Chapitre II - Contrôle des désirs des sens
Par les désirs qui doivent être contrôlés sont compris tous
les désirs suscités par les sens possédés par tout être vivant,
c'est-à-dire la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher. Si
nous souhaitons réussir la pratique de Dhyana, nous devons
tenir sous un strict contrôle les désirs formés par ces sens.
Les cinq sortes de désirs physiques peuvent aisément conduire à la folie, l'illusion et les désirs avides. Si nous comprenons clairement que nos fautes et nos sentiments de culpabilité ne sont que les produits de ces désirs, nous ne les chérirons plus. Afin de dominer ces désirs physiques nous devons
les observer attentivement sans cesse.
1. En premier vient le contrôle des désirs causés par les regards parmi lesquels nous mentionnons comme de la première importance les désirs sensuels provoqués par la vue des yeux brillants, des fins sourcils, des lèvres rouges, des dents blanches, des ornements luxueux, des vêtements de couleurs ravissantes : vert, jaune, rouge, blanc, pourpre, violet, etc., tout cela attire l'attention de l'homme sans sagesse et éveille des désirs mauvais. Ce fut la seule vue de la beauté de son amante qui conduisit le roi Bimbisara à risquer sa vie en pays ennemi pour demeurer dans la maison de sa dame Abrahmapara. Ce fut aussi le cas du roi de Khotan qui, à cause du ressentiment né de la jalousie, mit à mort un grand nombre de personnes. Toutes ces méchancetés prennent naissance dans les désirs provoqués par la vue.
2. En deuxième vient le contrôle des désirs provenant de l'usage de l'ouïe parmi lesquels nous notons : les musiques des harpes, des luths à 12 cordes, des instruments de soie, de bambou, de métal, de pierre, et celle des voix des femmes qui dansent et chantent, celles qui récitent et celles qui disent des louanges, etc. Nous disciples du Bouddha, aussitôt que nous entendons ces sons mélodieux, nos coeurs sont ternis et nos esprits sont captés et nous sommes conduits à de mauvaises actions. C'est ce qui advint pour les cinq cents disciples qui vivaient dans un monastère de Himalaya quand ils entendirent les chansons chantées par une fille appelée Chindra. Ils perdirent leur assiduitté à la pratique de Dhyana et devinrent délirants de désir et d'excitation. Pour toutes ces causes et conditions nous devons savoir que les sons peuvent être la source du mal et de la faute.
3. En troisième vient le contrôle des désirs provenant du sens de l'odorat. Par ceci sont désignées les odeurs émanant des corps en excitation sexuelle, des breuvages, des nourritures succulentes et la senteur de tous les parfums subtils. Dans notre folie nous ne savons pas reconnaître la véritable nature de l'odorat, et dès que nous avons senti un parfum, nous le désirons et sommes asservis par lui. Ceci ouvre les portes des défaillances morales. Tel fut le cas d'un certain bhiksu, il fut tellement dominé par le parfum des fleurs de lotus d'un étang, près de son monastère, qu'il négligea de pratiquer le Dhyana pour satisfaire plus longtemps sa passion pour ces fleurs. Le deva de l'étang le reprit sévèrement et dit : «Pourquoi volez-vous mes doux parfums ?». A cause de notre attirance pour ces parfums nous éveillons les désirs qui dorment et nous tombons dans les souillures de l'esprit. En reconnaissant ces causes et conditions nous savons que les parfums sont les causes d'actes mauvais.
4. En quatrième vient le contrôle des désirs prenant naissance dans le sens du goût, c'est-à-dire de toutes les sortes de goûts agréables en mangeant et buvant ce qui est amer, fermenté, doux, épicé, salé et froid. Toutes ces saveurs agréables flattent la langue et incitent le coeur aux excès et au mal. Tel fut le cas d'un moine lamaïste du Tibet qui avait tant de gourmandise pour le fromage que l'on dit qu'il devint un ver de fromage après sa mort. Nous savons par de tels exemples que le sens du goût est la source de beaucoup de fautes.
5. En cinquième vient le contrôle des désirs causés par le sens du toucher. Notre corps est très sensible à la douceur, au poli, à la chaleur en hiver et la fraîcheur en été. Nous sommes si ignorants de la vraie nature de ces sensations que nos esprits sont retournés et rendus fous par le contact de choses plaisantes et notre effort pour atteindre l'Eveil est obstrué et empêché. Tel fut le cas d'un esprit-licorne qui perdit ses pouvoirs surnaturels à cause de sa recherche passionnée des choses plaisantes au toucher. Pour toutes ces causes et conditions, nous voyons la folie et la faute de rechercher les contacts agréables et de céder à leur séduction. Les diverses façons de contrôler nos désirs qui viennent d'être données sont prises dans le Mahavibhasa Sutra * qui fait l'observation suivante :
« Malgré les ennuis que l'indulgence dans les désirs sensuels nous occasionnent, nous continuons à rechercher ces désirs. »
A mesure que l'on se laisse aller à ces désirs sensuels l'on devient plus intensément troublé. C'est comme une maison en feu, plus il y a de combustible plus fortes deviennent les flammes. Ou si ces désirs sensuels sont en compétition ils ressemblent à des oiseaux se disputant une proie. Ou ils nous brûlent comme si nous portions une torche enflammée contre le sens du vent. Ou ils nous nuisent comme si nous marchions sur des serpents. Ou ils ressemblent à des rêves dont nous nous réveillons tout effrayés. Ou ils ont une durée aussi brève que l'étincelle d'un briquet. Les hommes sages les considèrent comme des ennemis. Et, malgré cela nous, comme de pauvres fous, continuons à les désirer aussi longtemps que nous vivons, ne réalisant pas que ces tourments et cette souffrance continueront leur effet malfaisant après la mort du corps dans une renaissance suivante.
Ces cinq sortes de désirs sensuels furent avidement recherchés par les animaux avant nous et leurs déplorables effets viennent jusqu'à nous. Nous sommes leurs esclaves et en vertu de leur puissance nous pouvons être entraînés vers les trois plans inférieurs. Même dans les moments sacrés de Dhyana et samadhi ils demeurent en nous. Quels ennemis incroyables ils sont pour nous ! Nous devons les fuir aussitôt que perçus. Le Dhyana Sutra * parle ainsi d'eux.
« Les souffrances continuelles de la naissance et de la mort sont dues aux désirs sensuels et aux convoitises. Lorsque ceux-ci qui sont tes enfants, ont grandi, ils deviennent tes ennemis et tout ton labeur est vain et, après ton dernier souffle, tu es enterré dans ton tombeau. Combien est répugnant ton cadavre ; quelle putréfaction est un cadavre ! Par les neuf ouvertures coulent des liquides fétides, mais toi, ô fou, tu t'y cramponnes comme un ver sur une pourriture. Pourtant, toi qui es plus sage, comprenant le vide et 1' impermanence du corps, tu ne te laisseras pas asservir par les séductions de ces désirs, mais te libérant de leurs fascinations tu trouveras ton vrai Nirvana.»