KAJI-KITO
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Le développement du Kaji Kito dans le bouddhisme Nichiren Shu | |
CHAPITRE DIX Aragyo Actuellement l'entraînement au kito kaji de la Nichiren Shu, appelé aragyo, n'a lieu qu'une fois par an, en hiver, pendant 100 jours. C’est un délai minimum pour apprendre le Kito Kyo. Nous avons peu d’informations sur la pratique réelle en raison de la nature cachée de la pratique. Non seulement il est interdit de prendre des photos dans les lieux de l'aragyo, mais seules les personnes qui suivent la pratique du kito sont autorisées à entrer dans ces lieux. La pratique est également limitée aux prêtres masculins de la Nichiren Shu pour plusieurs raisons, dont la sévérité de la pratique. La section suivante porte sur la formation aragyo au temple Nakayama Hokekyo-ji. La majorité de ces informations m’ont été fournies par mon père (Igarashi), qui a effectué cette pratique cinq fois au temple Nakayama Hokekyo-ji. C'est actuellement le nombre de fois jugé nécessaire pour maitriser tous les enseignements du kaji kito. Comme on le verra, différents types d'enseignements cachés sont enseignés en fonction du nombre de fois où l'on participe à l'aragyo, plus le pratiquant fait d’aragyo, plus les méthodes de kaji kito deviennent complexes. Je ne présente ici que des informations qui ne sont pas considérées comme secrètes mais ne sont seulement ne pas être destinées au grand public. Lorsqu'un prêtre Nichiren Shu décide de faire l'aragyo, peu importe le nombre de fois qu'il a effectué cette pratique, plusieurs étapes sont nécessaires pour confirmer son éligibilité. Tout d'abord il faut qu’il ait un diplôme universitaire, et donc être âgée d’au moins 23 ans ; soit être le prêtre principal d'un temple Nichiren Shu. Le plus souvent, il est préférable qu’il soit diplômé de l'université Rissho, la principale université pour les prêtres nichirenshu où on enseigne sa doctrine. Dans le cas contraire, le candidat doit passer un test sur les doctrines de la Nichiren Shu. Après cette première étape , il doit passer un examen médical pour confirmer qu'il n'a pas de problèmes de santé graves qui le mettraient en grand danger pendant les 100 jours de pratique. Pour une personne qui décide d’effectuer l'aragyo pour la première fois, il y a également un test de "psalmodie". Bien qu'il ne soit généralement pas nécessaire de lire l'intégralité du Sutra du Lotus pendant ce test, il est généralement admis que le candidat est capable de psalmodier l'intégralité du Sutra du Lotus à un rythme rapide, car sinon il ne pourra pas suivre les autres pratiquants d'aragyo. Le comité chargé de déterminer l'éligibilité du prêtre lui notifiera s'il a été accepté ou non après une vérification de ses antécédents. Tous les pratiquants acceptés se rendent au temple Nakayama Hokekyo-ji le matin du 1er novembre, n'emportant que les objets nécessaires (brosse à dents, etc) ainsi que les 28 chapitres du Sutra du Lotus, qu’ils vont psalmodier tous les jours pendant les 100 jours suivants. Les prêtres arrivent avec la tête complètement rasée et portent les vêtements de services religieux (hakui, kesa et koromo), tous de couleur blanche. Il est faut noter que, bien que la couleur blanche, comme dans de nombreuses cultures, soit censée représenter la pureté, c'est le vêtement qu’on leur met lorsqu'ils meurent. Cela s’explique par l'idée que les prêtres commencent aragyo étant prêts à mourir à tout moment pendant ces 100 jours de formation. Pour eux, commencer l'aragyo revient à entrer dans un autre monde, isolé du monde extérieur, où ils se concentrent sur leurs efforts religieux et l'apprentissage des méthodes du kaji kito. Cette notion d'isolement est encore accentuée par leur enfermement entre murs clos avec impossibilité d’en sortir pendant les 100 jours. Lorsqu’ils commencent leur pratique, ils entrent par une porte appelée "zuimon" qui n'est ouverte que deux fois par an - une fois lorsque les prêtres commencent leur pratique et une fois après l'achèvement des 100 jours. Même les personnes qui tombent malades ou meurent pendant leur formation ne peuvent pas partir. Bien que cela ne se soit pas produit ces dernières années, il est communément admis que lorsqu'un pratiquant décède, il est incinéré et placé sur l'autel dans la pièce désignée comme le lieu commun des psalmodies. Une fois les 100 jours écoulés, le colocataire du pratiquant décédé emporte les cendres en sortant du zuimon, et les rend à la famille qui organise un service funéraire. Comme on peut le constater, l'idée de rester à l'intérieur de l'enceinte fermée est prise très au sérieux. Toutes les demandes des personnes souhaitant sortir sont refusées. Il est également interdit aux pratiquants de se couper les cheveux pendant l'aragyo, ce qui les dispense d'apporter ciseaux ou rasoirs. La notion de la repousse des cheveux symbolise la puissance spirituelle croissante acquise tout au long de la formation et représente le développement spirituel d'une personne. Pour une personne extérieure, l'apparence physique du pratiquant devient souvent la plus grande indication ou le plus grand symbole de l'ascèse. Toutefois, une fois que le pratiquant a terminé son aragyo, il est autorisé à se couper les cheveux et à se raser retournant à sa vie normale. Quelques instants avant d'entrer dans le zuimon, les prêtres se mettent en rang en fonction du nombre de fois qu'ils ont suivi la pratique - plus une personne a suivi la pratique, plus elle sera proche de la tête de file. Avant d'entrer par le zuimon, ils défilent à proximité du temple, dans les lieux importants comme la tombe de Nichijo, puis font au temple principal une prière à laquelle assistent de nombreuses personnes, membres de la famille, membres laïcs des temples où résident normalement les prêtres. Vers 13 heures, les prêtres entrent un par un par le zuimon qui restera fermé pendant les 100 jours et se rendent immédiatement dans la salle de l'autel principal où ils commencent à réciter le Sutra du Lotus. A partir de ce jour, les pratiquants mènent une vie d'ascèse, dormant environ trois à quatre heures par jour et ne prenant en quelques minutes que deux repas, de la bouillie de riz et de la soupe miso. Ces actions quotidiennes courantes ne représentent qu'une petite partie de leur activités. Leur emploi du temps est axé sur la prière et la purification de soi afin de devenir suffisamment "digne" pour sauver les autres en accomplissant le kaji kito. Les 35 premiers jours de pratique, appelés Jogyo, visent à éliminer toutes les souillures (zaisho shometsu) en lisant de nombreuses prières. Il existe des ensembles spécifiques de sutras pour les sept jours de la semaine et donc, selon le jour de la semaine, le pratiquant se concentre sur différents thèmes ayant pour but la purification de son esprit. Après cette période de jigyo, les 65 jours restants, appelés ketagyo qui signifie que les pratiquants continuent à prier pour zaisho shometsu* , mais aussi pour le bien-être des autres et les membres laïcs de leur temple. Pendant cette étape, les pratiquants peuvent rencontrer des visiteurs un court instant (5 à 10 minutes) dans une salle réservée à cet effet. Cependant, il est strictement interdit aux visiteurs de sortir de cette pièce pour se rendre dans la chambre du prêtre ou observer la pratique. Cela s'applique également à tous les religieux qui ne sont pas en formation cette année-là. La psalmodie est l'une des pratiques les plus importantes de l'aragyo. L’expression couramment utilisée est "doku wo haku", qui a deux significations. Psalmodier peut avoir en japonais deux équivalents : "dokkyo" couramment employé pour souligner l'importance de la psalmodie. Mais "doku" se traduit littéralement par "poison", tandis que "haku" signifie "vomir". Le doku symbolise les souillures d'une personne (zaisho shometsu) et, dans le contexte de l'aragyo, il est communément admis qu'en psalmodiant continuellement, une personne sera capable de les expulser. De 3 heures du matin, heure à laquelle les pratiquants se réveillent, jusqu'à 23 heures, heure du coucher, le son des prières et les coups du mokusho, (objet en bois sur lequel on frappe avec un bâton), ne s'arrêtent pas. En psalmodiant sans cesse le Sutra du Lotus, on obtient des "bénéfices", que le pratiquant absorbe dans son corps et ces bénéfices seront utilisés pour aider les autres lorsque le moment sera venu pour eux de faire kaji kito. Lors de cette psalmodie constante, de nombreux participants perdent leur voix pendant un certain temps. La notion de purification de soi est renforcée par une autre pratique importante, appelée suigyo ("prière de l'eau"), accomplie sept fois par jour par chaque pratiquant. Cette prière consiste à s'asperger d'eau froide, en ne portant qu’un sous-vêtement fait d'un morceau de tissu, tout en récitant une prière, appelée suigyo kanmon. Dans cette prière, on fait appel aux prêtres décédés célèbres qui ont joué un rôle important dans le développement du kaji kito, comme Nichiju, tout en exprimant le respect pour Nichiren. L'objectif principal de la prière est de faire advenir la paix et la prospérité dans le monde, en souhaitant le bonheur de chacun. Le premier suigyo* commence à 3 heures du matin. L'une des tâches des shogyo (pratiquants débutants) est de se lever plus tôt (vers 2 h 30) et d'aligner les oke, (seaux) que les pratiquants utilisent pour verser sur eux-mêmes de l'eau froide. Le suigyo* se fait dans un ordre bien défini. Il commence par les denshi* , suivis des gogyo (pratiquants de cinquième année), des yongyo (quatrième année) des sangyo (troisième année), des saigyo (deuxième année) et enfin des shogyo*. Comme il n'y a de place que pour 12 pratiquants à la fois, les débutants shogyo en profitent pour apprendre à chanter le suigyo kanmon en écoutant et en répétant la prière avec les pratiquants plus âgés. Le suigyo kanmon est un exemple des nombreux kuden (transmissions orales) par les pratiquants seniors. Le processus se répète à 6 h, 9 h, 12 h, 15 h, 18 h et 23 h. Ainsi, le dernier suigyo* se termine vers 23 h 30 et reprend à 3 h le lendemain matin. Outre la prière commune à tous les pratiquants, dirigée par les denshi* , chaque participant, selon le nombre de ses participation, a différents "thèmes" qui constituent l'enseignement principal de ses 100 jours. Les shogyo* apprennent principalement les bases du bokken kaji, la façon de faire le kuji, et participent aux tâches ménagères dans le temple, comme le nettoyage des salles et la préparation des repas quotidiens. Le denshi enseigne généralement au shogyo* à utiliser correctement le bokken. Le shogyo* doit apprendre à toujours garder droit le bras car la puissance est transmise directement par le bras et que plier le bras bloque cette transmission. Souvent, l'entraînement a lieu deux fois par jour, une fois le matin et une fois le soir, pendant environ une heure. L'entraînement se fait soit en observant les autres soit en apprenant directement avec des pratiquant plus âgés qui aident les shogyo* à mieux s'adapter à l'aragyo. De même, les pratiquant seniors s'assoient à l'arrière de la salle de prière pendant les prières communes dirigées par les denshi* afin de surveiller et de prendre soin des nouveaux participants inexpérimentés assis plus en avant. De plus, les shogyo* apprennent le kenmyosho, les bases du kaji kito telles que les méthodes utilisées pour les malades. Plus important, le pratiquant transcrit à la main le Kito Kyo, qui, comme indiqué précédemment, est enveloppé dans un tissu et utilisé pour la pratique du kito. Alors que cette pratique est obligatoire pour les shogyo*, elle ne l'est pas pour les pratiquants anciens, et cependant la transcription du Kito Kyo reste une pratique commune à tous, quelle que soit l'ancienneté. Le Kito Kyo reste l'un des textes les plus importants au sein de l'aragyo. Après avoir terminé les 100 jours de formation, le pratiquant reçoit un certificat, le désignant comme un shuhoshi, celui qui peut pratiquer le kaji kito. Le pratiquant apprend les bases du kaji kito pendant les premiers 100 jours de formation, mais objectif du kaji kito - au-delà de ces premiers 100 jours - est d'accroître la compréhension du kaji kito et d'apprendre plus de méthodes et de secrets du kaji kito qu’on apprend par la transmission verbale. Cela ne veut pas dire que tous les pratiquants doivent suivre 500 jours alors que c’est très lourd psychologiquement et physiquement. C'est à chacun de déterminer combien de fois il souhaite faire aragyo. Les saigyo (pratiquants de deuxième année) apprennent le heisoku shomo, qui comprend la fabrication à partir de papier blanc de différents heisoku qui servent d'habitation aux divinités. Souvent, on apprend cela avec le denshi*, car chaque divinité habite dans un heisoku de forme différente. Miyazaki Eishu a décrit les spécificités de la fabrication de ces heisoku, qui, à dire vrai, ne devraient pas être enseignés aux personnes qui n'ont pas fait l'aragyo. Cependant, il faut savoir que les saigyos* apprennent par la transmission verbale plus que la simple fabrication technique des heisoku. Les sangyo (pratiquants de la troisième année) apprennent comment vénérer Mahakala (Daikokuten), une divinité de la bonne fortune. Nous reparlerons de Mahakala, signalons juste que les détails de ce que les pratiquants apprennent sur Mahakala dans aragyo restent un enseignement caché. On peut juste préciser qu'après avoir terminé cette pratique, les pratiquants peuvent installer “correctement” une effigie de Mahakala dans leur temple. Les yongyo (pratiquants de la quatrième année) apprennent à vénérer correctement Suijin, la divinité de l'eau, qui, comme le heisoku* , est d'origine shintoïste. C’est un exemple parmi d’autres du syncrétisme entre le bouddhisme de la Nichiren Shu et le shinto, qui était fréquent même à l'époque de Nichiren. Bien qu'actuellement je ne sois pas en mesure d'affirmer si la la façon de vénérer Suijin a commencé à l'époque de Nichiren, il est fort probable que ce dernier ait reconnu cette divinité, étant donné qu'il vénérait des divinités d'origine shinto - il les considérait comme les protecteurs du Japon et par la suite protecteurs du Sutra du Lotus comme dans le cas d'Amaterasu et de Hachiman. Cependant, cela pourrait également influencer la signification du suigyo ("prière de l'eau") et la notion de purification de soi. Les gogyo (5ème année) apprennent le honzon sojo, informations qui permettent de créer correctement un mandala, enseignement important qui remonte à l'époque de Nichiren. Cette pratique montre qu’au sein de la Nichiren Shu le mandala reste lié à la notion de kaji kito. Lorsque les pratiquants quittent le zuimon après 100 jours de pratique, l'austérité de l'entraînement subie les a marqués. Ils ressortent avec leurs barbe, portant des vêtements blancs et un Senkyo*
autour du cou. (fig. 7)
Quand tous les pratiquants ont terminé leur dernière prière commune et leur bokken kaji dans la salle principale, en présence de tous les participants, y compris leur famille et les membres laïcs de leurs temples, leur formation prend fin. Lors de cette ascèse ils auront appris l'essence de l'aragyo, condensée en deux phrases inscrites sur un parchemin à côté de l'autel dans la salle de prière. Ces deux phrases sont également visibles sur les deux drapeaux de la photo de groupe prise à la fin de la formation aragyo (figure 8). La première "kansui byakujiku bonkotsu masani karenantosu", dit que ces 100 jours de pratique, en ne mangeant que de la bouillie de riz et en versant sur soi de l'eau glacée conduisent à la mort d'un bonjin (personne normale vivant dans ce monde) ; ce qui équivaut à la suppression des souillures d'un être humain. La deuxième phrase importante est "rizanjige shotai onozukara shozu", qui indique que si l'on récite continuellement le Sutra et que l'on se consacre à son entraînement, on se rapproche en esprit du Bouddha. Les deux phrases ensemble font référence à la mort et la renaissance d’un nouvel esprit purifié. Après un entraînement ascétique aussi dur, le corps devient blanc et presque aussi translucide qu'une bougie, ce qui signifie que l’esprit est également purifié. Cette purification donne au gyoso la qualification nécessaire pour se connecter aux divinités et transmettre ce pouvoir à ceux qui recherchent l'aide de ces esprits par le biais du kaji kito. | |