Un enfant du Bouddha par Kosho Niwano (Président statutaire de Rissho Kosei-Kai) |
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Conférence extraordinaire tenue lors de la Réunion du Dharma 2013 pour les responsables |
J’adore la parabole du quatrième chapitre du Sutra du Lotus sur le fils pauvre parce qu’elle me touche au plus profond quand je m’imagine ce qu’il a dû ressentir après avoir appris qu’il était l’enfant du Bouddha. Car, malgré le dur travail accompli pour devenir intendant, s’il n’eût pas eu vent de la vérité, il n’aurait jamais découvert que le trésor qu’il contemplait chaque jour en réalité lui appartenait ; sans cette révélation, il aurait continué à mener une vie misérable. Toutefois, lorsqu’il eut pu franchir le pas, sa vision du monde changea complétement. Ce que je veux dire par là, c’est que seul notre état d’Éveil peut nous faire comprendre la richesse des enseignements. Parfois les gens viennent me voir en me disant qu’ils savent maintenant combien ils étaient misérables auparavant. J’interprète cela comme le fait que leur rencontre avec la parole du Bouddha leur a fait comprendre leur égoïsme et aveuglement passés. Le vrai sens de cette parabole, ainsi que nous l’ont narrée les quatre disciples du Bouddha Shakyamuni, est que rien ne devrait nous réjouir plus que de savoir que nous sommes des enfants du Bouddha. En tant que pratiquants de Rissho Kosei-kai, nous le savons déjà, mais peut-être que cela n’a pas toujours atteint notre conviction la plus intime. Une telle compréhension, en effet, change radicalement notre approche de l’autre et l’état d’esprit que nous arborons en interagissant avec nos semblables. Le seul fait de comprendre que nous sommes des enfants du Bouddha, en effet, nous permets d’accéder aux immenses trésors paternels qui, en fin de compte, nous appartiennent et dont nous pouvons disposer à notre guise. Du coup, si ces trésors sont à moi, tout ce qui se passe autour de moi en fait partie aussi et je me l’approprie : les problèmes, les soucis des gens, etc. Les gens se confient à moi d’habitude pour me parler de leurs problèmes en espérant que je leur trouve la solution en me basant sur les enseignements bouddhiques. Or, ceux qui sont conscients d’être les enfants du Bouddha, savent qu’ils peuvent atteindre la félicité d’eux-mêmes en utilisant tous les pouvoirs que les trésors confèrent, à savoir : prêter oreille aux malheurs des autres, se débarrasser de l’attachement à l’aversion, ouvrir pleinement le cœur pour y découvrir enfin la bonté innée qui respecte les efforts accomplis. Voilà toutes les richesses des enfants du Bouddha ! Si vous pensez que votre pratique religieuse ne concerne que vous, vous considérez automatiquement que les problèmes des autres ne vous concernent pas. Même si vous partagez avec eux vos enseignements pour essayer de les réconforter, rien n’y fera si vous n’avez d’abord accepté le trésor que le Bouddha vous offre, c’est-à-dire l’empathie, le fait de vous approprier la souffrance qui vous entoure. Peu importe la quantité de pratique religieuse: si vous n’ouvrez pas votre cœur, vous serez un intendant en apparence avec un cœur de fils pauvre. Ainsi que le montre la parabole, ce qui compte pour le Bouddha n’est pas de rendre les gens heureux en les conseillant et en les corrigeant. L’important est de comprendre [lat. “prendre” cum “avec soi”] leurs problèmes et de les faire devenir notre trésor, notre richesse. Comment alors approcher toute relation ? En se rappelant que tout rapport est un seul et unique trésor. Voilà l’essence des enseignements du Bouddha. Une attitude qui ferait la séparation entre moi et les autres, nous ramènerait inconsciemment à l’état d’esclave (en dépit même de notre vaste culture bouddhique). Si nous n’acceptons pas le fait d’être des enfants du Bouddha, nous ne comprendrons pas le cœur des ses enseignements, son cœur à lui. La différence peut sembler subtile mais, en fait, c’est elle qui vous fait choisir le bon chemin et vous montre le monde tel que le Bouddha le voyait, sans aucun égoïsme ni égocentrisme. Et puisqu’il nous a enseigné que nous devons accepter ce qui se présente à nous, autant le considérer comme un trésor. Tout petit accident de la vie, acceptons-le en tant que trésor précieux, qu’il nous serve à mûrir et respectons les personnes à qui ça arrive. Or, ce qui se passe généralement, c’est que quand survient un grand problème, nous nous érigeons en paladin, nous essayons d’aider les personnes en difficulté corrigeant leurs fautes, oubliant du coup la profonde révérence de la souffrance d’autrui et, par là même, les enseignements du quatrième chapitre. Cela peut partir d’un bon esprit : vouloir apporter notre aide avec toute notre gentillesse. Mais chercher à corriger des fautes ou résoudre les problèmes à la place des autres, nous fera faire immédiatement un bond en arrière, vers cet état d’esclave qui voit le monde avec ses propres yeux obscurcis et non ceux du Bouddha. Notre fondateur, Nikkyo Niwano, disait que si nous essayons de libérer les autres sans reconnaître leur nature de bouddha, nos gestes seront dépourvus de conséquences, ils resteront purement formels. On ne peut parler de vraie délivrance que quand nous réussissons à révéler en l’autre sa vraie nature innée de bouddha. Cela est vrai particulièrement lors de graves problèmes. La première chose à faire est de les mettre de côté et apprendre à respecter d’abord la personne qui souffre et que nous avons en face de nous. Cela s’opère en parcourant le chemin indiqué par le Sutra du Lotus. Respecter ? Révérer ? Quel est donc le sens de ces attitudes ? Respecter veut dire qu’on reconnaît que le bonheur est présent ici et maintenant. La vie de la personne que nous voulons aider est ainsi faite et non autrement. Nous ne la respectons pas parce que nous en attendons un changement : nous la respectons parce que toute vie est à respecter. Quand nous aurons compris la réalité d’ici et maintenant, le Bouddha entrera dans notre cœur, pénétrera notre esprit et le bonheur qui s’ensuivra conditionnera la suite des événements. Le vrai héros est celui qui se libère des conditionnements et de l’espoir pour vivre pleinement à l’instant présent sa propre vie, non celle des autres. C’est ce que nous enseigne la parabole. Connectez-vous au bouddha et vous vous connecterez aux autres. Un exemple me vient à l’esprit. Il y avait une jeune femme qui avait deux filles. Elle traitait l’aînée plus sévèrement que l’autre et bien qu’elle en fût consciente, elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle-même avait eu des parents à problèmes et une enfance malheureuse. Elle pensait pouvoir s’affranchir du passé en prenant en main sa vie d’adulte et en devenant complétement indépendante. Mais l’impertinence de sa fille la faisait facilement sortir de ses gonds, ce qui la poussait à la traiter avec une plus grande sévérité. Elle me l’avait confié et ma première réaction, certes, avait été de l’aider. Mais après réflexion, il m’avait paru plus important d’éprouver un sentiment de joie. Respecter la souffrance des gens veut en effet dire trouver le plus petit indice de réjouissance dans leur vie, même si minime, et le mettre en évidence. Une approche normale m’aurait fait dire à la mère : «Je crois que vous avez trop d’attentes parce que votre fille est l’aînée». Laissez tomber ce que les autres disent ou si la personne impliquée n’est pas d’accord avec vous : fiez-vous à votre intuition et laissez-la parler. À cette occasion les mots réconfortants qui sortirent de ma bouche furent : «Vous vous souciez vraiment de votre fille. Vous êtes sûrement une bonne mère. Vous êtes ‘super’». Une responsable de secteur me raconta un jour que ses fils étaient tous trois déprimés et ne sortaient plus de la maison. Ils ne pouvaient compter que sur leur mère pour subsister. Par chance, elle avait un travail et de quoi les nourrir et ils pouvaient donc rester chez eux ; mais est-ce que cela en faisait des enfants heureux pour autant ? Immédiatement, nous aurions tendance à dire, en entendant cette histoire, que la situation est franchement mauvaise : quelqu’un qui se renferme chez lui doit être sérieusement malade. Mais au lieu d’essayer de trouver désespérément le bon dans cette situation, envisageons-la d’un autre point de vue : elle est parfaite car elle est comme elle est et, toute chose étant impermanente, tôt ou tard elle changera. La femme avec ses trois fils était vraiment une mère merveilleuse. D’ailleurs, somme toute, ses enfants reprirent goût à la vie et connurent le bonheur. Tout changea quand une collègue lui eut manifesté une attitude chaleureuse. Moins d’un mois après, l’aîné des trois avait trouvé un travail et une nouvelle copine. Qu’est-ce qui avait rendu possible un tel bouleversement ? D’un côté, il y avait eu la bonté de sa collègue, de l’autre l’assimilation de l’esprit et du cœur de la parole de Bouddha (le Dharma) qui avaient pu pénétrer le sien et celui de son fils. En révérant la nature de bouddha, elle avait réussi à regarder sa vie avec les yeux chaleureux du Bouddha. Mais l’histoire ne se termine pas là car aussitôt la mère commença à s’inquiéter pour le poste de son fils. On pourrait se dire qu’elle manqua de gratitude, les problèmes initiaux ayant été résolus. Ou bien alors, on pourrait continuer à respecter ses peurs : elle avait peur car, justement, c’était une bonne mère. Mon souhait est donc que nous devenions capables de voir le bouddha dans les problèmes de chacun. Notre fondateur prônait d’éviter le mal et de ne se consacrer qu’au bien. «Purifiez votre cœur et votre esprit» disait-il «voici ce qu’est l’enseignement du Bouddha». Mieux vaut le faire alors grâce à l’aide d’un sangha, d’un groupe d’amis. En effet, le cœur humain est instable et tangue facilement sous l’influence de l’entourage. Il est très important, donc, de fréquenter des gens dévoués aux bonnes actions comme vous, qui essayent de s’améliorer en purifiant leur cœur et esprit. Si nous avons ce but commun, nous pouvons avoir une vie heureuse. Ce qui compte aussi, c’est de trouver le bonheur dans l’instant précis, et non pratiquer pour un bonheur futur. Nous ne savons pas ce qui se passera demain : le seul moment tangible est maintenant. Le Bouddha Sakyamuni comprit que la souffrance est inhérente à la vie. Si nous essayons de l’éviter, nous ne serons jamais satisfaits. La souffrance est incessante et ne s’arrête jamais. À nous donc de trouver pendant les pauses le bonheur dans la moindre petite chose et à en être reconnaissants. C’est la seule façon d’atteindre la félicité. Soyez celui qui décide pour votre vie ; choisissez quel type de personne vous serez, comment vous vous positionnerez envers les autres car chaque rencontre peut changer les personnes. Si l’apprentissage des enseignements n’est pas à négliger, ce qui compte le plus c’est la rencontre avec les gens, le respect qu’on leur porte et la mise en pratique de la foi, pas seulement pour les aider, mais aussi pour que nous avancions spirituellement. La possibilité de connaître le bonheur absolu existe ; il suffit pour cela de voir la vie avec le cœur et l’esprit des enfants de Bouddha. |