Lettre à Jakunichibō

Jakunichibō Goshō
  寂日房御書
じゃくにちぼうごしょ
(Lettre [confiée] à Jakunichibō)
Page 1669 du « showa Teihon Nichiren Shōnin Ibun »
Traduction en français par Shôyû Foureau
à partir d’une traduction en italien du Révérend Tarabini
Lettres et traités de Nichiren Daishonin.
Page 1669 du « Showa Teihon Nichiren Shōnin Ibun »

(Écrit le 16 septembre 1279, à l'âge de 58 ans, depuis le Mont Minobu)

J'apprécie beaucoup le fait que tu m'aies envoyé une lettre en ce lieu si éloigné. Il est extrêmement rare de naître en tant qu'être humain. Tu n'as pas seulement été doté d'un corps d'être humain, mais tu as aussi eu [la rare et bonne fortune de] rentrer en contact avec le Bouddhisme, qu'il est très difficile de rencontrer. En outre, de tous les nombreux enseignements du Bouddha, tu as précisément rencontré l'Odaimoku, le titre du Sūtra du Lotus, et tu en es devenu un pratiquant. Par le passé, tu as certainement été une personne qui a véritablement fait des offrandes à tous les 100 000 millions de Bouddha.

Nichiren est le pratiquant suprême du Sūtra du Lotus dans tout le Japon. Je suis la seule personne dans tout le pays ayant vécu à la lettre les 20 lignes de vers du chapitre Kanji (Encouragement pour embrasser le Sūtra, Chapitre XIII). Huit cent mille million de nayuta de Bodhisattva ont verbalement juré de propager le Sūtra du Lotus, mais aucun ne l'a cultivé, ni l'a mis en pratique.

La mère et le père qui ont donné la vie à cette personne insolite du nom de Nichiren sont les plus bénits de tous les êtres vivants de toute la nation japonaise. Grâce aux mérites dus à leurs us et coutumes de leurs vies antérieures, ils sont sans aucun doute devenus mes parents et moi leur enfant. Si Nichiren est l'Envoyé du Sūtra du Lotus et du Tathāgata Šākyamuni, ses parents aussi doivent donc partager ce lien. Ils sont semblables au Roi Myōshōgon (Ornement merveilleux) et à la grande dame Jōtoku (Vertu pure) avec leurs fils Jōzō (réceptacle pur) et Jōgen (Yeux purs). Ou bien se pourrait-il que les deux Bouddha Šākyamuni et Tahō soient de nouveau nés en tant que parents de Nichiren? Dans le cas contraire, il se pourrait que mes parents soient nés [dans la passé] parmi les huit cent mille million de nayuta de Bodhisattva [de la Terre] ou parmi les quatre Bodhisattva guidés par le Bodhisattva Jōgyō [dans le but de sauver le peuple du Japon] ? Tout cela est mystérieux et va au-delà de la compréhension.

Les noms sont importants pour toute chose. Ceci est précisément la raison pour laquelle le Grand-Maître du Dharma, T'ien T'ai, a mis « le principe du nom » en première position parmi les cinq principes fondamentaux [du titre du Sūtra du Lotus].
Le fait d'avoir choisi le nom de « Nichiren » pour moi-même découle aussi de ma compréhension personnelle du Véhicule du Bouddha. Ceci peut faire croire que je me considère intelligent, mais il y a des raisons précises qui me font dire cela. Le Sūtra affirme : « Tout comme la lumière brillante du soleil et de la lune élimine toute l'obscurité, de la même manière cette personne qui avance dans le monde des hommes sera en mesure d'éliminer l'obscurité fondamentale des être vivants ». Considérons avec attention ce qu'implique le cœur de ce texte. Les 5 mots de la phrase « Shin nin gyō seken » (cette personne qui avance dans le monde des hommes) signifient que le Bodhisattva Jōgyō apparaîtra en ce monde au cours des premiers cinq cents ans des Derniers jours du Dharma et que les rayons lumineux de lumière des cinq caractères de Namu Myōhō Renge Kyō éclaireront l'obscurité intrinsèque de l'ignorance et de l'illusion, des désirs terrestres, de l'attachement et des autres afflictions. Nichiren, tout comme l'envoyé du Bodhisattva Jōgyō, a invité tous les gens du Japon à accepter et soutenir le Sūtra du Lotus. Même ici, depuis cette montagne, je n'ai eu de cesse de le faire.

Le texte suivant du Sūtra continue d'expliquer : « Même après mon extinction, il faut continuer à accepter et soutenir ce Sūtra avec certitude et sans aucun doute de sorte que cette personne obtiendra la voie du Bouddha ». Ainsi, tous ceux qui deviennent des disciples et des croyants laïques de Nichiren doivent prendre conscience de la profonde relation karmique qui les unit à lui et propager le Sūtra du Lotus de la même façon. Le fait d'être un pratiquant du Sūtra du Lotus peut nous exposer à un destin funeste et inéluctable.
Fan Kuai, Chang Liang, Masakado et Sumitomo n'ont jamais fait montre d'hésitation et ont toujours prêté attention à leur honneur, tandis qu'ils avaient horreur de la honte et de la punition. La malchance en cette vie-ci n'est rien comparée à la punition que l'on peut recevoir dans la prochaine vie. [Il faut, ndt] Se rendre dans le lieu de la pratique du Sūtra du Lotus, en tenant compte du moment où il faudra faire face aux gardiens de l'enfer, lorsque le démon chef-vol et le démon chef-suspension te déshabilleront sur la rive du fleuve des trois carrefours. Le Sūtra du Lotus sera alors ton seul vêtement pour te protéger du châtiment dans les existences suivantes. Le Sūtra dit : « Pour celui qui est nu, c'est comme acquérir un vêtement ».

Crois en ce Gohonzon de tout ton cœur. C'est le vêtement pour te protéger dans le monde de la mort. Aucune femme n'aurait laissé son mari nu, tout comme aucun parent ne pourrait s'empêcher d'éprouver de la pitié pour son enfant grelottant de froid. Le Bouddha Šākyamuni et le Sūtra du Lotus sont comme cette femme et ces parents. Tu m'as aidé et, ainsi, tu m'as sauvé du déshonneur en cette vie. En échange de cela, je te protègerai personnellement de la punition dans la prochaine vie. Ce que tu as fait hier pour quelqu'un d'autre, sera fait pour toi, aujourd'hui. Les fleurs se transforment en fruits et les épouses deviennent des belles-mères.
Récite Namu Myōhō Renge Kyō et sois toujours diligent dans ta foi.
Je ne puis te remercier suffisamment pour tes fréquentes lettres. Je te prie de faire expliquer [le contenu de] cette lettre de façon plus détaillée par Jakunichibō.

Nichiren

Le 16ème jour du 9ème mois. 

Notes du Révérend Tarabini

[1] La section entière des Gathas ou en prose du chapitre 13 du Sûtra du Lotus, « Kanji-hon » (Encouragement à embrasser le Sūtra).
[2] nayuta (那 由 他 ou 那 由 多) est un terme sanskrit qui signifie infini. Le terme nayuta apparaît souvent dans le Sūtra du Lotus et dans bien d'autres Sūtra  ainsi que dans de  nombreux textes bouddhiques. Chiffre de l'Inde ancienne, de l'ordre de 10 à la puissance 12 (ajouter 12 zéros après le 10). Soit à peu près  cent milliards.
[3] Roi Myōshōgon (ornement merveilleux) et la Dame Jōtoku (pure Vertu) avec leurs enfants, Jōzō (réceptacle pur) et Jōgen (Yeux Purs). Le discours du roi Myōshōgon apparait dans le chapitre XXVII du Sūtra du Lotus. C'était à l'origine un roi brahmane qui vivait à l'époque du Bouddha Unraionshukuō Kechi雲雷音宿王華智仏(le roi sagesse des nuages ​​dans la constellation des sons du tonnerre). Sa femme, dame Jōtoku avec leurs deux enfants, Jōzō et Jōgen, ont encouragé le roi à rencontrer le Bouddha. Après que le roi eut fait des offrandes dédiées au Bouddha, celui-ci fit une prophétie où le monarque allait devenir dans l'avenir un moine puis atteindre l'illumination, en portant ainsi le nom du Bouddha Sharajuō (le roi des arbres Sal). Le roi immédiatement abdiqua en laissant le trône à son jeune frère. Avec sa femme et ses enfants, ils devinrent moines dans la Sangha du Bouddha, où ils se consacrèrent à la pratique et à la culture du Sūtra du Lotus. Après sa mort, le roi renaquit sous la forme Bodhisattva Ketoku (Vertu fleurie) et participa à  l'assemblée de ceux qui ont entendu et vu lorsque le Bouddha Sakyamuni a enseigné le Sutra du Lotus sur le sommet du pic du vautour (Pic de l'Aigle).
[4] Les Quatre [Bodhisattva de la Terre] font leur apparition au chapitre XV du Sūtra du Lotus (Yujutsu, Sortir de Terre). Dans le chapitre XXI (Jinriki, les pouvoirs surnaturels), le Bouddha confia à  ces quatre Bodhisattva, dirigé par le bodhisattva Jōgyō 上行菩 (en sanskrit Vishishtacaritra, "pratique supérieure") avec le Bodhisattva Jyōgyō (Vishuddhacaritra, «pratique pure»), le Bodhisattva Muhengyō 無辺行菩` (Anantacaritra, "pratique infinie"), et le Bodhisattva Anryūgyō 安立行菩 (Supratishthitacaritra, "pratique sécuritaire") pour guider toutes les personnes dans ce monde de souffrance (appelé le monde Saha, en sanskrit) pour toute la durée de l’époque infinie de mappo et leurs permettrent d’atteindre l’illumination grâce à la foi et la pratique du Sūtra du Lotus.
[5] Traduit de l'expression utilisée par Nichiren dans cette phrase dans le texte original de "suijaku" (垂 迹) à partir de la notion plus large de honji suijaku (本地 垂 迹) qui a intégré les divinités locales Shinto dans le panthéon bouddhiste de protection. Honji suijaku veut dire que les divinités bouddhiques sont venues au Japon pour la première fois en tant que kami (divinités shintoïstes), afin de protéger et de sauver les êtres vivants. Ces kami étaient donc considérés comme des divinités intermédiaires ou "traces" (suijaku) par les bouddhistes, ainsi les divinités bouddhiques elles-mêmes ont été appelés honji («la terre d'origine»), démontrant la véritable origine des dieux. De cette façon, les deux entités ont formé un syncrétisme relationnel. Un exemple de la fusion de ces deux traditions se voit dans la tradition bouddhique japonaise, il concerne la divinité protectrice tel que le Grand bodhisattva Hachiman, qui était à l'origine un dieu shinto de la guerre, ou le dieu tutélaire des guerriers, incorporé dans le panthéon bouddhique au VIIIe siècle. Les mots « honji » et « suijaku » ont été utilisés en premier  au début du bouddhisme Tendai (japonais) pour  faire la distinction entre le Kuonjitsujō no Shaka (le Bouddha atemporel Shakyamuni, qui transcende le temps) et le Shijōshōgaku no Shaka (le Bouddha historique Shakyamuni) mentionné dans le « Nyorai Juryōhon » (le chapitre Juryō, la vie du Tathagata) le chapitre XVI du Sutra du Lotus. La théorie de  « honji suijaku » a été ensuite  appliquée dans la  terminologie de la relation entre kami et Bouddha au Japon. La première apparition de ce terme  au Japon faisant référence à la terminologie de « honji suijaku» se situe dans Daishiden Eizan (Biographie du Grand Maître du Mont Hiei, le Grand-Maître du  Dharma, Dengyô (767-822), compilé par un disciple, Ichijō Chu, , également connu sous le nom Saichō) et complétée environs vers 825.
[6] Le Grand Maître du Dharma, T'ien T'ai (538-597), Chigi ou Zhiyi 智顗: Le fondateur de l'école T'ienT'ai en Chine et après sa mort, appelé le Grand-Maître du Dharma T'ien T'ai. Après avoir perdu ses deux parents, il entra dans le temple Kuo-yuan-ssu sous la direction de son maître Hsu Fa et devint moine à l'âge de dix-huit. Chigi alla au mont Ta-hsien, où il rencontra le Triple Sūtra du Lotus. Puis il est allé sur le Mont Ta-up, où il rencontra le Grand Maître du Dharma-Nan Yue, ensuite pratiqua le Sūtra du Lotus et étudia le Daichido Ron * de Nāgārjuna. En 587, il donna une série de conférences sur le Sūtra du Lotus qui furent complilées dans le Hōkke Mongu (Mots et phrases du Sūtra du Lotus) - l'une des trois œuvres majeures de Chigi. En 593, il composa son second ouvrage majeur, le Hokke Gengi (Principes fondamentaux du Sutra du Lotus) et l'année suivante, 594, Maka Shikan (Grande concentration et intuition). Bien que Chigi ait formellement établi la tradition T'ien T'ai  de l’école chinoise officielle et indépendante sur le mont T'ien T'ai (d'où le nom de l'école a dérivé), il est considéré comme le troisième patriarche de l'école, précédé par le' deuxième patriarche Hui Wen (Nan Yue), qui avait transféré les enseignements et les traditions de Chigi. En outre, grâce à la philosophie de Nagarjuna de la Voie du Milieu, Nāgārjuna est traditionnellement considéré comme le premier patriarche du T'ai T'ien.
[7] Les cinq principes de base du titre du Sûtra du Lotus (五 重 玄 义) : Expliquez en 10 volumes par le Grand-Maître du Dharma, T'ien T'ai, Hokke Gengi (法 华玄义, Principes fondamentaux du Sutra du Lotus ), un recueil de conférences présenté en 593 par Zhiyi, le fondateur de l’école T'ien T'ai, dans le temple de Yuquan dans la province de Jing (actuelle province du Hubei, Chine), compilé par son disciple Guanding. Les cinq principes présentés dans le présent document sont les suivants ;
1) Shakumei (釈 名) : L'interprétation du nom du titre,
2) Bentai (弁 体) : La clarification de la nature exprimée dans le titre;
3) Meis (明 宗) : La clarification de la pratique scolaire et la culture de ses enseignements; 4) ronyo (论 用), la discussion théorique comment l'enseignement ( ?)
5) Hankyō (判 教) : Détermine la position du Sūtra de tous les autres enseignements bouddhistes.
[8] Le véhicule de Bouddha (佛乘) : Indique le véhicule du Bouddha à partir la théorie

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