La Triple nature du Bouddha

NBA et QR

6 décembre 2020 compte rendu par Béatrice et Alice

Cet échange s’est articulé autour du début du texte   La Triple nature du Bouddha   rédigé par le Révérend qui proposa que nous le lisions paragraphe par paragraphe, en alternant l’anglais et le français, de sorte à laisser une plage libre aux questions éventuelles après chaque paragraphe. Le Révérend a rédigé ce texte, qui fait partie de l’un de ses ouvrages, en vue de commenter l’un des grands traités de Nichiren, L’Objet Véritable de Vénération (Kanjin Honzon Sho).

Dans sa réponse à une question de son Traité sur l’Objet Véritable de Vénération, Nichiren cite le Scalpel du Diamant * dans lequel le patriarche de l’école Tiantai, Zhanlan (711-782) dit : « Une plante, un arbre, un galet, un grain de poussière - tout cela possède la nature de bouddha à l'état latent, en même temps que les autres causes et conditions nécessaires pour atteindre la bodhéité.» Dans ce même traité, Nichiren critique le Sutra de la Guirlande de fleur * et le Sutra Vairocana en ces termes : « Ils n'exposent pas les trois conditions requises pour atteindre la bodhéité : la nature de bouddha innée, le potentiel pour la réaliser et la cause externe qui lui permet de se développer. Comment peut-on alors définir ces sutras comme la graine de la bodhéité* ? »

Ces mots se réfèrent à une discussion sur la doctrine d’ichinen sanzen [3000 mondes en un instant-pensée] en tant que fondement de la graine de bodhéité *. Dans les deux passages ci-dessus, Nichiren se réfère, en fait, au concept de la Triple nature de Bouddha (buddhadhatu, busshin) enseigné par l’école Tiantai. Dans le Hasshu Imoku-Sho (Traité sur les différences entre l’école du Lotus et les Huit autres écoles), Nichiren cite ce passage extrait des Mots et Phrases du Sutra du Lotus * de Zhiyi (538-597),  le Grand-Maître du Tiantai

Le  Dharmakaya* possède la ''cause véritable de la nature de bouddha*, et celle-ci est inhérente à chacun tout au long de la succession de ses vies passées, présente et futures. Chacun est par nature doté des graines de ''cause de sagesse'' (ryo-in bussho) et de ''cause de manifestation'' (en-in) de la boddhéité ; ces natures de bouddha (dharmadhatu, bussho) ne sont pas acquises, pas plus qu’elles ne sont le résultat de la pratique bouddhique.

Dans le Shimon Butsujo-gi (Ecouter pour la première fois ce qu’enseigne le Bouddha sur le Véhicule unique), Nichiren cite ce passage extrait du texte de Zhiyi (Sens caché de la fleur du Dharma *)

« Quiconque possède un esprit recèle en lui les graines (busshu) de nature de bouddha (bussho). Il suffit qu’une personne entende une seule phrase de ce Sutra pour qu’elle possède la graine de sagesse (ryo-en) qui lui permettra de réaliser sa nature de bouddha. Que quelqu’un joigne ses mains et s’incline en prière devant le Bouddha, c’est planter la graine de l’action (in-en) pour progresser vers la bodhéité. »

La triple nature de bouddha se compose de trois causes inhérentes à tous les êtres, lesquelles mènent aux Trois Corps du Bouddha.

La première est la ''cause véritable de la nature de bouddha'' (shoin-bussho) qui représente la véritable nature de tous les phénomènes. Quand les pensées adventices, les imperfections et les impuretés obscurcissent cette ''nature de bouddha'' (bussho) et la rendent méconnaissable, il s’agit du sens générique du terme, mais quand nous réalisons cette nature de bouddha, elle devient le Corps du Dharma (dharmakaya hosshin)

La deuxième cause est celle de la ''sagesse-discernement'' (ryo-en), à savoir la graine de sagesse qui nous éveille à notre vrai nature. Cette graine de sagesse s'épanouit dans le Corps de Rétribution (sambhogakaya, hoshin).

La ''cause favorisant la nature de bouddha'' (in-en ) est la graine de toutes les actions et pratiques salutaires qui actualisent notre véritable nature : c’est la graine qui fleurit dans le Corps de Manifestation (nirmanakaya oshin).

Ces capacités ou graines ne sont pas le résultat d’une pratique bouddhique, ou du fait qu’on est bouddhiste : c’est notre triple nature de bouddha qui nous permet de recevoir le Dharma et de le pratiquer.

Pour évoquer la nature de bouddha, Nichiren se réfère dans son Traité sur le Véritable Objet de Vénération au texte de Zhiyi Grand Arrêt et Introspection*, où sont définis six types d’identité (roku soku). Selon Zhiyi, tous les êtres possèdent six niveaux d’identité et de bodhéité.

  • Au premier niveau vient ''l’identité de principe'' (ri-soku) qui implique que tous les êtres sensitifs ont théoriquement une nature identique à celle du Bouddha, ce qui veut dire qu’ils font partie de la même réalité ou de la même ainsité, mais qu’ils ne s’en rendent pas compte ou ne vivent pas conformément à cette nature.
  • Le deuxième niveau, qui relève de ''l’identité denomination'' (myoji soku), comporte la notion que les êtres qui entendent le Dharma et arrivent à en saisir le concept, comprennent qu’ils ont part à la nature de bouddha *, mais n’arrivent pas encore à vraiment réaliser ce que cela signifie.
  • Le troisième niveau est celui de 'identité de la pratique contemplative (kangyo soku)  : il sous-entend tous les êtres qui commencent à pratiquer le bouddhisme pour réaliser l’Eveil et actualiser leur nature de bouddha*.
  • Le quatrième niveau, ''identité de ressemblance (soi soku) implique que tous les êtres commencent à reproduire le comportement d’un bouddha.
  • Au cinquième niveau, celui de ''identité de la vérité partielle (bunshin soku), les êtres ont presque su éradiquer leur ignorance, et su révéler la sagesse et le mérite de leur nature de bouddha*.
  • Le sixième et dernier niveau est celui de ''identité ultime (kukyo soku) qui contient la notion d’atteindre la bodhéité, ou plutôt celle d’actualiser cette bodhéité du fait qu’elle va de pair avec la nature de bouddha * (réf.).

Zhiyi enseigne que tous les êtres possèdent la nature de bouddha* et que le monde de la bouddhéité se trouve au sein de leur vie, raison pour laquelle tous peuvent espérer réaliser cette nature de bouddha*. Mais l’unique manière de la réaliser et de l’actualiser, c’est de pratiquer. L’objectif de cet enseignement est double : éviter le désespoir d’une part et d’autre part, éviter une attitude égotiste, empreinte d’arrogance et de prétention. C’est pourquoi Zhiyi recommande ceci :

« Si l’on manque de foi, l’on pensera que les voies des sphères célestes sont si élevées et lointaines qu’il n’existe pas d’avantage à devenir sage, tandis que si l’on manque de sagesse, l’on deviendra extrêmement arrogant en se déclarant l’égal du Bouddha.» (réf.)

Dans d’autres écrits, comme le Kaimoku-sho (Traité qui ouvre les yeux), Nichiren cite ce passage en critiquant Honen et son école de la Terre Pure, disant que cette école manque de foi dans la bodhéité inhérente à la personne. Il critique aussi Dainichi (Nonin) et son école Zen à cause du regard arrogant et présomptueux que Dainichi porte sur cette question.

L’élément important à retenir est que cette vision de la nature de bouddha* implique qu’il s’agit pas d’une entité statique, quelque chose ayant une nature en-soi. La nature de bouddha* relève d'une authenticité non-conditionnée ou l’Ainsité (nyonyo) de la vie, qui se manifeste sous la forme d’un flux de causes et conditions interdépendantes où n'existe aucun en-soi qui puisse être cerné ; c'est le fait d'entendre et de réfléchir sur le Dharma mènant à la sagesse ; c’est le fait de révérer le Bouddha menant à l’action juste.  

Ainsi, pourrait-on que la nature des êtres sensitifs (et des êtres non sensitifs selon le principe de non-dualité) n'est pas pas simplement de la même nature que celle du Bouddha en termes de substance statique ou spirituelle. C’est le fait que c’est nous qui possédons la même nature que le Bouddha partageant une nature qui, sur un plan ultime, n’est pas figée ni ne possède de nature en-soi ; ensuite parce que nous sommes capables de développer la sagesse, et enfin parce que nous pouvons agir avec compassion, sans égotisme. Il ne suffit pas de dire ou de croire que l’on possède la nature de bouddha ou qu’on est de même nature. La différence réside dans l’effort de mettre en actes sa nature de bouddha. Voici ce que dit le Sutra du Nirvana à ce propos : « La nature de bouddha existe certainement. Mais celui qui n’a pas encore pratiqué les moyens habiles (hoben) de la Voie, ne la voit pas. Ne l’ayant pas vue, il ne peut y avoir atteinte de l’Eveil parfait et sans supérieur (anuttara samyaksambodhi). » (réf.)

Questions/Réponses

              Peut-on parler de correspondance entre la Triple nature et les Trois corps du Bouddha (un corps de transcendance, un corps d’immanence, un corps de fonctions vitales) ? 

OUI.  Ce sont Hosshin, Hoshin, Ojin (Réponse d’Anne et Gérard Fourreau)

 

         Comme tout l’univers semble posséder cette nature de bouddha, même un brin d’herbe comme le mentionne la citation, ne lui portons-nous pas atteinte en tondant notre gazon ou en donnant à manger à notre chien ?

Il s’agit en fait d’une nature essentielle, qui existe dans tous les phénomènes. En réalité, en disant que les hommes ont une nature de bouddha, on confond cette nature avec leur essence métaphysique. 

 

           Feu le révérend Ryusho avait déclaré en décembre 2018 à Paris que quelqu’un qui ne pratique pas  le bouddhisme, comme Sœur Tereza par exemple, possède aussi cette nature de bouddha alors que nous qui pratiquons savons bien qu’il faut pratiquer pour atteindre cette nature de Bouddha.  Cette nature n’est pas quelque chose à l’intérieur d’autre chose, c’est la façon dont les choses fonctionnent et dont même une étoile ou un caillou sont pourvus. Mais seul l’homme peut s’y éveiller. Si certains approchent cette nature par la compassion dont ils font preuve envers autrui, seule la pratique  bouddhique permet d’actualiser cette nature.

 

            Est-il possible d’interférer avec la nature de bouddha d’autrui ?
On ne peut pas intervenir sur la vie d’autrui, mais si on interfère, faire bien attention, car on peut « couper » cette nature ou au contraire la favoriser.

 

Comment la pratique pour les autres peut-elle développer notre vie quotidienne ?

Nous sommes tous très reliés les uns aux autres sur un plan physique comme affectif. Quand nous sommes animés d’une bonne intention, la personne à laquelle nous pensons peut le ressentir. Ne pas oublier cependant qu’il est mieux d’encourager la personne pour qu’elle puisse s’aider elle-même, et pour reprendre une image souvent utilisée, qu’il vaut mieux lui enseigner à pécher plutôt que de lui donner un poisson.

Tenir compte aussi du fait qu’aider quelqu’un, ce n’est pas prendre en charge ses conditions de vie. Chacun jouit de son libre-arbitre. Nous pouvons juste encourager la personne à pratiquer pour qu’elle change elle-même ses conditions de vie, nous pouvons lui adresser des pensées d’amour et pratiquer pour elle. Nous ne pouvons pas nous substituer à la volonté de qui que ce soit. Chacun est responsable de sa vie et doit apprendre à travailler sur elle.

Donc oui, nous pouvons aider, mais en aucun cas agir à la place de cette personne. Quoi qu’il en soit, se souvenir également que la vie nous met sans cesse face à de nouveaux problèmes. Autrement dit, pratiquer ce n’est pas faire abstraction des difficultés, mais apprendre à savoir les vivre de sorte que leur aspect négatif ne nous fasse pas mal, ne nous abatte pas, mais nous permette de les affronter du bon pied.

 

Est-il normal d’éprouver parfois dans notre pratique une fatigue morale inexpliquée ?

Oui, c’est très normal. Les débuts sont en tout souvent très enthousiasmants : une nouvelle rencontre, un nouveau travail, etc.

Avec le temps apparaissent l’ennui, la fatigue, les difficultés, l’incompréhension, etc. dans la nouvelle relation ou dans le travail qu’on était content d’entreprendre. Cela ne veut néanmoins pas dire que la personne rencontrée soit mauvaise ou qu’elle ne soit pas la bonne personne, ou que nous devions démissionner de notre poste et rechercher un autre travail…

C’est pourquoi existent les trois activités bouddhiques Foi-Pratique-étude nécessaires pour continuer de développer notre compréhension du bouddhisme et nos capacités à nous développer. Rien dans la vie n’est figé ni stagnant. C’est à nous d’aller de l’avant.

 

Cette difficulté à pratiquer pourrait-elle être d’origine karmique ?

Oui et non : oui, parce que chacun possède une tendance de vie ; non, parce que chacun se heurte à cette difficulté à un moment ou à un autre.

Pratiquer, ce n’est pas éviter les difficultés de la vie, mais développer notre nature de bouddha qui est incommensurablement plus grande que notre ego.

 

Façon de pratiquer du Révérend (en réponse à la question de savoir comment pratiquer pour les êtres chers et les amis proches qui ont des problèmes bien qu’ils récitent Daimoku)

Pour ce faire, il a dressé une liste comportant :

  • les membres de sa famille et de ses ancêtres défunts ;
  • les noms de ses amis et des membres de son Sangha, et plus particulièrement de ceux qui ont besoin d’aide parce qu’aux prises avec des difficultés ;
    Présentant toutes ces personnes au Gohonzon,
    il contemple/observe ensuite sa relation ou les sentiments/émotions qu’il éprouve envers chacune de ces relations, et pratiquant pour eux il pratique également en quelque sorte pour sa propre vie ;

    Après cela, il essaye de ne plus penser à rien, de faire le vide et laisser peu à peu la lumière du Daimoku faire surgir en lui les vertus d’amour et de compassion du Bouddha. Il peut ainsi entrer dans une méditation plus profonde et sereine.

Expérience vécue

L’un des membres de son Sangha californien pratiquait beaucoup pour sa mère qui était très malade et qui, malgré les efforts soutenus de pratique de ce membre, est néanmoins décédée. Peut-on dire, se demande-t-il, que ce garçon a failli dans sa pratique, qu’il pratiquait avec trop d’obstination ou pas comme il faut ?  En réalité, nous ne pouvons pas savoir si notre pratique est bénéfique, nous ne pouvons pas savoir ce qui est bon pour une personne ou non. Chacun a son karma. Etait-il alors mieux que cette mère reste en vie ou qu’elle parte ? C’est pourquoi il est préférable de penser que cette personne est partie quand elle a senti que c’était le moment.

 

La nouvelle version de Fleur du Dharma tiendra d’ailleurs mieux compte de conseils pratiques sur la façon de pratiquer et répondant notamment à la question de savoir comment aider les autres. Chaque aspect théorique abordé sera donc étayé d’expériences pratiques que le Révérend a pu faire depuis qu’il fut ordonné moine il y a une vingtaine d’années.

 

Texte anglais

 

Tchat

Echange de messages dans le chat ZOOM (si « de Mark » apparait, c’est que le révérend n’utilisait pas sa ligne Zoom mais celle de Mark)

A tout le monde: 10:26 AM
Yes. Send them thoughts of loving-kindness and chant for them. But they must learn to work on their own life. You can help, but you can’t do it for them

De Chloé Joseph Delmas Tuttle à tout le monde:  10:27 AM
Donc comme m'a dit Céeline je l'aide, j'envoie des ondes positives et ça fonctionne ou pas

A tout le monde: 10:28 AM
Yes

De Chloé Joseph Delmas Tuttle à tout le monde: 10:29 AM

Le truc, c'est que je médite pour elle, ça va et 2 semaines après ça recommence
A tout le monde: 10:30 AM

Remember, that whether you practice for them or not, good and bad things are continually happening to all people all the time.
De Chloe Joseph Delmas Tuttle à tout le monde: 10:30 AM

Donc è chaque fois que je pratique je dois faire une pratique pour elle

De Mark Herrick à tout le monde: 10:30 AM
Buddhist practice is not about avoiding all bad things. It is about learning how to deal with them when they do happen so that you’re not defeated by the bad.

 

La prochaine rencontre prévue le 3 janvier 2021 poursuivra l’étude de ce texte.

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