un simple mortel est un bouddha, et un bouddha est un simple mortel. C'est exactement le sens d'ichinen sanzen et celui de la phrase "le temps est sans limite ni borne depuis que j'ai en fait atteint la bodhéité." (note)

Il est donc tout à fait possible que vous et votre femme soyez apparus ici en tant que réincarnation du Vénéré Bouddha Shakyamuni afin de me venir en aide. La route qui mène d'Ito à Kawana n'est pas longue, mais il nous est difficile de parler librement. J'écris cette lettre afin que vous puissiez la relire plus tard. Ne parlez pas de cela aux autres, mais réfléchissez-y vous-mêmes. Si quelqu'un soupçonnait l'existence de cette lettre, cela pourrait vous nuire. Gardez cela au fond du coeur et n'en parlez jamais.

Avec mon plus profond respect,
Namu Myoho Renge Kyo.
Nichiren.

Le vingt-septième jour du sixième mois de la première année de Kocho [1261].

ARRIERE-PLAN - Cette lettre fut adressée le 27 juin 1261 à Funamori Yasaburo qui habitait à Kawana, petit village de pêcheurs situé sur la côte nord-est de la péninsule d'Izu, à environ quatre-vingt-dix kilomètres à l'ouest de Kamakura. Nichiren Daishonin, alors âgé de quarante ans, se trouvait en exil à Izu. Yasaburo était plus couramment connu sous le nom de Funamori (littéralement "capitaine de bateau") parce qu'il dirigeait une entreprise de pêche. Lui et sa femme protégèrent le Daishonin durant son exil, au risque même de leur vie, et se convertirent à son bouddhisme. Par la suite, le Daishonin leur envoya plusieurs lettres pour les remercier de leur aide pendant les presque deux ans de son exil à Izu.
En 1260, Nichiren Daishonin avait soumis le Rissho Ankoku Ron (Traité pour la pacification du pays par l'établissement du Dharma correct) à Hojo Tokiyori, l'ancien régent. Dans ce traité, Nichiren Daishonin affirmait que le Japon s'opposait au Dharma correct et favorisait les doctrines erronées, tout spécialement le Nembutsu. Cette lettre était une longue thèse imputant le chaos de l'époque à la décadence religieuse. Non seulement son avertissement restera totalement ignoré, mais pire encore, un groupe d'adeptes du Nembutsu attaquèrent son modeste lieu de résidence, à Matsubagayatsu, dans l'intention de le tuer. Le Daishonin ne leur échappa que de justesse et se réfugia dans la province de Shimosa, chez Toki Jonin, un seigneur influent devenu son disciple. Mais moins d'un an plus tard, son sens de la mission le poussa à revenir à Kamakura pour y reprendre la propagation.
Les moines du Nembutsu, que sa capacité à attirer des disciples inquiétait, intriguèrent pour présenter des accusations fausses le concernant au gouvernement de Kamakura. Le régent de l'époque s'appelait Hojo Nagatoki. Son père, Shigetoki, était adepte du Nembutsu et ennemi confirmé du Daishonin. Sans enquête ni procès, le régent admit les charges et, le 12 mai 1261, condamna Nichiren Daishonin au bannissement à Ito, dans la péninsule d'Izu. Parce que la région d'Izu était entièrement gagnée à l'école Nembutsu, un tel exil mettait donc la vie de Nichiren Daishonin gravement en danger.
Les représentants du gouvernement chargés de conduire le Daishonin par bateau à Izu n'allèrent apparemment pas jusqu'à Ito. Ils préférèrent abandonner leur prisonnier sur une plage, à Kawana, le laissant à la merci des habitants des environs. Il se trouva que Yasaburo, qui vivait non loin de là, le découvrit par hasard et le recueillit dans sa propre maison où il lui offrit le gîte et le couvert. Nichiren Daishonin vivait depuis environ un mois chez Yasaburo lorsque le seigneur de la région d'Ito, Ito Sukemitsu, eut vent de sa présence. Gravement malade, il envoya un messager pour demander au Daishonin de venir prier pour sa guérison. Ito recouvra la santé et, en guise de remerciement, offrit au Daishonin une statue du Bouddha trouvée dans la mer.
Quand le Daishonin se rendit à Ito afin de prier pour la guérison du seigneur, Yasaburo et sa femme eurent tous deux quelque inquiétude pour sa sécurité. Yasaburo lui envoya donc un messager à Ito avec divers dons. L'exil d'Izu est la réponse du Daishonin que le messager rapporta au retour. Six mois seulement après que Nichiren Daishonin ait été envoyé en exil, les habitants de Kamakura apprirent avec effroi la mort de Hojo Shigetoki, frappé par un mal mystérieux. Peu après, apparemment sur la proposition de l'ancien régent, Hojo Tokiyori, le gouvernement accorda son pardon, et Nichiren Daishonin revint à Kamakura en février 1263. (Commentaire ACEP)

En anglais : The Izu Exile

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=35&m=1&q=The%20Izu%20Exile
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_IzuExile.htm

- http : //la.nichirenshu.org/teachings/izupersecution.htm (Nichiren Shu)

Retour
haut de la page