voir Maha-satipatthana Sutta DN 22 Commentaire de Thanissaro Bhikkhu.
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Satipatthana est un terme composé qui peut être lu de deux façons : soit comme sati-patthana, ancrage de la smriti, soit comme sati-upatthana, établissement de la smriti. Les érudits débattent sur la bonne interprétation mais dans la pratique les deux suscitent une réflexion utile. La première interprétation (sati-patthana, ancrage de la smriti) fixe l’attention sur les objets de la pratique méditative, les objets sur lesquels porte la concentration et qui la stabilise ; on peut même parler d’un ‘‘cadre de référence’’ qui comprendrait quatre éléments : le corps intérieur et extérieur, les qualités mentales intérieures et extérieures. La notion ‘‘intérieur/extérieur’’ est ici cruciale. Parlant du corps, cela désigne une perception de son corps en termes personnels plutôt qu’en tant que fonctions s’inscrivant dans le contexte mondial. Dans ce dernier cas, le cadre de référence est le monde. Laissant de côté toute considération sur la beauté du corps, son agilité ou sa force, le méditant s’arrête sur l’expérience directe du souffle, du mouvement, de la posture, ces caractéristiques élémentaires du corps marquées de l’inéluctable précarité. Il agit de même en ce qui concerne les autres cadres de référence. La seconde interprétation de satipatthana (contraction de sati et upatthana, établissement de la smriti) met l’accent sur le processus de la pratique méditative, sur la façon dont s’établit le cadre de référence. Le sutra Maha-satipatthana Sutta (DN 22) parle de trois étapes applicables à chaque cadre de référence. Le méditant demeure concentré sur le corps intérieur et extérieur : « ardent, alerte et en pleine conscience (smriti )», laissant de côté tout désir-attachement et toute angoisse par rapport au monde. ‘‘Demeure concentré’’ signifie que le méditant s’en tient à un seul cadre de référence au milieu de courants d’expérience contradictoires. ‘‘Ardent’’ se réfère à l’effort que fournit le méditant essayant de maîtriser ses tentatives maladroites et de développer son habileté en notant la différence entre ses tentatives. ‘‘Alerte’’ indique que le méditant est clairement conscient de ce qui se passe dans le présent. Enfin ‘‘smriti’’, comme nous venons de le commenter, signifie que le méditant est capable de maintenir constamment dans son esprit le même cadre de référence. Lorsque ces qualités se conjuguent elles portent l’esprit à un état stable de concentration. Bien que la pratique de satipatthana soit souvent distincte de celle du dhyana (jhana) un certain nombre de sutras – tels que Dantabhumi Sutta MN 125 et Sankhitta Sutta AN 8 63 – associent la bonne réussite de la première étape de satipatthana à l’atteinte du premier degré du dhyana. Ce point de vue est confirmé par de nombreux sutras dont Anapanasati Sutta MN118, décrivant la pratique de satipatthana comme étant une contribution à la plénitude des facteurs d’Éveil (sambojjhanga) qui coïncident avec les facteurs de dhyana. La deuxième étape de satipatthana est la suivante. Le méditant se concentre sur le phénomène de conditionnement appliqué à son corps, sur le phénomène d’impermanence appliqué à son corps et sur le phénomène conditionnement/impermanence appliqué à son corps. Le ‘‘phénomène conditionnement/impermanence’’ concerne directement ou indirectement les éléments du cadre de référence choisis. ‘‘Directement’’ concerne les changements dans le cadre de référence choisi. Par exemple, si on se concentre sur le corps il convient de noter l’apparition et la disparition de la perception du souffle et des sensations afférentes. ‘‘Indirectement’’ concerne les événements sous l’angle des trois approches du cadre de référence : agréable, désagréable, neutre. On peut noter, par exemple, l’apparition et la disparition du plaisir ou du désagrément en fonction des zones corporelles. Ou bien on peut noter les ‘‘ratées’’ de concentration (pensées adventices). Dans chacun de ces cas, si le conditionnement/disparition est un événement neutre tel que les cinq agrégats, il convient simplement de les noter en tant qu’événements et de les laisser suivre leur cours naturel, les traitant de la même façon que les facteurs qui accompagnent leur apparition/disparition. Cependant, lorsque les qualités mentales habiles ou malhabiles (tels que les facteurs d’Éveil, sambojjhanga, ou au contraire les obstacles) surviennent et s’en vont, il est recommandé de renforcer les facteurs qui accroissent le dhyana et d’éliminer ceux qui l’affaiblissent. Cela implique une participation active dans le développement des qualités mentales habiles et la diminution des qualités malhabiles. De cette façon, par l’activation du rôle joué par les sens, on accroît la vision profonde des processus de conditionnement et de disparition, de la même façon que l’on à connaître les œufs en les cuisinant et notant ses échecs et ses réussites à mesure qu’on se lance dans des plats de plus en plus difficiles. Comme ce travail sur soi conduit à des états de concentration de plus en plus profonds et affinés on s’aperçoit que plus la participation au processus de conditionnement / disparition s’intensifie plus la tension augmente et on en arrive au point où on cesse de rechercher la concentration affinée pour en arriver à la troisième étape de satipatthana. Ou alors la conscience qu’ ‘‘il y a un corps (perceptions, conceptualisations, qualités mentales)’’ est dirigée sur la connaissance et le souvenir, tout en restant indépendant, non attaché à quoi que ce soit dans le monde. La troisième étape correspond à ce que le Bouddha qualifie dans le Cula-sunnata Sutta MN 121 d’ ‘‘entré dans la vacuité’’ : « Alors il considère ce mode de perception comme non-substantiel, vide de tout ce qui n’est pas là. Ce qui reste, il le discerne comme étant ‘‘ainsi’’ (tatha). » C’est le moment culminant de l’équilibre où la pratique débouche sur le non-conditionné et à partir de là sur l’Éveil et la libération. A première vue, les quatre cadres de référence de satipatthana peuvent apparaître comme quatre exercices de méditation différents. Mais l’Anapanasati Sutta (MN 118) précise qu’ils peuvent être réunis en un seul, garder en mémoire le souffle. Lorsque l’esprit suit la respiration les quatre cadres de référence sont présents. La différence se trouve uniquement dans la subtilité de la concentration. C’est comme d’apprendre à jouer du piano. Plus on maîtrise la technique plus on est à même d’entendre les subtilités musicales. Ce qui permet un jeu plus opérant. Il en est de même pour le méditant : à mesure qu’il acquiert la maîtrise de l’observation du souffle il devient plus réceptif dans la perception du présent, jusqu’à ce que plus rien ne fasse obstacle à la liberté totale.
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