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5. Enseignement, pratique et preuve
Kyo Gyo Sho

Ryuei Michael McCormick


Pensées sur l’Éveil Originel
(Atemporel)

« Les actes négatifs sont tout d’abord non-substantiels.
Il en résulte des pensées erronées et des perversions.
Parce que la nature de l’esprit est pure à l'origine,
Les êtres sensitifs sont intrinsèquement bouddhas. »
(in Jacqueline Stone. L’illumination originelle et la Transformation du bouddhisme Japonais à l’époque médiévale. University of Hawai'i Press. 2003.p. 222)

En lisant ce texte nous pourrions être impressionnés par la déclaration concise et profonde selon laquelle, fondamentalement, tous les êtres sensitifs sont des bouddhas, juste tels qu’ils sont, et que tous les crimes et la souffrance de ce monde sont simplement des phénomènes éphémères qui, en fin de compte, ont peu d’importance. Cependant, ces vers apparemment stimulants et graves ont sans doute été récités par le chef d'une bande de moines-guerriers tendai pendant qu’ils brûlaient un temple rival, comme cela a été consigné dans les premières versions du Heike Monogatari (Le Dit des Heike). Comment une telle abjection a-elle pu se produire ?

Comment la croyance dans la nature de bouddha, présente dans tous les êtres, a-elle pu être pervertie au point de justifier l’agressivité et la destruction, la violence entre moines qui, théoriquement, devaient appliquer la conduite exposée par le Bouddha ? Beaucoup de personnes à l'extérieur de l'Asie, ont l'impression que le bouddhisme est une religion paisible de nonnes et de moines végétariens et passifs. Certains connaissent peut-être de réputation les moines de Shao Lin qui "ont inventé le Kung Fu", mais ils peuvent aussi imaginer que ces moines se battaient pour se défendre - et seulement lorsqu’ils n'avaient pas d’autre choix. Malheureusement, la réalité du bouddhisme n'est en rien différente de la réalité de toute autre religion. Même les idéaux les plus élevés peuvent être altérés et dévoyés par des leaders et des maîtres égocentriques et sans scrupules, afin de justifier des croisades ou des jihads. Mais comme dans les autres religions, ces interprétations égoïstes ne reflètent pas les vraies intentions des fondateurs qui seraient horrifiés de la façon dont leurs enseignements sont utilisés et corrompus. Dans le bouddhisme mahayana, on apprend que tous les êtres ont la nature de bouddha, autrement dit, le potentiel pour devenir bouddha, un Éveillé. Ce principe implique également que, même si dans leur essence tous les êtres sont bouddha et possèdent la capacité de parvenir à l’Éveil, ils n’y parviennent pas forcément. Les enseignements sur la nature de bouddha sont très complexes et donnent lieu à des interprétations fort diverses. Une interprétation particulièrement hasardeuse disait que tous les êtres sont bouddha, tels qu’ils sont. A mesure que cette interprétation s’est propagée, la distinction entre potentialité et réalité disparut : tous les êtres étaient des bouddhas et tout ce qu'ils disaient et faisaient, même si cela était contraire à la morale, était considéré comme actions de bouddha. Mais est-ce vraiment ce que le bouddhisme enseigne ? Est-ce que l’enseignement de la nature-de-bouddha conduit à la voie du ‘‘faire tout et n’importe quoi’’?

Nichiren ne le pensait certes pas. Il était très critique envers ceux qui enseignaient que l'on pouvait atteindre la bodhéité sans le facteur crucial – l’adhésion sincère au Sutra du Lotus. Mais que cela implique-t-il au juste ? Est-ce que cela signifie que tant que nous croyons en un texte particulier nous sommes bouddha et pouvons faire ce qui nous plaît ? Bien sûr que non ! Pour Nichiren, la foi dans le Sutra du Lotus signifie être fidèle à l’enseignement contenu dans le Sutra du Lotus ainsi qu’au Bouddha. La foi dans le Sutra du Lotus signifie croire que nous portons à l’intérieur de nos vies la capacité de vivre comme le Bouddha vécut, de suivre son exemple. Comment ? Mais laissons Nichiren en parler lui-même :

« Devenir bouddha n'a rien d'extraordinaire. Cela consiste, par exemple, à donner de l'eau à une personne qui a soif en période de sécheresse, ou à procurer du feu à une personne lorsqu'il fait froid. Ou encore, c'est donner quelque chose d’irremplaçable, ou aider une personne au péril de sa vie. » (Le riche Sudatta. Minobu 1280)

Nichiren est même allé jusqu’à comparer la pratique de daimoku avec celle du bodhisattva Fukyo dans le Sutra du Lotus.

« Il plantait les graines de la bodhéité avec un enseignement en vingt-quatre caractères, alors que je plante la graine avec un enseignement de cinq caractères seulement. L'époque est différente mais le principe qui permet de parvenir à l'Éveil est exactement le même. »  (Enseignement, pratique et preuve. Minobu, 1274)

La pratique du bodhisattva Fukyo consistait à saluer toute personne qu’il rencontrait avec les mots suivants (vingt-quatre caractères dans le Sutra du Lotus) :

"Je vous respecte profondément, je me garde de vous mépriser. Pourquoi cela? C'est que vous pratiquez tous la voie du bodhisattva et obtiendrez de devenir bouddha." (Sutra du Lotus. Chapitre XX)

Nichiren met l’accent sur Namu, l'expression de la foi, placé devant les cinq caractères du titre du Sutra du Lotus (Myo Ho Ren Ge Kyo) et parle de l’ensemencement de la bodhéité. Mais ni la pratique de Fukyo ni celle de Nichiren ne visent l’Éveil pour une satisfaction égoïste ou pour une auto-justification. Les deux pratiques voient tous les êtres comme des bouddhas potentiels que l’on doit traiter avec respect, compassion et amour-empathie. Les deux pratiques cherchent à permettre à tous les êtres de se libérer de leurs doutes et de leurs soucis afin de révéler la même sagesse et la même compassion que celles du Bouddha. La pratique du Sutra du Lotus doit ainsi nous permettre de voir et de traiter tous les êtres comme des bouddhas en puissance et nous permettre donc d’agir de la même manière que le Bouddha. Comme Nichiren l’a enseigné :

« Le cœur des enseignements de toute une vie de Shakyamuni est le Sutra du Lotus, et le cœur de la pratique du Sutra du Lotus est le chapitre Fukyo (XX). Quel est le sens du profond respect que manifestait le bodhisattva Fukyo aux êtres humains ? Le véritable sens de la venue du Bouddha Shakyamuni en ce monde fut d'offrir un modèle de comportement humain. Etre sage, c'est mériter le nom d'être humain. Ne pas réfléchir, c'est n'être rien de plus qu'un animal. » (Les trois sortes de trésor. Minobu, 1277)

SUITE : Enseignement de tous les bouddhas

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