Philippe Cornu est un disciple
de bouddhisme tibétain, plus particulièrement de
l'école Nyingmapa. Cette école,
ou "École des Anciens", est celle qui s'appuie sur les enseignements
et les textes de la première diffusion du bouddhisme au Tibet,
au VIIIème siècle. Sa discrétion, son secret, ses
pratiques "magiques" l'ont longtemps fait considérer
avec une certaine suspicion par les trois autres grandes écoles
du bouddhisme tibétain (Gelugpa,
plus tournée vers l'étude des textes, Kagyupa,
plus tournée vers l'ascétisme, et Sakyapa).
L'école Nyingmapa est, en effet,
la branche la plus orientée vers le bouddhisme tantrique.
Cette école a une dévotion particulière pour Padmasambhava (litt. "Le
Né du Lotus"), appelé avec respect, au Tibet, Guru
Rimpoche ("Le Précieux Gourou"). C'est lui, en
effet, qui introduisit la plupart des enseignements tantriques au Tibet
au VIIIème siècle.
Les spécialistes s'accordent à reconnaître le passage
bref de Padmasambhava au Tibet au VIIIème
ou au début du IXème siècle. Il n'y serait demeuré que
quelques années. Pourtant, ce personnage initiateur, considéré comme
un second Bouddha chargé d'enseigner les tantra, prit une dimension
légendaire exceptionnelle, devenant le Maître par excellence
du bouddhisme tibétain. Le mantra de Guru
Rimpoche, Om Hâ Hum Vajra Guru Pema
Siddhi Hum, est presque aussi célèbre que le Om
Mani Padme Hum, mantra de Chenrezi (Avalokiteshvara).
Philippe Cornu explique les représentations auxquelles a donné
lieu la figure de Guru Rimpoche, considéré
comme un véritable Bouddha du Tibet. C'est, dit-il, un être
pleinement éveillé, qui s'exprime en Trois Corps, trikaya.
Sorte de "mystère de la Trinité", la théorie
du trikaya distingue Trois Corps à
la fois inséparables et distincts, et un en essence. Cette trinité
diffère du trikaya (sanjin)
de l'école nichirenienne et explique le fossé entre les
deux écoles.
Pour les Nyingmapa en "Corps Absolu", Padmasambhava est Amitabha,
le Bouddha "Lumière infinie", connu dans tout l'Extrême
Orient, et dont les fidèles croient que la récitation de
son mantra peut mener, après leur mort, et grâce à son
intercession, dans une Terre Pure de Félicité située à l'ouest.
On sait que Nichiren combattit cette école du Nembutsu fort
active dans les milieux populaires à son époque. Pour lui,
Amidain'était pas un bouddha authentique et la dévotion à son égard,
loin de conduire les êtres dans un paradis après la mort,
les précipitait au contraire dans l'enfer des souffrances incessantes.
Du Corps absolu qu'est Amitabha émane le Corps de jouissance Avalokiteshvara,
le seigneur de la Compassion (Tchenrezi, Kannon),
protecteur du Tibet et dont les Dalaï-lamas sont réputés être
des incarnations.
Enfin, pour agir plus particulièrement sur les êtres en
ce monde, un troisième corps se manifeste, le Corps d'apparition,
en la personne de Padmasambhava lui-même.
En outre, Padmasambhava, connu notamment
sous huit noms différents, apparaît à divers moments
de sa vie sous différents aspects. Ainsi l'introducteur légendaire
du bouddhisme au Tibet, maître des tantra, fut-il transformé en
une divinité protectrice aux multiples représentations.
Après avoir, de cette manière, énoncé les
différentes figures qui composent le personnage de Guru
Rimpoche, Philippe Cornu décrit la légende merveilleuse
de sa vie, à partir des sources traditionnelles dont il cite un
certain nombre d'extraits. Le père de Padmasambhava,
un prince de l'ouest dépourvu de fils, finit par découvrir, à la
suite de ses prières, un enfant posé sur un lotus, âgé de
huit ans, et déjà pourvu d'une connaissance avancée.
Plus tard, le jeune homme se rendit en de nombreux lieux. Partout, et
notamment au Tibet, on le vit déployer ses pouvoirs et subjuguer
les démons locaux. Il est probable qu'il arriva au Tibet dans
la seconde moitié du VIIIème siècle, créant
le célèbre temple de Samyé. Il participa, nous dit-on, à la
grande entreprise de traduction des textes bouddhistes en tibétain.
L'une des originalités fortes de l'enseignement de Guru
Rimpoche tient au fait qu'il nous est parvenu essentiellement
sous la forme de terma (textes-trésors),
c'est-à-dire de textes réputés cachés dans
des grottes et lieux secrets, ainsi protégés d'une période
de persécution du bouddhisme prophétisée par le
Maître, afin d'être découverts, le moment venu, par
les générations futures. Ce sont les tertön,
incarnations de Padmasambhava ou de ses
disciples, prédestinés à cette fonction, qui découvrent,
au fil du temps, ces terma cachés.
La quantité de textes-trésors ainsi attribués à Padmasambhava,
et qui sont essentiellement des instructions tantriques, des prophéties
et des conseils ou enseignements oraux, est considérable.
Philippe Cornu termine son ouvrage par une présentation de l'école Nyingmapa,
l'école plus précisément attachée à l'enseignement
de Guru Rimpoche. Seule en place jusqu'au
XIème siècle, l'école Nyingmapa fut
ensuite supplantée par les nouvelles écoles nées
de la seconde diffusion du bouddhisme, à partir de l'Inde, au
XIème siècle. A la différence des écoles
nouvelles, l'école Nyingmapa perdit
toute influence politique importante dès le XIème siècle
et constitua un ordre religieux à la fois modeste et un peu marginal.
De multiples lignées de maîtres et disciples se constituèrent
qui continuent à transmettre les enseignements jusqu'à nos
jours. Philippe Cornu rend compte de l'histoire complexe de ces lignées
qui, à partir de l'occupation communiste chinoise, se diffusent
en Occident. Plusieurs chefs spirituels de cette école ont notamment
trouvé refuge en Dordogne, près de Montignac, autour des
années 1980, y créant des centres toujours actifs, et s'implantant également
aux Etats-Unis et dans d'autres points d'Europe.
Les écoles nichireniennes reconnaissent dans
le trikaya (sanjin)
le Corps du Dharma* ou le Corps non-manifesté du Dharma (hosshin,
dharmakaya) : il s'agit d'un "Corps"
du Bouddha, imperceptible à 1'homme ordinaire, qui est à
la fois l'incarnation de la doctrine bouddhique et la manifestation du
"corps cosmique" du Bouddha. C'est également le "corps"
des bouddhas infinis de nature identique. En d'autres termes, la nature
de bouddha est en chacun de nous. (voir les Trois
Corps).
Pour un disciple de Nichiren, la divinisation de figures initiatrices,
ainsi que le recours à des pratiques occultes ou ésotériques,
font assurément partie de ces enseignements que Nichiren, dans
le cadre de sa lutte pour purifier un bouddhisme japonais corrompu par
le pouvoir et les pratiques fausses, jugeait "erronés".
Pour Nichiren, le bouddhisme se fonde sur les sutras, et plus particulièrement
sur le sutra le plus achevé, le Sutra du Lotus, et non
sur les enseignements transmis oralement. Il condamne notamment tous
ceux qui prétendent qu'il existe une transmission spéciale
et secrète, une vérité cachée. Pour Nichiren
il s'agit là d'une manipulation d'adeptes au profit du clérgé qui
s'assure ainsi un contrôle spirituel. Il n'a cessé de proclamer
qu'il est vain de chercher le bouddha en dehors de soi-même et
nous a légué le moyen d'atteindre l'Éveil par la
recherche d'une fusion avec l'essence du Sutra du Lotus. (voir daimoku).
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