Toutes les cultures commencent par fonder leur première religion en regardant le ciel. Les cosmologies des anciennes civilisations du Moyen-Orient nous sont parvenues dans les noms des planètes. Jupiter, Mars, Vénus etc. étaient les incarnations physiques des divinités gréco-romaines. Leurs mouvements et leurs interactions ont été étudiés pour comprendre le cosmos et la place qu’y occupait l'humanité. L'immensité et le mystère des cieux ont engendré des légendes de dieux et de héros énigmatiques, et des phénomènes naturels étaient attribués aux caprices de ces habitants du royaume étoilé. La vie quotidienne était certainement différente à une époque où les gens ordinaires pouvaient voir les dieux simplement en regardant le firmament.
Les cosmologies des anciens étaient inextricablement liées aux conceptions religieuses des sociétés dans lesquelles elles prospéraient, tout autant que dans la société moderne. Les érudits et les théologiens notent une correspondance historique entre le déclin de la religion et la progression de la science dans le monde occidental. Certes, nous savons trop de choses sur l'univers physique pour ne plus considérer le cosmos au-delà de nos expériences quotidiennes comme la demeure de divinités ineffables. Existe-t-il une religion qui corresponde aux données scientifique modernes ? Il me semble que le Sutra du Lotus a une vision du monde compatible avec les réalisations durement acquises de la science occidentale. Dans son chapitre XVI, Durée de vie [éternelle] de l’Ainsi-Venu, Shakyamuni révèle l’incommensurable période de temps depuis qu'il a atteint l'Éveil parfait. Pour rendre son message clair, il recourt à une analogie dans laquelle le temps et l'espace sont deux aspects inséparables d'une vision du monde unifiée. La structure de l'univers qu'il décrit ressemble étrangement à la vision scientifique moderne.
Albert Einstein a permis à la science de l’univers de progresser en publiant ses deux théories de la relativité. Juste avant, deux scientifiques, Michelson et Morley, avaient réalisé une expérience qui montrait que la vitesse de la lumière était constante, quelle que soit la vitesse de la source lumineuse ou celle de l'observateur. Einstein a cherché à mettre cette apparente valeur absolue en perspective en élaborant une série d'«expériences de pensée». Il a imaginé ce que ce serait de voyager à travers l'espace sur un faisceau de lumière. Son enquête, appuyée sur de nombreux travaux mathématiques et théoriques, a conduit à une série de conclusions qui semblent étrangement incompatibles avec l'expérience ordinaire. Par exemple, si un vaisseau spatial pouvait atteindre une vitesse proche de celle de la lumière, un observateur verrait depuis la Terre sa masse augmenter. Une horloge à bord du vaisseau spatial ralentirait. Pourtant, les passagers à l'intérieur du vaisseau spatial ne remarqueraient rien d'inhabituel jusqu'à ce qu'ils regardent en arrière pour observer la Terre. De leur point de vue accéléré, ils y verraient des changements correspondants dans la nature du temps et de la matière.
L'expérience des voyageurs spatiaux semble contraire au bon sens, et d’après Einstein l'univers dans lequel nous vivons est rempli de telles impossibilités apparentes. La raison pour laquelle l'univers relativiste semble si étrange est que son échelle est loin des activités quotidiennes des êtres humains. Le calcul scientifique moderne fournit un moyen de faire face à de très grands nombres et distances. Bien que nous puissions être impressionnés par la capacité d'un mathématicien à parler en termes d'années-lumière et de milliards de kilomètres, les activités de ce même scientifique dans la vie quotidienne sont soumises aux mêmes contraintes que celles de tout être humain. Lorsque nous voyageons en voiture ou en avion, ou même en vaisseau spatial vers la lune et retour, nous opérons à des distances qui correspondent à la physique plus familière d'Isaac Newton. Notre expérience du temps est encore plus limitée. Nous pouvons voyager dans le temps dans une seule direction et à une unité temporelle fixe : en avant, et seconde par seconde. Nous ne vivons jamais directement les «expériences de pensée» d’Einstein.
Pour comprendre la vision extraordinaire d'Einstein de la réalité, il faut se projeter dans un monde qui inclut les trois dimensions de l'expérience quotidienne plus la quatrième dimension du temps. Les distorsions apparentes de l’espace-temps sont des exemples de la façon dont nous devons penser en quatre dimensions lorsque nous parlons des événements à l'échelle cosmologique. Il ne suffit plus de dire qu'un événement s'est produit dans un certain lieu et dans un certain temps. Le physicien moderne dira que l'événement a commencé «ici-maintenant» et a opéré jusqu’à «là-plus tard ». Au cœur de la théorie d'Einstein se trouve l'idée qu'il n'y a pas de point de départ unique et absolu à partir duquel l'univers puisse être mesuré avec précision. La perception de la réalité dépend de son cadre de référence. Une personne sur Terre percevra le cosmos très différemment d'une autre voyageant dans un vaisseau spatial à une vitesse proche de la vitesse de la lumière. Pourtant, les deux interprétations sont valables dans leur cadre de référence respectif. Libérant son esprit des contraintes de l'expérience humaine ordinaire, Einstein a été en mesure de formuler un modèle qui a introduit les mystères de l'univers précédemment inexprimables dans le domaine du calcul mathématique moderne.
Shakyamuni, en révélant la vraie nature de son Éveil, utilise une autre analogie dans laquelle un vaste laps de temps est exprimé en termes d'énormes distances. Il parle du temps et de l'espace comme de valeurs équivalentes et inséparables dans les calculs à l'échelle cosmique. Entre sa première réalisation de l'Éveil et le moment présent, «des centaines infinies de centaines de milliers de myriades de kotis de nayutas de kalpas se sont écoulés». Il demande à ses auditeurs d'imaginer la réduction en atomes d'un grand nombre de systèmes de mondes. Puis il propose de parcourir l'espace à grande vitesse et de laisser tomber les atomes un par un, chacun séparé par une distance mesurée à une échelle intergalactique. Alors tous les mondes visités, qu'ils aient reçu un grain de poussière ou non, sont également réduits en poussière. Shakyamuni dit que le nombre de kalpas qui se sont passés depuis qu'il a atteint l'Éveil dépassent de loin le nombre total de grains de poussière.
Un kalpa est une période de temps proche de mille vies, et les termes tels que koti, nayuta et asamkhyeya sont des expressions sanskrites de très grands nombres. Ces nombres sont interprétés de diverses manières, et leurs traductions nécessitent l'utilisation de l'arithmétique exponentielle moderne, dans laquelle elles sont exprimées en multiples de dix. Un asamkhyeya, par exemple, a été interprété comme égal à dix suivi de cinquante-neuf zéros. Bien que ces nombres soient très grands, ils ne désignent pas pour autant l'infini. Ce sont des nombres dont l’ordre de grandeur se retrouvent dans les mesures des temps et des distances cosmiques de la science moderne.
Dans la Cérémonie dans les Airs, Shakyamuni ouvre la voie à la révélation de la véritable nature de son Éveil en soustrayant son auditoire de l’espace-temps limité de l'expérience humaine. Avant de commencer son sermon, grâce à un faisceau de lumière sortant de son front le Bouddha a rendu visible un grand nombre d'autres mondes. Ensuite, tous les êtres présents ont été physiquement soulevés dans un monde transcendant, loin du cadre habituel terrestre, que nous appellerions espace extra-temporel*. Décrite en nombre sanskrit de l'époque la congrégation des auditeurs était innombrable au sens propre. La durée du sermon du Bouddha était aussi incommensurable, exprimée en calcul sanskrit de l’époque. Pourtant, les participants eurent l’impression de quelques heures. Cela a semblé se passer en quelques heures*. C’est pour son enseignement le plus important que la congrégation a été déplacée dans le royaume du Bouddha doté de la parfaite liberté de mouvement dans l'espace-temps. Tout au long du sermon, il a parlé de ses autres existences dans des mondes inconnus de ses auditeurs, éloignés de la Terre par de vastes étendues de temps et d'espace.
Pour faire comprendre la durée incommensurable de son existence Shakyamuni a choisi l'analogie d'un voyage imaginaire dans l'espace. Il s’est exprimé dans un cadre de référence résolument encré dans un continuum spatio-temporel de quatre-dimensions. Le nombre de mondes décrits par le Bouddha n'avait aucun sens pour ses auditeurs humains ; leur expérience ne comptait que quelques petits royaumes dans le nord de l'Inde. Ce n’est que dans la vision moderne que prend sens un univers rempli de mondes en orbite autour d’étoiles, d’étoiles en amas de galaxies, de galaxies assemblées en amoncellements et des amoncellements galactiques groupés en superamas ; le nombre énorme de mondes mentionnés par Shakyamuni commence à former un modèle cohérant. L'idée de galaxies disséminées dans l'espace a été formulée seulement au début du XXe siècle et les preuves de la structure des superamas galactiques n'ont été recueillies qu'au cours de la dernière décennie. L'analogie, apparemment impossible, de Shakyamuni est ainsi en accord avec le modèle scientifique moderne. Dans le seizième chapitre du Sutra du Lotus, Shakyamuni décrit l'univers, et la durée de son existence, comme incommensurable mais fini. Bien que la myriade d'éons dans ses descriptions soit bien au-delà de l’entendement humain ordinaire, il propose une manière de compter par analogie des atomes et des mondes.
La science moderne nous dit que l'univers dans lequel nous vivons est fini, mais illimité. Mesuré en quatre dimensions de l’espace-temps, il parait en perpétuelle expansion, mais cela est dû au fait que la vitesse de la lumière ne peut être dépassée. Les voyageurs dans le vaisseau spatial relativiste d'Einstein n'atteindront jamais la vitesse de la lumière. Le temps va ralentir dès qu’ils vont accélérer. Ainsi ils ne pourront jamais atteindre le «bord» de l'univers. Shakyamuni révèle la vraie nature du Bouddha Atemporel comme transcendant les limites de l'espace et du temps et englobant l'existence dans son ensemble. Ainsi, les mystères apparents révélés par le Bouddha concordent avec ce que la science, dans son effort pour comprendre l'univers, a été capable de réaliser jusqu'à présent.
Mark Twain, commentant la foi judéo-chrétienne, a écrit : «La foi c’est croire ce que vous savez ne pas être vrai. ». Shakyamuni invite les bodhisattvas à «croire et comprendre les mots véritables du Tathagata » pour élever leur conscience au plus haut niveau. À mesure que la science moderne progresse vers une compréhension plus complète de l'univers, on constate que les perceptions profondes du Bouddha sont en accord avec les résultats de la curiosité insatiable de l'humanité.