La persécution par le sabre et le bâton

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 2, p. 329 ; SG* p. 972.
Gosho Zenshu p. 1555 - Ueno Dono Gohenji (Tojo Nan no koto)


Minobu, 20 avril 1279 à Nanjo Tokimitsu

Parmi plusieurs persécutions graves auxquelles j'ai été confronté, les plus grandes ont été celle de Tatsunokuchi où j'ai failli être décapité, et celle de Tojo [à Komatsubara]. Car de toutes les difficultés, les plus grandes sont celles où l'on risque sa vie. Etre insulté, dénoncé, exilé, accusé à tort, et frappé au visage, est relativement fréquent. Mais moi, Nichiren, suis la seule personne au Japon à avoir été maltraité à la fois physiquement et moralement [parce que je pratiquais le Sutra du Lotus].

Si quelqu'un d'autre a été calomnié comme moi, ce n'était pas à cause du Sutra du Lotus. En particulier, je ne pourrai jamais l'oublier, c'est avec le cinquième volume du Sutra du Lotus (note) que Shofu-bo me frappa au visage. Son agression à mon égard était causée par les trois poisons.

Il y eut autrefois en Inde une femme jalouse (réf.) dans une telle rage contre son mari qu'elle cassa tout dans la maison. L'excès de sa fureur déformait complètement ses traits  ; ses yeux étincelaient comme le soleil et la lune, et sa bouche semblait cracher du feu. Elle avait très exactement l'apparence d'un démon bleu ou d'un démon rouge. Elle s'empara du cinquième volume du Sutra du Lotus que son mari récitait depuis plusieurs années et le piétina sauvagement des deux pieds. Plus tard, lorsqu'elle mourut, elle tomba toute entière en enfer, à l'exception de ses deux pieds. Les gardiens de l'enfer eurent beau essayer de les faire descendre en les frappant avec des barres de fer, ses pieds ne pénétrèrent jamais en enfer grâce au bienfait d'avoir créé un lien, même d'opposition, avec le Sutra du Lotus, en le piétinant. Shofu-bo m'a frappé au visage avec le cinquième volume du Sutra du Lotus parce qu'il me haïssait. Ainsi, comment n'aurait-il pas lui aussi créé un lien d'opposition avec ce Sutra ?

L'un de ces événements se produisit en Inde, l'autre au Japon. L'un fut perpétré par une femme, et l'autre par un homme ; dans l'un des cas, la violence fut exercée par deux pieds, et dans l'autre, par deux mains ; l'une était motivés par la jalousie, et l'autre, par le Sutra du Lotus. Toutefois, [dans les deux cas], c'est le même cinquième volume du Sutra du Lotus [qui est concerné]. Les pieds de la femme n'étant pas entrés en enfer, pourquoi en irait-il différemment des mains de Shofu-bo  ? La femme, pourtant ne détestait que son mari et non le Sutra du Lotus lui-même, tandis que Shofu-bo haïssait le Sutra du Lotus et moi, Nichiren. Par conséquent, c'est son corps tout entier qui ira en enfer. Comme le dit le Sutra  : "Après sa mort, il tombera dans l'enfer avici."(réf.) Il n'est dit nulle part que ses mains n'iront pas en enfer. Comme c'est regrettable  ! Comme c'est regrettable  ! Un jour il finira par me rencontrer de nouveau et pourra atteindre la bodhéité, comme les personnes arrogantes de quatre congrégations, qui persécutèrent le bodhisattva Fukyo.

Le cinquième volume contient le coeur du Sutra du Lotus, car il révèle que la fille du Roi-Dragon a atteint la bodhéité sans changer d'apparence. Devadatta représente l'aspect spirituel de l'Éveil, et la fille du Roi-Dragon, l'aspect physique. Nulle part ailleurs, dans les enseignements donnés par Shakyamuni de son vivant, on ne trouve de principe comparable à celui-là [l'atteinte de la bodhéité sans changer d'apparence]. Le Grand-maître* Saicho* énuméra dix principes remarquables qui placent le Sutra du Lotus au-dessus de tous les autres. L'un d'eux est l'atteinte de la bodhéité sans changer d'apparence [en tant que simple mortel]. C'est le principe le plus important de la doctrine de l'école Tendai, et une partie du Hokke Mongu* a pour titre : "Le principe suprême de l'atteinte de la bodhéité sans changer d'apparence". C'est également un élément de controverse entre les écoles Shingon et Tendai. La fille du Roi-Dragon atteignit l'Éveil grâce au pouvoir du Sutra du Lotus. Le bodhisattva Manjushri déclara : "Je proclame toujours et j'enseigne uniquement le Sutra du Lotus." Les mots "uniquement" et "toujours" constituent l'essentiel de cette citation. Toutefois, on lit dans le Bodaishin Ron : "[le principe de l'atteinte de la bodhéité sans changer d'apparence] se trouve uniquement dans les enseignements du Shingon." A quel "uniquement" pouvons nous faire confiance  ? C'est le Bodaishin Ron qui doit se tromper. Il est dit dans le Sutra Muryogi  : "Durant les quarante et quelques années qui viennent de s'écouler, je n'ai pas encore révélé la vérité."(réf.) Et on lit dans le Sutra du Lotus  : "L'Honoré du monde expose ses enseignements depuis longtemps et doit maintenant révéler la vérité."(réf.) Le bouddha Taho affirmait que seul le Sutra du Lotus permet d'atteindre la bodhéité sans changer d'apparence lorsqu'il disait  : "Tout ce que vous [Bouddha Shakyamuni] avez exposé est la vérité." (réf.) Même si les croyants des enseignements provisoires répètent à l'envi que l'on peut atteindre l'Éveil grâce aux enseignements antérieurs au Sutra du Lotus, il est aussi facile de réfuter leurs affirmations que de briser mille poteries avec un seul marteau. [Zhiyi* déclare : ] "La pratique du Sutra du Lotus est shakubuku, la réfutation des enseignements provisoires."(réf.) Le Sutra du Lotus est, en vérité, de tous les enseignements le plus profond et le plus ésotérique.

Depuis Ennin*, les maîtres de l'école Tendai ont interprété les passages du Hokke Gengi, du Hokke Mongu*, et du Maka Shikan de multiples manières, et en ont donné des explications plausibles. Leurs interprétations nous sont cependant aussi inutiles que le calendrier de l'année dernière ou le repas d'hier. Dans les cinq cents premières années des Derniers jours du Dharma, s'il se trouve quelqu'un pour dire qu'il existe une autre voie vers l'Éveil que le Titre du Sutra du Lotus, vous ne devez pas le suivre, même s'il se base sur les enseignements du Bouddha, et moins encore si ce n'est que l'opinion d'un maître quelconque.

Le chapitre Daibadatta* (XII) enseigne que Devadatta était le maître de Shakyamuni dans une existence passée. Celui qui était autrefois le maître est maintenant le disciple, et celui qui est aujourd'hui le disciple fut le maître. [En méditant sur ce chapitre, moi, Nichiren, j'ai réalisé qu'] il révèle un profond principe du Sutra du Lotus, celui de l'inséparabilité du maître et du disciple [éternellement liés] par le passé comme au présent. Ainsi, le bienveillant Bouddha Shakyamuni est devenu le maître du malfaisant Devadatta, et le sage Manjushri, est devenu le maître de la fille ignorante du Roi-dragon. Nichiren, ne peut pas être inférieur à Manjushri, ou au Bouddha Shakyamuni. Les hommes du Japon sont semblables à Devadatta et les femmes, semblables à la fille du Roi-Dragon. Qu'ils suivent le Sutra du Lotus ou s'y opposent, ils atteindront la bodhéité grâce à lui. Tel est le sens profond du chapitre Devadatta.

A propos du chapitre Kanji* (XIII), [je voudrais dire que] seul, moi, Nichiren, j'ai vécu dans mon propre corps la strophe en vingt vers de ce chapitre qu'une innombrable multitude de bodhisattva a récité à l'unisson. Depuis la disparition du Bouddha, qui, dans les trois pays, en Inde, en Chine et au Japon, a jamais lu cette strophe comme je l'ai fait  ? Personne ne le prétend, et je ne crois pas non plus que quiconque l'ait jamais fait. Dans le chapitre Kanji* (XIII), il est dit : "[De nombreux ignorants nous attaqueront] avec des sabres et des bâtons." Peut-être certains ont-ils été battus à coups de bâtons, mais je n'ai jamais entendu dire que quiconque ait été blessé par le sabre.

[Nous savons que] le bodhisattva Fukyo fut attaqué à coups de cannes, comme il est dit dans le Sutra : "Ils le frapperont à coups de cannes et de bâtons, et lui jetteront des pierres et des tuiles." Mais il ne connut pas la persécution par le sabre. Zhiyi*, Zhanlan*, Saicho* et d'autres n'ont pas connu cela, [en accord avec la phrase : ] "Il sera épargné par le sabre et le bâton."(réf.) Cependant, moi, Nichiren, j'ai subi coups de bâtons et de sabres. Comme je l'ai déjà mentionné, je fus attaqué par le sabre à Komatsubara, Tojo, et [plus tard] à Tatsunokuchi. Personne d'autre n'a été ainsi attaqué [pour la cause du Sutra du Lotus], ne serait-ce qu'une fois, mais moi, Nichiren, je l'ai été à deux reprises. Quand aux coups de bâtons, j'ai déjà été frappé au visage, par Shofu-bo, avec le rouleau du cinquième volume du Sutra du Lotus. Par une coïncidence mystérieuse, c'est justement ce rouleau qui contient la prédiction [que les pratiquant du Sutra du Lotus seront attaqués à coups de bâtons]. Shofu-bo me frappa devant des dizaines de personnes ; et j'avais beau savoir que c'était pour la cause du Sutra du Lotus, parce que je suis un être humain, si j'en avais eu la force, j'aurais arraché le bâton de ses mains et l'aurais brisé à coups de pieds ; mais il s'agissait en fait du cinquième rouleau du Sutra du Lotus.

Cela me rappelle une histoire (réf.) : un père, inquiet pour l'avenir de son fils, battit le garçonnet avec un arc en buis parce qu'il refusait d'étudier. Sur le moment le fils haït son père pour ce qu'il faisait et détesta l'arc en buis. Mais il continua ses études et progressa  ; il parvint finalement à un grand Éveil personnel, et devint capable d'aider les autres. Rétrospectivement, [il comprit que] c'était grâce à la correction [administrée par son père] avec l'arc en buis. On dit que, par gratitude, il fit ériger un stupa en buis pour honorer la mémoire de son père.

Il en est de même pour Nichiren. Quand j'atteindrai la bodhéité, comment pourrai-je oublier ma dette de reconnaissance envers Shofu-bo  ? J'oublierai encore moins celle que j'ai à l'égard du rouleau du Sutra du Lotus [avec lequel il m'a frappé]. En pensant à cela, je ne peux retenir des larmes de gratitude.

J'ai également un lien particulier avec le chapitre Yujutsu* (XV) puisqu'il y est dit que le bodhisattva Jogyo, ainsi que d'autres, apparaîtront à l'époque des Derniers jours du Dharma pour propager les cinq caractères de Myoho Renge Kyo. Moi, Nichiren, suis le premier et le seul à être apparu. Qu'il est rassurant de penser que je recevrai certainement les louanges de bodhisattva aussi nombreux que les grains de sable de soixante mille Gange  ! Quoi qu'il en soit, consacrez-vous au Sutra du Lotus et ayez foi en ses enseignements. Il ne suffit pas d'être seul à y croire, mais vous devez aussi encourager les autres à le pratiquer, afin de sauver ceux qui furent vos parents dans les vies passées et les autres. Depuis le jour où je suis né, jusqu'à présent, moi, Nichiren, je n'ai jamais connu un instant de répit ; je n'ai eu qu'une pensée, celle de propager le Titre du Sutra du Lotus. J'ignore combien de temps je vivrai et ne connais pas le moment de ma mort ou de celle des autres, mais je ne manquerai pas d'être à vos côtés pour vous guider au moment où vous passerez de cette vie à la suivante. Tous les bouddhas des trois phases de l'existence atteignent l'Éveil entre l'heure du Boeuf et l'heure du Tigre. Dans les Trois Pays, le lieu de la pratique bouddhique est situé au nord-est, en direction de la porte des démons. Ce sont des enseignements [secrets] qui sont transmis respectueusement de maître à disciple. Je vous expliquerai cela plus en détail ultérieurement.

Avec mon profond respect.

Comme on désire de la nourriture quand on a faim, de l'eau quand on a soif ; comme on attend l'être aimé quand on est amoureux, un médicament quand on est malade ; comme une femme belle utilise de la poudre et du rouge [pour rehausser sa beauté], il faut croire au Sutra du Lotus. Sinon, plus tard, vous le regretterez.

Nichiren.

Le vingtième jour du quatrième mois de la seconde année de Koan (1279).

ARRIERE-PLAN - Ce gosho fut écrit le 20 avril 1279, alors que Nichiren Daishonin avait cinquante-huit ans. Durant les cinq années écoulées depuis sa retraite au Mont Minobu, la première invasion mongole s'était produite et la seconde semblait maintenant imminente. Nichiren Daishonin inspirait un respect de plus en plus grand en raison de la justesse de ses prédictions. Grâce aux sincères efforts de Nikko Shonin, son bouddhisme se propageait rapidement, particulièrement dans la région d'Atsuhara, près du Mont Fuji.
L'année 1279 fut particulièrement importante puisque le 12 octobre, Nichiren Daishonin inscrivit le Dai-Gohonzon, accomplissant ainsi le but de sa venue en ce monde. A peu près à la même époque, des paysans d'Atsuhara qui pratiquaient son enseignement subirent de terribles persécutions de la part des autorités, qui culminèrent avec l'exécution des trois frères Jinshiro, Yagoro et Yarokuro. Le destinataire de cette lettre, Nanjo Tokimitsu, seigneur de la région d'Ueno, pratiquait sincèrement sous la direction de Nikko Shonin et, au moment de la persécution d'Atsuhara, mit en jeu sa propre sécurité pour protéger les paysans. Tokimitsu reçut une trentaine de lettres personnelles du Daishonin. (Commentaire ACEP)

En anglais : Persecution by Sword and Staff

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=962&m=1&q=Persecution%20by%20Sword
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_SwordStaff.htm

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